vendredi 10 avril 2009

chapitre N-28

En s'y rendant, il rencontra une dame d'une cinquantaine d'années: Lilja Klemettinen. Elle avait fait faire le test pour Mika, en lui subtilisant un stylo à bille qu'il mordillait souvent. Mika aussi avait hérité du chromosome 4 d'Eetu, avec ses 40 CAG là où il ne fallait pas, mais elle n'osait pas le lui dire: ce "pauvre garçon" n'avait déjà pas confiance dans son cerveau, alors lui annoncer qu'il y avait cette bombe à retardement dedans, à quoi bon, puisque c'était inévitable et incurable? En piochant dans Lilja (une Finlandaise "rustique" sans être au dessus de son poids) et ce qu'il avait vu d'Eetu, Stéphane pouvait facilement reconstituer Mika (mais il y aurait eu bien d'autres combinaisons possibles, à partir d'eux deux), bien plus que lui-même à partir d'Eetu et sa propre mère. C'était plus facile en remplaçant Eetu par Esko, même si alors il manquait quelques options.
Esko leur apprit qu'Eetu avait fait la même chose à bien plus grande échelle en Californie, où une banque de sperme eugéniste (mais à une époque où l'on ne savait pas dépister Huntington) l'avait rémunéré pour satisfaire des milliers (oui: milliers) d'Américaines fortunées souhaitant un père "parfait", car elles avaient épousé leur mari pour son argent et pas pour ses gènes.
Stéphane- c'est excellent, cela: si la banque a été prévenue et a prévenu les mères, il va y avoir une très grande quantité de futurs patients solvables pour un traitement: la recherche va donc avancer.
Esko- cela se peut. J'ai prévenu cette société, mais osera-t-elle l'avouer à ses clientes? On fait des procès à millions de dollars d'indemnités pour beaucoup moins que ça, là-bas.
S- non: c'était impossible à détecter à l'époque. La banque n'a commis aucune faute.
E- ce serai jugé ainsi ici. Mais avec les Américains, tout est possible.
S- c'est s'il y a une écolosion de cas dans vingt-cinq ans et que la banque ne l'a pas dit, en le sachant aujourd'hui, que ça peut créer une catastrophe judiciaire. Elle doit donc le dire dès maintenant pour se couvrir contre ces recours.
E- des recours dans une vingtaine d'années: ils ont le temps de mettre l'argent aux Bahamas et de quitter les Etats-Unis bien avant que cela ne se sache.
S- cela se sait certainement déjà: les assurances américaines commencent à faire faire du dépistage génétique. Huntington, c'est Tchernobyl, pour une assurance-vie: devoir verser bien plus tôt que prévu, en ayant touché beaucoup moins de cotisations. Certitude, et non risque, en plus. Le gros fumeur alcoolique de 170 kg peut peut-être quand même dépasser 65 ans. Le porteur du Huntington n'atteint jamais cinquante.
Lilja- si j'ai bien suivi, il vaut mieux que ces tests aient lieu, car alors les assureurs américains auraient tout intérêt à pousser les laboratoires à chercher une solution.
E- non: ces assureurs risquent simplement de cesser d'assurer ces descendants d'Eetu. Ce sont eux-mêmes, en tant que futurs patients solvables, qui peuvent intéresser des laboratoires de recherche.
Stéphane qui n'avait pas encore posé la question la posa et apprit qu'Eetu avait eu une soeur aînée (d'un an) mais qu'elle était morte à 28 ans, écrasée par l'effondrement sur elle d'un grand tas de troncs, des rongeurs ayant attaqués les liens. Peu importait donc qu'elle eût hérité du gène russe ou non. Russe, parce que l'histoire du hussard n'était qu'une hypothèse d'Esko. Avant ce grand-père alcoolique, on ne savait pas. Ce gène était bien plus rare en Russie qu'en France, certes, mais ce n'était pas la seule hypothèse possible.
L- [à Stéphane] si vous revoyez Mika, ne le lui dites pas.
E- vous avez raison de ne rien lui dire, pour Huntington, sauf si un jour il veut faire des enfants. Mais doit-il savoir ou non qu'il a un demi-frère?
L- non. Si ça l'incite à se comparer à Stéphane, ça risque de l'auto-dévaluer encore plus.
S- il m'écrase aux échecs. C'est moi qui devrais faire des complexes... Je ne dois pas lui en parler sans votre autorisation, mais je trouve injuste de savoir alors qu'il ne sait pas.
E- je n'aurais peut-être pas dû te parler de Mika: savoir que c'est ton demi-frère et ne pas avoir le droit de lui en parler, c'est dommage.
S- il aurait peut-être mieux vallu me dire qu'il y en avait d'autres, comme ces Américains et Américaines que je ne connais pas, sans me dire qui.
L- et ne pas vous dire pour Huntington?
S- il fallait que je fasse le test pour ne pas faire de projets pour après en sacrifiant ma vie d'avant: je ne dois plus me dire "j'aurai le temps de lire ça ou de voir ça quand je serai vieux".
Le nouveau futur finnois lui permettait de dire cette phrase.
E- ma femme aussi disait ça, que c'était "à garder pour ne pas s'ennuyer à 70 ans quand nous ne pourrions plus faire des choses comme à trente ans". On croit toujours que l'on aurait du temps quand on serait vieux, mais le temps file de plus en plus vite, comme quand on arrive au bout de la bobine d'une K7: la bande défile toujours à la même vitesse, mais la bobine tourne de plus en plus vite. La bande, c'est le temps vu par les autres, la bobine, c'est notre temps à nous. Au début, ça tourne doucement: on a du temps.
S- la bande de ma K7 fera un sac de noeuds dans le rouleau à mi-parcours.
Retour en train, et le réconfort d'un gros chat comme Gorak. Le voyant il réalisa que 25 ans à vivre, c'était énorme: il était peu probable que Gorak fût encore en vie en 2024. 27 ans, ce n'était pas impossible, pour un chat, mais rarissime. Le record était de 36 ans, par une chatte anglaise ayant fini en très mauvais état. Esko avait probablement raison sur l'histoire de la bobine qui se dévidait de plus en plus vite: les journées étaient bien plus longues à dix ans, sans pour autant s'y ennuyer. Il supposa que c'était le cerveau qui ralentissait, donc effectuait moins de décisions ou d'observations par unité de temps, donc avait l'impression d'avoir vécu moins d'instants dans une heure qu'à l'âge où il en mesurait beaucoup plus. On mémorisait aussi bien plus fortement les évènements négatifs d'une vie que les positifs. Peut-être parce que le positif n'était jamais extrême, alors que les désagréments pouvaient l'être. Peut-être aussi parce que la sélection naturelle avait donné priorité à la mémorisation des expériences douloureuses et des échecs, pour apprendre à les éviter. Objectivement, Stéphane avait vécu peu de vraies souffrances, mais il s'en souvenait plus que du reste.
Il fit le jour suivant du contrôle de qualité, "à la Ari", c'est à dire en en prenant peu, et en essayant de voir si sa répartition d'avis gustatifs suivait celle de l'autocorrélateur, étalonné par Ari. Non, mais ce n'était pas le contraire pour autant: c'était juste différent. Ari devait être représentatif des goûts de la plupart des Finlandais, sinon on ne l'aurait pas mis à ce poste. Oui, mais Paakkinen avait dit qu'il l'avait mis là parce qu'il était sûr que lui au moins ne s'empiffrerait pas. Ari travaillait sérieusement, mais était-il représentatif gustativement de son pays?
Le soir il trouva une lettre (une vraie) où sa mère lui annonçait le décès de son père par crise cardiaque. 49 ans, alors qu'il n'était pas obèse, n'avait jamais fumé et buvait modérément. Qu'il avait fait une sieste dans le jardin dont il ne s'était pas réveillé. Mauvais terrain cardiovasculaire, savait-il, disant parfois qu'il ne passerait certainement pas 70 ans. Il n'avait pas atteint cinquante: même sans Huntington, on pouvait mourir avant cet âge d'une fragilité génétique. Stéphane perdait son père affectif (un "brave type", qui avait fait preuve d'astuce plus que d'autorité directe pour le gérer sans conflits inutiles) auquel il aurait aimé pouvoir raconter tant de choses sur BFRSF (ça l'intéressait beaucoup) en rentrant pour son anniversaire en juin. Père génétique perdu avant de l'avoir rencontré, père familial perdu si peu après. Il lui restait ce nouveau grand-père finlandais, mais ça ne compensait pas.
Il ne saurait jamais si son père était au courant pour son origine réelle: sa mère avait-elle fait cela toute seule, ou avec son accord en raison justement des problèmes génétiques dans la branche paternelle? Si c'était ça, il ne perdait qu'un an de vie en échange d'une qualité de vie incomparablement meilleure car l'héritage Eetu était confortable à habiter: tout fonctionnait bien, en plus d'être agréable à voir. Certes, il n'était pas intelligent (surtout par rapport à ce que les gens supposaient de lui), mais Kermanac'h y avait remédié en lui permettant de ne rien gâcher du potentiel simplement moyen qu'il avait. Il était encore plus important d'avoir gagné des années là quand on avait une minuterie d'auto-destruction dans le cerveau: toute année non gaspillée en études était une année de vie de gagnée. De plus être intelligent ne rendait pas heureux, avait-il beaucoup entendu dire. Atte qui l'était encore moins que lui semblait très heureux, contrairement à Mika qui l'était plus.
Son père étant mort, il aurait pu dire à sa mère qu'il avait rencontré le père d'Eetu, mais ce n'était probablement pas le moment: elle avait choisi un autre géniteur mais l'appréciait comme compagnon donc devait être peinée elle aussi de sa disparition. Elle lui disait que le temps qu'il reçoive cette lettre son père aurait été incinéré, et que l'on disperserait ses cendres avec des fusées de feu d'artifice: c'était l'idée de Stéphane pour lui-même. Son père l'ayant trouvée intéressante c'était ce que sa mère avait prévu. On n'attendrait pas le 14 juillet car il était aussi possible de tirer des feux d'artifices privés lors de la fête communale qui était toujours le deuxième dimanche de juin: le 11, cette année. Stéphane arriverait le 10, comme déjà prévu, donc ça tombait bien.
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Deux jours plus tard il apprit le décès d'Irina: son cerveau avait lâché, peut-être un déplacement de la balle à l'intérieur.
On entrait dans la "saison des suicides" selon Kjell: déjà neuf personnes de l'entreprise et quinze du village. Des suicides et des décès involontaires, selon Stéphane. Il fut invité chez Kjell, avec Nelli, Timo, et Mika.
Timo demanda à Stéphane si en France aussi on construisait si petit: cette maison était étriquée, de dedans, vu l'épaisseur des murs. Stéphane indiqua qu'en moyenne les maisons étaient moins petites que ça: trois ou quatre pièces, parfois cinq, mais effectivement plus petites que ce qui se faisait en Finlande, car le terrain coûtait extrêmement cher, dans "notre pays surpeuplé" et aussi à cause de lourdes taxes sur les surfaces habitables. Il raconta l'histoire de l'ancienne taxe sur les portes et fenêtres. Certes, les choses avaient changé puisque maintenant la taxe d'habitation était au nombre d'habitants et non par la "valeur locative". Depuis le 1er janvier 1999 la TPA (taxe à la personne ajoutée) s'appliquait pour toute nouvelle naissance ou entrée sur le territoire. Timo dit qu'effectivement ça devait être horrible de vivre dans un pays ayant sept fois plus d'habitants au kilomètre carré que la Finlande, avec la pollution, le bruit et le bétonnage partout. Stéphane cita la Hollande et le Japon comme cas bien pires, en densité de population, après avoir approuvé Timo: oui, il y avait sept fois trop de gens en France, car si nous étions sept fois moins nombreux l'électricité pourrait venir à 100% des énergies renouvellables sans rien avoir à ajouter et il y aurait du terrain pour tout le monde sans avoir besoin d'être riche pour en acheter, et sept fois moins de pollution de l'eau.
Rien de particulier dans l'attitude de Mika: discret, comme d'habitude. Seul Timo semblait le connaître un peu. Il joua aux échecs contre Kjell, blitz règlé à 5 minutes, gagné par Kjell.
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Quand Stéphane repartit (du 22 mai au 11 juillet 1999) la centrale géothermique s'était stabilisée à 95%: 19 turbo-alternateurs fonctionnaient en permanence. Le vingtième groupe pourrait servir de "joker" pour des opérations d'entretien sur un autre, rien qu'en tapant une commande pour les vannes.
Audry le remplaça en Finlande, la découvrant un peu moins morne et sérieuse que dans sa mission précédente. Une Finlande que Stéphane n'avait pas vue l'an dernier et ne verrait pas cette année.
En arrivant aux studios bretons, Erwann apprit que VTP avait récupéré Knut Hellström, déçu par son aventure américaine où il avait réussi à gagner de l'argent, certes, mais bien moins qu'il ne l'espérait et avec des méthodes de travail qui ne lui convenaient pas. Chez VTP, tout était prédéfini et expliqué: il n'y avait qu'à suivre les rails, "bête et discipliné". Knut connaissait aussi l'impact du lancement des grands films de VTP, activité qui n'existait pas quand il était parti: désormais, on faisait du grand et du beau cinéma ici aussi. Le Suédois (qui ressemblait plus à Erwann (mais en un peu plus grand) que Niels mais moins qu'Atte) fut remis à l'entraînement en vue des prochains projets.
Knut était le Bifidus qui avait été recruté suite au refus d'Erwann d'en faire partie. Knut l'avait remplacé dans la seconde "saison" de "Cap sur Mars", avant d'être à son tour remplacé par Niels.
Knut avait surtout été utilisé comme plante décorative dans des niaiseries, en Californie, estimait-il. Certes, à l'époque, VTP ne proposait pas de grand rôle d'action: il y avait de l'action dans "Au vent du large", il y en avait de temps en temps dans "Cap sur Mars", mais rien de comparable avec les réalisations plus récentes: outre les films, il y avait beaucoup de téléfilms mystérieux ou de vengeances qui pouvaient intéresser Knut. Ce fut pourtant comme plante décorative dans un rôle romantique qu'il fut d'abord réemployé, VTP sachant qu'il savait le faire. Niels paraissait un peu plus froid que Knut, Atte un peu moins: à ces variations (légères) autour d'un même thème (qui était aussi le sien), il fallait aussi ajouter Mika, à ceci près qu'il ne faisait pas partie des personnages proposés au public par VTP. Sa quête d'origine avait poussé Erwann à s'intéresser à ceux qui lui ressemblaient (en un peu plus ceci, un peu moins cela, mais ressemblants y compris par rapport aux autres Finlandais ou "finlandoïdes") même si c'était Atte qui avait été le premier à s'intéresser à lui en raison de cette ressemblance. L'Emilianomètre n'imposait pas une telle ressemblance: Ari et Kare eussent été reçus (tout comme Léo, qui avait joué dans "Peur filante"), une version plus "image de synthèse" d'Audry aussi, ainsi qu'Oskari, Nelli, Ronja et bien d'autres. Les Småprat avaient pour point commun d'être suédoises et d'en avoir l'air, tout en n'étant pas des sosies les unes des autres. Les Bifidus n'avaient pas ce point commun, le seul étant l'absence des défauts (très nombreux) refusés par l'Emilianomètre.
La période ne tournage n'utilisant pas chaque personnage toute la journée, ceux qui jouaient habituellement dans des séries de VTP continuaient d'y jouer.
Stéphane put voir sur grand écran stéréoscopique (celui servant aux essais, qui faisait aussi projections gratuites pour le personnel) de VTP22 "Peur Filante". Le film était tellement violent qu'il en devenait divertissant, ce qui était un des buts recherchés: le "second degré". Au premier degré, les prises de vues saississantes du point de vue de tel ou tel personnage: effet "caméra embarqué", en particulier lors des vrilles-tonneaux utilisant la cylindricité des parois des couloirs du métro de cette ville futuriste: seul le sol était plat. Ca faisait par moment penser aux simulations de parcs d'attraction: il ne manquait plus que des fauteuils animés.
Pour les séries et téléfilms, VTP hésitait à tourner des oeuvres dont une grande partie se passait dans du sombre (chromatiquement) car c'était dans ce cas que l'image "décrochait", en télévision, dans les zones de mauvaises réception, en plus de rendre la neige plus visible. Plus l'image était lumineuse, mieux la synchronisation (analogique) des récepteurs classiques se faisait, là où elle était instable. Au cinéma ce phénomène n'existait pas, mais il fallait tenir compte de la carrière télévisuelle de l'oeuvre ensuite. "La citadelle des goules" n'étant pas un des plus gros tournages de 1999, VTP avait pu prendre le risque de le plonger une bonne partie du temps dans la pénombre.
Stéphane vit aussi "Revanche nocturne" qui était sorti la semaine précédente: malgré quelques scènes d'action spectaculaires (celles où il apparaissait) et délirantes, puisqu'oniriques (des choses se transformaient) ce film n'était pas lourd à post-produire. VTP avait initialement hésité à en faire un film ou un téléfilm.
Sartivlar: beaucoup d'action, beaucoup de sortilèges bien aidés par le morphing 3D pour les transformations en animaux, insectes et réciproquement. Les taupes happeuse, de la taille d'un blaireau, creusant très vite sous le sol puis happant une jambe pour la tirer sous terre en la rognant jusqu'à la hanche, était un des éléments d'effrois (puis d'humour indirect) du film, et expliquaient rétroactivement le grand nombre de jambes de bois et de culs-de-jattes aperçus antérieurement au village. Il fallait utiliser des raquettes en fil d'acier (y compris en guide de fers pour les chevaux) pour s'en protéger, l'animal ne pouvait pas attaquer à travers. Or le fil de fer était un produit rare, en ces temps barbares. Peu de gens avaient donc cet équipement. L'abondance de prothèses (car il pouvait aussi arriver des choses aux mains, voire aux yeux, à cause de certains oiseaux) était un clin d'oeil (mais en bois, cuir et corde) à l'univers de Druillet (très apprécié par Tarsini, qui avait sculpté en infographie tous les châteaux et citadelles du film) mais aussi à un autre projet: "machines à viandes", issu d'une BD et qui, lui, se situerait dans un monde post-civilisationnel, et non du passé.
Les taupes happeuses et les oiseaux n'étaient qu'un élément du film, et non parmi ses thèmes principaux. Il y avait énormément de choses dans ce film de 3h (version ciné) ou 4h30 (version télé) qui reprenait aussi nombre d'idées (en plus des armures, pour ceux qui comme Valériac (le personnage d'Erwann) en avaient une) de la série médiévale "noitakeinot" (Sortilèges) de VTPSF.
Pendant le tournage, Stéphane prit des cours de pilotage d'hélicoptère, sachant que VTP en possédait un (un EC130 acheté pour le tournage de "Au vent du large" et qui avait resservi pour de nombreuses prises de vues aériennes dans d'autres séries, films et téléfilms par la suite) et qu'il pourrait de temps en temps refaire quelques heures de vol avec pour conserver la qualification. Cette formation était un luxe qu'il avait largement les moyens de s'offrir. Il ignorait juste si son temps de séjour ici suffirait pour la mener à terme. De plus, sachant qu'il n'aurait pas le temps de faire ceci "pendant la retraite", du fait de Huntington, autant s'offrir cela maintenant.
C'était une "Alouette II", bien connue depuis des lustres dans la gendarmerie, l'Alat et autres, adaptée en hélico-école. Du léger, du classique, du très classique, figurant dans le simulateur mais c'était surtout avec la Gazelle, l'Ecureuil EC130 et le Kamov 50 à double rotor qu'il s'était exercé au simulateur. Certes, il y avait une parenté entre la Gazelle et la série "Alouette" à laquelle elle avait succédé (moyennant des innovations marquantes comme la queue "fenestron" et les pales en composites), mais il estima qu'il aurait dû se renseigner d'abord (avant de venir en Bretagne) sur quel modèle utilisait cet héliclub comme hélico-école et s'entraîner avec.
Stéphane mentionna: "j'ai fait du simulateur articulé avec les commandes de la Gazelle, j'espère ne pas avoir pris de mauvaises habitudes en virtuel".
Tanguy (le moniteur)- du moment que vous ne tentez pas en vrai tout ce qu'on peut se permettre dans un simulateur, ça a dû au moins vous donner les réflexes de base. Nous utiliserons aussi un simulateur pour tester les situations dangereuses.
Il lui fit faire quelques essais au simulateur (différent, utilisant la cabine d'une épave du même hélicoptère avec un grand écran concave à la place de la "bulle" avant) puis estima au bout d'un quart d'heure qu'il était temps de lui apprendre à vérifier l'état du véritable hélicoptère comme on devait le faire avant décollage, et les vingt dernières minutes se passèrent à voler: "ne vous inquiétez pas: mes commandes sont prioritaires sur les vôtres, je peux rectifier". Stéphane décolla doucement, pas tout à fait droit (règlage du "cyclique" à modifier progressivement) et en pivotant lentement (règlage du rotor arrière). Il suivit à la lettre les indications, en veillant à éviter toute correction brutale: il savait virtuellement piloter, et la réalité ressemblait agréablement au virtuel, mais il n'avait jamais simulé ce modèle que le moniteur, lui, devait pouvoir poser les yeux fermés et par vent de travers sur une départementale bordée d'arbres.
Au fil des jours (pas de simulateur, pour les cours suivants, Tanguy estimant que ça ne lui apprendrait rien de plus, contrairement au réel) il devint plus précis, mais le bruit restait assourdissant, malgré le casque.
Certaines armures, dont celle de Valériac, furent réalisées en aluminium, et non en plastique alumisé. Erwann ne voulait pas sur lui de matériau combustible difficile à enlever en cas d'urgence (il avait tout de suite imaginé les plaies effrayantes dûes à l'incrustation du plastique fondu dans la chair): l'aluminium n'avait pas cet inconvénient, de plus il était frais au toucher, en cette fin d'été, contrairement au plastique, enfin ça se cabossait bien, sans avoir besoin de taper trop fort dessus, ce qui évitait des trucages. Plus lourd? Mais bien moins qu'une armure en acier, avait-il répondu. L'inconvénient pour VTP était que c'était plus long à fabriquer et que ça se cabossait un peu trop facilement, mais le rendu esthétique était meilleur, surtout un peu abimée.
De la robotique humanoïde (déjà utilisée pour les décapitations et amputations dans Peur Filante) fut utilisée pour les versions mort-vivant de Picatel puis plus tard de Valériac, reconnaissable mais déjà verdâtre et un peu boursoufflé, puis par la suite il y avait des parties manquantes. Parfois c'était lui (lorsqu'il suffisait de lui plaquer ce type de maquillage sur le visage et ce que l'armure endommagée laissait voir de ses membres), parfois c'était le robot, en particulier après la perte d'un bras. Sartilvar ne prétendait pas au sérieux dramatique de "Drakkars et dragons" donc on pouvait montrer un peu plus longtemps (sans toutefois en abuser) certains effets spéciaux. Dans cette histoire, il fallait que le mort-vivant fût mangé pour cesser de se régénérer (imparfaitement, mais assez pour redevenir dangereux).
Il y avait des attaques de château fort (pas au bélier à roue: à la catapulte ou au trébuchet), des maléfices avec des transformations soudaines de la météo (VTP savait déjà faire dans "les miroirs du temps"), et beaucoup de choses faisant perdre confiance dans le plancher des vaches: les taupes happeuses, mais aussi les champignons carnivores, ou les failles s'ouvrant en plein dans une prairie pour isoler quelques victimes sur un ilôt entouré de précipices fumants.
Un film plein de monstres, de sorcières, d'objets animés et de combats à l'épée à deux mains, où des taupes monstrueuses attaquaient à travers le sol: "les dents de la terre". Les taupes (de la taille d'un bouledogue français) attaquaient les jambes (parfois les pattes des chevaux) en les rognant très vite pour n'en laisser que des moignons. D'où le bricolage de raquettes en fil de fer pour éviter ça, les taupes ne pouvant pas attaquer à travers, mais le métal était rare et cher, dont peu de gens en avaient. Au début du téléfilm on voyait beaucoup de gens sur des béquilles ou avec parfois un bras remplacé par du bois et un crochet, sans comprendre pourquoi. Elles ne pouvaient pas creuser partout: les surfaces rocheuses ou dallées semblaient sûres. D'où aussi l'utilité de l'armure que portait Valériac (parfois il ne mettait que les bottes de métal articulé). Plus tard dans l'épisode, les vilageois avaient réussi à venir à bout des taupes géantes en les appâtant avec les membres de cadavres contenant un gros hameçon, membres juste tiédis au bain-marie avant. Après avoir dû combattre aussi contre d'autres périls (dont des morts-vivants qui ne cessaient de ressuciter que si on mangeait ou faisait manger tous les morceaux (par des humains ou des animaux, peu importait, d'où le rôle très positif des vautours dans cet épisode), une autre sorcellerie confrontaient les villageois à des armures vides, qui cette fois était entièrement virtuelles, à l'écran, d'où l'intérêt d'utiliser quelqu'un ayant l'habitude de combattre quelque chose qu'il ne voyait pas au moment du tournage mais avait beaucoup vu avec les lunettes virtuelles à l'entraînement. Il réussissait à l'endommager mais elle se réassemblait à chaque fois, jusqu'à ce que la foudre tombe dessus au moment où elle brandissait son épée. Picatel, l'un des héros défendant le village, se retrouvait avec une brûlure dans la paume de la main, là où le courant était remonté par sa propre halebarde, en contact avec l'armure fantôme au moment de la foudre. Il ramassait les morceaux éparpillés, en décabossait certains, se rééquipait ainsi et devenait à son tour un des "méchants" que les autres devait s'efforcer de détruire, et y parvenaient en se laissant poursuivre sur un pont vermoulu (on le savait au début de l'épisode, qu'il l'était, mais parmi tant d'autres choses...) de sorte qu'avec le poids de l'armure (l'aluminium étant inconnu, en ces temps légendaires, elle était censée être bien plus lourde) il passait à travers et se noyait. Pour de bon?
Non: lors du dernier quart d'heure (après une récidive d'attaque de taupes) l'armure au contenu verdâtre un peu bouffi ressortait de la rivière et réattaquait sous forme de mort vivant, qui ne cesserait de l'être que s'il était mangé, mais avec l'armure ce n'était pas évident, même pour les vautours, car il s'était refait une sorte de haume en pliant des raquettes grillagées volées à sa première nouvelle victime. C'était en l'emberlificotant dans une chaîne reliée au sommet d'un arbre que Flavia (déjà présente dans l'épisode précédent et dans les deux suivant) réussissait à le faire re-foudroyer: "ce que la foudre a fait, elle doit pouvoir le défaire": le contenu de l'armure se liquiéfiait alors en une flaque verdâtre, les morceaux de l'armure retombant dessus, inertes.
Un film bien rempli, divertissant et bourré d'effets spéciaux, avec une certaine légèreté malgré le côté "gore" des taupes rogneuses de moignons. Valériac n'était pas omniprésent (bien que très actif dans les scènes où il était à l'écran) mais redevenait le problème principal, vers la fin, lui aussi en mort-vivant, ce qui était un maquillage facile, car l'eau étant censée gonfler les chairs il n'y avait qu'à colorer et ajouter de la matière souple, et non à simuler des creux: il n'était pas noyé depuis longtemps. Ca rappelait à Erwann les déguisements avec masque étirable translucide de mort-vivant, quand il était petit. Ca marchait aussi en virtuel, vu de plus loin. Pas de rouille sur l'armure, malgré quelques jours dans l'eau, ceci puisque devenue maléfique elle était aussi inoxydable. Bien qu'en putréfaction, il se déplaçait vite et souplement, faute de quoi il n'aurait pas été si dangereux.
Il y avait (tourné en même temps) "Sartivlar 2", car beaucoup de choses qui n'auraient pas pu être casées dans les trois heures du premier. Suite à une erreur de manipulation (une sorcière avait trébuché, au marché, et répandu involontairement ses ingrédients sur l'étal d'un poissonnier), le personnage Valériac avait été régénéré: les poissons décollaient, tournoyaient, s'assemblaient et le reconstituaient, armure incluse, celle-ci étant différente: formée d'écailles d'acier superposées héritant de l'aspect métallique bleuté de celles des poissons. De plus, cette fois, il "fonctionnait" aussi sous l'eau (même avec l'armure). Ce n'était pas le seul problème rencontré par les habitants: une invasion de limaces dévorait leurs légumes, des gitans volaient leurs poules, et une horde d'envahisseurs d'aspect asiatiques (des Huns?) approchait inexorablement, tuant et brûlant tout sur son passage. Parmi les retournements de situations, un coup de foudre tombé sur son épée (ayant brièvement séparé tous les poissons avant qu'il ne reprenne sa forme) conduisait Valériac à attaquer les envahisseurs. Il était détruit plusieurs fois mais se réassemblait ensuite. Ce film sortant bien plus tard que "Sartilvar 1", VTP aurait eu le temps d'insérer toutes sortes de péripéties, gags indirects et nouveaux effets spéciaux pour obtenir un nouveau film qui ne décevrait généralement pas les spectateurs de la première version, même si certains pourraient regretter que ce film fut moins "noir" que le premier, voire comique comme la fin dans laquelle (on aurait pu s'en douter) des chats (Valériac était souvent suivi par des chats, ce dont il ne se souciait pas) attrappaient les poissons le composant (ou plutôt le décomposant) suite à un nouveau coup de foudre et l'empêchaient ainsi de se réassembler, d'autant plus qu'ils mangeaient les poissons. Les spectateurs du premier Sartilvar se souviendraient que c'était en mangeant les morceaux d'un tel être que l'on pouvait l'empêcher de se recréer. Pour prendre d'assaut la forteresse bâtie par les envahisseurs asiatiques, l'un des sorciers envoyait un gamin, muni d'un immense "filet de capture du temps", roulé dans un sac muni de deux roues en bois (version primitive de la poussette à emplettes), voler une machine dans "le monde des machines", qui était en fait la seconde moitié du XIXème siècle. Le fut était de mettre le filet tout autour de la machine à voler, en n'oubliant pas d'être à l'intérieur du filet, et de prononcer la formule de retour. Il en revenait de ce "monde de fer, de feu, de bruit et de fureur" avec une énorme pelleteuse à vapeur (dont pas de problème pour la faire fonctionner au bois, contrairement à un engin plus moderne) d'allure julesvernienne: chenilles, bielles, structures à rivets apparents, tubulures, commandes et manomètres en laiton poli. Après avoir provoqué la panique des chevaux et chenillé sur tout un tas d'ennemis (tombés suite à l'effroi de leur chevaux, et handicapés dans leur course par leurs lourdes armures) cet engin de cauchemar tombait en panne (fuite de vapeur quelque part dans le mécanise, suite à tous les blocs de pierres qui étaient tombés dessus: manque d'habitude de l'art de la démotion sans risque...) après avoir toutefois "descendu" un mur d'enceinte ("ne passons pas par la porte: c'est là qu'ils nous attendent") et fait de nombreux dégâts à l'intérieur de la forteresse.
Erwann, Zhao et bien d'autres ayant comme eux une formation technique solide passèrent beaucoup de temps au règlages des chevaux (tous mécaniques, sauf quand on pouvait les remplacer par du virtuel, ainsi que leur cavaliers ou le véhicule tracté), taupes hapeuses (plus faciles à faire fonctionner, une partie de la machinerie étant cachée sous le sol) et des monstres de toutes sortes: beaucoup plus de mécanique que de tournage proprement dit. Les ouvertures du sol en zig-zag en plein milieu d'une prairie, d'une route, etc, utilisaient les capacités de translation (en plus des mouvements verticaux et de l'inclinaison) des surfaces du studio robotisé, la synthèse se chargeant de simuler les profondeurs abyssales dans lesquelles dégringolaient matériaux et êtres vivants.
Les forteresses (d'un tout autre style que celles des films précédents) et leurs effondrements permettaient à Tarsini, une fois de plus, de signer visuellement le film, et ce fût plus encore le cas dans l'Atlantide, île antigravitationnelle (merci la météorite russe: s'il pouvait y avoir de la gravité réduite, pourquoi pas négative?) creusant la mer en coupelle sous elle (tout en engendrant de tourbillons, dûs à l'influence des énormes gyroscopes tournant dans le sous-sol de l'île) pour se maintenir à faible altitude au dessus. Un navire vénète était dévié sous l'île par une tempête et l'un des survivants (joué par Erwann) se retrouvait à bord de cette étrange civilisation. Un grand film catastrophe que VTP et Tarsini avaient pu en grande partie pré-produire en virtuel avant le tournage réel.
Stéphane rentrait dormir chez lui tous les jours, puisque c'était à portée de vélo.
Les cendres fines de son père furent "enciellées" comme prévue à la faveur des festivités communales. Il vit la jeune chatte rousse mi-angora Magali que son père avait adoptée (de chez un collègue employé de mairie lui aussi) une semaine avant sa mort. Il joua avec Magali, qui s'habitua vite à sa présence (Stéphane avait remarqué qu'il plaisait aux chats) et apprit que sa cousine Francine s'était mariée avec un Australien et qu'elle vivait maintenant là-bas.
Samedi 16, lors de son anniversaire, Atte (qu'il avait invité) vint pour la première fois à la maison, avec l'Alfa 33 "toute équipée". Il avait à bord ce qui leur serait utile pour leur voyage en Suède, après les tournages d'Erwann. Stéphane remarqua qu'elle avait des plaques françaises du 92, argenté sur fond noir: la France était revenue à ses plaques traditionnelles, depuis l'ELR. En fait, on avait le choix. Atte l'avait fait réimmatriculer sur place pour un problème d'assurance, vu qu'il était officiellement domicilé à la tour BFR. Etant entré comme travailleur déclaré avant l'instauration de la TPA, il n'y était pas assujetti. Cette taxe n'était pas dissuasive pour les étrangers ayant un revenu supérieur à la moyenne, et ne représentait qu'une goutte d'eau pour des footballeurs de premier rang, par exemple. Il se débrouillait en français pour les conversations dont il connaissait déjà le sujet. Trop absorbé par VTP et la "vie parisienne" il n'avait pas encore eu l'occasion d'essayer l'Altantique. Usine marémotrice de la Rance, mont St Michel, il eût droit à "tout le programme" local. Stéphane fut mesuré, comme à chaque anniversaire: 1m85,6. Il restait donc encore de l'inertie de croissance. Pas beaucoup, mais c'était bon signe.
Le 26 juin, après la fin des trois tournages de HF, Sophie, la styliste d'Erwann, lui coupa les cheveux dans une version améliorée du modèle "Stéphane 2", après étude au simulateur capillaire: celui qui engendrait certains effets dans les films servait aussi à simuler des coupes avant de les faire, y compris sous l'effet du vent. Là aussi le logiciel avait été amélioré, bien que ne sachant simuler que les cheveux émilianiens. A peu près son ancien personnage, mais en mieux, obtenant un effet à la fois plus élégant et plus naturel. Modèle mémorisé comme "Erwann 2". Sophie y avait passé bien plus de temps qu'il ne s'y attendait. Une fois fini, elle humidifia un peu devant et passa une soufflerie à air froid, très puissante, par en dessous, tout en le peignant. L'effet lui plut. Il vit que ce qui avait été coupé (venant de Valériac) était rangé dans une longe boite étroite en plastique transparent.
Sophie- c'est beau comme si c'était neuf, donc on s'en resservira, si VTP a de nouveau besoin de toi pour de la HF avant que tu ne sois prêt. Moins long que Valériac, mais ça suffira pour nos prochains projets.
Erwann- il paraît que c'est inconfortable, les extensions.
S- oui: quand c'est noué ou colle. Le porte-greffe, comme on dirait en jardinage, il ne pousse pas uniformément, donc l'extension se retrouve à tirer sur seulement quelques cheveux, les plus courts, et en plus du problème d'encrassement ça devient tellement désagréable qu'il faut tout couper dessous. Tu as peut-être vu dans des films américains des acteurs ou parfois même des actrices presque tondus après avoir joué un rôle en très long: c'est à cause de ça. Même des chanteuses, parfois.
E- donc vous avez une autre solution.
S- oui: on clipe avec des éclisses un peu comme celles des rails de trains miniature, mais plus petit, ce qui permet décliper. L'autre avantage, c'est que si jamais on tire dessus en se les accrochant quelque part, ça glisse au lieu d'arracher. Du moment qu'il y en a déjà assez pour recouvrir le montage, ça fait vrai, surtout derrière. L'avant, à condition que ce soit déjà assez long, on le met par dessus avec un voile de laque, un petit retraitement d'image par infographie pour donner de la continuité dans les reflets et on ne se rend vraiment plus compte de la triche, sauf que certains mouvements doivent être évités: il suffit que le storyboard en tienne compte.
E- il devrait être possible de prolonger infographiquement ce qui existe.
S- oui, mais pas dans tous les cas: tel que tu es coiffé là, ça ne réagira pas pareil dans une scène d'action que quand tu les avais jusque-là, alors si on prolongeait tes cheveux, l'effet ne serait pas le bon. On doit pouvoir passer de très long à encore plus, ou de "rien qui dépasse" à long, car dans ce cas il n'y a pas à tenir compte du vrai pour calculer le faux. Mais tel que tu es, si on en ajoute à l'image, même juste un peu, ça ne fera pas l'effet d'un allongement réel, surtout devant. Je vais simuler les deux versions...
Le logiciel avait été modifié par les infographistes de VTP justement pour pouvoir aussi simuler du faux allongement (prolongation à partir d'une image 3D réelle), et pas seulement du vrai, pour lequel tout était recalculé, modifiant le tassement et la disposition naturelle.
E- à quand les acteurs totalement virtuels tout le temps?
S- on s'en approche: quand nous aurons des ordinateurs suffisamment puissants, ou si les infographistes trouvent de nouvelles astuces, vous serez tous chômeurs. Bouge un peu pour voir...
Les cheveux se dispersèrent mais après avoir levé le nez au plafond ils se remirent à peu près comme souhaité.
E- ça ne s'écroule pas...
S- oui, parce que tu les as longtemps mis en arrière: ça aide, mais ça m'étonnerait qu'après ton voyage en Suède ce soit encore le cas. C'est le domaine de longueur à éviter, chez toi.
E- pourtant, moi, j'aime bien.
S- je ne parle pas d'esthétique mais de stabilité.
E- justement: Valériac, c'était trop statique, à moins de me faire jouer les scènes qu'ils me faisaient jouer, avec la soufflerie à travers le sol, en prime...
Cette astuce donnait l'impression d'être en train de retomber d'un grand saut sans sauter de haut.
Erwann était en train de se réexaminer en pied dans un miroir d'une salle de détente, se recoiffant quand il entendit en biais derrière lui, donc hors champ du miroir:
- mais oui, il t'en reste assez!
Erwann se retourna. C'était Atte. Lui aussi avait changé, coiffé avec un bel effet de mèche surplombante mais sans imiter le style "IIIème Reich" de Friedrich 1, le reste étant court mais épais, taillé un peu abrupt pour éviter de faire sagement classique. Etudié au simulateur.
- ouah! On dirait une pub pour L'Oréal.
Atte avait continué d'apprendre le français aux contacts des autres, en particulier Flavia, fort bavarde.
E- Sophie dit que ça ne tiendra pas.
A- mais si: il te suffira d'envoyer de l'air froid par dessous, comme pour les chats d'exposition.
C'était en parlant de chats avec Adrien qu'Atte connaissait cette astuce. C'était en parlant beaucoup ici ou à la Défense avec beaucoup de monde qu'Atte avait acquis nombre d'expressions du langage courant, en plus des bases grammaticales acquises par méthode sur ordinateur, ce qui contrastait avec l'accent finlandais, qui, lui, persistait.
E- bientôt LE rôle, pour toi.
Atte allait avoir le premier rôle d'un film dans lequel Erwann jouerait aussi, après la Suède. Un rôle pour lequel deux faux Atte robotisés avaient dû être construits et mis au point pour les scènes de déplacement. Un seul faux Erwann suffirait. Il avait travaillé ses scènes entre les tournages de celles des films précédents, de même que pour la préparation des scènes des suivants.
A- oui, et ils ont accepté d'ajouter une scène sur une idée à moi. Tu n'y es pas, donc tu verras quand le film sera terminé.
E- tu deviens co-scénariste...
A- il faut un début à tout.
Il vit "les maîtres du fer" (2h30), qui venait d'être fini de post-produire: Kerfilm voulait lancer ce film avant juillet, donc avait pré-produit (avant tournage) tout ce qui ne serait pas en interaction avec les personnages, leurs reflets ou leurs ombres, d'où beaucoup moins de pixels à créer après tournage. Le même procédé faisait que l'essentiel des images de l'Atlantide existaient depuis le mois de mars, avec quelques parties à modifier après tournage. Du gros, du grand, du fort, à voir cet été en revenant de la plage. Le démarrage de "Peur Filante" continuait de s'amplifier, par bouche à oreille. Un film de glisse à la fois esthétique, entraînant et féroce: ça plaisait au delà du public d'ados initialement visé. "Revanche nocturne" faisait, comme prévu, une carrière plus discrète mais était loin d'être un flop: les anciens souffre-douleurs appréciaient. Erwann n'avait pas une ligne de texte dans ce film: de l'action, encore de l'action, toujours de l'action. Rémi et lui ne se rencontraient jamais, par définition: il n'existait que quand Rémi dormait. Il y avait une scène qu'Erwann n'avait donc pas vue, au tournage: quand lors d'un des rèves le mettant en scène, soudain Rémi s'apercevait qu'il était redevenu Rémi, pieds en pyjama et pieds nu sur le goudron froid et humide, avec une épée en plastique ridicule face aux ennemis dans cette ruelle sinistre.
"Les maîtres du fer" était une quasi-caricature de HF et semblait (une fois de plus) avoir été tourné avec vingt fois plus de budget que ce n'était le cas: l'aciérie médiévale créée par Tarsini avait une athmosphère de crasse étouffante et en même temps grandiose qui était l'opposé de l'univers urbain miroitant de "Peur filante", dans lequel on avait la plupart du temps la vue libre vers le haut, entre les tours. Dans "Les maîtres du fer", les vapeurs souffrées remplaçaient le ciel, conduisant à une lumière diffuse, fluctuante, ne portant pas d'ombres nettes. Il n'y en avait que dans les parties sombres éclairées par la fonte incandescente ou les flammes de gaz de gueulard servant à éclairer le site via une tuyauterie omniprésente. Tout ne se passait pas dans l'aciérie, pour éviter de lasser.
Dès que le public voyait l'énorme train de laminoirs, il devinait que quelqu'un passerait entre les rouleaux, mais ce n'était pas ainsi que cette installation tuait la première fois: c'était l'envoi d'une "brame" de tôle sous les premiers rouleaux, conduisant à un défilement de plus en plus rapide de la tôle fine (celle pour les armures) en sortie, "plus vite qu'un cheval au galop", qui tranchait net trois des cinq esclaves en fuite ayant cru pouvoir passer par là à ce moment. Un accident déjà réellement arrivé dans des aciéries modernes (ouvrier non vu du chef de processus parce que dans l'alignement d'un poteau, au moment d'envoyer la tôle) où la tôle défilait à plus de 70 km/h. VTP n'avait pas eu à inventer: idem pour l'homme volatilisé par un retour de flamme d'hydrogène (il pouvait s'en former des poches, à l'intérieur du haut-fourneau) lors du contrôle d'une tuyère d'admission: il ne restait que des moignons carbonisés dépassant de ses bottes, contre le bastingage en acier fondu (au dessus de cette limite) lui aussi. De tels accidents s'étaient réellement produits dans des aciéries, ce que les anciens de manquaient pas de raconter aux stagiaires, tout comme le pied passant à travers un couvre-rigole fissuré et plongeant dans la fonte qui coulait à vive allure dessous.
Stéphane n'avait pas fait de stage d'études dans une aciérie mais certains de ses camarades en avaient eu l'occasion. Via ce film, il avait compris ce qu'il avait manqué.
C'allait être le premier voyage suédois d'Atte: il n'avait jamais eu l'occasion de traverser la Baltique. L'Alfa 33 fut réauscultée attentivement avant le départ et ce fut à 6h18, dimanche 27, qu'ils prirent la route pour la Suède. L'autoroute, même: les tarifs avaient baissé, depuis l'ELR, car désormais on payait à l'usure réelle donc au poids: ceci taxait fortement le trafic camions (interdit pour longues distances sur nationales) tout en soulageant d'autant le tarif auto: Paris-Arras ne coûtait désormais que cinq francs. Il y avait des portions à 200 km/h, que la voiture d'Atte n'atteignait pas: il pouvait donc être "à fond" un certain temps, mais n'en abusa pas car la consommation devenait vite dissuasive. La Belgique avait conservé ses limitations, et ce fut en Allemagne (Stéphane se souvenait fort bien du parcours, et de l'erreur d'embranchement à éviter à Neuss) qu'il retrouva des portions "pied au plancher". Stéphane put conduire aussi: en Belgique et au Danemark, où c'était moins intéressant.
21h53: Helsingborg. La Suède. Une Alfa-Roméo rouge vif "kitée" de partout, plaques françaises: ils n'allaient pas passer inaperçu, bien que n'étant eux-mêmes pas exotiques d'aspect en Suède. Le couchage était prévu, grâce à des barres de toit faciles à installer et une tente sur fond alvéolaire gonflable: Stéphane dormirait sur le toit, Atte dans la voiture: "comme ça tu pourras m'avertir si les Vikings attaquent". De cette façon il n'y avait qu'une tente à monter et ceci sans se préoccuper de trouver un emplacement sûr au sol: sur le toit, c'était à l'abri des chiens errants. Atte prévoyait d'explorer aussi la Norvège, bien plus sauvage: loups, ours, il s'attendait à tout, là-bas, l'animal le plus dangereux étant toutefois le chasseur-bûcheron norvégien. Il était allé en Norvège une fois, avec son père et sa soeur, en 1993: à travers la Laponie, au nord de la Finlande, pour voir l'Arctique.
Le lendemain matin, lundi 28 juin, première direction: la plage de Rolbaka. On allait probablement les prendre pour des frères, peut-être des Suédois (vu leur aspect et leur présence ici) vivant en France et revenant au pays pour les vacances. Leur voiture ne fut pas si remarquée que ça car il y avait, déjà garée, une Mitsubishi Lancer turbo des années 80 (du début des années 80: très anguleuse) qui avait été l'objet d'un tuning bien plus impressionnant, avec des flammes à effet irisé changeant quand on se déplaçait par rapport à elles (décalcomanie holographique?), des roues creuses semblant tenir toutes seules (en fait c'était une plaque de polycarbonate assez épais pour tenir solidement une jante), les disques de freins ne touchant pas les bords, effet souligné par un éclairage bleu fluorescent au fond des passages de roues. Ca s'allumait quand on passait à côté de la voiture stationnée: un détecteur de mouvement tout bête, mais l'effet n'en était pas moins intéressant. Cette voiture était immatriculée en Allemagne et Atte supposait qu'il y avait eu aussi une préparation moteur histoire de bien profiter des autoroutes de ce pays.
Il y avait des Suédoises à perte de vue, sur cette plage, beaucoup moins de Suédois (à vue) et 5% d'Européens ordinaires (à vue). Atte faisait maintenant 1m86 (Stéphane 1m84 et allait encore grandir un peu) et semblait avoir fait de la musculation, pas uniquement de l'entraînement aux rôles d'action. Ce n'était plus le "petit frère" de 1998, tout en ne prétendant pas imiter l'allure "maître nageur" d'Ari. Stéphane se baigna: c'était plus froid qu'en Bretagne (même nord) mais moins que le lac de l'usine BFRSF (même en juin). Quand il revint, Atte bavardait avec deux Suédoises (ou en ayant l'air) sous le grand parasol bien opaque (matière réflectorisée comme les "couvertures de survie") qu'ils avaient emporté et planté assez bas: Stéphane restait très prudent avec le soleil. Elles s'appelaient Pia (1m78, 21 ans, cheveux "carré-mi-long", faite à l'ordinateur dans un style enfantin au regard félin rappelant un peu Nelli mais avec quelque chose de plus léger) et Cecilia (1m77, 19 ans (mais paraissant plus que Pia) cheveux à mi-dos, plus "Suédoise de cinéma"). Stéphane préféra tout de suite Pia (au moins à vue) qui demanda à Atte si c'était son frère. Atte leur dit que oui, sachant que Stéphane ne démentirait pas puisqu'il avait déjà accepté de jouer autre chose que lui-même à Paris. Stéphane dit quelque chose très vite en finnois à Atte: qu'il acceptait d'être le petit frère si on lui laissait Pia. Marché conclu.
Pia était un peu moins sage qu'elle n'en avait l'air, puisqu'elle le pétrit comme pâte à pain, allongé sur sa serviette. Stéphane trouvait ça agréable, au point d'être proche de s'endormir. Pia s'allongea à côté de lui et ils discutèrent recettes de cuisine en suédois. Ceci eût pour effet qu'il fût invité (avec Atte, mais pas Cécilia qui avait d'autres obligations) chez Pia pour mettre en pratique ces recettes, après être passés tous les trois acheter ce qu'il fallait. Atte aussi trouva que tout était trop cher, en Suède (sauf les bananes et les glaces): il avait oublié, en France, les prix dissuasifs des aliments en Finlande.
Ce fut Stéphane qui dormit dans le lit jumeau contre celui de Pia, avec huit chats répartis entre eux. Pia dormait avec ses chats, ce qui n'était pas l'usage chez lui. Il trouva que c'était un mauvais système d'éducation féline, mais puisque ce n'était ni chez lui ni ses chats, c'était très agréable. Il y avait toutes sortes de chats: c'était la maison de sa grand-mère qui les receuillait. Sa grand-mère étant hospitalisée en ce moment, Pia gardait la maison (une "sommarstuga" en planches sur pilotis) et les chats. Atte dormait dans l'autre pièce, qui servait de séjour et de cuisine.
Le matin, Stéphane s'éveilla pendant que Pia lui carressait les cheveux: servait-il de neuvième chat? Elle lui dit "j'adore les garçons aux yeux verts, surtout avec cette forme-là, et puis tu as de jolies canines, pour un humain". Il était bien, dans le lit. Il ne restait que deux chats près de lui (le "vanille café" tacheté beige et blanc à ses pieds et un gros noir calé contre son dos) et Pia était d'une affection amusante. Elle ajouta "tu ne sens pas l'humain: tu es propre comme un chat". Il renversa la tête comme les chats le faisaient parfois quand ils étaient vautrés sur le côté, et remonta une main repliée vers l'avant-bras, qu'il se posa sur la joue. Pia semblait apprécier: elle lui posa brièvement un doigt sur le bout du nez, il lui attrappa la main et la relâcha. Puis elle quitta le lit en lui disant: "ne bouge pas: je vais nous préparer du poisson". Il mangeait déjà du poisson au déjeûner en Finlande, parce que c'était apprécié de Surimi puis de Gorak.
Avant de passer à table, elle voulu lui brosser les cheveux, il prit la brosse et l'examina:
Stéphane- pas avec ça: il y a encore des poils de chat dedans. Je ne veux pas avoir des puces...
Pia- les oeuf de puces ne se fixent pas sur les poils [il le savait, mais il fallait bien dire quelque chose]: ce n'est pas comme pour les poux. Mais je vais te chercher une brosse neuve...
S- il n'est pas nécessaire de me brosser: c'est de l'infroissable.
Pia revint avec la brosse mais il préféra se brosser un peu lui-même, parce que si elle le brossait comme ses chats elle risquait de lui en arracher, surtout avec ce type de brosse. Pour les chats, c'était normal: c'était la période de mue: ce qui partait par brossage serait autant qu'ils n'avaleraient pas en se lèchant. Stéphane proposa à Pia de la brosser à son tour, avec sa brosse à elle qu'il avait vue dans la salle d'eau. Pia accepta avec plaisir. Stéphane brossait une Suédoise adorable à voir comme à toucher, et qui l'appréciait. L'appréciait d'une façon particulière, mais pourquoi pas? A un moment ils se frottèrent le nez, comme Stéphane l'avait entendu dire des Lapons, chacun louchant sur le bout du nez de l'autre. Une fille a-do-rable. Elle avait beaucoup aimé le pyjama "manga" de Stéphane et trouva que ses vêtements de jour étaient moins intéressants: c'était effectivement d'une banalité vacancière totale.
Atte (un chat tigré sur lui) vit les attentions dont Pia entourait Stéphane, et les regards qu'elle lui portait à table. Stéphane lui dit (en finnois) "je suis désolé pour toi, mais elle préfère les yeux verts. Elle me l'a dit". Il resta à la maison avec Pia et les huit chats tandis qu'Atte retournait à Rolbaka. La journée fut tranquille, affectueuse (comme avec un chat) et agréable. Atte revint de 11h à 17h (lui aussi faisait attention au soleil: VTP avait dû lui expliquer) avec une autre Suédoise: Amilia. Plus grande et plus finlandaise d'allure "on dirait Heidi mais en fille", aurait-on peut-être dit au secrétariat chez BFRSF. Amélia intéressait plus Stéphane que Cécilia, mais Pia était inimitable. Le lendemain, Atte avait une autre Suédoise: Helen, beaucoup plus éthérée que les deux précédentes. Stéphane jouait avec Pia et les chats.
Mercredi matin (30 juin) départ pour la Norvège. Stéphane serait bien resté un jour de plus avec Pia et ses chats, mais il voulait aussi voir la Norvège et n'allait pas retarder le programme organisé par Atte. Stéphane repensa à Mika: il avait eu 27 ans ce jour-là. A deux semaines près, il avait quatre ans de plus que lui. Il aurait aimé lui envoyer une carte postage de Norvège, mais la mère de Mika lui ayant dit qu'il vallait mieux qu'il ne le sût pas autant de pas lui donner d'indice. Toutefois, il le fit quand même (carte achetée en Suède et qui serait postée à la première boite norvégienne rencontrée) avec l'astuce de faire aussi écrire et signer Atte. Celui-ci ne connaissait Mika que de vue, mais envoyer une carte d'anniversaire de Norvège était une chose qu'il aurait rarement l'occasion de faire, alors ceci l'intéressa. Une autre carte serait envoyée à Timo du Cap Nord s'ils l'atteignaient.
Stéphane eût une appréhension en voyant le drapeau norvégien au milieu du pont: on lui avait dit qu'il ne fallait pas aller en Norvège, que c'était un pays dangereux, surtout si l'on s'éloignait des grandes villes. Mais maintenant qu'il était un mort-vivant, il pouvait y aller. Seule l'immatriculation française présentait un risque en les designant comme gibier pour les prédateurs de touristes. L'Alfa 33 rangée, Atte et lui joueraient aussi bien les Norvégiens que les Suédois, du moins à vue. Ils avaient chacun de leur côté potassé un peu de norvégien, langue cousine du suédois mais à prononciation pâteuse donc difficile à extraire à l'oreille.
Il fallait être très prudent en Norvège, tant vis-à-vis des habitants que de ce qui circulait sur les routes sinueuses et étroites (on ne pouvait se croiser qu'à certains endroits) à flanc de fjord, où les deux périls étaient les autres touristes (en particulier les Hollandais et les Allemands), qui n'en avaient pas l'habitude, et les motards norvégiens kamikazes qui s'amusaient à passer le plus près possible des voitures (surtout des touristes) arrivant en sens inverse.
Après avoir dépassé la région d'Oslo (sans intérêt pour eux), ils purent commencer le parcours touristique, à une moyenne modeste mais se prêtant bien au camescopage du paysage. Stéphane était à l'arrière pour pouvoir filmer par la fenêtre côté conducteur, la mer (ou l'autre versant du fjord, selon l'endroit, sur cette côte dentelée) étant de ce côté, la roche à droite. Ils se relayèrent au volant de façon à éviter trop de fatigue, et sans camescoper la totalité du parcours (il aurait fallu bien trop de cassettes et certains fjords donnaient une impression de déjà vu). Jotunheim, et ses neiges éternelles malgré une altitude "moyenne" pour des montagnes européennes: le plus haut sommet faisait 2470m mais dès 1500m ils rencontrèrent de la neige et des lacs gelés "par le fond", d'après le vert trop clair de leur eau, dû à un fond blanc. Le dessus du lac avait un peu dégelé, mais pas en profondeur.
Le soir (le soleil se couchant de plus en plus tard en remontant au nord) ils furent à Trondheim. Atte estimait que tant qu'ils roulaient, le risque était raisonnable, et qu'il vallait mieux éviter de camper loin des grandes villes. S'ils pouvaient atteindre Tromsø ils ne seraient pas loin du nord de la Finlande, où Atte disait qu'ils pourraient aller dormir.
Ils trouvèrent une auberge de jeunesse près de Trondheim où il y avait déjà d'autres voitures immatriculées en Europe: D, NL, B, DK, GB, une plaque E (beau kilométrage...) mais pas de F. Quelques S, mais aussi des N: probablement des Norvégiens d'Oslo venus en vacances plus au nord. Atte trouva une place pour se garer entre la Seat Ibiza gris métallisé immatriculée E et une vieille Audi 80 rouge brique immatriculée "D", avec la lettre H unique au début désignant probablement Hambourg (moins il y avait de lettres, plus c'était une grande ville, comme "M" pour Munich): eux, ça leur économisait déjà une grande partie du trajet.
Atte- entre l'Espagne et l'Allemagne: ma plaque "F" est à sa place.
Rien de particulier: tout le monde semblait être fatigué, avoir fait de la route et s'apprêter à en refaire: Trondheim n'était qu'une étape pour les voyageurs à destination du Cap Nord.
Ils roulèrent toute la journée jusqu'à Tromsø où Atte prit à droite toute pour atteindre et franchir la frontière finlandaise: ils campèrent en Laponie finlandaise, près du mont Haltia (1324m) où ils virent le soleil de minuit (d'autant mieux que c'était en altitude: au obstacle plus élevé au nord de ce point. Le soleil roula par dessus l'Arctique, sans y plonger. La route principale pour redescendre vers la Baltique était du côté finnois de la frontière: "la route des quatre vents" Atte avait prévu de revenir par la côte balte suédoise, où la route était plus facile, et qu'il ne connaissait pas non plus. Ils redescendirent jusqu'à Ornsköldsvik, atteint le soir du 23 juin. Bain dans la Baltique, en face de la Finlande (mais pas au point de voir la côte finlandaise: il aurait fallu pouvoir monter sur une hauteur suffisante, or cette région était à peu près plate). Atte et Stéphane estimèrent qu'il n'était pas dangereux de camper en Suède, ce qu'ils firent donc.
1er juillet: ils "firent" Sundsvall, Uppsala, Stockholm, Örebro, Göteborg, et en descendant en direction de Halmstad retrouvèrent la "sommarstuga" de Pia et ses chats. Il était 23h17. Pour ne pas la réveiller, ils campèrent à côté de la maison.
Le matin du 2 juillet, à 7h17, sur le toit de l'Alfa33, Stéphane fut réveillé par un gros chat (un "Norvégien", ou un "gouttière" l'imitant bien) qui s'était introduit (ou plutôt que l'on avait introduit: peu de chats savaient soulever un petit anneau carré de fermeture Eclair) dans sa tente. Pia les avait donc vus et avait utilisé ce réveil ronronnant à tête chercheuse. Stéphane finit par se souvenir du nom de ce chat: Kronos. Ils avaient tous des noms grecs: Thalès, Pythagore, Périclès, Athéna, Penelope, Hector, Ulysse.
Ce fut une journée de farniente total (les chats étant des spécialistes en la matière), y compris pour Atte: quatre jours pour "faire" la Norvège puis la côte balte suédoise, ça pouvait venir à bout même de l'enthousiasme de ce personnage. Atte avait voulu "faire" la Norvège pour les paysage et l'aventure que ça représentait, et non pour les Norvégiennes car il avait entendu dire que ce n'était même pas la peine d'y penser, d'autant moins qu'il y avait en Suède "les mêmes mais en plus sympathiques": pourquoi se compliquer la vie? Tout en continuant à préférer Stéphane, Pia découvrit un Atte plus intéressant dans la paresse en compagnie féline. Atte aussi aimait beaucoup les chats, mais du 18 au 20 il avait été plus intéressé par les Suédoises de Rolbaka. Stéphane était avec les chats et avec Pia: pourquoi chercher ailleurs? De plus, de ce qu'il avaient pu voir en traversant la Norvège, le pourcentage de blondes était moins élevé qu'en Suède (étrange, mais c'était ainsi): il y en avait beaucoup (plus qu'en Allemagne, par exemple) mais pas autant qu'en Suède.
Le 3 ils explorèrent d'autres parties de la Suède, dont Malmö (pointe sud, par laquelle on ne passait pas, en venant du Danemark), repassant chez Pia qui était disposée à les acceuillir jusqu'au 6 juillet où sa grand-mère reviendrait, puisqu'en échange ils lui faisaient toutes ses courses alimentaires. Stéphane était attendu en Finlande le 3, idem pour Atte à La Défense. Stéphane prendrait donc le bateau pour la Finlande le soir du 1er janvier, pour qu'Atte ait le temps de redescendre en France. Stéphane appréciait l'affection tactile que lui portait Pia (et la lui rendait): il n'avait jamais eu accès à ce genre de tendresse en Finlande. Une fille saine et bien faite, aux expressions adorables, qui le traitait comme un gros chat, et qu'il pouvait carresser de même, prendre dans les bras, chatouiller. Pia ne savait pas ronronner mais l'intention y était. Les deux derniers jours se passèrent à se blottir ensemble, à s'occuper des chats (brossage, brossage: ça mettait du poil partout), à se faire à manger (chacun préparait à son tour un repas), à jouer aussi dans l'eau: Pia utilisait la Volvo 440 de sa grand-mère quand Atte partait faire du tourisme. Le 1er juillet, avant le départ, elle prit Stéphane près d'elle (pas contre elle) et lui passant doucement la main dans les cheveux, dit qu'il était le garçon le plus adorable qu'elle ait jamais rencontré. Il lui dit que jamais dans sa vie on n'avait été aussi gentil avec lui, "sauf des chats". Il lui donna son adresse internet en Finlande si elle souhaitait échanger des images de chats: il lui avait montré Gorak sur son AK50. Elle avait tout de suite trouvé qu'il devait être agréable à prendre dans les bras. Stéphane avait répondu "il aime bien me prendre dans ses pattes, autour du cou, et me donner des coups de tête là".
Retour en France en se pressant moins qu'à l'aller: un jour et demi. Même si Pia n'était pas mentalement la Suédoise la plus représentative (félinophilie transposée sur Stéphane en le félinisant mentalement et comportementalement, ce qu'il appréciait: il cherchait de la tendresse, et non de la sexualité) elle illustrait l'énorme différence mentale entre Suédoises et Finlandaises. Atte qui n'avait probablement pas eu d'occasions valables en Finlande et probablement peu en France (des qui lui plussent, en plus de leur plaire) n'avait eu que l'embarras du choix à Rolbaka.
Retour chez VTP22 pour quatre nouveaux tournages: "Voyage au centre de la terre", somptueux en stéréoscopie (et réutilisant les fonctions de simulation spéléologique déjà rodées dans "les miroirs du temps"). Il y jouait l'Islandais, rôle annexe mais avec des parts d'action. Ce tournage allait solliciter énormément l'infographie (tout comme l'Atlantide) et bien moins les acteurs: ce qu'ils avaient à jouer était moins éprouvant que de la HF. VTP avait presque fini de post-produire l'Atlantide, grâce à la "pré-productibilité" en grande partie d'un tel film. Sartilvar sortirait plus tard, et sa seconde partie l'hiver prochain.
Le succès de "Peur filante" (dans le monde) dépassait de six fois les estimations de VTP, qui pensait n'avoir fait qu'un film "de niche", et comptait plus sur "Les maîtres du fer" pour draîner les foules. Même comparé à nombre de jours d'exploitation égal, "Peur filante" survolait le film de HF, qui marchait pourtant très bien. Du Tarsini (au point de vue ambiance) dans les deux cas. On se moquait légèrement de Tarsini, dans les médias, qui co-produisait des films montrant les projets "qu'il n'avait pas réussi à vendre" et gagnait bien plus ainsi, désormais, que comme architecte.
Les exploitants de salles étaient heureux de cette avalanche de grands films à grand spectacle "qui n'étaient pas faits pour la télévision", surtout depuis que la disparition du système de subventions antérieures (l'Etat avait estimé que l'abolition de toutes charges sociales y remédiait) avait sorti du marché les "merdes molles" dénoncées par Venant.
La profession lui reprochait d'avoir fait un pacte avec le diable (l'empire du yaourt) en découvrant que "Revanche nocturne" était co-réalisé par lui, sur son idée de scénario (remanié en accord avec VTP). Venant avait demandé Torbjörn, car plus glacialement impressionnant, et non Erwann, comme acteur mais VTP lui avait dit "nous l'aurons à ce moment-là, alors nous le rentabiliserons aussi dans ce film. Tu as dû voir qu'il était bon dans ce genre de scènes, de plus ce ne seras pas toi qui les réaliseras: c'est le domaine de nos spécialistes de la HF, de pré-programmer ce que devront faire chacun des acteurs qui y participeront".
Torbjörn, parallèlement à "Peur filante", jouait aussi Siegfried dans "Niebelungen", gros téléfilm de HF (quatre parties de deux heures chacune) que VTP tournait pour vendre comme "série d'été" à diverses chaînes de télévision dans le monde. Avec la définition téléfilm (qui était tout de même deux fois celle de la télévision: 1250 lignes, "pour la postérité") les effets numériques étaient plus faciles à faire prendre pour du vrai, d'où un temps de post-production bien plus raisonnable à l'heure tournée. Les Småprat et leur sosies y jouaient les Walkyries, parmi lesquelles dans deux scènes VTP s'était amusé à glisser Erwann, équipé ainsi, en souvenir de la photo du concours de déguisement, d'où l'insertion de son nom parmi ceux des neuf Suédoises, au générique, dans la rubrique "Walkyries". C'était une version très "HF" de la célèbre tétralogie: VTP estimait que c'était ça que le public attendrait de sa part dans cette adaptation et espérait en vendre en vidéo après la diffusion télévisée, pour ceux qui l'auraient manquée, vidéo contenant aussi les versions anaglyphes, visibles sur une télévision avec une paire de lunettes bicolores. Les Huns présents dans cette mini-série (tournée quand les grands films en laissaient le temps) servaient aussi dans "Sartilvar". Comme toujours chez VTP, le générique était à la fin donc ne citait aucun nom en début d'épisode: juste le titre et les mentions légales.
Pendant "Voyage au centre de la terre" il joua aussi Yannick, un des deux rôles principaux dans "Kergatoëc", scénario fortement inspiré par sa propre expérience chez BFRSF. L'autre acteur, jouant Pierric, était Romain Gouillouzouïc, 22 ans, 1m82, Emilianien brun chocolat avec un sourire rappelant celui d'Oskari, regard vert clair mordillé par une coiffure en pluie fractale. Les deux portaient des lunettes, dans le film, puisque les myopes étaient une majorité écrasante dans les classes préparatoires donc ensuite les grandes écoles. Rondes à montures de métal noir fin chez Pierric, rectangulaires à montures chromées chez Yannick. Leurs bleus de travail aussi étaient différents, celui de Pierric étant classique, bleu, celui de Yannick gris sombre avec deux zips jusqu'aux chevilles, comme certaines tenues de garagistes ou de mécaniciens de F1. Leurs caractères ne correspondaient pas à leur style: Yannick parlait peu, le nez dans l'aspect technique des problèmes, Pierric était plus bavard et plus relationnel. Les modèles virtuels des personnages avaient la gestuelle correspondante: Pierric faisait souvent des gestes "d'ouverture", Yannick ayant tendance à rester derrière ses bras croisés tout en se montrant fort actif pour escalader machines et fours à la poursuite des pannes.
Cela commençait par une vue longitudinale prise de très près, dans la lueur rouge-orangée du tunnel de cuisson continue, des "barres bretonnes" en train de cheminer. Ensuite, les deux étudiants au volant d'une Audi 100 (modèle 1977-1983) d'un rouge fané essayant de trouver le chemin, entre des broussailles de plus en plus proches (puis frôlant la carrosserie) et sur (puis dans) des ornières boueuses:
P- pourtant il y avait une route, sur la carte.
Y- en pointillés. Ca veut dire: "pour motocross uniquement".
Demi-tour malaisé, avec embourbement partiel maculant de boue un flanc puis l'autre, au gré des coups de volant. Nouvelle vue savoureuse de la production en cours (les palets bretons épais, cette fois) puis l'arrivée des deux stagiaires, en retard pour leur premier jour, ce qui leur vallait des remontrances.
Après ce stage de fin d'études dans cette biscuiterie bretonne (biscuits, barres bretonnes, "Délice de Kermario", crêpes et galettes de sarrasin. Pas de produits laitiers) ces deux jeunes diplômés de Centrale Dinard (on voyait l'école: s'agissant d'un projet Tarsini, celui-ci l'avait en base de données dans ces moindres détails, tandis que les prises de vues extérieures étaient réelles, avec l'autorisation de l'école, l'infographie de VTP y ajoutant alors des figurants) entreprenaient un voyage en Suède (raté parce que tenté au volant d'une Audi 100: on les voyait tenter de la rafistoler, au bord d'une autoroute allemande) puis, s'apercevant en rentrant qu'ils avaient gagné au Loto pour y avoir joué le code-barre d'un paquet de biscuits à la noix de coco de l'usine, décidaient de la racheter, le propriétaire s'étant retrouvé en prison suite à un accident du travail par non-conformité d'une porte de four aux normes de sécurité, non-conformité déjà constatée lors d'un contrôle antérieur. Ces "Bouvard et Pécuchet" du biscuit breton allaient se retrouver confrontés non seulement aux pannes inspirées par l'histoire de Stéphane chez BFRSF (avec quelques variantes: un noyé sous la pâte à quatre-quarts coulant de la vanne de purge défectueuse), mais aussi à des actes de malveillance sournois, aboutissant à un combat contre deux des traitres, l'un de ceux ayant presque réussi à noyer Yannick dans une cuve de pâte à gâteau étant électrocuté par Pierric au moyen de câbles qui s'étaient déjà décrochés deux fois antérieurement.
Lors de l'épisode du grignotage des câbles par des souris (non vues) Pierric revenait avec un gros chat birman (louchant copieusement), laissé comme gardien de nuit dans l'usine, sans accès à la production alimentaire. Dressé à bout de pattes arrière contre la façade d'une des machines pour tenter d'y capturer un gros papillon de nuit attiré par la lueur de l'écran tactile de commande, les coups de pattes finissaient par déclencher des commandes et provoquer une nouvelle catastrophe.
Pierric- [montrant une boite en plastique dont le dessus transparent perforé laissait voir des vipères] un chat ne peut pas se glisser sous l'isolant pour aller tuer les souris, mais les vipères y arriveront.
Yannick- oui, et s'il y en a une que l'on ne retrouve pas avant l'arrivée des ouvriers, demain matin?
Les souris étaient finalement capturées par un piège à bascule: un demi-tube de PVC (formant goutière étroite) contenant des miettes de gâteau, articulé de façon à ce qu'en avançant dedans la souris le fît basculer, provoquant sa chute dans un récipient en Pyrex dont le fond contenait de l'huile: impossible de ressortir, les pattes glissant sur le verre. Une fois qu'elle n'était plus lestée d'une souris, la gouttière retombait sur sa position horizontale tout en provoquant au passage la chute de nouvelles miettes dedans.
Le personnage principal était bien sûr l'usine, superbement filmée, avec des vues "caméra embarquée" à l'intérieur des machines au fil de la coulée puis de la cuisson de certains produits. L'usine n'existait pas entièrement: quelques vraies machines avaient été récupérées des anciennes installations BFR (en changeant juste les sigles) et pouvaient réelllement fonctionner: elles avaient juste été remplacées par de plus rapides, plus automatisées et plus faciles à reconfigurer. Le reste était virtuel, ou filmé (quand on était assez près pour ne pas voir ce qu'il y avait autour) dans la vraie biscuiterie de Rennes. La nouriture bretonne était omniprésente, dans ce film, ainsi que le cidre bu dans des bols à oreilles à prénoms. Il y avait aussi un "fest-noz", et beaucoup d'alcool: pas uniquement du cidre.
C'était un scénario écrit par deux ingénieurs de l'assistance technique à distance de BFR, qui avaient ajouté aux diverses pannes de BFRSF (dont les groupes électrogènes coréens défectueux, avec un mode d'emploi en japonais décrivant un autre modèle) celles leur semblant "cinégéniques" parmi le bétisier des diverses usines du groupe.
Ca ne prétendait pas avoir l'impact visuel de l'Atlantide ou équivalent, donc aurait pu se contenter de sortir comme téléfilm, mais le cinéma avait un avantage: on y vendait du grignottage. Les emballages produits au nom et au logo (à base d'hermines) de Kergatoëc pour ce film (emballant du BFR) allaient continuer à être produits pour être commercialisés dans les salles appartenant à VTP (entendre des gens mâcher des biscuits ne sortait pas de l'ambiance du film: les personnages aussi en mangeaient souvent) et, si le film avait du succès, dans d'autres points de vente.
Romain Gouillouzouïc jouait simultanément dans un téléfilm intitulé "Le brodequin": il y était un étudiant en sociologie était recruté par un grand groupe et rapidement formé au métier de la chaussure pour avoir l'air d'en être, en vue d'induire à l'intérieur d'une de leurs usines de chaussures un maximum de fautes professionnelles, démissions, dépressions voire suicides en créant petit à petit des contraintes étouffantes mais restant toujours à la limite de la légalité, tout en incitant les unes (c'étaient surtout des ouvrières) à accuser les autres de fautes ou sabotages et réciproquement, afin d'avoir le moins de licenciements à payer avant la fermeture. Idée et réalisation de Lucien Venant.
Le troisième film était plus dans la lignée de ce qu'il avait déjà joué, et réutilisait quatre des autres personnages de "Voyage au centre de la Terre", habillés dans un style voisin, sur les dix présent à bord d'un dirigeable (à vapeur, bien sûr) tentant de découvrir le pôle sud vers 1880. L'incendie du dirigeable provoquait la fonte d'une partie des glaces et la mise à feu d'un gisement de gaz naturel confiné dessous, ce qui produisait un dégel plus important, provoquant la métamorphose de crysallides d'insectes géants prisonnières de ces glaces depuis le Carbonifère (supposait le paléontologue de l'expédition). Erwann y jouait Antoine, petit-fils du constructeur du dirigeable, lequel était joué par Fulbert rebaptisé Fulgence (rôle bref, car il mourrait dans l'accident) dentiste et inventeur que l'on voyait au début du film faire la démonstration de la roulette à vapeur dans les dents du cartographe qui allait les accompagner à bord du dirigeable. Erwann était censé avoir 19 ans plutôt que 23, dans le scénario.
Les insectes géants étaient une menace terrible (déjà trois hommes dévorés) mais ils étaient aussi la seule source de nourriture disponible sur place, avant d'avoir construit un moyen de transport: un char à glace, avec les ailes des insectes comme voiles, et l'une des deux machines à vapeur du dirigeable.
Le dirigeable utilisait la cheminée de la chaudière (centrale, à alcool) et la circulation de retour (condenseur) des deux machines à vapeur pour réchauffer ou non l'hydrogène du ballon (tenu par un grand filet maillé), de façon à faire varier l'altitude sans lâcher de lest ni de gaz. De plus, les deux hélices étaient orientables vers le haut ou le bas, pour accélerer ces variations d'altitude. La direction n'utilisait pas de gouvernail mais la différence de rédime d'un moteur par rapport à l'autre, ce qui pouvait permettre de tourner sur place. Les grandes hélices à quatre pales en forme de plumes évoquaient celle de l'Avion d'Ader.
Les paysages scultpuraux de neige et de glace étaient facile à rendre crédible par infographie, idem pour les insectes géants aux carapaces brillantes et aux ailes translucides irrisées. Antoine tentait d'ailleurs de s'en servir pour construire un "plus lourd que l'air", en remarquant que ces ailes avaient une résistance et une légereté, pour leur longueur, dépassant celle de tous les matériaux connus à ce jour. En en assemblant plusieurs, et en utilisant l'hélice rescapée de l'accident, avec sa machine à vapeur, il réussissait à quitter le sol avec son aéronef, après une longue glissade, "mais ça ne peut pas porter plus d'une personne, ni surtout assez d'alcool pour voyager au dessus des mers", lui objectait-on alors, à juste titre.
Tout en devant faire face à des périls terribles (s'éloigner du feu de gaz c'était mourir gelé, s'en approcher, c'était risqué d'être mangé par un insecte géant à moins de réussir à le tuer pour le cuire dans sa carapace sur un de ces feux de gaz bleu-vert et le manger) les rescapés ne perdaient pas leur enthousiasme scientifique pour tout ce qu'ils découvraient ainsi que pour ce qu'ils étaient conduits à inventer, comme la machine volante d'Antoine, inutile mais passionnante.
Il y avait aussi des crevasses, des glissades vertigineuses sur des pentes de glace souterraines, un lac réchauffé par la géothermie locale, des stalactites, stalagmites, le tout sous la clarté continue (cette expédition avait bien sûr été tentée pendant l'été austral: six mois sans nuit) passant à travers les couches de glaces couvrant cette spéléologie glaciaire. C'était impressionnant et beau, espérait VTP, et plus facile à synthétiser crédiblement que son équivalent minéral dans "voyage au centre de la terre".
Fulbert fut mis au générique sous le pseudonyme "Fulbert d'Ambert", en accord avec Erwann donc ce n'était pas exactement le nom non plus.
VTP avait préparé toute une collection d'accessoires, de tenues et de modèles virtuels pour tourner des films de cette époque: du vrai et du faux Jules Verne mais avec la même ambiance "positiviste" de ces temps où la science connaissait plusieurs découvertes majeures par an. Le dirigeable était virtuel, seule la nacelle étant réellement construite. Le film n'était pas "modernisé" comme l'avaient trop souvent fait les Américains: les personnages y avaient les préoccupation de ceux de leur temps, et l'expédition ne comportait aucune femme.
Les progrès de l'infographie permettait d'utiliser des personnages moins jeunes, voire âgés, pourvu qu'ils ne fussent compatibles avec la stéréoscopie, ainsi que les barbes et les moustaches typiques de cette époque. On ne pouvait pas encore restituer à coût acceptable une grosse barbe broussailleuse, donc cela aurait privé de faire se refleter un personnage dans de la glace (or il y en avait partout) puisqu'elle n'existait pas, mais ce qui était bien taillé pouvait passer, blanchissant de givre de respiration pour ce tournage. Ceci contribuait au style "fin XIXème sciècle" du film, surtout à ses débuts, idem pour "Voyage au centre de la Terre".
L'isolation efficace et la climatisation puissante de cette partie des studios VTP22, ainsi que quelques apports de neige carbonique (produisant une brume très froide qui convenait bien à l'ambiance) permit de tourner en plein été un film censé se passer par -70°C, l'emmitoufflage étant même nécessaire sur le plateau (techniciens inclus) tellement il y faisait froid. Ce fut ce qui décida que finalement, "Drakkars et dragons" pourrait être tourné ici, à l'automne 2000, si l'installation finlandaise ne convenait pas. Le froid n'était pas pôlaire: il ne faisait "que" moins dix dans l'installation utilisée, mais cela suffisait à produire un choc thermique important au moment d'entrer ou sortir à travers le double sas (trois portes) évitant de gaspiller de l'énergie, que ce fût vers l'extérieur ou vers les autres installations internes, protégées de la chaleur et climatisées (environ 17°C, pour favoriser les scènes d'action des tournages en ayant besoin) mais pas à ce point. Diverses températures pouvaient être règlées dans les divers compartiments à sol robotisés ajoutés depuis "la citadelle des goules", selon la façon dont seraient habillés les personnages et ce qu'ils auraient à faire: VTP pouvait tourner du tropical en janvier et du pôlaire en juillet, si le calendrier de lancement des films, de disponibilité des acteurs et de telle ou telle technique de tournage (pas prête avant: c'était souvent la raison principale) l'exigeait, ceci sans faire bleuïr les acteurs en maillot de bain ni étouffer ceux en tenue sibérienne.
Le quatrième rôle d'Erwann était Thierry, dans "Viande urbaine", frère de Damien (Atte) qui avait le rôle principal. Deux jeunes chômeurs se procuraient de la viande en tuant des gens, puis de l'argent en revendant l'excédent à un restaurant chinois dont Wang (Zhao), l'un des serveurs, servait d'intermédiaire. Pendant ce temps un colosse avec un bouc faisant le tour de la bouche et des cheveux grisonnants luisants attachés-tirés en queue, qui était gardien d'entrepôt, enlevait et violait des jeunes filles, puis revendait les organes à des traficants, ce qui embrouillait les pistes à suivre par les enquêteurs après toutes ces disparitions. Un peu d'humour rétroactif quand on reconnaissait chez les deux frères canibales Wang que l'on avait déjà vu servant un repas chinois à deux des enquêteurs.
Les deux frères avaient des fonctions différentes: Damien (Atte) était le "vecteur social", liant facilement connaissance et parvenant à séduire des proies pour les isoler de tout témoin et les livrer à Thierry, bien plus secret et habile pour tuer "vite et bien", la plupart du temps avec une pointe (comme une alène) pénétrant par la nuque. Damien serait donc plus souvent vu à l'écran, avec un jeu plus varié et de nombreux déguisements: ce serait le premier grand rôle d'Atte au cinéma. Certaines scènes avaient été ajoutées de son initiative (validées et présynthétisées bien avant le tournage) comme celle du sauna, de sorte que ce soir-là c'était un homme qui était découpé, une fois tué (il n'y avait pas de torture, dans leurs opérations de prédation: c'était fait sans haine, comme de la boucherie ordinaire), en disant ensuite à Zhao: "oui, la viande est plus dure, mais elle est plus riche en protéïnes: ça compte aussi".
Lors de la perquisition de leur premier domicile, au milieu du film, les policiers étaient piégés par pince électrocutrice (dans un tiroir) et largage de gaz toxique. Suite à cela, les frères canibales devaient repérer une prochaine victime vivant seule pour s'installer dans son appartement après l'avoir mangée.
On s'apercevait que le médecin-légiste et deux des policiers trempaient dans une affaire de revente d'organes prélevés à l'autopsie dans les cadavres récents, en particulier ceux laissés par le vigile quand il avait été dérangé avant de pouvoir faire cela lui-même.
La malchance s'en mêlait aussi, comme les clefs de voiture ayant cessé d'exister: celles de la R16TS des frères, qui s'avérait impossible à faire démarrer en bidouillant les fils: "ça ne marche que dans les films, ça. Les constructeurs ne sont pas idiots: ils avaient trouvé la parade bien avant notre naissance. Il doit y avoir un pont de résistances quelque part qu'il faut équilibrer exactement avec celui caché dans le Nieman, ou un truc de ce genre" d'où l'obligation de rentrer à pieds puis en métro pour aller chercher les doubles, en laissant le cadavre dans la voiture, laquelle était emmenée entretemps par la fourrière, Thierry ne l'ayant garée là que le temps d'y mettre le cadavre, en principe. Il devait alors visiter la fourrière la nuit, pour vérifier qu'elle n'avait pas été fouillée (avant d'aller payer l'amende pour la récupérer), en appâtant les chiens avec des bouts de viande humaine de l'opération précédente avant de pouvoir s'enfermer dans la voiture, la démarrer pour aller la garer ailleurs dans l'enclos, en débarquer le cadavre (extrait par dedans, en basculant le dossier de la banquette) qui était toujours dans ses sacs poubelle, retirés au dernier moment pour occuper les chiens (qui s'en donnaient à coeur joie) et aller remettre la R16 là où elle était parquée, pour que l'on ne fît pas la relation avec la découverte de ce que les chiens n'auraient pas fini de manger, avant de revenir payer la fourrière le lendemain comme n'importe quel contrevenant pour récupérer sa voiture sans chargement compromettant. Dans le domaine de la malchance, il y avait aussi la collision avec un autobus tuant l'un des inspecteurs pendant qu'il téléphonait au volant de sa 309 (d'où l'accident) pour faire part de la piste qu'il venait de découvrir sur les viols, qui aurait dû mener à l'arrestation du vigile.
La scène nécessitant par moment un faux Thierry était celle de la traque dans l'entrepôt, qui nécessita aussi un faux gardien, en raison des dégâts subis par l'un puis par l'autre. VTP en avait discuté antérieurement avec Erwann, qui avait mis quelques objections:
E- d'abord, il ne faut pas qu'il m'attrappe, sauf au moment de la mise à mort, car la différence de force est telle qu'il ne serait pas crédible que je puisse me dégager. D'autre part, je ne veux pas de la scène où on me casse les dents contre l'étau: ça ferait voulu, ça aurait l'air d'insister sur le fait que ça fait partie de ma signature visuelle, comme vous dites. Par contre je peux avoir une lèvre déchirée ou un bout de langue à moitié tranché: je crois que ça aussi, ça fait mal, à voir.
- en fait le rôle ne t'était pas destiné, à l'époque où nous l'avions storyboardé, mais du coup, ce que tu dis tiens la route. Par contre, il te casse toujours la colonne vertébrale à coup d'étau...
E- bien sûr! Comme les coups de barre de fer un peu partout: le robot est fait pour ça...
Il y aurait une allusion au combat final de "l'homme minimum" dans le fait qu'au cours de ce combat, le vigile devrait perdre un oeil et boiter, cheville foulée ou cassée le pied pris dans une rigole d'écoulement, à un moment. Surpuissant, borgne, boiteux et ne pensant qu'à détruire: il ferait penser au robot, pour ceux qui auraient vu le téléfilm ou lu la nouvelle. Aucun des deux ne prononcerait un mot avant la fin où Thierry, se traînant sur le charriot du chalumeau à acétylène vers le vigile cloué vivant à l'établi, lui dirait "de quoi à l'air un fier-à-bras sans bras?" et découperait la viande au chalumeau, procédé choisi parce que cet outil pouvait être dans cet entrepot (on le verrait plusieurs fois, antérieurement, pour ne pas faire "joker") et surtout parce que découper ainsi cautérisait, donc maintiendraient le vigile vivant tandis que Thierry et la jeune fille violée dévoreraient du biceps rôti. Le scénario devait pouvoir amener Thierry, infirme et meutri de partout, à pouvoir clouer le vigile à l'établi à l'aide du pistolet à agraffes (clous doubles très longs) utilisé pour les palettes. L'outil devrait donc lui tomber dessus pendant qu'il serait à terre, suite à un second coup porté avec l'étau (le premier lui ayant déjà rompu le dos avec un gros craquement) manquant la tête et faisant une marque profonde dans l'un des gros montants de bois crasseux de l'établi, l'impact faisant alors tomber le pistolet cloueur, sans le débrancher du mur. C'était à partir de cette scène que les autres avaient été construites en marche arrière. La rupture de la cheville du colosse ("aux pieds d'argile" ?) dans la rigole d'écoulement permettait à Thierry de ne pas être trop systématiquement rejoint, alors qu'il avait déjà une blessure à la jambe, sans laquelle il eût été trop rapide pour le vigile. L'oeil droit du vigile était détruit par le jet d'une poignée de copeaux d'acier ramassé au sol au moment où déjà il avait failli le tuer: on obtenait ainsi l'équivalent du robot borgne et boiteux de l'autre histoire. Les filets de sang se créant juste après ce geste dans la main droite de Thierry suffiraient à montrer à quel point ces copeaux étaient tranchants. D'où, à la fin de cette scène, Thierry à Emilie, l'ex-victime et captive du vigile:
T- non, laisse-lui cet oeil: je veux qu'il nous voie manger.
Parmi les scènes prévues dès le début, celle où Thierry, allongé par terre (pour cause de fracture du dos) dévorerait un bras en posant les mains dessus comme le ferait un fauve, avec quelques mèches de cheveux trempant par moment dans le sang. Ca se passait à l'époque contemporaine mais certaines scènes devaient retourner à la sauvagerie primitive.
Thierry s'était introduit dans l'entrepot pour voler de l'outillage, et n'était tombé que par hasard sur Emilie attachée, baillonnée et déjà blessée.
Après la scène de casse de Thierry par le vigile et d'amputation de celui-ci au chalumeau, c'était Emilie qui l'aidait à s'installer à la place du mort dans sa voiture, tout en récupérant aussi, dans de grands plastiques d'emballage de palette, les bras (ils n'avaient pas tout mangé) et aussi les jambes coupées du vigile pour faire provision de viande humaine.
Le faux Damien (Atte) était utilisé après que celui-ci, déjà bancal suite à une blessure par balles (soignée par Emilie) sortait vivant mais gravement brûlé d'un incendie (où deux policiers étaient morts. A ce stade du film, Thierry s'était déjà fait exploser (grâce à une bombe au chlorate de fioul portée sur et sous lui) sur son fauteuil roulant au moment de son arrestation, avec deux des policiers ayant cru s'en emparer. Damien sortait de l'incendie, sous la forme d'un robot à son image permettant un maquillage en creux: on ne pouvait pas, en particulier, faire disparaître les oreilles sans épaissir la tête par un masque les plaquant (façon Fantômas) ni ôter de la chair d'une des joues, ainsi qu'un oeil, diverses parties pelées ou cloquées à partir du personnage réel: il fallait ôter de la matière et non coller un camouflage dessus, car en stéréoscopie il était impossible de tricher en trompe-l'oeil. De plus, la démarche bancale du personnage, aidé d'une béquille, facilitait son imitation par un robot sans déployer des prouesses d'aptitude à la marche naturelle: le robot était capable de marcher mieux que ça. Avec la béquille fournissant un troisième point d'appuis, c'était encore plus facile. Un Damien grand brûlé se déplaçant en fauteuil roulant (comme l'avait fait Thierry) eut été trop facile à robotiser, aurait estimé le spectateur. Le faire marcher avait bien plus d'effet: on allait se demander si c'était un acteur grimmé, voire retouché en infographie pour effacer de la matière, ou du tout virtuel, ou un automate. La troisième solution permettait aussi de tester le matériel qui resservirait dans Kerminator, car c'était Erwann, dans la carcasse articulée captant les mouvements et lui donnant un retour d'effort, qui le pilotait.
Après la destruction de celui-ci au moyen d'une grenade (à ce stade, peu importait l'effet comique: faire fonctionner trop longtemps le faux Damien brûlé l'eût été aussi) la dernière image était celle d'Emilie sortant un pied humain de son congélateur pour le mettre au micro-onde.
Ce film était un projet de Lucien Venant, remanié avec VTP tout en conservant le côté très noir et "tous méchants ou pourris" (policiers inclus, avec leurs trafics) du scénario original. Cette fois, Venant trouvait que l'idée de prendre Atte et Erwann était valable: ils se ressemblaient plus que la moyenne des frères, et ce blond nordique avait un côté vampire: des personnages pouvant être froids et sanguinaires, surtout sous éclairage fluorescent (c'était plus doux à l'incandescent) bien que ces deux-là n'eussent pas des traits inquiétants. La façon de filmer la scène de l'entrepôt devait faire paraître Erwann plus petit qu'il ne l'était: la blessure arrivant très tôt à la jambe (premier coup de barre de fer du vigile, pendant qu'il examinait la captive: on pouvait supposer qu'il l'aurait peut-être tuée pour la manger au lieu de la délivrer, sans cela) l'empêchait de se tenir droit, suite à quoi il allait souvent tomber, se traîner ou ramper.
Il y avait un travail d'attitude pour bien différencier les personnalités des frères canibales. Damien, souriant, séducteur, parfois maladroit à force de confiance en lui, aimant se déguiser (y compris teintures). Thierry, "chat sauvage pas tout à fait apprivoisé", méfiant, très rapide, regard très vert comme protégé par la tôlerie métallique de sa chevelure anguleuse (qu'une laque affutait ainsi, formant comme des lames précédant obliquement le regard, sans retomber contre), les canines pointues sans être caricaturales. Il y avait beaucoup plus de sang dans sa scène de destruction (par le vigile) que dans celles de Damien, à la fin.
Ce film constituait le tournage principal de juillet, tant pour la complexité de ces scènes que pour la robotique à mettre en oeuvre. Le faux Thierry permettait à Nicolas (l'acteur jouant le vigile, dont le nom n'était pas dit, dans le film) de cogner sans retenue, avec une grosse barre de fer à profil en T puis d'autres objets contondants, ce qui donnait bien plus de réalisme à la scène ainsi que de facilité à la jouer. On reportait ensuite sur Erwann, par maquillage, les impacts relevés sur le robot, là où ils seraient visibles, le robot étant mis dans l'état de Thierry pour la prochaine scène de détérioration.
C'était le premier film où Erwann se faisait esquinter sans mourir du même coup. Il n'y avait pas de corps à corps car d'une part, il n'y avait pas encore de simulateur pour s'y entraîner, d'autre part, la différence de poids et de puissance physique apparente était telle qu'il n'eût pas été crédible qu'il en réchappe autrement qu'en ayant le temps de planter quelque chose dans le ventre de son adversaire: cela avait déjà bien trop servi, au cinéma, et surtout, le vigile ne devait pas être tué, pour pouvoir être découpé et mangé vivant. Le pistolet à clous blessait mais ne tuait pas, à moins de pouvoir atteindre la tête ou le coeur, ce qui n'était pas possible pour Thierry, puisqu'au sol et ne pouvant pas se relever, les reins brisés. Clouage de la main droite, puis aussitôt de la gauche venue tenter de libérer la droite (d'où vrillage du torse, tant que le bras gauche ne serait pas coupé) puis des deux chevilles, la longueur des agraffes et la puissance de l'outil permettant cette cruxification même par quelqu'un mis en fort mauvais état. Emilie arrivait alors, lui ôtait l'outil des mains et plantait trois longues agraffes à travers l'entrejambes de son violeur.
VTP avait aussi veillé à ce que la scène n'eût pas de symbolique homosexuelle, sachant que c'était souvent le cas dans les combats rapprochés homme à homme, au cinéma, surtout quand ils duraient longtemps. Le vigile cognerait donc toujours avec le côté de la barre (façon sabre), et non par embrochement (façon épée), lui casserait le dos avec un objet de forme ramassée (l'étau), tenu par sa tige coulissante, tandis qu'ensuite Thierry le cruxifierait de face, et non de dos, et c'était Emilie qui finissait cette cruxifiction par là où il avait pêché.
Cette scène était entrecoupée par des retours caméras sur ce qui se passait ailleurs, avec Damien. Ca permettait ainsi de revenir à l'entrepôt au moment où Thierry revenait vers le vigile en utilisait le charriot du poste de soudure à gaz comme chaise roulante.
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Atte participait simultanément au tournage d'Eurotoxique, un film de trois heures pour lequel il était aussi doublé par Adrien (imitant son timbre de voix mais pas l'accent), le personnage n'étant pas censé être finlandais. Il y jouait Vincent Saulget, un jeune inspecteur de la DGCCRF (et non de la police) devant enquêter clandestinement, à l'insu de sa hiérarchie, sur l'étouffement d'une affaire de dérogation secrète de rejets toxiques pour des usines pharmaceutiques suite à la corruption de plusieurs "eurocrates".
Il n'apparaisait pas tout de suite: l'affaire était découverte par Sylvie Le Gall, une agricultrice biologique qui n'était écoutée par personne (y compris lui, qui n'avait rien pu mesurer la première fois, l'usine ayant été avertie à temps), puis par recoupement avec une autre affaire de mutation chez des canards Saulget finissait par reprendre l'affaire (bien que classée sans suite officiellement), pistant des camions qui s'arrêtait de nuit en des endroits discrets pour vidanger des fûts anonymes. Peu à peu il en venait à enlever et torturer (perceuse sans fil, lampe à souder, tube plein d'insectes appliqué sur l'oeil en écartant bien les paupières...) des complices du trafic, seul moyen de remonter la filière et de retrouver qui détenait des preuves: leur faire plus peur (et plus mal, si la peur ne suffisait pas, mais en général ça suffisait) que les "grosses huiles" qu'ils redoutaient. Il était la fois le chasseur et le gibier (de la police), surtout en Suisse où le menait son enquête et où il n'avait théoriquement aucun mandat pour opérer.
Il était brièvement présenté par un retour en arrière expliquant pourquoi il était entré à la DGCCRF: son père, épicier, l'ayant frappé pour lui faire manger quelque chose qu'il détestait, il l'avait dénoncé à la DGCCRF pour réétiquetage réemballage frauduleux après franchissement de date limite et tranvasement de vin: on voyait le gamin enfiler des gants de vaisselle et utiliser un trace-lettres pour rédiger la lettre anonyme à l'administration (et les méfaits de son père rediffusés en surimpression pendant qu'il les écrivait, montrant que c'était ce qu'il avait vu faire) avant d'aller la poster sans en avoir l'air en partant à l'école, le lendemain. Lors de la visite des inspecteurs ceux-ci trouvaient bien plus de fraude et délits: Vincent n'avait pas tout vu, ni ne savait tout ce qui était interdit. Celui-ci avait juste dit "il faut le mettre en prison parce que moi aussi il me sert de la viande pourrie dans mon assiette et il me cogne si je refuse de la manger". Son père le cognait aussitôt, visage rouge crispé de rage comme dans ses crises d'agressivité, ceci devant les yeux des agents de la DGCCRF qui se jetaient alors sur lui et le rouaient de coups, l'acculant contre le bas d'une étagère et s'acharnant sur lui à coups de talons dans les côtes et pour lui casser les bras et les poignets, ainsi que quelques coups en pleine figure. Sa voix off continuait: "C'étaient mes héros. Surtout celui avec les lunettes, qui n'avait pourtant pas l'air costaud: il s'appelait Eric et lui aussi on l'avait tapé pour lui faire manger pire que du caca, quand il était petit. Alors je leur ai dit de le tenir par terre bien bloqué, et je lui ai fait pipi en plein dans la figure". Le père meurtri, vaincu, compissé, humilié, gémissant et pleurant de douleur autant que de rage et de rancune impuissantes (exactement comme un enfant battu) était emmené menotté devant le voisinage narquois. Philippe, aux curieux: "il a essayé de tuer son fils pour l'empêcher de témoigner. Nous avons dû intervenir". Avec coups et blessures (Vincent avait de gros bleus, les inspecteurs précisant que s'ils n'étaient pas intervenus aussitôt l'enfant aurait été tué ou gravement handicapé) et tentative de meurtre sur enfant mineur par personne ayant autorité, s'ajoutant aux autres délits, son père se voyait retirer définitivement l'autorité parentale en plus d'être condamné à sept ans de prison ferme et à verser des dommages et intérêts à son fils (qu'il ne toucherait qu'à la majorité, toutefois) en plus de l'amende (la plus lourde prévue) pour fraude alimentaire. Vendre des produits frelatés et en plus forcer "en cognant avec toute la violence d'un homme dans la force de l'âge" -avaient témoigné les deux inspecteurs, qui le chargeaient à bloc- un enfant de neuf ans à en ingurgiter aussi avait fortement impressionné tant la juge aux affaires familiales (pour la maltraitance), que le juge chargé de l'affaire de fraude commerciale qui à elle seule ne lui aurait vallu qu'une amende et éventuellement une petite peine avec sursis. Voix off: "Mon père ne fit que quatre ans de prison mais heureusement il lui fût ensuite interdit de revenir vivre avec nous pendant sa liberté conditionnelle. Désormais mon destin était tracé: plus tard, je serai inspecteur de la DGCCRF, pour arrêter des empoisonneurs cogneurs comme lui".
Ce "flash-back" était bref: il ne durait que trois minutes tout compris (ingestion forcée avec coups sur Vincent, lettre de dénonciation anonyme, intervention des inspecteurs), VTP sachant que cela suffirait à satisfaire la soif de revanche d'innombrables enfant battus (même occasionnellement) par pur "caprice parental", parmi les téléspectateurs. La scène n'insistait pas en gros plan sur la violence: on voyait de dos les inspecteurs flaquer des coups de pieds au père recroquevillé à terre, mais pas trop les dégâts (on entendait toufefois craquer les os au moment d'un des coups sur l'avant-bras), de façon à ce que ce ne fût pas classé "interdit au moins de X ans" à la diffusion. En fait pas "aux moins de" mais "au plus de", car il y aurait pu y avoir l'avertissement, au début: "ce film comporte une scène qui pourrait heurter la sensibilité de certains parents".
Beaucoup d'action (poursuite en voitures, puis acrobaties sur un train suisse transportant des camions-citernes suspects, détournement de vedette (sur le lac) et d'hélicoptère) mais pas de capacités de combat "remarquables", dans ce rôle: la DGCCRF n'était pas le GIGN. Peu d'alliés, à part son premier supérieur direct qui disparaissait dans un "accident" au cours duquel les dossiers qu'il devait apporter au tribunal (sous forme papier et cédéroms ou DOEC) brûlaient aussi. D'où ensuite la recherche par la mafia pharmaceutique suisse d'une carte mémoire (bien plus facile à cacher). Au passage, Saulget enlevait et torturait des dépeceurs de chats, en Suisse, les écorchait et les pendait au panneau du village, de nuit, avec inscrit au marqueur sur la peau (pendue à part): "tueurs de chats". Ceci parce que ce trafic (réel: VTP n'inventait rien) alimentait aussi des laboratoires d'où la possibilité d'obtenir d'eux, par la torture, des informations pour s'y infiltrer.
Au début son rôle était bien plus calme: il dressait un procès-verbal pour non respect des règles sanitaires dans une pizzeria ou contrôlait la température des congélateurs d'une superette.
Vers la fin, face à un des eurocrates: "cette réponse arrogante vous coûte un oeil" (coup de tire-bouchon extracteur électrique rechargeable, confisqué au début du film à un restaurateur fraudant sur l'origine des vins servis, joignait le geste à la parole: l'oeil ressortait pris dans la cage de l'appareil, vrille passé à travers). "Un peu plus de modestie et de sincérité si vous voulez garder l'autre".
Le scénario faisait en sorte, par l'incapacité de faire respecter les lois, dans sa première moitié, et l'énumération du nombre de gens "d'en haut" trempant dans la combine, de mettre le spectacteur en colère et de lui faire savourer ces moments-là, joués assez vite pour ne pas en devenir comiques. Un ressort déjà exploité dans des films avec Charles Bronson ou Clint Eastwood, mais avec un personnage plus "fils de bonne famille" devenant au fil du film un être cruel et désabusé mettant n'importe quels moyens au service de la lutte contre "ceux d'en haut", de même que l'enfant de 9 ans avait utilisé le seul moyen disponible (délation à la DGCCRF) pour vaincre l'énorme pouvoir de nuisance que représentait son père.
Lucien Venant, le réalisateur, n'avait pas vécu ça mais avait connu, petit, des enfants qui en avaient souffert. Il avait aussi lu "vipère au poing" et "L'Odyssée": le Cyclope était clairement la métaphore du père maltraitant ses enfants, tandis que le pieu dans l'oeil pendant qu'il ronflait ivre-mort indiquait que l'on ne pouvait vaincre un tel père que par la ruse, jamais par la force.
Le rôle très bref du petit Vincent était joué par un enfant robot (c'était plus simple que d'en faire jouer un vrai, vu les contraintes règlementaires, en particulier sur les horaires) conçu à partir d'une des photos de classe de... Erwann. Certes, dans la réalité c'était rarement ce genre d'enfant (bien portant, calme, agréable à regarder) qui était battu, mais la scène était assez brève pour que l'on n'ait pas le temps d'y penser, d'autant qu'on ne le voyait pas souvent, pendant ces trois minutes: on voyait surtout le père, puis le père et les inspecteurs, tout ceci filmé d'un peu bas: à hauteur d'enfant. Quand le petit Vincent rédigeait sa lettre de dénonciation, on voyait en bas de l'écran la petite main gantée s'appliquant à tenir le feutre bien droit dans les encoches du trace-lettres, appliqué de l'autre main, et au dessus, en fondu progressif, la scène dénoncée par la "voix off". Ceci suggérait que c'était lui qui se souvenait, donc qu'il ne s'y voyait pas. On ne l'y montrait que pour faire comprendre qui c'était et quel âge approximatif il pouvait avoir. De même pour la scène du pipi: filmée "caméra embarquée". Vincent se revoyait en train de compisser son père. On n'avait pas la vue générale le contenant.
Intoxiqué lors d'une fuite dans un des laboratoires, Vincent devenait blème voire verdâtre dans la dernière partie du film, avec des bleus apparaissant trop facilement aux chocs et par moment des tremblements des mains, puis des saccades de vomissements. Il ne survivrait pas à l'histoire, mais ceci ne faisait que lui donner encore plus de raison de n'exclure aucune méthode pour détruire les "puissants". Ce film était bien plus "noir" que "Viande urbaine" car plus réaliste et plus sobre, tout en comportant une dose suffisante d'action pour y justifier sa présence.
"Eurotoxique" n'exigeait pas la synthèse réaliste d'immenses paysages ou de toute une ville, ces décors suisses ayant été pré-filmés en réel comme VTP le ferait cet hiver (pour avoir des fjords enneigés) pour "Drakkars et dragons".
Cet automne, VTP tournerait aussi "Robur le conquérant", qui incorperait aussi la suite ("maître du monde"), l'esthétique des machines volantes et autres se prêtant très bien à la stéréoscopie tout en pouvant facilement être rendue par infographie. Erwann, qui serait alors en Finlande, n'y participerait pas, ce qu'il trouvait tout à fait normal: selon lui, VTP l'avait déjà mis dans trop de films (dix), cette année, même si ces films l'intéressaient, d'autant qu'il y aurait encore "Kerminator" voire d'autres à l'automne. VTP accumulait les décors (réels et virtuels) ainsi que les accessoires pour tourner des films de cette époque: dans "Voyage au centre de la terre" et "La mémoire des glaces" le contexte urbain de l'époque n'était évoqué qu'au début du film, celui-ci se déroulant presqu'entièrement ailleurs. Pour "Robur le conquérant" il allait falloir bien plus de lieux ayant l'air de dater d'entre 1880 et 1900.
Erwann put voir l'Atlantide, le 18 juillet, chez VTP, grâce à tout ce qui avait été pré-produit infographiquement dans ce film très tarsinien en ce sens que la prise de vue privilégiait l'architecture par rapport au personnages, réduit à l'état de petits figurants pour maquette, dans ces superbes plans d'ensemble où les caméras suivaient (par exemple) un vol d'oiseaux de mer traversant la cîté volante. Il y avait aussi des plans plus proches, bien sûr, mais moins que dans un film catastrophe usuel. On se doutait que ce serait encore plus le cas dans "Le crépuscule de Rome" quand Tarsini et VTP estimeraient avoir la puissance infographique et tout le matériel (il y aurait des courses de chars, bien sûr) pour le produire.
Tarsinien ou non, c'était somptueux, et même sans cela l'histoire tenait le spectateur de bout en bout: bien sûr, il devinait la fin, la question étant comment (ou pourquoi) ça arriverait, et non si ça arriverait. Le film tenait, sur 2h25, les promesses faites par les 3mn30 du clip, sans donner l'impression d'avoir allongé la sauce.
Il vit aussi "Niebelungen" (huit heures, qu'il ne tenta pas d'aller voir d'un coup: ça repassait périodiquement, comme les autres films et grands téléfilms de VTP, dans les deux salles stéréoscopiques des studios) comme les télespectateurs ne le verraient pas: en stéréoscopie couleurs grand écran. C'était cadré "4/3" (proportion télé) pour ne pas produire de bandes noires à la télévision, et la définition en 1250 lignes était un peu "mate" (sauf vue avec un peu de myopie ou de plus loin dans la salle) que celle des vrais films de VTP, mais on l'oubliait très vite: VTP n'avait pas mégoté sur la profondeur de champ (or en virtuel, plus on en mettait, plus ça consommait, puisque ça obligeait à faire du travail précis jusqu'au fond), l'action, même s'il y avait des parties plus calmes, en raison du scénario, la beauté des costumes, des décors et des personnages. Un peu trop, diraient certains, mais c'était du VTP, pas de "l'art et essais". Torbjörn incarnait un Siegfried que l'on n'accuserait pas de faire du "Erwann d'Ambert" puisque ce n'était pas lui... et pourtant: c'était lui qui avait servi pour rotoscoper certaines scènes d'action, imitées aussi fidèlement que possible par Torbjörn, le principe de VTP était que l'on ne modélisait jamais pour soi. Torbjörn faisait bel et bien du Erwann d'Ambert, dans ces scènes, à ceci près qu'Erwann (à l'écran), lui, faisait légèrement autrement, selon qui avait préenregistré pour lui. Souvent, c'était repris et interpolé logiciellement à partir des banques de mouvements antérieures de VTP, mais l'inédit était joué par d'autres, souvent non-émilianiens et sélectionnés uniquement parce que rendant bien en mouvement. Ceci vallait aussi pour le jeu d'expressions, quand il n'était pas repris dans la banque de modèles existants.
Le défi pour VTP était de savoir si une télévision allemande allait acheter "Niebelungen": le doublage n'était entrepris que s'il y avait une commande, contrairement aux films qui étaient doublés dans une bonne vingtaine de langues (voire trentaine, pour les plus gros) et proposés aussitôt urbi et orbi.
Ce fut le cas pour septembre, donnant le temps de faire doubler les épisodes au fil de leur diffusion (hebdomadaire). Il n'y avait que deux acteurs allemands (travaillant déjà chez VTP) dans Niebelungen: le reste était soit nordique (70%, dont beaucoup d'emprunts à VTPSF) soit français (30%).
Erwann fut en communication avec Nelli, qui le mit au courant de qui s'était passé en juin:
N- Peltonen est mort d'un arrêt du coeur au sauna. Chez lui, pas à l'usine: ici les autres auraient probablement pu le sauver avec le kit de réanimation.
S- ne savait-il pas que Paakkinen avait failli mourir ainsi?
N- je ne sais pas. Nous avons eu de nouveaux pépins avec la centrale géothermique: c'est resté en dessous de 40% pendant quatre jours, jusqu'à ce que les inversions effectuées par l'équipe d'Oskari sur commande de BFR réussissent à faire remonter à 75%. En juillet, c'est moins grave: la demande de courant est au minimum, dans le pays. Audry, ton remplaçant, a eu une jambe cassée en faisant du ski nautique: un autre canot à coupé la trajectoire sans se rendre compte qu'il arrivait en courbe et il n'avait pas assez d'expérience pour l'éviter ou sauter par dessus. Il finit sa mission en fauteuil roulant, parce que marcher avec les béquilles l'auraient empêché de se servir de ses mains.
Stéphane ignorait que l'on fît du ski nautique sur ce lac: ça aussi, c'était nouveau.
S- du ski nautique?
N- oui, ce sont des canots électriques, pour respecter la règlementation sur le bruit. Dans un lac, tomber en panne d'accus n'est pas bien grave: même sans rame on finirait toujours contre une des berges.
S- comment va Audry?
N- il en a pour plus de deux mois, mais il ne devrait pas avoir de problème pour marcher ou même faire du sport après: ce sont de "bonnes" fractures, d'après ce que lui a dit l'hôpital.
S- j'espère qu'il acceptera de revenir: je repars en septembre.
N- Heidi est partie: elle a trouvé du travail au Danemark, mais je ne sais pas dans quoi. Klaus est reparti en Allemagne. C'est Tomi Heikkilä, tu sais: le rouquin à la Dacia Gordini, qui le remplace. Il a appris sur le tas en juin, pendant le préavis de Klaus.
S- avons-nous un nouveau directeur?
N- pas encore. Peltonen est mort la semaine dernière. Nous avons vu plusieurs de tes films, surtout "Peur filante": comment peut-tu être si méchant?
S- c'est du cinéma, comme les esclaves coupés en deux dans l'aciérie.
Les relations de Stéphane avec ses parents avaient toujours été calmes, sans autoritarisme (pas de "plaisir d'écraser", contrairement à beaucoup de parents, surtout ceux qui n'auraient un gramme de pouvoir sur qui que ce soit d'autre) ni affection envahissante ni non plus indifférence totale à son comportement. Il était surveillé, mais discrètement: tant qu'il n'y avait pas de problème, il ne pouvait pas s'en rendre compte. Le pouvoir parental se traduisait surtout par le contrôle de la maison, via les clefs (plus tard les codes et badges à transpondeurs) car il y avait des pièces où il ne pouvait pas entrer: ce n'était même pas interdit, c'était toujours verrouillé. Les chambres de ses parents, qui étaient aussi interdites au chat, le "bureau" de son père et une petite partie du grenier, au bout de celle dans laquelle il jouait.
Que Stéphane participât à une série télévisée avait été une surprise, car rien ne semblait l'y destiner, à part un physique agréable, une bonne mémoire, et (mais on n'y pensa qu'après) la discipline dans ce qui en demandait. La crainte de Geneviève, confiée à sa soeur Anne-Marie, était "j'espère qu'il ne l'ont pas pris juste parce qu'ils n'avaient pas de blond dans leur série. S'il fait ça, il faut que ce soit parce qu'il le fait bien". Crainte qui fut balayée grâce à la récolte de Danois et de Suédois, chez VTP, montrant que si Stéphane y était toujours, puis dans des productions bien plus ambitieuses, ce n'était pas pour ça, ni juste parce qu'il était agréable à voir. VTP continuait la "dillution nordique" d'Erwann en important maintenant des Finlandais sélectionnés par VTPSF.
Comme la plupart des Français, les Dambert n'allaient que rarement au cinéma. Le sujet n'était pas évoqué, Stéphane supposant que ça les embarassait, et ses parents que ça ne les regardait pas. Il avait pensé inviter sa mère (son père étant déjà mort) à voir dans l'excellente salle stéréoscopique de VTP22 ceux dans lesquels il ne jouait pas: "Christine" et "Mécanotron", ainsi que la série "Niebelungen" où on ne le repérait en Walkyrie que si on le savait d'avance, mais préféra finalement ne rien dire: comme en Finlande, se taire quand il n'était pas nécessaire de parler était probablement préférable.
En 1998 magazine avait déjà titré "un vent du Nord souffle sur VTP", à l'époque du lancement de Småprat, qui suivait l'importation de Friedrich (qui était allemand), puis, pour Bifidus, Knut suivi de Niels, ainsi que de Torbjörn et Heidar dans des séries télévisées. Sur plusieurs pages, l'article présentait les cinq filles et les cinq garçons, Erwann inclus, en précisant que celui-ci était "de chez nous". Le sélectionneur des Småprat était cité, dans l'article: "chez VTP, les fausses blondes ne nous intéressent pas, alors nous sommes allés en chercher des vraies". Outre les tailles et âges, chaque personnage était étiqueté avec quelques flèches mentionnant ce qui le distinguait des autres. Pour Erwann c'était "yeux verts" et (avec une flèche plantée dans le front) "diplôme d'ingénieur à 20 ans". Dix acteurs sur 288 dans leurs diverses séries télévisées, publicités et téléfilms à l'époque, ce n'était pas une "vague nordique": juste une cuillerée. A présent, il y en avait 23 (permanents, dont 15 filles) sur 374. Une soixantaine, en tout, était passée via VTP, mais beaucoup avaient été ensuite recrutés par Hollywood et n'étaient pas revenus, contrairement à Knut.
VTP l'envoya (ainsi qu'Atte, Manfred, Alceste et Zhao) dans une émission cinéphile du soir (tard: 23h10-0h40) pour répondre à des questions éventuelles sur les films récemment sortis. La stratégie de VTP concernant Erwann restait "peu de médiatisation", et non aucune.
Ce fut Pinja Vilokkinen, 44 ans, chignon blond-blanc, lunettes sur des yeux gris-bleu qui réussit le mieux les tests de recrutement de BFR pour devenir directrice de BFRSF. C'était la première directrice de l'histoire de l'entreprise. Elle venait d'une entreprise de jouets électroniques (ours parlants, voitures radio-commandées, etc) qui avait délocalisé toute sa production en Chine donc n'avait plus l'usage d'une directrice des fabrications.
Stéphane n'avait pas été remplacé en juillet, après l'accident d'Audry, car BFR n'avait pas de nouvelles mises à jour à faire faire dans l'immédiat sur place. Son salaire restait à quatre smics: il avait appris, en France, qu'il était désormais illégal de donner plus de trois smics de salaire, quelque soit le poste, et que ce fût en un ou plusieurs emplois (si on gagnait déjà un smic quelque part, il était illégal d'en percevoir plus de deux comme salarié ailleurs, alors que comme non-salarié ça restait possible). La prime d'expatriation pouvait atteindre un smic, dans les pays à coût de la vie élevé, ce qui faisait quatre. Cela avait mis fin aux rémunérations "inimaginables" des dirigeants non actionnaires d'entreprises, de même que l'interdiction totale des "parachutes dorés" et l'obligation d'acheter en vrai (ou de refuser) les actions des "stock options" dès le début de cette année. L'ELR était contre les "faux patrons mercenaires", qui avaient fait tant de dégâts dans tant d'entreprises, du fait de la stupidité des conseils d'administration (disait l'ELR). C'étaient aux actionnaires de gérer les entreprises, ou, à défaut (manque de disponibilité) à des gens choisi par eux, représentant un ou plusieurs actionnaires (sans pouvoir cumuler de petits actionnaires au delà de 5% d'actions: il fallait alors multiplier les représentants), et qui ne toucheraient pas plus de trois smics, ce qui permettait d'en profiter pour constituer des équipes de direction ("collèges") au lieu de l'ancien système du patron unique lorsque celui-ci n'était pas l'actionnaire principal. Ca ne changeait rien pour la plupart des petites entreprises (dont le patron était généralement le propriétaire) mais changeait tout pour les grosses: on n'y mettrait plus "tous les oeufs dans le même panier", à savoir les clefs du pouvoir dans une seule paire de mains. La notion de "PDG" disparaissait au profit de celle de "conseil de direction", comportant parfois des centaines de membres à salaire modéré: trois smics, c'était un beau gros salaire, à l'échelle française, mais sans comparaison avec ce qui se faisait jusqu'alors dans ces "milieux". Pour gagner plus, il fallait être non-salarié, par exemple devenir actionnaire et expérer des dividendes, ce qui motivait à s'impliquer dans la gestion de l'entreprise. Ceci ressemblait plus à ce qui c'était toujours fait chez BFR: jamais de très gros salaires, quelque fût le poste, et une direction collégiale: pas de PDG. Par contre, on pouvait avoir des congés supplémentaires, une fois au plafond de rémunération. Stéphane pouvait légalement cumuler les recettes de tournage (intéressement aux bénéfices et non cachet direct: pour "Les miroirs du temps", ça devenait conséquent) et son salaire d'ingénieur, mais il n'aurait pas pu être salarié chez VTP si le total avait dépassé 3 smics avant prime d'expatriation.
Cette loi avait provoqué une vague de démissions chez les patrons mercenaires, se dépéchant de réaliser leurs "stock options" avant l'interdiction de cette pratique et ne pouvant pas être repris par d'autres entreprises françaises, sauf à accepter les nouvelles conditions. Ils furent facilement remplacés par des gens moins vénaux et souvent bien plus compétents eux, formant des directions collégiales.
Ceci empêchait aussi de verser de gros salaires aux footballeurs: au delà de 3 smics, ils devaient devenir prestataires de services indépendants, loués au coup par coup (sans aucune possibilité d'être "embauchés") par le club les utilisant. Dans ce cas, la rémunération pouvait rester élevée, mais il n'y avait plus de lien employeur/employé: juste client/prestataire, ce qui était bien plus libre. En particulier les "transferts" étaient possibles à tout moment.
Stéphane conservait les avantages en nature, à commencer par le logement et la CRT dont il ne se servait pas tous les jours. Un petit logement et une part d'une voiture de prestique (ou la mise à disposition continu d'un modèle basique) rentraient dans le cadre des avantages d'emploi raisonnables, selon la nouvelle législation. Ce n'aurait pas été le cas pour un 100m² en plein Paris, par exemple, malgré l'effondrement de la spéculation immobilière française depuis le vote des mesures antinatalistes. Sur 12 mois "glissants", la natalité française était de 182 117 naissances, pour 3 285 782 décès, l'accès facile au suicide pour tous (y compris les jeunes) et la non prise en charge financière des maladies volontaires (en particulier celles issues du tabagisme actif) avaient contribué à ce nombre encore élevé de décès, quoique bien moindre que pendant la période précédente: le nombre de suicide avait fortement baissé par rapport à ce qu'il avait été au démarrage des dispositions de libre accès au suicide pour tous, sans considération d'âge (enfants inclus, sans avis parental) ni d'état de santé. Pendant les douze premiers mois il y en avait eu près de six millions.
La population française était passée sous les cinquante millions d'habitants, résidents étrangers inclus, ce qui avait accéléré la chute de la spéculation immobilière (le lobby n'imaginait pas une baisse aussi rapide de la population), résolu les problèmes de logement sans avoir à en construire, accéléré la sortie du nucléaire (chute de la consommation) et la croissance de l'excédent commercial, la fonte de la dette publique (il en restait encore, mais revenir à zéro ne semblait plus de la finance-fiction), la baisse de l'entassement sur les routes et dans les transports publics et la désaffection du secteur public (par ses employés) au profit du privé qui commençait à payer correctement, vu la chute du nombre de demandeurs d'emplois: ce n'était pas par hasard si les pays à faible population et faible natalité (Europe du Nord) payaient mieux leurs ouvriers et employés que ceux qui n'avaient qu'à publier une annonce pour avoir au prochain courrier une montagne de CV sur leur bureau. Non seulement le patrimoine par habitant avait augmenté d'environ 20%, mais en plus la production nette (et non brute) par habitant avait augmenté de 26%. L'effrondement du secteur du BTP (non seulement il n'y avait plus tellement de constuctions neuves, mais en plus il fallait payer les ouvriers au prix fort pour qu'ils acceptent d'y travailler, puisque de l'emploi moins pénible s'était libéré ailleurs, tandis que les sanctions très lourdes (et réellement appliquées) avaient mis fin au travail clandestin antérieurement omniprésent dans ce secteur) avait totalement redistribué les cartes du jeu politique, ce lobby jadis extrêmement puissant ne pesant désormais guère plus que celui des ostréïculteurs. La prise en charge désormais rares (cures hospitalières "grave" uniquement) des psychotropes, le retrait du permis pendant le traitement, la chute de la natalité, la vague de suicides (dont beaucoup de "malades de longue durée") et l'interdiction de toute prise en charge publique des maladies délibérément déclenchées par le patient (cancers du poumon une fois le tabagisme actif prouvé, en particulier, ou le sida suite à des rapports non protégés: plus difficile à prouver, mais parfois ils y arrivaient) avait aussi coupé l'herbe sous le pied du lobby pharmaco-médical: il lui restait largement de quoi vivre, mais plus de quoi gaspiller, en particulier dans le financement silencieux des partis et élus politiques: l'ELR n'était pas prêt de voir ses concurrents renaître de leurs cendres: c'était une toute autre génération d'hommes politiques qui constituait les divers mouvements de la nouvelle opposition: des gens ne cherchant pas à y faire fortune (puisque désormais on pouvait gagner plus avec un métier ordinaire) mais à transmettre et mettre en oeuvre leurs idées: de la politique non vénale, ce qui était inédit en France. Les grands syndicats d'antan s'étaient eux aussi décomposés au profit d'un très grand nombre de mouvements plus proches des préoccupations quotidiennes des travailleurs, d'autant plus que maintenant il commençait à y avoir "du grain à moudre" dans le privé, beaucoup d'entreprises étant redevenues rentables grâce à la TVA sociale et à la baisse des dépenses publiques donc du niveau total de prélèvement. Il était plus satisfaisant pour tout le monde de lutter pour une part d'un gâteau ayant grossi que pour déterminer qui allait se serrer le plus fortement la ceinture pour éviter que la boite ne coule. De plus, il n'était plus suicidaire de quitter un emploi insatisfaisant, vu la baisse du chômage: l'employé pouvait désormais "voter avec ses pieds" si la place avait trop d'inconvénients par rapport à la rémunération. La TVA sociale ayant rendu des arguments financiers à la réparation des produits par rapport à leur remplacement, les entreprises de réparation de ceci ou cela se multipliaient, se substituant ainsi au déficit commercial qu'entraînait jusqu'alors le remplacement de ces appareils majoritairement importés (voire totalement, dans l'électronique grand public). Du fait de la raréfaction de ces jeunes chômeurs taillables et corvéables à merci, et de l'impossibilité de les remplacer par des immigrés, l'hôtelerie-restauration dut totalement revoir ses pratiques, ce que l'abolition des charges sociales rendait financièrement possible: payer normalement pour un horaire normal, ou payer réellement toutes les heures supplémentaires, sinon la main-d'oeuvre préférait aller voir ailleurs: moderniser (pour mise aux normes) des voitures de plus de dix ans, réparer des magnétoscopes ou des appareils ménagers était moins stressant, à salaire égal. Travailler à la construction d'une centrale géothermique aussi.
L'une des tendances "de société" constatées était l'engouement pour les traitements anti-pubertaires chez les jeunes (surtout les filles), par implant régulateur électronique, ce que certains "psys" décrivait comme une forme de "syndrôme de Peter Pan". Ceci se faisait sans consultation des parents (domaine où ils n'avaient jamais autorité, désormais) ni information de ceux-ci ensuite. Des garçons et surtout des filles souhaitaient rester biologiquement enfants plus longtemps, inversant la tendance constatée jusqu'alors et attribuée à l'excès de sucres rapides dans l'alimentation des jeunes, ainsi que certaines hormones issues de pratiques agricoles dont on soupçonnaient le passage dans l'alimentation humaine. Des pubertés en cours avaient été modérées voire suspendues, par ce moyen, qui avait en grande partie remplacé certains suicides et surtout l'anorexie féminine, ceci de façon bien plus efficace: le corps cessait de "vieillir" et de se modifier, sans avoir à se priver de manger, donc sans compromettre la santé et la croissance osseuse. Retarder la puberté permettait, estimaient beaucoup de jeunes, de grandir plus longtemps donc d'être plus grands, une fois adultes. C'était la motivation affichée par la plupart des garçons s'étant fait implanter ce type de régulateur, mais en fait ce n'était pas la seule. La puberté était aussi soupçonnée de rendre idiot, ou au moins de "plomber" les études: la modérer et/ou la retarder ne pouvait donc pas nuire. Il y avait aussi, bien sûr, le souhait d'éviter l'inconfort de cet état, en particulier ses ravages cutanés. On pouvait aussi espérer retarder l'ensemble du vieillissement en empêchant cette première phase de vieillissement spectaculaire de l'organisme, bien que l'on manquât d'études à long terme (par définition) pour connaître l'impact réel du régulateur anti-hormonal sur le vieillissement général. L'effet déjà connu par la médecine officielle était de retarder les maladies cardiovasculaires et les cancers hormono-dépendants.
Stéphane savait qu'au niveau de modernisation et de fiabilité (pas exceptionnelle, mais acceptable: du bon côté de la moyenne mondiale du groupe pour le nombre, la gravité des pannes et surtout le temps de réponse des équipes pour les résoudre ou les contourner) atteint par l'usine son rôle n'était plus indispensable: BFR aurait pu télépiloter les autres co-directeurs de fabrications sans "superviseur industriel" sur place. Pour rester en France, il aurait dû se contenter de reprendre son poste aux arômes et agents de texture, au salaire de base. Le "grade" dont il bénéficiait chez BFRSF n'était valable que là-bas. En France, il n'était pas grand chose.
Prêter Stéphane (Erwann) à VTP était un moyen pour BFR de le mettre en congés sans soldes pendant ces tournages (hors vacances): en fait Erwann investissait le salaire manquant de Stéphane dans le tournage, d'où sa mention en petit parmi les nombreux "producteurs associés", dans le générique final.
La Finlande eût été un problème pour quelqu'un souhaitant s'y faire des relations, ce qui n'était pas son cas: n'étant pas particulièrement doué pour cela (même en France), en raison d'un tempérament discret, être paisiblement ignoré (ce qui lui semblait être la règle, dans ce pays) lui convenait, d'autant plus qu'il avait quelques interlocteurs dans BFRSF y compris pour des conversations non professionnelles.

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