vendredi 10 avril 2009

chapitre N-49

Il supposait même maintenant que son père le savait déjà, mais faisait semblant de ne pas s'en être rendu compte. Ses parents l'avaient traité avec une indifférence bienveillante: par exemple on ne l'obligeait pas à se coucher tôt, mais juste à ne faire aucun bruit à partir d'une certaine heure "sinon on coupe le courant vers ta chambre" (ce qui fut fait les rares fois où il transgressa: très efficace). Il pouvait lire tant qu'il voulait, ou écouter la radio en sourdine. Il n'y avait pas de télé dans la chambre et l'ordinateur (dès 1983, il en avait eu un: un "TO-7" à crayon optique sur l'écran) était dans la "salle de jeu" au grenier. Les films finissant un peu tard, on les lui enregistrait au magnétoscope et il y avait droit s'il s'était bien lavé les dents, n'avait pas mis d'eau partout dans la salle de bain, etc. Ses parents savaient que lire ou écouter la radio (voire les deux en même temps) était soporiphique au lit. La lumière de la chambre était un variateur à minuterie: à partir de l'heure "défense de faire du bruit", ça baissait doucement si Stéphane ne réappuyait pas sur le bouton toutes les dix minutes, autre astuce facilitant l'endormissement "sans avoir fait exprès". Beaucoup d'autres astuces de ce genre permettaient de gérer Stéphane "par le simple fonctionnement des choses", sans permissivité ni autorité explicite. D'autant que ce n'était pas un enfant embêtant: bonne santé, caractère stable, peu sensible à la douleur, sage et silencieux en présence d'autres gens, avec de la curiosité mais dormant bien. Ils ne l'avaient embêté que pour les dents, et maintenant Aymrald comprenait pourquoi: ça, ça pouvait s'abîmer par négligence et consommation de sucreries. Ils n'avaient pas été "sur son dos" pour les études puisque dans le système Keramanac'h ça marchait. Les invités chez les Dambert pensaient le contraire car on envoyait toujours Stéphane "faire ses devoirs" ou "réviser sa géographie" (ou le russe, ou autre, pour changer) quand invités il y avait (pas souvent, mais parfois), ce qui était un moyen de l'exempter de cela tout en donnant l'impression que les obligations scolaires n'étaient pas prises à la légère, chez les Dambert. En fait de devoirs, Stéphane montait jouer au grenier, et plus tard y programmer le TO-7, puis l'Atari ST à partir de 1986. Ses parents ne l'emmenaient pas chez d'autres gens: ils n'aimaient pas ces gens qui imposaient leurs enfants (voire leurs chiens) partout. Pour les Dambert, les enfants, c'était comme les chats: ça restait à la maison ou dans le jardin, quand ce n'était pas à l'école. Quand on leur avait demandé "vous n'êtes pas venu avec votre fils", Geneviève avait répondu "il doit se remettre à niveau en japonais" ou quelque chose de ce genre.
Les Dambert passèrent ainsi pour des "marche-ou-crève" scolaires alors qu'ils ne l'étaient pas du tout. L'entrée de Stéphane à 17 ans dans une école d'ingénieurs n'avait donc pas tant surpris leur entourage: "mais ses parents ont été constament sur son dos, comme on fait au Japon", ou "le pauvre: il n'aura pas eu d'enfance". Alors que c'était pure illusion: Kermanac'h comportait moins de jours d'école par an que le système classique, et il n'y avait aucun devoir à la maison. En fait c'était depuis Centrale Dinard que l'on voyait un peu plus Stéphane (qui continuait d'utiliser ce prénom hors travail) dans les réunions familiales, où jadis il n'était pas présent ou juste brièvement avant d'être renvoyé à ses devoirs. Stéphane répondait "ce n'est pas facile, mais pour le moment j'arrive à suivre", quand on lui demandait comment c'était d'être dans une école d'ingénieurs si jeune. Stéphane avait très bien compris le pourquoi du "jeu social" parental (dès le début, puisque ça lui permettait d'aller jouer tranquillement au lieu de devoir faire la plante en pot en présence d'invités) et ne l'avait jamais démenti, tout en n'en rajoutant pas.
Ils ne firent jamais "garder" Stéphane: pourquoi ne pas accorder à un enfant plutôt sage la confiance que l'on accordait spontanément à un animal domestique? Le petit ne mettrait pas le feu à la maison (il n'y avait pas de rideaux en nylon ni de choses de ce genre), ne boirait pas l'eau de Javel (l'armoire métallique contenant tous les produits de ce genre ou inflammables fermait à clef) et en cas de cambriolage il savait où se cacher (une grille dont les barreaux ne permettait pas à un adulte même maigre de passer) et comment prévenir d'autres gens. Ses parents auraient été bien plus inquiets de laisser à la maison une "baby sitter" qui risquait de téléphoner à une copine en Australie et de faire faire un double des clefs pour des copains louches après avoir collé Stéphane devant une K7 de "massacre à la tronçonneuse" pour ne pas avoir à s'en occuper. A l'époque la maison avait encore des clefs: le système électronique fut installé plus tard.
En fait les parents de Stéphane étaient fiers de lui sans trop le montrer: pour eux, tout était "normal": il n'y avait rien à en dire de positif ni de négatif, surtout vis à vis du reste de la famille. Ils n'en parlaient pas, surtout quand Stéphane était présent. Ils ne parlaient jamais à sa place, car on ne faisait ça que pour les débiles mentaux, selon eux. Lui, il savait qu'il vallait mieux écouter les autres parler d'eux et essayer de s'en souvenir que de dire plus de choses que nécessaires. Il notait en caractères cyrilliques ou parfois en hiragana dans un petit calepin. De plus ça lui éviterait de dire des âneries, or il savait que si les autres s'attendaient à un "surdoué" il ne pourrait que les décevoir.
Stéphane avait donc un peu le "complexe de l'imposteur": involontairement, il était pris pour ce qu'il ne méritait pas: il savait qu'il n'était pas nul, puisqu'il était entré tôt dans cette école, mais aussi que via le système Kermanac'h beaucoup auraient pu en faire autant. Le génie, c'était d'entrer à l'X à 16 ans, comme l'avait fait André Citroën, et ceci sans avoir bénéficié d'un parcours optimisé équivalent au système Kermanac'h. Toutefois il ne répondait pas cela: il l'avait fait jadis, estimait que les autres le savaient et qu'ils l'appelaient "petit génie" ou "surdoué" pour s'en moquer gentiment. Ce n'était pas méchant, mais c'était à ignorer tranquillement. De plus ces membres de la famille étendue savaient certainement (ou croyaient savoir) combien il avait eu "ses parents sur le dos", scolairement. Ils se reprochaient probablement de ne pas avoir fait de même avec leurs propres enfants. Or en supposant à Stéphane des dons innés, ils se dédouainaient de n'avoir pas pu (et tout simplement pas essayé) de faire de même avec les leurs, d'avoir fait confiance à la médiocrité du système d'Etat ou de son équivalent privé. Le pire était effectivement d'avoir payé (et plus cher que Kermanac'h) pour du privé "sous contrat" pour obtenir des résultats inférieurs à celui du système public. Ils n'osaient tout de même pas dire que leurs enfants étaient des sous-doués (donc qu'eux, parents, n'y pouvaient rien), mais ce qu'ils disaient de flatteur sur Stéphane revenait implicitement à ça. Stéphane supposait que ses cousins n'étaient pas sous-doués et auraient eu des résultats voisins (un peu plus, un peu moins) via les mêmes méthodes, sauf pour les plus agités car Kermanac'h ne les aurait pas gardés.
Aymrald continuait à penser cela, mais n'en disait mot: après tout ça ne le regardait pas, chacun pouvait rester sur ses illusions et s'inventer les excuses qu'il lui fallait.
Aymrald fut donc aussi sagement sobre et détendu d'attitude, en présence de la famille étendue, que Stéphane l'avait été. Il ne cherchait pas à rectifier les sottises qu'il entendait lui passer sous le nez, tant qu'elles ne le concernaient pas directement: il n'était que spectateur de cette pièce de théâtre familial. Tant qu'il ne s'y impliquait pas, il pouvait faire illusion intellectuellement. On le supposait perdu dans des pensées techniques de haut niveau, alors qu'il s'entraînait juste à retenir puis résumer ce qui s'était dit d'inédit (quand ça se produisait) dans ces réunions, et surtout essayer de se souvenir qui l'avait dit, ce qui lui était plus difficile: pour gagner de la place, son cerveau tendait à ne stocker que l'information, et non sa forme (inutile pour le résumé) ni sa source, ni même sa date, quelques temps plus tard. Autre exercice: traduire en finnois tout ce qu'il entendait en français. Bon entraînement pour le jour où il pourrait enfin aller voir la terre de la moitié de ses ancètres.
Il y avait un trou énorme dans la grammaire finnoise: l'absence de futur. C'était très gênant, tant en thème qu'en version. Il n'y avait ni futur conjugué, ni auxiliaire en tenant lieu (contrairement à l'allemand, l'anglais ou le suédois, entre autres). Comment un peuple pouvait-ils se cogner un système de déclinaisons effroyable dont le reste de la planète se passait très bien (d'autres langues avaient des déclinaisons, mais pas à ce point), et ne pas s'être rendu compte, pour les conjugaisons, que le futur était différent du présent? Certes, en français il manquait le futur simple du subjonctif et du conditionnel (Stéphane avait ressenti ce manque très tôt, d'abord pour le conditionnel futur, puis le subjonctif: ça lui semblait "bancal" d'utiliser le subjonctif présent après un verbe au futur) mais il y avait au moins un verbe au futur dans les environs pour montrer que ce n'était pas au présent.
L'utilisation spontanée par Stéphane (donc Aymrald) de l'imparfait du subjonctif lorsqu'il était "mécaniquement" demandé avait contribué au personnage "Aymrald d'Ambert", d'autant plus qu'il le faisait au fil de l'eau, sans avoir l'air de l'avoir sorti "pour avoir l'air" ni prendre le moins du monde un ton snob. C'était le cas de la plupart des élèves du système Kermanac'h. On les reconnaissait aussi par l'usage fréquent du futur antérieur dans des langues qui ne l'avaient pas mais où il était théoriquement possible de le construire, quitte à enchaîner deux auxiliaires comme en allemand ou c'était prévu. L'anglais et le suédois pouvaient très bien avoir eux aussi un futur antérieur (même mécanisme que le "futur 2" allemand), bien que ce ne fût pas l'usage. C'était simplement nécessaire pour traduire du français vers ces langues sans faire de détours par d'autres moyens
Aymrald qui n'avait que 19 ans et pas encore 1m80 (1m75, au début du stage) estimait qu'il n'intéresserait les filles que plus tard, que pour le moment elles n'y verraient qu'une sorte de "petit frère idéal" (on le lui avait déjà dit), rien d'autre. D'ailleurs ce n'était pas sa préoccupation non plus: c'était dans les "quand je serai grand, je..." et ses corrolaires "quand j'aurai une voiture", "quand j'aurai un emploi". Toutefois il serait bien allé voir si les Finlandaises vallaient les Suédoises dont tout le monde faisait tant de cas.
Aymrald passait pour "passivement bien élevé", ce qui signifiait qu'il appliquait les "ne faites pas" mais pas les "faites" quand il estimait que ça pouvait paraître artificiel ou déranger (par réciprocité): les manuels de savoir-vivre se "plantaient" sur certains points, selon lui: ça pouvait faire passer pour obséquieux, voire snob. A réserver au cas de circonstances très officielles avec des personnages importants, circonstances qu'il avait peu de probabilité de rencontrer un jour. Dans la vie "en vrai" Il valait souvent mieux "faire partie des meubles". Sa famille (même "étendue") n'était pas du genre "petit doigt sur la couture du pantalon", sans être plouc non plus. Il imitait donc les autres, mais en gommant ce qui était trop "ne faites pas". Grâce à cela il passait pour bien élevé, voire un peu timide, mais pas guindé. Par contre il ne pouvait pas débrayer l'imparfait du subjonctif là où la grammaire le demandait: c'était "gravé en ROM", ça marchait sans y penser. Parfois ça faisait sourire, mais pas plus que l'accent québécois ou de dire "septante" comme les Belges et les Suisses qui avaient raison sur ce point. Aymrald disait souvent "nonante" au lieu de quatre-vingt-dix, parce que c'était plus simple et plus logique à dire. Les années 90 lui donnèrent souvent l'occasion de dire "nonante-quatre", "nonante-cinq", etc. "Avez-vous fait vos études en Suisse?" supposait-on parfois. Mais pour la vitesse en voiture, "cent quatre-vingt" ça "rendait" mieux que "cent-octante", donc il disait "cent-quatre-vingt".
Le stage se déroula sans surprise, dans un laboratoire d'essais d'agents de texture, de sapidité, de colorants et d'arômes artificiels. On y étudiait la tenue de ces produits à divers modes de cuisson, leurs réactions avec divers aliments, la longévité de leurs propriétés, tout ceci rapporté à leurs coûts de fabrication. Outre la participation à la préparation et à la récolte des mesures de certaines expériences, Aymrald fut mis sur l'amélioration d'un des logiciels du laboratoire, un "vieux machin" en Fortran qu'il fallait refaire en C tout en modifiant sa gestion mémoire inutilement compliquée car datant d'une époque où les ordinateurs en manquaient. Aymrald ne s'occupa pas de ça tout seul: deux autres stagiaires se répartissaient aussi les fonctions à réécrire. Didier, Mines de Douai (école accessible en fin de sup) un anonyme encore plus myope qu'un "modèle de série", et Gauthier, Centrale Nantes, un "bon gros" sympa avec sourire de batracien qui semblait disposé à goûter (voire regoûter) tout ce que fabriquerait BFR. Gauthier s'occupait de la compatibilité des reconstructions-reconceptions de fonctions qu'ils opéraient tous les trois.
Ce logiciel était un "autocorrélateur", basé sur le principe des réseaux neuronaux multicouches avec rétropropagation du gradiant et divers systèmes de "recuit" pour éviter les "fausses convergences". C'était ce programme, déjà bidouillé par beaucoup d'ingénieurs et de stagiaires, qui était chargé de trouver les corrélations entre les paramètres des essais de tel ou tel type de produit et les résultats des mesures, en particulier celles qui avaient un caractère subjectif comme le goût, donc ne pouvaient pas être modélisée mathématiquement. Il y avait déjà eu quelques résultats probants: l'autocorrélateur faisait gagner du temps en cernant des "domaines de convergence" ce qui permettait au moins d'éliminer tout un tas de combinaisons qui ne plairaient pas au panel de goûteurs, ce qu'il était seul à pouvoir déterminer, une fois ses matrices de coëfficients stabilisées.
En mai 1995, il y avait encore des étages en Fortran 77 (pas 66, tout de même) à reconvertir, et des complications inutiles de gestion de mémoire à reconcevoir "à plat": il y avait bien assez de mémoire dans les ordinateurs contemporains (et plus encore dans le "monstre" russe à 65536 coprocesseurs utilisé par BFR pour les tâches "massivement parallèles": l'autocorrélation en était une, la simulation des moulages en "état pâteux" et de leur retrait au refroidissement en étant une autre) pour pouvoir tout mettre à plat à bord.
Stéphane racontait BFR (dans s'y étendre) aux gens de sa famille qui le questionnaient dessus. Non, il n'était pas employé toute la journée à faire rentrer à coups de poings des lots de trois packs de seize yaourts (102mm de large) dans des cartons trop ajustés (30cm exactement). Un cousin au second degré avait connu un boulot d'été de ce genre, bien que l'ayant obtenu par piston.
Après le 14 juillet, ce qu'Aymrald était censé faire dans la convention de stage avait été fait. Il y avait d'autres choses à faire dans ce laboratoire ou ailleurs chez BFR, mais on lui proposa de découvrir le laboratoire d'études clients à La Défense. Il prit le train: BFR le relogeait là-bas, et il n'avait pas besoin de sa Trielec sur place (garée en lieu sûr chez BFR Rennes) car avec le RER et le métro on pouvait aller plus vite partout dans Paris et bien des endroits autour, la carte orange hebdomadaire étant fournie par l'entreprise.
En fait d'études clients Aymrald, après avoir été examiné de pied en cap (diverses poses à prendre en slip, les cheveux relevés dans une pince) par une machine à balayage laser (comme une cabine de téléportation) chargée d'essayer de le reconstituer en carreaux de Bézier, tout en contrôlant tout un tas de proportions et autres paramètres, se retrouva à jouer dans seize spots publicitaires: pourquoi pas? Il s'agissait de lancer le "Minibleu", fromage bleu (d'Auvergne?) conditionné en palets sous cire, ce qui était nouveau pour ce type de fromage. Même si cela se savait, on ne lui reprocherait, à Centrale Dinard, que de ne pas en avoir détourné quelques cartons pour ramener aux copains. De plus, le labo de Rennes où il avait travaillé avait fait les tests de fiabilité du conservateur mis au point pour ce type de fromage dans ce conditionnement. VTP (Vidéo Télé Production) appartenait entièrement à BFR, créée pour tourner ses publicités mais aussi toutes sortes de séries télévisées destinées (sans le dire ni même trop le montrer) à pousser les jeunes à manger des fromages apéritifs plutôt que les produits concurrents. Pour raison légale, on ne voyait pas la marque (du moins pour la diffusion française), mais on reconnaissait la forme et la couleur des produits présents sur les tables basses (ou normales) des "sitcoms" de VTP. Par rapport aux "sitcoms" concurrents, le procédé de prise de vue utilisé par VTP permettait de synchroniser du paysage aux mouvements de caméras, vu par les fenêtres, ce qui aérait visuellement par rapport à du "tout fermé en studio". Il n'y avait jamais de "baiser hollywoodien" entre personnages, car c'était vecteur de nombreuses maladies (à commencer par l'hépatite B), donc il ne fallait pas, selon BFR, banaliser à l'écran cette pratique. Quant aux quelques actes sexuels ils étaient symbolisés par l'ouverture d'un emballage de préservatif, juste avant d'éteindre la lumière.
VTP avait été félicité par des agences de santé publique pour avoir filmé en gros plan le déballage de préservatif en tant que symbole érotique (en lieu et place de tout autre), ce qui compte tenu de la célébrité de ces séries avait fait augmenter le taux d'usage de ce moyen de protection. Toutefois, les mêmes reprochaient à ces séries de pousser à trop manger, la nourriture y étant omniprésente.
Le coût principal étant la diffusion télé des spots et non leur tournage (surtout avec les procédés maison, très optimisés, avec beaucoup moins de personnel que chez les concurrents) autant diffuser une série de spots différents pour le même produit plutôt que de matraquer toujours le même. De plus cela pouvait déclencher un effet "collection", surtout chez les jeunes publivores, qui allaient essayer d'avoir vu tous les spots "Minibleu" différents.
Différents, mais avec neuf personnages récurents, souvent vus trop peu de temps pour créer un effet de "à revoir pour mieux voir": les plans sur les vaches étaient un peu plus longs. Seize mini-scénarii dans des spots de 20 secondes (et non 30). VTP n'avait pas de personnage comme Aymrald sous la main, d'où son utilisation après quelques essais pour voir s'il pouvait le faire correctement. Les deux personnages les plus remarqués étaient lui et Zhao, un jeune d'origine chinoise (famille de Canton, mais né dans le XIIIème) qui semblait avoir été fait par ordinateur. VTP en profitait pour les mettre plus brièvement à l'image (une fois vers le début puis à la fin du spot) que les sept autres, (quatre filles et trois garçons) choisis aussi pour plaire mais moins "hors série" qu'eux deux.
Aymrald participa aussi aux études sur panels de dégustateurs "en aveugle" de produits, cette fois des gens extérieurs à BFR payés pour venir une demi-journée goûter des produits sans marque apparente et tous de la même couleur. Il fit également un peu d'électromécanique et de programmation de microcontrôleurs dans les systèmes de prise de vue et de son des plateaux de tournage de VTP: il n'y avait aucun caméraman ni "perchman" ni éclairagiste, chez VTP: tout était automatique, avec suivi dynamique de personnages (un projet ayant servi de base à des applications militaires et policières, en échange de quoi VTP faisait assez facilement exempter ses personnages), et contrôle informatique des hors champ: un logiciel savait anticiper cela bien mieux que des humains car il était au courant de tout en même temps, alors qu'un perchman n'avait pas le point de vue en temps réel du caméraman auquel il devait éviter de laisser filmer le micro. Le système VTP, en plus d'économiser du personnel et de faire gagner du temps, donnait des résultats plus précis. En particulier il permettait de diminuer la marge de sécurité pour le cadrage et approcher plus les micros.
Aymrald fit un petit rôle (sur talonnettes, le personnage étant censé faire plus de 1m80) pendant trois épisodes: Ingvar Kronogaard, cousin suédois en visite d'une des héroïnes de "Devine qui vient dîner ce soir", dont la première apparition à l'écran, tout à la fin du premier épisode auquel il participait, consistait à ouvrir une porte et se prendre en pleine figure le gâteau à la crême et aux myrtilles lancé sur Tanguy (personnage récurent de la série) par Nadine (autre récurente) qui l'avait esquivé. Le tout sur fond de ABBA (commençant à ce moment): "Mama mia", dont un extrait clôturait alors l'épisode. En tant que suédois il était censé être peu expressif (mais pas totalement) et n'avait pas beaucoup de texte à dire, en suédois sous-titré, ou parfois en français avec l'accent suédois qu'il savait bien imiter (au point qu'en anglais avait l'accent suédois sans faire exprès).
C'était parce qu'il y avait "suédois" dans son CV (en plus de l'allemand, du russe, du japonais, de l'italien, de l'anglais et du finnois), en plus de l'air qu'il avait (mais qui pouvait aussi convenir pour un autre pays de ce genre, ou même l'Allemagne) qu'il avait été mis dans ce rôle, destiné à l'origine à un "correspondant anglais" mais la production avait estimé qu'un Suédois serait bien plus exotique. Le public ne connaissant pas Aymrald (qui fut inscrit au générique comme Erwann d'Ambert: le troisième prénom servait enfin à quelque chose) autant en profiter. La plupart des "occasionnels" télégéniques des séries de VTP étaient empruntés à d'autres séries télévisées du groupe, dans lequelles les spots publicitaires puisaient aussi leurs personnages. Dans le second épisode quand "Ingvar" était à l'image, celle-ci passait parfois en noir et blanc, avec des sous-titres et un bruit d'horloge germanique (tanc-toc et non tic-tac) dans le fond. A d'autres moment il y avait un peu de ABBA. Au troisième épisode six personnages français étaient pris de hauts-le-coeur et vomissaient ce qu'ils venaient de commencer à manger car Nadine ne les avait pas avertis qu'elle avait laissé Ingvar préparer le repas, ce qui valait à ce dernier un nouveau bombardement alimentaire (collectif, celui-là, jusqu'à explusion définitive) tandis que le fond musical commutait de "The winner take it all" à "Wateloo". Pour le correspondant anglais, c'étaient des extraits de Beatles qui étaient envisagés, dont "love, love, love", "yellow submarine", et "back in the USSR" pour la finale.
Il y avait souvent des projectiles alimentaires dans "Devine qui vient dîner ce soir", visiteur suédois ou pas. Les plats ou pâtisseries étaient conçus pour avoir l'air très salissants sans tacher durablement: aucun corps gras (la "crême" des harengs n'en était pas: c'étaient des blancs en neige), pas de vraies myrtilles mais de la gélatine colorée avec un colorant facile à laver sur les vêtements et qu'il n'y avait qu'à rincer dans les cheveux.
Aymrald non plus ne serait pas resté deux semaines à jouer à plein temps là-dedans, à moins d'une rémunération plus conséquente, mais juste trois épisodes (avec quatre bombardements nutritifs au total), il avait estimé qu'il fallait faire ça au moins une fois dans sa vie. C'était une machine qui lançait le gâteau à la meringue molle et aux myrtilles sur Ingvar à son entrée (celui que lançait Nadine à l'écran n'allait pas sur lui, mais le spectateur ne pouvait pas s'en rendre compte), déclenchée par l'autocolimateur de personnages: cela garantissait l'angle et la position précise de l'impact sur le personnage même s'il n'était pas pile au bon endroit au bon moment, ce qui évitait d'avoir à refaire la scène. On consommait deux fausses patisseries (une pour le lancer, l'autre pour l'impact) mais pas plus. On n'avait à nettoyer le personnage et échanger ses vêtements qu'une fois. Pour la dernière scène d'Ingvar, le bombardement collectif de hareng à la crême, les tirs étaient réels: il y avait assez de tireurs et de munitions pour garantir qu'une bonne partie atteigne Ingvar un peu partout, donc pas besoin de tricher.
La série était aussi exportée en Suède, ces épisodes inclus. C'était d'ailleurs en partie en pensant aux divers pays où VTP exportait qu'il y avait des "guest stars" de diverses nationalités (supposées) saupoudrées dans certains épisodes, quitte à s'en moquer (mais ce n'était pas bien méchant: ça montrait surtout les préjugés que le "Français moyen" avaient sur eux). "Devine qui vient dîner ce soir" avait déjà eu un invité japonais qui leur avait préparé un fugu, d'où décès de trois personnages récurents (en plus du Japonais lui-même) car ces trois-là voulaient jouer dans autre chose, ce qui leur avait été accordé. Le "Japonais" était en réalité un Français d'origine vietmanienne, mais le public "n'y connaissant rien" et le personnage ayant appris sur des rails le peu de japonais qu'il aurait à dire, VTP l'avait choisi à vue et non sur sa nationalité réelle.
Dans la version suédoise, les autres personnages aussi parlaient suédois, mais quand Ingvar parlait VTP avait laissé les sous-titres en français pour montrer que les autres n'étaient pas censés comprendre, ce qui augmentait l'effet comique.
Aymrald se souvint en tournant des scènes du deuxième épisode que le "club cuisine" de Centrale Dinard regardait cette série, car chaque épisode présentait une ou deux recettes réelles détaillées, sans "voix off" mais de façon assez "suivable" pour que l'on puisse la refaire chez soi.
La série la plus "gros humour qui tache" de VTP, mais qui, contrairement à ce que pensait le public, était l'une des mieux payées (car les personnages avaient moins envie d'y jouer que dans les autres séries, d'où un "turn-over" important) et l'une des plus exportées. Pas si étonnant que ça quand on constatait le succès international qu'avaient connu des séries encore plus "lourdes" comme Benny Hill. Il n'y avait pas de rires enregistrés dans "Devine qui vient dîner ce soir", mais de nombreux clins d'oeil cinématographiques ou musicaux.
Outre les talonnettes, VTP avait triché en post-production, par infographie, pour lui rendre les yeux bleus comme on les imaginait à un Suédois (ou à un chat birman). Ceci en remplaçant ton pour ton (en veillant à conserver un effet identique en noir et blanc) le vert des pixels par du bleu, dans l'image d'origine, uniquement dans les iris (ce que le logiciel savait déterminer au pixel près) d'où un aspect réaliste. En noir et blanc, on ne percevait pas de différence par rapport à l'image non retouchée. Le personnage de la pub "Minibleu" conservait le vert-bleu d'origine, jugé plus intéressant par VTP. Ca amusait aussi les gens de VTP de penser que le public le plus attentif, ayant reconnu le personnage d'un rôle à l'autre, se demanderait si c'étaient des lentilles vertes (pour la pub) ou des lentilles bleues (pour la série) qu'il portait. Aymrald n'avait pas de talonnettes dans la pub, la façon de filmer faisant que la taille des personnages n'avait pas d'importance (sauf vraiment grand ou vraiment petit).
Aymrald n'avait jamais envisagé de carrière médiatique, supposant qu'il fallait un entraînement intensif, refaire des dizaines de fois chaque prise, être plus grand (quoique Tom Cruise et d'autres aient su s'en passer), que ça prenait énormément de temps et qu'il fallait être très doué, avec une mémoire en béton.
Certes, "Devine qui vient dîner ce soir" ne serait jamais nominée aux Césars, mais il avait été pris pour jouer dans une série télé doublée en 26 langues et exportée dans une quarantaine de pays, ce qui n'était pas insignifiant, même si le rôle ne présentait pas de difficulté. Ceci sans l'avoir cherché, sans avoir postulé dans des "castings" (en fait le casting s'était étendu à tout ce qui était disponible chez BFR, "au cas où", et BFR Rennes avait transmis Aymrald). Il ne fallait pas s'attendre à plus: VTP l'aurait peut-être réutilisé comme personnage occasionnel dans des rôles faciles dans d'autres séries, mais le "temps plein" de ses études ne s'y prêtait pas.
Restait à savoir si on lui proposerait quelque chose pour août, ou s'il ferait mieux de l'utiliser pour partir en Suède avec Gauthier qui roulait depuis peu en 305 break (de 1979: première calandre, à "contrepente", plus agressive mais moins aérodynamique) et voulait lui aussi y aller dès la fin de son stage.
Adeline, la réalisatrice principale des séries de VTP prenant ses vacances début août, il y avait bien assez de personnages en stock pour les autres réalisateurs donc on ne proposa rien à Aymrald pour début août, "mais si tu peux être là la dernière semaine d'août et la première de septembre, tu pourras gagner plus d'un mois de stage en jouant dans quelque chose où l'on ne te bombarbera pas de pâtisseries. C'est nouveau, ça se passe dans un club de voile, on a besoin de tuer un personnage comme toi pendant les premiers épisodes uniquement. Sinon on trouvera quelqu'un d'autre, ce n'est pas grave.
Un mois de stage pour deux semaines de tournage d'une série moins débile, ce n'était pas négligeable. Certes, il s'attendait à être mis souvent à la mer, à se prendre des coups de bôme (molle au choc, mais dure au son...) à l'improviste, etc, mais ça ne pourrait pas être pire que "Devine qui vient dîner ce soir".
Simulation sur public test? Pourtant il n'avait pas fait d'essais pour cette série. Aymrald avait vu les storyboard infographiques de "Devine qui vient dîner ce soir", où il n'était pas: c'était un rouquin plein de taches de son qui y était virtualisé: le correspondant anglais prévu d'origine. On lui avait donné la vidéo virtuelle à visualiser à tête reposée pour s'entraîner à imiter les déplacements et attitudes du personnage: Ingvar reprenait les mêmes rails. Seul son texte (il en avait moins) était différent.
Il demanda à voir des extraits du storyboard de "Au vent du large". On lui en montra un petit peu (des parties où son personnage virtuel jouait), mais sans lui dévoiler le scénario. C'était l'autre intérêt du contrôle "émilianométrique" (appelé ainsi car lors du premier casting où BFR l'avait rôdée, c'était un certain Emile qui avait décroché le record de compatibilité géométrique aux desiderata de VTP. Il fut utilisé sous le pseudo "Emiliano" parce que ça rendait mieux): le modèle en carreaux de Bézier pouvait servir à faire des simulations infographiques, mouvements inclus: il fallait effectuer les mouvements mimés par un petit personnage virtuel sur un écran, pour que la machine analyse puis simule la cinématique complète du personnage et détermine ses "fonctions de formes": celles permettant de restituer tous les stades de déformation des chairs et de la peau selon les mouvements ou les expressions (il fallait aussi imiter les expressions d'un masque virtuel, sans forcer). Le logiciel savait aussi simuler les cheveux (la simulation ne faisait pas perruque plastifiée: on pouvait même y envoyer du vent), à condition qu'ils fussent lisses, et le type de vêtements qu'utilisait VTP donc l'impression d'ensemble était crédible pour savoir si tel personnage conviendrait mieux que tel autre à tel rôle, en simulation sur un public test.
Bien des gens pensaient que l'Emilianomètre arriverait un jour à un tel réalisme visuel et gestuel que VTP pourrait se passer des acteurs, après les avoir enregistrés là-dedans une fois pour toutes. VTP le faisait déjà pour les figurants placés en arrière-plan. Ca permettait de meubler des tables de restaurants, des transports en communs (il y avait des décors simulant bien un intérieur de RER, y compris le paysage par les fenêtres, ceci pour chacune des caméras utilisées), et pas seulement des "fourmis humaines" pour remplir des tribunes de stades comme cela se faisait déjà dans d'autres sociétés de production.
L'Emilianomètre ne sachant pas restituer fidèlement n'importe qui, il suffisait de ne pas recruter n'importe qui, mais uniquement des personnages "émilianométriques": celles et ceux qui ressembleraient assez, vus de pas trop près, à leur modèle numérique (sans avoir besoin d'un nombre excessif de carreaux de Bézier), pour pouvoir être utilisés ainsi dans les plans secondaires (et pas uniquement lointains). Ils pouvaient être différents: on ne recrutait pas que des sosies d'Emiliano. On les appelait les "Emilianiens", ou les "VTP".
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Ce fut dans le break 305 GRD de Gauthier qu'il vécut son deuxième départ pour la Suède, le 2 août 1995. Il raconta à Gauthier l'aventure en Audi 100. Gauthier admit qu'il n'avait cette voiture que depuis fin mai (ses parents ayant accepté de lui avancer la somme sachant qu'il allait gagner assez pendant son stage) et l'avait peu conduite, le stage ne lui en ayant guère laissé le temps. Du bon vieux diesel des années 70, bruyant à souhait et poussif sur autoroute. Gauthier ne chercha pas à dépasser 140 compteur (soit un vrai 130 ou un petit peu plus), que ce fût sur autoroute française ou allemande (tout en redescendant à 130 compteur dans les portions limitées à 120). Ils se relayaient au volant, six heures chacun, l'autre dormant à l'arrière réellement allongé: Gauthier avait ôté un des sièges (ce n'était pas une banquette) et mis un matelas gonflable entoilé à la place.
Enfin il allait voir la Suède, à défaut de voir la Finlande: Gauthier n'avait pas prévu de faire le détour au retour: ça rallongeait beaucoup trop. De plus il voulait aller en Norvège, en plus de la Suède, donc à l'ouest.
La 305 GRD franchit ses 300 000 km compteur au Danemark, sans donner de signe de décrépitude: le moteur était bruyant mais "comme depuis le début", la consommation était normale. L'embarquement au ferry les plaça tout à l'avant au bord gauche du couloir qu'était ce petit ferry danois, tandis que le train vint se ranger très près, entre les deux rangées de voitures ainsi formées. Gauthier s'était mis devant son capot pour filmer l'entrée, impressionnante, des wagons dans le tunnel flottant. Il filma aussi leur voiture de plus loin en arrière, comme souvenir et "preuve" du voyage.
La traversée n'étant pas longue, cela vallait-il la peine de monter sur le pont? Les vols étaient peu probables car il y avait beaucoup de témoins (à commencer par les passagers du train, qui voyaient la file de voitures par au dessus). Ils montèrent donc sur le pont pour voir le paysage, le bras de Baltique traversé, et voir s'il y avait des Danoises, et certainement parmi toutes ces blondes des Suédoises rentrant chez elles après des vacances dans le sud de l'Europe.
Ils étaient dans l'escalier quand une secousse violente les jeta contre la rembarde, tandis que des alarmes commençaient à sonner. Un instant d'hésistation, puis redescente au "tunnel auto" pour récupérer leurs affaires dans la 305. Ils avaient déjà chacun leur camescope autour du cou, emporté pour filmer sur le pont, mais il y avait bien d'autres choses. Un flot de gens remontant les en empêcha et les emporta en haut: c'était donc grave, pas juste une collision contre un container perdu ou quelque chose de ce genre.
Ils vécurent ainsi leur premier nauffrage, avec embarquement dans les canots (avec moteur hors bord), pilotés chacun par un membre d'équipage du navire, un autre étant à l'avant pour voir s'il y avait des gens à repêcher: certains qui se penchaient contre une rembarde pour mieux voir, filmer ou photographier avaient pu passer par dessus lors de la secousse. Maintenant, des canots, la plupart des passagers tentaient de filmer le nauffrage du ferry: le Danois chargé de l'avant du canot avait du mal à les empêcher de se mettre debout pour pouvoir filmer ou photographier par dessus les autres. Gauthier et Aymrald qui étaient vers l'arrière purent filmer sans se lever.
Lorsque l'eau attint à l'avant la porte de proue, elle innonda immédiatement tout le couloir routier et ferroviaire: le ferry coula comme une locomotive (bien qu'il n'y en eût pas à bord: seuls les wagons y avaient été poussés). Un nauffrage bien organisé: ils n'avaient même pas mouillé leurs chaussettes. A croire que l'équipage en avait l'habitude.
Plus de voiture, plus de Suède. L'assurance de la compagnie de transport ne la rembourserait pas à sa valeur de remplacement, et l'assurance auto "tarif étudiant" non plus, il ne fallait par rêver. Ils avaient sur eux l'argent, les papiers et les objets de valeur de petite taille (non laissés dans la voiture par précaution contre le vol) mais ils avaient perdu tout le reste.
Aymrald faillit dire que s'ils avait choisi la Finlande ça ne serait pas arrivé car ils y seraient allés par la route (Allemagne, Pologne, pays baltes...). Le pire était qu'ils avaient coulé du Danemark au Danemark (le premier bac: le petit) et non dans le "Skategatt" entre Danemark et Suède.
Quantités de formalités à remplir pour récupérer au moins quelque chose de la perte de la 305 (Gauthier l'ayant filmée à bord, personne ne contesta qu'elle y était) mais son assurance ne prévoyait pas le prêt d'un véhicule de remplacement (ou la prise en charge d'une location, ce qui serait revenu au même) pour continuer le voyage. De plus il fallait tout envoyer en France dans les cinq jours.
En fin de compte Gauthier décida de rentrer en France avec la clause rappatriement (décidément utile quand on tentait un voyage en Suède) pour être sûr que les formalités d'assurance fussent faites dans les temps (si la Poste danoise était aussi fiable que leurs navires, méfiance...), tandis qu'Aymrald décida de continuer le voyage sans véhicule: puisque ce ferry embarquait des trains pour la Suède, on pouvait y aller en train, donc prendre ce train au port d'arrivée. Il prit un des ferries suivants (d'une compagnie concurrente) mais en racontant son nauffrage à de jeunes Allemands (en le leur montrant au camescope) il fut invité à bord de leur Audi 100. Pas aussi âgée que celle de Thierry: c'était la version suivante, l'aérodynamique à flancs lisses des années 80, et ce n'était pas le plus petit moteur: c'était le deux litres cinq cylindres. Conception technique différente, donc probablement pas les mêmes pannes que les quatre-cylindres de cette marque. Ils allaient à Stockholm, eux. Donc du côté de la Finlande, contrairement aux nombreux visiteurs européens qui prenaient vers Götebord pour "faire" ensuite la Norvège jusqu'au Cap Nord, ou au moins essayer de. Et puis même en cas d'infarctus du cinq cylindres, ça l'avancerait... Les Allemands avaient comme projet de voyage de monter tout au nord de la Suède, pour visiter aussi le nord de la Finlande, la Norvège jusqu'au Cap Nord et même la Russie. Programme ô combien intéressant. Aymrald indiqua qu'il contribuerait au carburant si on l'emmenait jusqu'en Finlande. En théorie, le trajet par bateau de Stockholm à Helsinki eût pris moins de temps, mais le trajet routier était une aventure bien plus intéressante, puisque passant par la Laponie.
Les deux Allemands (qui venaient de Neuss: ils étaient donc au bord du trajet pris par les étudiants français visant la Suède) ralentissaient voire s'arrêtaient chaque fois qu'ils voyaient ce qu'ils croyaient être une Suédoise faisant du stop, mais tout ce qu'ils prirent fut une jeune Hollandaise qui avait un panneau "Stockholm". Lors d'une arrestation par la police suédoise pour excès de vitesse ("seulement" 146 au radar sur une belle 2x2 voie limitée à 90...) les policiers en profitèrent pour faire un contrôle "à l'américaine", tout le monde les bras à plat sur le toit les jambes éloignées de la voiture, fouille rapide (pas à corps) puis de la voiture pour voir s'ils ne transportaient rien de suspect, en raison de la nationalité hollandaise de la passagère. Aymrald découvrait que la Hollande avait donc aussi cette réputation vue du Nord. Cela fit perdre beaucoup de temps, coûta cher au propriétaire de l'Audi 100 mais tout le monde put reprendre la route à vitesse modérée. Les Allemands, entre eux, estimaient que les policiers suédois avaient profité de ce qu'ils ne connaissaient pas les usages policiers locaux pour leur jouer cette arrestation à l'américaine et probablement saler la note (ajoutant que pour un peu, ils auraient fait le coup du feu arrière cassé par eux ou des sachets de cocaïne glissés sous le tapis de coffre), mais l'amende, elle, était réellement suédoise; de plus s'il avait été suédois, Uwe aurait perdu son permis de conduire.
A Stokholm (pause visite: les Allemands n'étaient pas pressés de "faire" la Baltique le plus vite possible. Ils étaient plus "touristes" que la moyenne des étudiants français), il acheta de quoi écrire une lettre (à la main, ce dont il n'avait pas du tout l'habitude) pour sa famille pour expliquer ce qui s'était passé, au cas où ils auraient entendu parler du nauffrage: le cachet de la poste suédoise prouverait à lui seul qu'il y avait survécu, puisqu'il avait continué le voyage.
Il loua un vélo pour la journée et explora un peu cette ville pleine de ponts.
Le voyage reprit pour trouver un endroit où camper (donc hors ville), car même le plus minable des motels à chambre de quatre mètre carré à lits superposés était stratosphériquement cher. La Hollandaise n'avait pas suivi, Stockholm étant sa destination.
Quand Aymrald reprit conscience il était dans un service d'urgences, relié à un appareil qui surveillait son rythme cardiaque et à une perfusion rouge sombre: transfusion. Il ne se souvenait pas d'avoir perdu du sang, pourtant. Qu'avait-il bien pu se passer? Il s'explora de la main droite, le bras gauche étant relié à la perfusion et fixé au bord du lit avec une sangle, probablement en cas de faux mouvement instinctif pendant son sommeil. Bandage à la tête, mais il n'avait pas tellement mal là. Une douleur au genou droit se réveillait lentement, ainsi qu'au coude droit, bandé. Accident de vélo? Non, ils étaient repartis de Stockholm avec l'Audi 100. Ca avait donc dû se produire pendant qu'il s'était endormi à l'arrière.
On fit par lui expliquer, en français avec un accent suédois: des touristes russes ivres avaient fait un dépassement dangereux dans une vieille Lada freinant comme un vélo mouillé et Dieter (qui conduisait à ce moment-là), somnolent, n'avait pas réussi à l'éviter completement. Le choc s'était produit en biais, au niveau de la porte arrière gauche, faisant partir l'Audi en toupie qui avait fini dans un fossé. Aymrald avait tapé contre le montant central, à droite. Uwe avait un bras dans le plâtre et une grosse bosse (bord de toit, car la ceinture n'était pas assez efficace pour éviter cela lors d'un basculement brutal) ce n'était pas le choc à la tête, douloureux mais sans gravité, qui avait fait perdre connaissance à Aymrald, mais la perte de sang: quelque chose lui avait entaillé une artère du bras droit, qui n'avait posé aucun problème à suturer mais les médecins avaient été inquiet pour le temps pendant lequel son cerveau avait pu "tourner à sec". Comme le deuxième moteur de l'Audi de Thierry, songea aussitôt Aymrald: avait-il coulé une dendrite? Dieter n'avait pas grand chose (quelques bleus et une cheville foulée) car il était tombé sur Uwe.
La victime principale était l'Audi 100, suspension avant droite enfoncée, points d'ancrage structurels déformés, bien que la caisse ne semblât avoir subi que des dégâts de tôlerie d'importance moyenne. Aymrald les aurait aidé à la retaper si cela avait été possible: il commençait à avoir une certaine culture technique des Audi 100, bien que ce ne fût pas la même. L'un des Allemands ayant l'avant-bras droit cassé et l'autre la cheville droite foulée, aucun des deux ne pouvait conduire donc ils ne pouvaient pas profiter de la voiture de location de remplacement que leur assureur aurait pu mettre à leur disposition en pareil cas: les Russes avaient 100% des torts. Certes, s'il n'étaient pas venus non stop de Neuss, Dieter aurait certainement réussi sa manoeuvre d'évitement (en l'amorçant plus tôt), mais ça n'en diminuait pas la responsabilité du conducteur russe, d'autant plus qu'en examinant l'Audi et les traces de freinage la police suédoise avait conclu qu'elle roulait en dessous de 70 km/h. Dieter avait-il été prudent, ou juste commencé à moins presser l'accélérateur par début d'endormissement? Uwe et Dieter se posèrent la question plus tard, mais pas la police suédoise: le conducteur allemand n'y était pour rien, d'ailleurs il n'avait pas bu, ses pneus étaient corrects, ses freins aussi, et il n'avait pas empiété sur l'autre voie.
Vu le taux d'alcoolémie du conducteur russe et l'état dangereux de leur voiture (pneus lisses, freins symboliques...) la police suédoise l'avait incarcéré en attendant de décider qu'en faire, ce qui dépendrait aussi du sort des blessés de l'autre voiture. Dieter et Uwe s'estimaient hors d'état de profiter réellement de la suite du voyage, même si Aymrald avait pu conduire la voiture de remplacement. Le plâtré du bras passa le voir pour lui expliquer et lui raconter plus précisément l'accident, car lui n'avait pas perdu conscience. Les Suédois avaient tiré l'Audi du fossé avec leur camionnette pour la remettre à plat (elle était chavirée sur son flanc droit) plutôt que de chercher à en extraire les blessés directement, ce qui eût été bien plus compliqué (et aurait pu être fatal à Aymrald à cause de l'hémorragie: chaque minute comptait, mais ça, les sauveteurs ne le savaient pas encore) alors qu'une fois remise sur trois roues il avait suffi d'insister un peu pour ouvrir les deux portes du côté droit pour récupérer sans contorsions Dieter et Aymrald et prendre les mesures d'urgence pour celui-ci.
En raison de sa perte de conscience de plusieurs heures, on le garda un peu en observation, avec une infirmière suédoise qui à part être un peu myope (lunettes légères) avait tout d'une Suédoise "comme une Suédoise". C'était la seule du service qui parlait français, l'ayant appris en plus de l'allemand, de l'anglais et de l'espagnol: une fois que l'on avait appris une langue latine il n'était pas difficile d'en apprendre une autre, de même qu'après le suédois Aymrald aurait vite appris le norvégien s'il en avait eu besoin. L'infirmère ne lui interdit pas de se lever pour aller seul aux toilettes en emportant le porte-perfusion à roulettes, bien que ce ne fût pas la consigne de l'équipe médicale. Elle croyait savoir que les Latins étaient plus chatouilleux sur les questions de pudeur que les peuples germaniques, et ne voulaient pas être traités comme des bébés ou des infirmes tant qu'ils ne l'étaient pas vraiment. Aymrald n'avait pas l'air "du sud", mais Inga estimait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Aymrald put s'examiner dans la glace: ça n'avait pas l'air grave, du moins ce qui n'était pas recouvert par des pansements. Ses membres fonctionnaient correctement: genoux meutris et douloureux, mais si on ne l'avait pas plâtré ni bandé c'était que l'intérieur était normal. Inga tint également compte de l'origine de son patient pour l'alimentation: après lui avoir demandé s'il mangeait de la viande, il eut droit à un steak grillé saignant, avec des haricots verts (ça se prononçait pareil en suédois, le terme français ayant été traduit phonétiquement dans cette langue), qu'il mangea avec appétit et reconnaissance. Elle lui dit "je n'ai pas le droit de vous donner du vin, même si je sais qu'il y a des études qui disent que c'est bon pour le coeur, et la cuisine de cet hôpital ne fait pas de frites alors j'ai pensé que les haricots verts conviendraient". S'il y avait eu des frites, Aymrald les aurait mangées avec joie: il n'était pas adepte de la méthode Montignac, contrairement à certains Emilianiens.
Aymrald songea que parmi les gens ayant donné le sang qui lui avait été transfusé, il y avait certainement des Suédoises "comme des Suédoises".
Inga trouva qu'il était très sage d'attitude pour un Français, avec juste un sourire rêveur quand il la regardait, mais ce qui venait lui arriver pouvait expliquer cela. Elle espérait juste que la perte de sang ne lui avait pas légèrement "béatifié" le cerveau.
Un médecin plus "bergmanien" qu'Inga vint lui faire passer des tests de réflexes, de reconnaissance de formes, de nombres (étant étranger on ne fit pas de tests avec des mots), de gestes, et après d'autres examens il fut déclaré apte à quitter l'hôpital après une nouvelle journée d'observation mais on lui conseilla de rentrer au plus vite chez lui car on ne pouvait pas garantir à 100% l'absence de séquelles. D'autre part il faudrait peut-être une petite retouche esthétique pour la cicatrice du bras: l'opération s'était faite dans l'urgence. Aymrald voulait aller en Finlande, mais était-ce raisonnable?
Il récupéra ses effets personnels, dont le camescope qui n'avait pas été endommagé par le choc: seul l'embout du viseur cathodique avait sauté, mais il était dans le sac contenant l'appareil. Rentrer en France lui faisait faire une économie car l'accident entrait dans la clause rappatriement. La Finlande était de l'autre côté de la Baltique: à portée de bateau.
Ce fut quand Inga lui dit que ses deux soeurs allaient passer des vacances à Bordeaux dans quelques jours et qu'il n'aurait qu'à prendre place à bord de leur voiture si ça l'intéressait, car comme elles ne parlaient que très peu de français il pourrait leur être utile comme guide, qu'Aymrald renonça à la Finlande: 1700 km (et même plus de 2000, s'il les accompagnait jusqu'à Bordeaux, quitte à rentrer en Bretagne en train) en compagnie des deux soeurs de cette ravissante infirmière (il ne savait pas qu'il y avait des familles nombreuses en Suède, et surtout des familles nombreuses rien que de filles...), même si elles avaient aussi des lunettes, ça ne refusait pas. Peut-être même Inga leur avait-elle parlé de lui et la date du voyage avait-elle été ajustée en conséquence?
Ce n'était pas une Volvo 240 ou 740 comme il n'y attendait, ni une Saab, mais une Audi 100 Avant première génération (comme celle de Thierry mais cinq portes, un peu comme une Passat 1973 que l'on aurait étirée pour lui donner des proportions plus flatteuses), vert clair métallisé, et il n'y avait aucune dénomination avec un "5" à l'arrière donc c'était le petit 1600 fragile du circuit d'huile (mais peut-être Thierry était-il tombé sur deux mauvais numéros?) qui était à l'oeuvre sous le vaste capot vert clair métallisé. Aymrald ignorait qu'Audi eût exporté tant d'exemplaires de la 100 dans tant de pays, vu qu'il semblait inévitable de retomber dessus dans ses voyages. Il ne se souvenait d'ailleurs d'avoir vu aucune Audi 100 Avant première génération en Suède jusqu'à présent. L'hécatombe mécanique n'avait-elle laissé sur route que celle des soeurs de l'infirmière?
S'il avait été superstitieux, il aurait conclu que c'était lui qui portait la poisse aux Audi 100 (première ou deuxième génération, 4 ou 5 portes) car les deux précédentes ne semblaient pas avoir eu de pépins avant qu'il en fût passager. Certes, la seconde, c'était un acloolique russe (pléonasme) à bord d'une épave tenant la route comme une savonnette qui l'avait bottée en touche. Mais deux moteurs cassés dans la première, tout de même... Ou alors simple malhonnêteté du casseur allemand qui avait estimé que le moteur vermoulu qu'il leur refilait casserait tout de même assez loin pour qu'ils ne revinssent pas s'en plaindre? Cette explication était la plus rationnelle: après tout, c'était peut-être un ex-Allemand de l'Est qui tenait cette casse. De cette façon il ne restait que le premier moteur pour avoir choisi de casser au mauvais moment: ça redevenait une simple coïncidence.
Prendre un troisième voyageur à bord diminuait la facture par personne, en plus du fait qu'un interprête français/suédois pouvait leur être utile, supposa Aymrald. Il y avait plein de "bric à brac de filles" dedans, jusque à côté de lui sur la banquette arrière. Elles avaient emmené toute une garde-robe et assez de chaussures pour monter un magasin, ne sachant pas ce qui ferait le plus d'effet aux Bordelais. Décidément, à défaut de Finlande, le retour en compagnie suédoise semblait la règle, dans ses tentatives de voyage. Elle conduisirent non stop, se relayant au volant. Il avait réparti les sacs de fringes autour de lui, contre les portières, et en avait pris un gros sur ses genoux: ça pouvait servir d'airbag, la violence du gonflage en moins (car déjà gonflés), "au cas où".
On le laissa même conduire au Danemark, les autoroutes danoises étant plus faciles que les routes suédoises car larges et sans la coutume étrange consistant à rouler sur la bande d'urgence quand un véhicule se rapprochait derrière pour dépasser, mais Pernilla reprit le volant en Allemagne pour profiter de l'autorisation de rouler pied au plancher dans ce pays pas partout, mais après chaque panneau "fin de limite", ce qui en Allemagne signifait que la vitesse limite ne dépendait que ce que l'on avait sous le pied droit. Aymrald guettait le bruit du moteur, anxieux d'y découvrir les premiers symptomes d'un défaut de lubrification, surtout dans les portions parcourues pied au plancher.
Il s'endormit, et rêva d'être coincé à bord d'une Audi 100 (celle des Allemands, mais emberlificoté dans le paquettage des Suédoises) contre la porte de proue d'un ferry que les wagons mal bloqués avaient heurté lors d'un tangage, créant une entrée d'eau: il avait déjà de l'eau aux genoux, et dans le magna de vêtements humides il n'arrivait pas à retrouver la poignée pour ouvrir l'une ou l'autre porte. Le tableau de bord allumé (ça aurait dû lui signaler que c'était un rêve, la voiture étant garée) brillait flou à travers l'eau qui le recouvrait déjà, puis quelqu'un cognait sur la coque du ferry englouti pour savoir s'il y avait quelqu'un dedans. Aymrald tendait de taper sur le toit de l'Audi pour faire du bruit, mais avec la doublure ça ne produisait qu'un "rlrlrlrlr" étouffé, par moment. Alors ils se réveilla. L'Audi 100 suédoise ne contenait pas d'eau et filait bon train sur l'A1 "richtung Neuss". Et le bruit réapparut: rlrlrlrlrlr. Non... Si!
Il dit à Gunnilla qui était au volant qu'il fallait immédiatement s'arrêter, car la seconde bielle du moteur était sur le point de couler. Gunnilla crut d'abord qu'il s'était trompé de phrase "toute faite" apprise dans un manuel de conversation: bielle coulée, et pourquoi pas le joint de culasse?
Amrald- [en suédois] je connais ce moteur. On en cassé deux l'année dernière en essayant d'aller en Suède: c'est toujours la deuxième bielle qui coule.
Elle ne le crut pas mais leva un peu le pied, pour mieux écouter. Pas de bruit bizarre... mais au début, dans cette de Thierry, ça ne se produisait que pied au plancher. "Eteint la radio et réaccélère", demanda Aymrald.
Pernilla conseilla à Gunilla de le faire, éjectant elle-même la K7 de la Symphonie Pastorale qui y était jouée. Pernilla réaccéléra.
"C'est ça. Arrête tout de suite!" ordonna Aymrald en français (car le contexte lui rappelait Thierry: si seulement ils s'en étaient rendus compte. Si seulement ils y avaient pensé...) avant de le répéter en suédois.
Cette fois Gunilla avait entendu quelque chose: ce ronronnement supplémentaire, qui n'était pas inquiétant en lui-même, se produisait effectivement quand elle écrasait l'accélérateur, mais elle avait pensé d'abord que c'était un cardan. "Pas en ligne droite", objecta Aymrald, "et si c'était ça, ça ferait beaucoup plus de bruit dans les virages". Ce n'était pas le cas.
Gunilla se contenta de lever le pied et de rouler moins vite, estimant que tant que l'on ne réentendait pas ce bruit il n'y avait pas de problème.
Cela fonctionna jusqu'à la Belgique, où le "ronronnement de la mort" finit par réapparaître dès qu'elle tendait de maintenir le 110 compteur dans une légère montée. Quand ça avait fait ça dans le moteur de Thierry, celui-ci n'avait plus que 300 km d'espérance de vie. Il leur dit que l'Audi atteindrait peut-être la France mais que le moteur lâcherait avant Paris, et qu'elles devraient se coltiner tout leur fourbi en train pour atteindre Bordeaux. Et qu'il vallait mieux s'arrêter en Belgique pour trouver un garage.
Gunnilla roula à 90 et en France décida de quitter l'autoroute après Arras où ça devenait payant et où le bruit se manifestait désormais dès 70 km/h, voire plus tôt en côte. La nationale 17 semblait un choix plus sage, Aymrald disant qu'il y avait beaucoup de casses aux bords de cette route car elle était dangereuse donc qu'il y avait beaucoup d'accidents, donc que l'on y trouverait peut-être un moteur de rechange si celui-ci cassait.
Gunnilla finit par comprendre que sa chère voiture n'atteindrait jamais Bordeaux vu l'aggravation rapide (à l'oreille): le ronronnement de la mort n'était plus juste un ronronnement: à chaque côte, ça devenait inquiétant.

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