vendredi 10 avril 2009

chapitre N-24

Le scénario révisé et "concentré" des "N voyages de Robert Trebor", le plus important des tournages auxquels participait Erwann, tenait dans 3h20, soit 12mn30 en moyenne par voyage (il y en avait toujours 16 mais le titre ne le précisait pas, pour que le public ne sache pas lequel serait le dernier) certains pouvant durer plus au détriment d'autres, et ça sortirait au cinéma. Le nom "Clône Floane" et sa variante "Sloanec" avaient été abandonnés au profit d'une appellation non parodique, tout en conservant une ambiance à la Druillet (Tarsini étant fan de ce dessinateur) et de nombreux emprunts à d'autres oeuvres de SF, en plus d'astuces "travaux manuels" façon Rahan/Mc Gyver.
Erwann savait que ça ne pourrait pas marcher aussi bien que "Sartilvar" ou "Les miroirs du temps", mais l'ambiance et les aventures de ce nouveau projet l'intéressaient. VTP ne perdrait certainement pas d'argent avec ça. En fait le risque principal qu'il voyait était d'être désigné d'emblée comme LE personnage. Dans les autres films, c'était réparti avec d'autres, dont certains qui duraient parfois plus longtemps dans l'histoire que lui. Là, il serait Robert Trebor, personnage "aymeraldien" loin des contextes contemporains et même historiques. Robert Trebor ne serait pas le plus présent à l'écran dans tous ses voyages, mais serait prétexte à créer en un temps accéléré tout un nouveau contexte et de nouveaux personnages: on considérerait donc que ça reposerait sur lui, si ça ne marchait pas. Il eût préféré que VTP en restât au projet de téléfilm très long (six heures) dont on parlerait bien moins, même s'il pouvait espérer plus de télespectateurs qu'un film n'aurait la première année de spectateurs en salle. Les médias parlaient beaucoup plus des films que des téléfilms (sauf les grosses séries américaines) bien qu'ils fissent plus d'audiance que les films. Il avait demandé à avoir la simulation virtuelle avant d'accepter, contrairement aux autres fois: "cette fois, je parcours tout le film, et vous me confiez le rôle-titre, donc quoi que l'on critique c'est sur moi que ça retombera. Il faut que je sache entièrement ce que c'est, et dans l'ordre". Accepté, d'autant plus que VTP reconnaissait que ça pouvait lui être utile pour comprendre son personnage et surtout ce qu'il allait vivre. Stéphane savait qu'ils auraient pu prendre un autre acteur (il n'y avait pas de raison particulière pour que Robert Trebor lui ressemblât, supposait-il. Pourquoi pas Zhao?) mais se doutait, au vu du programme des combats et cascades à réviser, qu'il n'en avaient pas beaucoup ayant la même expérience de ce type de tournage.
Il allait faire ça "sur des rails", au quart de sourire près (imiter la virtualisation, ça, il savait le faire avec une grande précision, sans jamais exagérer, ce qui faisait croire que c'était un bon acteur capable de se renouveller. Capable juste d'imiter un personnage virtuel renouvellant son jeu...) mais s'attendait à être "descendu" par la critique. Lui, et pas juste le film. Jusqu'ici ce n'était pas sur lui que la critique portait, mais sur le côté "bombardements d'effets spéciaux à l'américaine" des films de VTP, ce que justement le grand public adorait. De lui on avait même dit "rapport prestations/prix imbattable", en apprenant combien il avait (peu) touché pour "Les miroirs du temps". Ou "oui, mais à ce prix-là vous n'auriez pas dix secondes de Untel", quand on l'y comparait.
"Viande urbaine" avait fait croire que c'était un bon acteur, alors que ce n'était qu'un bon imitateur de mouvements et attitudes, conscient de ce qu'il ne saurait jamais jouer sans avoir le modèle virtuel à imiter, sans un auriculaire d'improvisation, mais que moyennant cela, il suivait si fidèlement et comme "naturellement" les rails qu'il était rare que l'on eût à refaire la prise pour lui.
Il n'était prêté que rarement pour des interviews, uniquement dans des émissions s'intéressant techniquement au cinéma, et souvent plusieurs semaines après la sortie du film simplement parce qu'il n'était pas professionnellement disponible au bon moment. Là aussi, on en donnait moins au public qu'il n'aurait pu l'espérer, mais sans en faire une "star qui joue l'isolation totale": il était une à trois fois par an un des invités (jamais le seul: VTP voulait qu'il y en ait au moins deux autres ayant chacun au moins le même temps de présence active) d'une de ces émissions, mais pas à une heure de grande écoute. C'était le cas de bien d'autres acteurs acteurs français qui avaient pourtant bien plus de films à leur actif, donc ça ne surprenait pas, surtout quand on savait qu'il avait un tout autre métier principal dont "Kergatoëc" avait donné un aperçu au public. La Finlande, c'était loin, il n'était pas une "star", donc il n'y eut jamais de pararazzi aux alentours de BFRSF. Il était passé plus souvent à la télévision (comme invité: pas dans une série télévisée) en Finlande qu'en France.
Autant il y avait de l'oppression urbaine dans "Peur filante", malgré les perspectives ouvertes entre certains immeubles, donnant de la profondeur et de l'ampleur au décor, même si ces perspectives n'ouvraient que vers d'autres bétonnages, autant ce qu'il tournait maintenant était loin de tout univers contemporain. Pour ce rôle, il était équipé de mains bipouces (un pouce à chaque bord de la paume, comme s'il avait eu deux majeurs flanqués de deux index puis deux pouces). On avait dû fabriquer des gants bipouces, le truc étant que le pouce complémentaire de la main droite était actionné par les mouvements du vrai pouce dela main gauche, et inversement, par un système de câbles sous gaine passant dans le dos. Le reste du temps, l'infographie suffisait pour tricher. Les spectacteurs les plus observateurs noteraient que l'avant de ses chaussures était anormalement large: on pouvait deviner que "les pieds aussi". Tout le reste était de l'Erwann "de série".
Il n'y avait pas un rôle de méchant tout en n'étant pas "moraliste" dans sa façon de règler les problèmes: tuait qui il le fallait quand il le fallait, sans se poser de question, car c'était ce que l'essentiel du public souhaitait en telles situations. Peu de tueries, en fait, mais beaucoup de situations étranges et compliquées, chaque fois totalement nouvelles dans un tout autre contexte, au fil des reconstructions du personnage (qui était tué à chaque voyage) dans le "sarcophage" inspiré de celui de "l'Ombre Jaune". De la SF, du "fantastique" onirique continuellement renouvellé, parfois angoissant voire oppressant, parfois frais et entraînant. Il y avait de la débrouillardise, plus souvent que de la combativité pure, du bricolage astucieux (l'influence "Rahan-Mac Gyver", disait VTP) et un scénario étudié pour surprendre tout en restant logique: cela faisait plusieurs années que VTP retravaillait le scénario pour le faire rentrer dans moins d'heures, sans saturer la capacité de perception et de compréhension du public. Il y retrouvait de nombreux personnages de VTP (pas les mêmes d'un voyage à l'autre, par définition), des emprunts à VTPSF (au huitième voyage) mais sans faire allusion à ce qu'il avait déjà tourné. Il y avait parfois un clin d'oeil à "Zardoz", à "l'Age de cristal" (et même à "Phantom of the Paradize" dans le onzième voyage, où tout était basé sur le rock des années 70, tendance "glitter rock" à la Sparks, mais aussi du disco, etc), mais surtout à des BD (mangas inclus) et à certains contes japonais, ainsi que (treizième voyage) "les poucus et les sexus", où deux éthnies humaines existaient: l'une avait des pouces au deux bords de la main, mais à sept doigts (cinq au centre) au lieu de six comme Robert, d'où une dextérité encore augmentée, et n'avaient pas de sexes, étant immortels et se réparant par bouturage, en mangeant la chair des "sexus", qui avaient leurs sexes en double mais des mains sans pouces (quatre doigts), ce qui les privait de l'essentiel des activités humaines pour lesquelles au moins un pouce était indispensable. Les Sexus passaient leur temps à se reproduire (portées de deux à quatre bébés à chaque accouchement, les femmes ayant quatre seins) et à manger des fruits (tout en n'étant pas des hommes-singes: primitifs, mais habillés, et pas couverts de poils) les Poucus à tendre des pièges (étant très bricoleurs, avec leurs mains bi-pouces) pour les attrapper et les manger. Cet épisode ne durait que dix minutes, suite à quoi Robert (que l'on considérait comme un mutant légèrement handicapé: il lui manquait un doigt par main, tout en ayant deux pouces comme eux) tombait dans un piège plein de pieux et se régénérait pour un autre voyage. Huit minutes pour lesquelles on avait dû fabriquer plein de gants bipouces (mais heptadigitaux) fonctionnant comme ceux équipant Robert. On voyait, quand ils se déchaussaient, que leurs pieds aussi, d'où des chaussures à spatule encore plus large, ce qui leur pemettait de courir plus vite et sauter plus facilement que les Sexus: meilleur appui au sol. Ne pouvant se nourrir que de chair humaine, ils ne cherchaient pas à exterminer les Sexus, mais juste à en attrapper assez pour se nourrir. En particulier ils ne prenaient pas les petits enfants, en vérifiant leur taille avec une règle en bois, comme le faisaient les pêcheurs. Ils étaient les seuls à avoir des outils et même des machines (de conception antique, mais astucieuses), car l'absence de pouce avait empêché les Sexus de développer les capacités intellectuelles qui allaient avec. Les mains des Sexus étaient sans pouce, supprimé par infographie ou au moyen d'une fausse main, selon le cas. Dans les deux cas (avec ou sans pouces) il s'agissait de mains symétriques, la gauche étant identique à la droite, avec deux majeurs au centre bordés de deux index. Les pieds des Sexus n'avaient pas de gros oreil (pied symétrique étroit). On voyait que leur cache-sexe était bien rempli: le film étant "tous publics" on ne voyait pas les doubles sexes, mais on voyait une portée de bébés en train de têter quatre seins. Il n'y avait ni homme ni femme chez les Poucus, par définition. Des androgynes simples et robustes. Les pieds larges et les mains pleines de doigts époquaient plutôt des personnages masculins, comme allure générale.
L'épisode 14 le mettait aux prises avec des limaces géantes et des méduses volantes se refermant sur la tête des gens pour la digérer: reprise des effets spéciaux de "digestion".
Chaque voyage de Robert Trebor était le concentré d'un film, ou le début de ce qui aurait pu en être un s'il n'était pas mort au bout de neuf à dix-sept minutes, ce qui l'empêchait de connaître la suite, donc le spectateur aussi: VTP le laissait sur sa faim dans de nombreux cas, après que Robert ait résolu certains problèmes. Souvent il mourrait "bêtement", au moment où le scénario n'y préparait pas le public, par exemple dans l'empire du rock il était gelé (et se craquelait puis se fragmentait en morceaux) par la fuite d'azote liquide du circuit de refroidissement d'un ampli de 45 mégawatts. Un autre épisode grouillait de mutants bardés de prothèses métalliques (emprunt à l'univers Druillet), un autre évoquait l'Odyssée (emprunts de matériel et d'acteurs au tournage prévu cet été avec Vittorio), etc.
"Dédalux" était une SF proche de notre époque: une traque dans un labyrinthe de verre, de béton (escaliers) et de métal en trois dimensions bourrés de pièges (fixes ou petits robots dotés d'armes branches diverses, y compris lancement de disques affutés tournant à grande vitesse: presque un classique du genre) évoquant un peu les "niveaux" de certains jeux vidéo, où les personnages étaient peu à peu éliminés. Ca ne durerait que deux heures à l'écran (ce qui pour VTP était "court") une fois épuisés toute la gamme d'effets spéciaux tarsiniens mis en oeuvre dans cette mise en scène vertigineuse (au sens propre). Beaucoup de tirs, poursuites, escalades, chutes, glissades, beaucoup de dégats (mais pas de grosses explosions "cache-misère").
Ce film ne coûtait pas trop cher (le décor actif tarsinien plaisait à l'infographie, même pendant les phases où une grande partie s'effondrait dans un jaillissement de verre brisé) et était plus facile à jouer qu'il n'en avait l'air, tout en pouvant donner lieu à une bande annonce qui draînerait les fans de films de SF et de jeux vidéo. On y retrouvait Manfred, Romain, Vittorio, Alexandre, Flavia, Alceste des Bifidus et Hillevi des Småprat, ainsi que nombre d'autres personnages des séries télévisées de VTP. Il y avait des chutes spectaculaires, des escaliers à changement de sens de gravité (on finissait par marcher sur les contremarches), des portions coulissantes. S'il n'y avait eu l'angoisse des petits engins tueurs (semblant bricolés avec du gros Mécano ou équivalent, ainsi que des éléments de disqueuse, de scie circulaire ou de mini-marteau pneumatique, comme certains robots des concours de robots gladiateurs radiocommandés) et les blessures lors de certaines chutes ou mouvement d'éléments de la structure (en particulier la boule du flipper géant, vu de l'intérieur du jeu qui semblait occuper une partie d'un étage), ça aurait pu sembler un divertissement. Une seconde boule, hérissée de piques (lui donnant des airs de virus du sida) était lancée dans cette partie du jeu. Un des personnages se faisait écraser et fakiriser ainsi.
Dans Peur Filante, les personnages commettaient des violences dans un décor futuriste (beaucoup de verre et de métal) mais généralement ouvert (à part les couloirs du métro), ici c'était un univers tout aussi futuriste, entièrement fermé (mais bien plus mobile que celui de "Cube", de formes plus variées et ouvrant plus de perspectives dans ses profondeurs) qui traquait les personnages.
Ce n'était pas un "porte-avions" mais VTP savait que ça rendrait très bien sur grand écran (et plus encore en stéréoscopie), l'architecture interne mobile de Dédalux s'y prêtant, avec ses effets de transparence qui devenaient bien plus "profonds" en stéréoscopie. Tout ce décor était bien sûr virtuel, les acteurs devant jouer sur des plate-formes mobiles munies de quelques obstacles leur fournissant un appui ou un retour d'impact. Il fallait avoir une grande habitude du "système" VTP22 pour jouer vite et bien dans ce contexte.
Troisième tournage entrelacé de juin: "Aux portes du néant". Une équipe de télévision et d'infographie devait préparer un jeu dans une forteresse (de style "Vauban": plan à dents triangulaires, mais très hautes, plutôt qu'étalées) à restaurer, sur une île, et se trouvait confronté à des paradoxes topologiques: porte dans une galerie du troisième étage menant sur un escalier débouchant au sous-sol après avoir monté (et non descendu) un étage, etc, d'où des morts et des disparitions. Plus tard le jeu de "télé-réalité" avait bel et bien lieu, confrontant (à l'insu des organisateurs) les candidats aux fantômes des techniciens disparus, ainsi qu'à bien d'autres choses. Tous les ingrédients du film d'angoisse en huis clos (avec vues externes, mais conditions météo rendant impossible de quitter l'île) étaient réunis, ainsi que les trucages tarsiniens ayant permi de créer entièrement la forteresse, de la vieillir et de la doter de ses propriétés particulières. Pendant une grande partie du film on n'assisterait pas aux modifications: on les constaterait comme les personnages, qui, en se retrournant, ne reconnaîtraient pas par où ils étaient venus. Au début, beaucoup pensaient que ça faisait partie des trucages, car il était prévu de telles épreuves pour les futurs candidats du jeu, mais ça ne correspondait pas à ce qu'ils avaient réellement installé dans ce but. Un film d'angoisse à grands renforts d'effets spéciaux, qui lui non plus ne ferait pas des scores comparables aux "Miroirs du temps" (ce film en était à 168 millions d'entrées dans le monde, suivi de près par "les reflets du temps") mais ravirait les amateurs du genre, ainsi que ceux des films "très truqués" de VTP en général.
Dans "La citadelle des goules" Erwann faisait partie des visiteurs de cette HF d'horreur tarsinienne. Dans "les dents de la nuit" il jouait un des vampires, rôle moins souvent à l'écran mais de façon plus originale. C'était situé vers le milieu du XIXème siècle, dans les Carpates, avec tous les ingrédients d'un bon film de vampires plus des trucages inédits comme la marche au plafond sans retournement de décors, grâce à des semelles aimantées et un "pas japonais" invisible d'électroaimants, dans le plafond: les aimants s'y plaquaient quand le courant était coupé, alors que l'attraction s'annulait (champ répulsif de moindre force que celui des semelles) quand il était activé. Erwann pouvait ainsi marcher à l'envers d'une façon assez naturelle, avec vêtements, cheveux et descentes de poussière des tentures orientés naturellement par la gravité. L'infographie modifiait les escaliers pendant que les visiteurs traqués tentaient de les montrer ou descendre (effet classique des cauchemards), rendait la topologie paradoxale (comme dans les dessins d'Escher, mais en stéréoscopie, ce qui théoriquement n'aurait pas dû permettre de tricher, mais les calculs de stéréoscopie pour ce décor virtuel étaient eux aussi modifiés), tandis que l'on mélangeait tentures (poussièreuses et lourde: ça faisait plus vrai à l'image) réelles et virtuelles, idem pour les personnages et le mobilier.
Il y avait trois vampires: un vieux aux traits eurasiens, lui, et une gamine de dix ans, qui n'étaient pas une famille et que les personnages humains rencontraient au fil du film.
Dédalux et Les dents de la nuit étaient assez faciles à tourner (pour ceux habitués à ce genre d'acrobaties chez VTP22) et à post-produire, Dédalux étant "très virtuel" d'ambiance, tandis que "les dents de la nuit" se passait surtout le soir ou la nuit donc limitait la richesse de détails et textures réalistes à fournir.
"Aux portes du néant" était du même niveau d'exigence de post-production que l'Atlantide: il n'y avait pas autant de constructions, mais la forteresse était en plus mauvais état ce qui consommait plus d'infographie.
Du grand divertissement plus "grand public", savait VTP (et Erwann) que "Les N voyages de Robert Trebor" qui était plus "SF pour amateurs de SF".
Le cinquième tournage auquel il participait (et plus souvent à l'écran que dans "filière bulgare") fut "0016: embryons suédois" donnant prétexte à des poursuites en motoneige et à du "drift" en voiture sur lac gelé, ce stock-car visant à faire tomber les adversaires dans un trou déjà formé. Ceci avait été tourné cet hiver, chez VTPSF, car il n'était pas nécessaire d'avoir les acteurs réels à bord des voitures. Le reste de passait hors neige (y compris en Suède), avec des fusillades, acrobaties et poursuites dans des laboratoires, du pilotage d'hélicoptère: Erwann ne s'était pas entraîné pour rien: il n'eût pas à faire des cascades avec, mais Igor avait grâce à cela toute la gestuelle qui correspondait, en plus de ne pas avoir besoin de doublure au moment où l'hélico (l'EC 130 de VTP, juste un peu réhabillé) décollait. Il avait les cheveux plaqués et attachés dans certaines de ses apparitions, dans ce film, ce qui faisait plus "mafia de l'Est", selon VTP. Très peu de texte à dire, avec l'accent russe qu'il savait imiter sans le caricaturer: il suffisait d'avoir fait enregistrer le modèle par un Russe. Il se faisait passer pour un Suédois, ce qui était visuellement facile, pour s'infiltrer dans un laboratoire pour voler des "cultures souches" pour alimenter un laboratoire lituanien souhaitant concurrencer la Suède à bas prix. On revoyait brièvement, et de plus près que dans le premier film (mais tourné à l'époque, bien sûr), ce qui s'était passé dans le nuage de sang d'où dépassait la queue frétillante du requin: le requin l'avait effectivement saisi par le flanc, mais sans pouvoir refermer complètement la gueule à cause du harpon qui y était déjà planté (ça avait par contre dû faire très mal au Russe, pouvait-on deviner à l'image), lui laissant le temps de le poignarder dans les ouies puis de remonter, blessé mais pas irrécupérable.
Il y avait aussi du piratage chinois d'embryons suédois. Le trafic des embryons utilisait des convois de bétail vivant, puisqu'il était possible de les mettre dans des vaches, et même d'en mettre plusieurs à bord de chacune: un veau prenait bien plus de place qu'un bébé. Une partie du film se déroulait en France (contrairement au premier), puisque c'était le pays qui achetait le plus d'embryons suédois, ce qui avait simplifié les relevés de décors réels par "présynchronisation" des mouvements de caméras. La truie mécanique gloussante et autres animeaux boutte-entrain de la banque de sperme parisienne étaient présents dans le film dans l'une des banques de sperme suédoises, car pour tester de nouvelles lignées, il fallait sélectionner des donneurs "zéro défaut". Le prélèvement d'ovocytes était moins amusant donc brièvement évoqué. 0016 (Zhao) avait plusieurs fois des problèmes (bogues) avec ses jambes artificielles motorisées et devait attendre la livraison de pièces de rechange expédiés par le laboratoire japonais, donc se trouvait temporairement gêné dans certains mouvements, voire affectés de mouvements involontaires de la jambe droite, comme du Parkinson mécanique. A l'issue de ce film, il fallait aussi lui faire une prothèse du bras gauche. Certaines scènes étudiées pour un autre projet "0016" (celui que "embryons suédois" avait remplacé) avait pu être réutilisées dedans, légèrement modifiées, ce qui avait permis de garder un scénario riche en rebondissements et changements de contextes sans avoir à tout reconcevoir.
Le 11 puis le 14 juin 2000 sortit enfin "0016: Filière bulgare", sur lequel VTP comptait pour remplir les salles pendant les vacances.
VTP n'avait pas "factorisé" les tournages des différents 0016, car cela se passait dans le monde actuel et il fallait donc tenir compte de l'actualité. Bien leur en avait pris, car grâce à cela le thème des embryons suédois et des vaches porteuses hollandaises devenait le moteur central du deuxième opus.
Le premier connu le succès espéré: le bouche à oreilles et les médias indépendants (indépendants du microcosme culturel parisien), suite aux avant-premières stéréoscopiques, avait dit que l'on s'amusait au moins autant que dans un vrai "James Bond" sans que cela tournât à la grosse farce.
Cet été, les Småprat (et leurs diverses sosies-remplaçantes) serviraient de sirènes dans "L'Odyssée".
Erwann eut d'autres tournages à étudier (il commença à en travailler des scènes au simulateur pendant les moments disponibles entre celles tournées en juin) pour septembre, chez VTP22, avant "Drakkars et dragons" qui aurait bien lieu chez VTPSF, mais en octobre voire novembre. Pour VTP, les deux "porte-avions" de 2000 seraient "L'Odyssée" (sans Erwann) puis "Drakkars et dragons" (avec), Erwann jouant aussi dans "César et les Vénètes" (juste avant, en Bretagne) pour lequel les galères du futur "Crépuscule de Rome" seraient construites. Ces deux films avec galères récupéreraient aussi un grand nombre d'acteurs de "l'Odyssée" pour jouer les Romains. Cette année, VTP l'utilisait (dans des rôles consistants) dans onze tournages, au lieu de quinze, ce qu'Erwann trouvait plus sage à tous points de vue: onze films, c'était déjà beaucoup, même si pour le moment ils ne faisaient pas double-emploi à l'intérieur d'une même année. VTP en garderait probablement sous le coude pour des sorties en 2001, comme l'année dernière.
Du 2 juin au 13 juillet, Stéphane partait en vacances en Suède avec Atte. Cette fois, ils ne "firent" pas la Norvège (le paysage étant resté le même) donc profitèrent mieux de la Suède et de ses habitantes. Ceci avec une R25 GTD (pas turbo) qu'il loua pour une somme modique chez VTP: pendant des vacances, les voitures de fonction pouvaient être louées à prix coûtant d'entretien par d'autres. Le 26 juin ils retrouvèrent Pia qui n'habitait pas chez sa grand-mère (pas à l'hôpital cette fois) mais chez une copine (Ulrica, plus ronde, plus "bavaroise" tout en étant très suédoise aussi) qui avait quatre chats. Ulrica n'était pas l'idéal féminin d'Atte, mais "acceptable", par contre Atte semblait convenir très bien à Ulrica. Pia trouva autant d'intérêt à Stéphane que la dernière fois, et s'amusa des taches de son. Celui-ci acceuillit ses câlins et les lui rendit. Quelques jours avec Pia et Ulrica, puis exploration d'autres rivages suédois, puis repassage par la case "chats", et ainsi de suite. Le moteur de la R25 GTD gris "nuage" métallisé était le même que celui de feue la R20 GTD orange de BFRSF, mais vu les limitations de vitesse en Suède ça n'avait aucune importance. Le 12, Stéphane visita les installations géothermiques suédoises réalisées BFR, avant de prendre le bateau pour la Finlande: 60% de la longueur du tunnel avaient déjà été creusés au fond de la Baltique, où les tronçons cylindriques de béton armé étaient enfouis avant remblayage, mais rien n'y circulerait avant décembre, même si tout se passait bien. La centrale géothermique fonctionnait depuis mi-juin. Elle alimentait non seulement le chantier sous-marin, mais aussi une bonne partie du réseau suédois, accélérant la sortie du nucléaire déjà amorcée par ce pays. Atte, dont VTP avait l'usage cet été, redescendait en France avec la R25.
Revenu en Finlande, Erwann se trouvait à l'aise dans cet "encore lui-même" qu'était le style aymraldien obtenu un an après "Erwann 2", à quelques petits rééquibrages près, ce qui était bien suffisant pour jouer du viking ou du médiéval sans avoir à revenir aux excès rolvardiens et surtout valériens de la "HF". En revoyant Sartilvar (puis Tarsilvar) en japonais, il s'était étonné d'avoir été jusqu'à si long: seul la présence de plusieurs garçons en ayant au moins autant, chez BFRSF (dont Leo et Mika, personnages parmi les plus connus localement) avait pu lui faire sembler "normal" de jouer si longtemps les prolongations à la demande de VTP. Il ne comptait pas y revenir: Rolvar, peut-être, mais s'ils voulaient du Valériac ils n'auraient qu'à tricher.
Il pensa à cela en rencontrant Leo au lac: lui aussi avait coupé l'excédent, en gardant ce qu'il fallait pour jouer dans "Drakkars et dragons", devinait Stéphane: Leo y serait probablement. Etait-ce la fin de la mode locale du "vraiment très long" (encouragée par la série "Noitakeinot", chez ceux qui étaient déjà bien partis pour ça), après qu'elle eût d'abord été abandonnée par les filles? Celles-ci étaient souvent passées de cela à moyen-court, voire très court, au printemps: souhait d'utiliser la piscine chaude sans bonnet? L'été, le lac concurrençait agréablement la piscine "fraîche", tandis que certaines et certains (ne nageant pas assez énergiquement pour se réchauffer?) lui préféraient la chaude.
Tout en s'équipant (sans se presser) Leo fit la conversation au sujet du Lioubioutchaï 3 et du saumon artificiel, mis en production par Stéphane dans divers goûts et textures (surtout le "salé main tranché main") sous la marque "Saumonix" (partout) et "Lohix" ici, le saumon se disant "lohi" en finnois. Puis il distança Stéphane dans le lac: Leo était équipé comme lui et avait continué à bien s'entraîner en juin, supposa-t-il, en plus d'une définition générale intrinsèquement plus puissante que la sienne, et pas uniquement par la différence de taille: celle-ci avait un peu diminué. Stéphane avait deviné depuis longtemps que Leo (hypothèse) préférait se comparer à lui, au bord du lac, qu'à Kare ou Nikolaï qui étaient de sa catégorie: Leo était un "Karéen". Se comparer à un "Attéen" plutôt qu'à un Karéen supposait un manque de confiance en lui dans sa propre catégorie. Il semblait effectivement un peu plus léger que les deux autres, mais uniquement par rapport à eux. Stéphane, lui, ne faisait pas de complexe corporel: seul Mika aurait pu lui en donner un peu (mais ça restait en famille, désormais, donc peu importait) puisqu'il était lui aussi un "Attéen". Atte, qui mangeait un peu trop, buvait (parfois) beaucoup trop et faisait un peu trop la fête en France ou chez VTPSF manquait de ce fait de discipline abdominale, quand on le voyait en tenue de bain. Ce n'était pas un "Alcestien", mais s'il continuait ainsi, le risque existait. Leo pouvait aussi (supposait Stéphane) raisonner ainsi: "si lui, il est considéré comme valable pour quantité de rôles héroïques et esthétiques, pourquoi pas moi?". Toutefois Leo n'avait jamais abordé le sujet du cinéma, pas même via les techniques de tournage.
Ce fut Timo qui sortit de l'eau et le rejoignit sur son ponton, pendant qu'il se sèchait après la baignade:
T- alors, après des mois de piscine, enfin le retour au lac?
Stéphane était allé à la piscine géothermique (souvent avec Mika, parfois Timo, ou seul) jusque fin mai.
S- le paysage est plus beau, mais en milieu de journée la piscine évite le soleil direct.
Des stores automatiques le filtraient, sous la verrière survolant tout le bassin.
T- c'est vrai, mais ici l'été est si bref que tant de gens veulent en profiter sans retenue. Comme en Suède.
Stéphane se souvenait de l'étalage de steaks en plein cagnard sur la plage de Rolbaka.
S- elles vieilliront mal.
T- possible, d'autant plus que la couche d'ozone est encore plus fine que du temps de leurs mères. Cet accessoire est-il indispensable même en l'absence de vent froid?
Il montrait la "cloche" utilisée par Stéphane pour se changer, comme d'habitude.
S- ça libère les mains.
Il avait évité de regarder Timo avant d'être sûr qu'il fût changé, sachant qu'ici la "non-rupture d'intimité" n'était pas une préoccupation répandue: certains (et certaines) se baignaient nus (dans l'eau, il pouvait encore comprendre...), et sortaient ainsi sur les pontons.
T- et puis ça évite le cancer! Vous avez toujours des raisons très sérieuses de rester couverts, dans les pays latins: le naturisme cause des mélanomes mal placés, "c'est prouvé scientifiquement", et le sauna des crises cardiaques, comme l'attestent vos cardiologues. Ce qui est curieux, c'est que plus on va vers des climats chauds, plus les femmes se couvrent, y compris le visage dans les pays musulmans.
S- il y a eu des infarctus, dans le sauna de l'usine, et pourtant ils étaient finlandais.
T- ce n'est pas sans risque, c'est vrai, mais plonger dans le lac non plus: il y a des cas d'hydrocution.
S- quant au naturisme, il n'y a qu'à voir jusqu'où tombent les seins des femmes des tribus africaines pour deviner ce qui va arriver aux Suédoises et aux Finlandaises si elles continuent de les exposer ainsi.
T- si elles ne les exposaient pas, l'éthnie se serait peut-être éteinte. Tu as pu remarquer qu'ici les gens ne se parlent pas aussi spontanément que chez vous.
S- le temps de réfléchir aux mutations radicalaires lors des déclinaisons vous en dissuade.
Phrase qu'il avait déjà eu l'occasion d'utiliser avec Nelli ou Atte.
T- même les étrangers finissent par acquérir assez de tournures toutes faites pour ne plus avoir à y réfléchir.
S- après trente ans de vie ici, peut-être. Le problème pour un étranger, c'est la rareté et la concision des interlocuteurs finnophones: on progresse bien plus vite au contact de peuples bavards.
Une phrase qu'il avait déjà dite dans une interview, donc qu'il put sortir d'un seul tenant sans hésiter sur les déclinaisons.
Stéphane était réhabillé et finissait de ranger ses affaires.
L'autre grand film en cours de tournage chez VTP cet été était "Traction", un n-ième film sur le gang du même nom, mais avec beaucoup moins de "conversations passives" et beaucoup plus de scènes d'action. Le mélange de réel et de virtuel permettait de casser sans soucis quantités de voitures des années 30, en particulier les Renault "Vivasix" de police, puissantes mais incapables de prendre les mêmes virages, même par temps sec. La police finissait par être dotée à son tour de Tractions. Quelques copies de divers modèles avaient été réellement construites par les équipes de tôlerie de VTP22 (celles ayant fait les armures et toutes sortes de façonnages métalliques pour d'autres films, ainsi que des ailes, capots et portes de rechange pour certaines scènes de "Christine"), en ne copiant en métal que ce qui serait cabossé lors d'une poursuite, tout le reste pouvant être moulé en plastique plus rapidement. Certaines parties étaient simulées en infographie, pour ne pas avoir à tout construire. Certaines scènes étaient tournées avec des périscopes permettant de ne mettre que les objectifs au ras du sol, les caméras numériques haute définition étant à l'abri sous le capot, dans ces répliques mûes par des moteurs électriques qui laissaient beaucoup de place. Pour les voitures à transmission arrière, ces moteurs étaient directement dans le coffre, ce qui laissait encore plus de place sous le capot, quitte à resynthétiser un dessous crédible en cas de tonneaux avec une imitation réelle, de façon à pouvoir écraser des buissons ou défoncer quelque chose sur son passage. Beaucoup de tirs frappant la tête, comme d'habitude chez VTP, pour bien montrer que l'on ne se contentait pas de poches de sang télécommandées dans l'épaisseur des vêtements. Le film n'utilisait aucun acteur étranger et on y retrouvait certains de ceux de l'Odyssée, parmi ceux servant dans nombre de téléfilms et séries. On avait droit (comme espéré) à quelques scéances de mécanique, avec la sortie du groupe moteur-boite complet d'une "11" d'entre les "jambonneaux" de la structure (ce qui rappelait une scène de la restauration de la SM au début de Christine) après la dépose des ailes, du capot et du radiateur, opération filmée pendant une discussion entre gangsters: le principe chez VTP était que si à un moment on parlait sans action, il fallait en profiter pour montrer quelque chose intéressant plus l'oeil du spectateur que les personnages en train de parler, qui n'étaient que brièvement revisités par les caméras ou vu en arrière-plan de ce qui animait l'image. De cette façon il n'y avait jamais de "minutes mortes", même quand il n'y avait pas d'action proprement dite et qu'un dialogue était nécessaire. Ceci augmentait encore la différence avec les "sitcoms", bien que recyclant des acteurs qui y avaient souvent été vus. Les scénaristes de VTP avaient regardé les films déjà faits et repéré tous leurs défauts (du point de vue supposé d'un spectateur de film de VTP de l'an 2000): "cette scène ne serat à rien: on s'ennuie", "là, on ne voit pas assez bien les voitures", "dans cette scène, ils ont mis plein de feu pour ne pas bien nous montrer l'accident", etc. Le réalisme technique imposait que seules les voitures ayant leur réservoir positionné "en charge" (pour économiser une pompe) sur le tablier (ce qui était encore fréquent, par exemple les Peugeot 201...601) ne prissent feu en cas de choc avant: dans ce cas, si le choc était assez fort pour tordre les châssis et faire reculer le moteur, celui-ci pouvait éventrer le réservoir, déversant l'essence sur les sorties d'échappement brûlantes. Toutefois ça n'explosait pas, dans ce film: ça brûlait.
L'absence de sécurité passive interne (pour la Traction comme pour les autres) était bien prise en compte: sans ceinture, on ne sortait pas indemne d'un choc frontal même quand il semblait avoir peu endommagé la voiture: le volant cassait des côtes du corps projeté contre lui, ou écrasait des organes vitaux.
Vu la quantité de détails et décors urbains (même si certaines poursuites en sortaient) à construire pour de vrai ou par ordinateur, ce film revenait en fait plus cher à VTP que l'Odyssée, contrairement à ce que penserait le spectateur. Cela devrait donc resservir dans d'autres tournages: l'épopée de l'Aéropostale était un sujet rendant bien sur grand écran et en stéréoscopie mais VTP n'était pas encore prêt à le tourner.
Pendant ce temps, le chantier naval construisait les navires vénètes, galères et drakkars pour les prochains grands films: il y en aurait de réels et de virtuels, comme d'habitude. Les navires seraient câblotractés sous l'eau, pour permettre des trajectoires précises, en particulier pour les abordages: trop difficiles à viser (même avec un moteur) sans ce guidage, sauf sur une mer d'huile, ce qui ne serait pas le cas dans le film. En tirant un câble sous le navire éperonné, et guidé par une encoche qui en servait solidaire, l'éperonneur frapperait juste à l'endroit prévu, dont le bordé et deux des couples seraient conçus pour se rompre en opposant juste la résistance souhaitée, le reste pouvant être construit autrement et pas nécessairement en bois, pour gagner du temps dans la préparation.
#### l'aventure finnoise [] Mars, Troglodia
BFR avait ressegmenté la fonction de directeur en direction des relations publiques (à recruter dedans ou dehors), direction du personnel, tandis que la direction technique était depuis Rennes, comme d'habitude, agissant sur le "collège" de sous-directeurs techniques: Ville, Leo, Olli, Saku, Nikolai, Stéphane (Audry en profitant pour partir en vacances en Suède. Un peu tard, mais c'était mieux que rien), Viivi (remplaçante), Niko (remplaçant aussi: Kjell était venu en renfort d'Oskari en Allemagne après le départ d'Aymrald, une fois sa tâche accomplie en Irlande) et Mika était à l'électrotechnique interne de l'usine.
BFR avait trouvé un sexagénaire (62 ans) pour faire les relations publiques: Otso Salmelin. Un peu gros mais pas ventripotent, grand (1m90), sérieux, anonymement froid mais pas glaçant (il pouvait sourire et parler plus que le "strictement nécessaire"), il venait de l'industrie de la pâte à papier où il avait été remplacé par un plus jeune recruté parmi les "devenus disponibles" des industries de hautes technologies. C'était un consommateur fidèle et assidu de produits BFR, donc il n'allait pas avoir à se forcer pour en dire du bien aux clients ou aux journalistes. Il parlait allemand mais pas français: BFR le piloterait en allemand. Ce gars avait l'air capable pour les relations publiques, donc on n'allait pas être trop exigeant linguisitiquement. Il avait passé un examen médical pour dépister des problèmes cardiovasculaires éventuels, vu ce qui était arrivé à plusieurs de ses prédécesseurs. BFR estimait que pour les relations publiques, choisir quelqu'un de moins de 40 ans était une erreur: ça ne rassurait pas. Les jeunes dirigeants de la "nouvelle économie" étaient désormais synonymes d'irréalisme économique et de faillites spectaculaires. Chez BFR, les jeunes, c'était pour les fonctions internes. Quelqu'un d'anonymement âgé comme Salmelin rassurerait. BFR n'avait pas envisagé de mettre Stéphane à ce poste, contrairement à ce que l'on avait supposé parfois ici. Pas question de nommer non plus quelqu'un d'osseux: il fallait un peu de bonhommie. Runhäll avait été une erreur totale, Vilokkinen n'était pas l'idéal non plus.
Le directeur du personnel (auprès duquel les sous-directeurs techniques se procureraient des compléments d'équipes en cas de besoin) venait d'une société de restauration collective déjà cliente de BFRSF tout en préparant les autres plats elle-même et qui avait subi une perte de clientelle importante, les entreprises qu'elle fournissait étant surtout des secteurs concurrencés par la haute technologie russe. Eemil Töllinen, 45 ans, était plus petit (1m84) et plus gros que Salmelin, sans avoir autant de ventre que Paakkinen: c'était mieux réparti. Visage rond aux bonnes joues, nez discret, lunettes protégeant de petits yeux d'une couleur indiscernable à moins d'être pile en face (probablement bleus: la couleur la plus répandue ici), coiffure un peu moins cache-lunettes que "Saku 1" (et en moins épais), grande bouche d'enzyme glouton. Plutôt que directeur du personnel, il aurait préféré être goûteur au contrôle de qualité, dans une telle usine, mais cette place n'était pas disponible.
Eemil avait beaucoup perdu en Bourse, pendant l'effondrement des valeurs informatiques puis télécom et avait (avant cela) emprunté beaucoup pour acheter une maison près de Turku (bord de mer mais à distance suffisante du port), ville où il travaillait antérieurement. S'il avait vendu à temps ses actions il aurait pu éviter la moitié de l'emprunt, mais l'euphorie boursière était telle qu'il avait estimé qu'il perdrait plus à retirer ses placements que ne lui coûtait les intérêts de l'emprunt immobilier au point que la Bourse avait l'air de lui promettre de payer le crédit de la maison toute seule, ce qui n'aurait pas été le cas avec la mise initiale et l'était encore moins avec ce qui en restait maintenant. Il venait donc de là en train tous les jours, via Tempere, ce qui lui donnait le temps de mieux apprendre les rôles de chaque membre du personnel et aussi commencer à apprendre le français avec une méthode sur fichiers mpg3 tournant à bord d'un Lioubioutchaï 2B (avec oreillette et poignée-clavier en option, celle-ci pour remplir les exercices). Il ne savait pas si sa mission chez BFRSF durerait assez longtemps pour lui permettre d'atteindre un niveau le rendant apte à communiquer avec Rennes dans cette langue, mais c'était un moyen comme un autre d'occuper le temps de transport.
Stéphane vit un changement radical sur Elina Alatuppa 29 ans, 1m75, Finlandaise "synthétique" de grande série (à part des lèvres plus pulpeuses que la moyenne locale), longs cheveux nattés. Elle était chimiste et arômaticienne, donc travaillait avec lui et Mika (après avoir travaillé avec Audry en juin et début juillet) sur les projets de "chairs artificielles". Ce qu'il fallait changer dans sa fiche de trombinoscope, c'était "longs cheveux nattés": il restait un petit tapis de plumes, doux et non dru (ce n'était tout de même pas une brosse) qui ne dépassait qu'un peu de la ligne du front et vers les oreilles, sans faire "nettement dégagé": du très court féminin. Il avait remarqué que les coupes courtes feuilletées étaient typiquement féminines, surtout quand elles ne s'accompagnaient pas d'un effet net et sculpté. Elle ne lui semblait pas "dépouillée" ainsi, grâce à un physique simple et sans fragilité, mais c'était étonnant. Il se demanda si ses tresses jusqu'aux coudes avaient dissimulé une matière capillaire abîmée par trop d'années de chocs thermiques, d'après ce que lui avait raconté Sophie chez VTP22. Il vit que Nikolaï aussi avait changé de coiffure: une tonte au centimètre. Nelli lui dit qu'en juin c'était à zéro, parce qu'il avait joué dans Lobosibirsk. Stéphane lui dit de ne pas en dire plus, mais juste le numéro de l'épisode, qu'il alla voir en fin de journée chez VTPSF. Nikolaï y jouait (tel qu'il était jusqu'alors) un avant-centre du Spartak de Moscou ayant tiré un pénalty sans ballon dans l'entrejambes d'un arbitre après avoir mis un coup de boule cassant le nez d'un joueur du Dynamo de Kiev. Après divers tests et examens on devait lui ouvrir le crâne et tester une à une des zones pouvant poser problème, avant de décider d'en retirer deux et de refermer, ceci étant une des péripéties de l'épisode. Nikolaï n'aurait probablement pas fait une boule à zéro rien que pour jouer là-dedans: c'était le prétexte (supposait Stéphane) à une envie de changement total. Toutefois, on le revoyait ensuite (avec ses points de suture encore visibles) comme aide soignant musclé dans d'autres épisodes, car lors des essais au football il avait du mal à mémoriser quel était le bon but et marquait une fois sur deux contre son camp. C'était donc qu'il avait pris goût à devenir un personnage de série. Celle-ci connaissait un grand succès dans le monde entier, Russie incluse: après tout, c'était du système soviétique et non de l'actuel qu'elle se moquait.
Ce succès dépassait celui des autres séries de VTPSF et de VTP: "Lobosibirsk" était devenu une "série culte" dans plus de trente pays, VTPSF réussissant pour le moment à ne pas tourner en rond côtés scénarii: toute situation de la vie réelle (ou presque) pouvait conduire quelqu'un à "pêter les plombs" et à se retrouver confié au Pr Tépanaïev ou à un de ses collègues, sans oublier tous ceux qui s'y retrouvaient sur dénonciation (éventuellement calmonieuse) d'activités subversives et servaient aux nouveaux praticiens à s'entraîner avant de traiter des gens que l'on ne souhaitait pas transformer en légumes, même si "ne pas souhaiter" n'était pas toujours suffisant.
Le 14 juillet 2000 (ça avait été calculé pour) le vaisseau interplanétaire franco-russe Zakouski se posa sur Mars, avec à son bord le premier cosmonaute à atteindre cette planète. Henri Bertillon était un géologue de 51 ans qui avait été coupé en deux en mars 1997 lors d'un accident d'avion. Comme le personnage de "Freak" il n'avait plus grand chose en dessous de la cage thoracique et dépendait depuis des machines qui le nourrissaient et épuraient son sang.
Les projets américains supposaient en général un équipage de six personnes, donc lesté de toute l'hôtelerie nécessaire à leur survie pendant un an et demi aller, un an et demi retour et le séjour sur place, nécessitant d'embarquer tout le carburant nécessaire au retour. Un monstre, trop cher et trop incertain même pour les Etats-Unis de 1998. Les lois françaises ayant changé il était tout à fait légal d'envoyer quelqu'un sans prévoir de retour, pourvu qu'il fût volontaire. Ceci divisait déjà par plus de trois la masse et le carburant nécessaire. De plus, on envoyant une moitié d'humain et non un équipage de six entiers: douze fois moins de matière humaine à nourrir, abreuver et épurer (24 fois moins en tenant compte du retour).
Enfin pour Bertillon, être dépendant de machines dans un vaisseau spatial puis sur Mars était plus intéressant que d'en être dépendant sur terre, alors qu'un tel voyage eût été une contrainte extrême pour un individu valide, et plus encore s'il n'était pas seul: une telle promiscuité sans possibilité d'évasion pendant si longtemps n'était pas raisonnablement envisageable, à moins de castrer et d'ovectomiser tout le monde et de les pacifier par des drogues ne les empêchant pas d'être intellectuellement actifs. Rien de tout ceci avec Bertillon, que de plus il était facile de mettre en léthargie (coma léger articificiel) pendant tout le voyage, techniques étudiées par les Russes (d'abord sur des cobayes des goulags, puis de vrais cosmonautes) depuis longtemps. Le métabolisme de Bertillon étant déjà entièrement géré par des machines, sa mise en léthargie était encore plus facile. De ce fait il consommerait peu d'oxygène et occuperait très peu de place à bord.
Il avait été réveillé (en douceur) 25 heures tous les 25 jours pour contrôles, parce qu'un sommeil artificiel trop long pouvait avoir des inconvénients pour le cerveau, estimaient les Russes à l'issue de leurs nombreuses expériences. Il n'y avait pas de candidat russe pouvant convenir: en plus d'être coupé en deux (pas de "volontaire" pour ça: ce n'était plus l'URSS...) et déjà instrumenté de partout, Bertillon était un excellent géologue, ce qui était utile pour l'exploration d'une planète. Il télécommanderait des robots qui seraient de ce fait bien plus réactifs que s'ils avaient dû se débrouiller entièrement seuls, vu le retard de transmission des ordres (et images, en retour) depuis et vers la Terre. Trois petits satellites s'étaient détachés du vaisseau et restaient en orbite haute autour de Mars, formant un triangle ne touchant pas la planète et de ce fait un moyen de retransmission vers la Terre depuis tout point de la surface. De tout petits satellites car n'ayant à gérer qu'une seule source d'information (le module d'ammarissage de Bertillon).
Le module avait été freiné par d'immense parachutes puis amorti par des ballons gonflables, comme dans le projet américain (mais en bien plus gros). Ce module était équipé de roues puis permettant de se déplacer, si l'exploration au moyen de la caspule (sorte de demi-scaphandre à roues) de sortie de Bertillon repérait des emplacements plus intéressants. Il était prévu d'explorer au fil du temps un méridien (à peu près: ça dépendrait des reliefs rencontrés) de la planète, si possible jusqu'à la calotte polaire.
Il restait aux Russes à prouver que ce n'était pas un trucage fait par un studio de cinéma: que le demi-Bertillon était bien sur place, en plus des constats d'huissier attestant de son chargement dans la capsule en haut de la rampe de lancement. Pour cela le point d'atterrissage avait été choisi pour être à portée de déplacement de ceux des robots américains, de façon à pouvoir venir être vus par eux, tout en les examinant aussi (sans perturber leur mission) pour prouver qu'ils avaient été vus sur place par Bertillon, par des détails que le grand public sur terre ne pouvait pas connaître.
A la Nasa, où l'on était déjà au courant de cette tentative (ce n'était pas un secret total. Ca n'avait juste pas été l'objet d'une communications publique officielle) on reconnût que dans ces conditions (un demi-humain sous perfusion sans prévoir de retour) la mission franco-russe était tout à fait réalisable et pas hors de prix (même pour ces pays-là): c'était nettement plus compliqué que d'envoyer juste des robots, mais pas dissuasivement plus compliqué, tout en accordant un peu plus de droit à l'erreur, sur place, car le cosmonaute pourrait y remédier en prenant des initiatives qui dépassaient l'intelligence artificielle disponible dans un robot de l'époque: Bertillon pourrait "bidouiller" en cas de nécessité. Il serait ravitaillé par les envois suivants, qui comporteraient aussi une petite fusée de retour pour la récupération d'échantillons. Le but n'était pas de le laisser mourir sur place une fois les provisions épuisées, mais d'en faire le correspondant humain sur Mars pour la préparation des prochaines expériences, ceci aussi longtemps qu'il pourrait y vivre via les ravitaillements. Il avait comme compagnie quelques petits poissons: ces animaux déjà captifs d'un aquarium convenaient bien à une mission en capsule. Le seul changement pour eux serait la diminution de la pression de l'eau, par moindre gravité martienne.
La Russie (l'URSS) avait été première à mettre un humain en orbite, les Américains premiers à en faire marcher sur la Lune, les Russes (en association avec la France: l'énorme fusée dérivée de l'ancien prototype destinée au projet de navette soviétique Bourane était partie de Kourou. Divers équipements avaient aussi été conçus et fabriqués en France) étaient les premiers à en faire rouler un sur Mars: n'ayant pas de jambes, Bertillon utilisait une mini-capsule à six roues surmontée de panneaux solaires orientables qui servaient en même temps de parasol contre les UV (intenses: pas de couche d'ozone) et les rayons cosmiques (dans la mesure du possible). Des bras de scaphandre traversant cette coque ovoïde lui permettaient de prélever des échantillons. C'était aussi une première mondiale: l'ouverture du voyage spatial à un cosmonaute lourdement handicapé.
BFR qui faisait partie des mécènes de l'expédition (dans les images prises de l'extérieur de l'atterrisseur et le montrant, on voyait les diverses marques et logos représentés dessus, comme sur une voiture de rallye ou un voilier de compétition, en veillant à ce qu'au fil des diverses séquences toutes soient vues) obtint pour VTP d'excellentes images diffusées en avant-première (avant les journeaux télévisés) dans sa tranche horaire sur l'ancienne "2" (16h-20h).
Ceci fut un sujet de conversation même en Finlande (où l'on conversait fort peu). Le réseau Lioubioutchaï 2 retransmettait (gratuitement, bien sûr) des images en différé de ce qui se passait sur Mars. Il put en parler avec Leo, qui semblait y accorder beaucoup d'intérêt, lors du buffet.
Le 14 juillet, à la fête organisée par BFR pour les villageois (un grand buffet gratuit, chaque année, avec un petit feu d'artifice) il y eût du Saumonix (non identifié comme tel, puisque sans l'emballage) et aussi du Kanardix: Stéphane, Mika et leurs collaborateurs avaient réussi à finir l'industrialisation de ce produit (commencée par Audry en juin) qui était plus compliqué, car il fallait une texture fibreuse dense, ferme et presque sèche pour la chair, une toute autre pour la peau, et la matière entre les deux. BFRSF ne produisait pas du faux canard cru pour le cuire ensuite à la chinoise, mais élaborait directement le produit prêt-à-manger, froid ou vite passé au micro-ondes, sans graisses animales, tout en en ayant la saveur, et à un prix imbattable: ça revenait plus cher à fabriquer que du faux saumon, car il y avait plusieurs parties et une densité forte de la chair, mais moins que de bonnes rilettes pur porc. Le nom commercial finnois du Kanarkix était Sorsax (sorsa: canard). Là aussi, il existait plusieurs goût et fermetés, selon les règlages de la machine: ce n'était pas un produit, mais une famille de produits que BFRSF allait maintenant produire sur ce marché haut de gamme attaqué à des prix d'alimentation ordinaire.
Une de ces séries de machines produisait aussi un délicieux rôti de canard (même procédé que pour la chair des tranches de canard laqué) vendu au prix d'un simple rôti de porc d'élevage industriel. BFR n'industrialisait pas encore de faux fromages, la différence de coût par rapport au vrai étant moins intéressante que pour les produits carnés de luxe. Le "Fouagras" avait pris l'essentiel du marché du foie gras: en particulier les "blocs" (reconstitutions à base de morceaux) ne pouvaient se vendre que moins cher que l'ersatz entier de BFR: à part écouler des brisures, ils n'avaient plus la moindre rentabilité.
"Les 21 ballons", tourné en mai, sortit le 16 juillet chez VTP et le 19 ailleurs: un grand film d'aventure technique et de dépaysement, plutôt que d'action intensive.
Dédalux sortit fin juillet: ses décors très "jeu vidéo" se prêtaient bien à une post-production rapide, ainsi que le grand nombre de petites machines tueuses qui y circulaient de diverses façons. "Aux portes du néant" sortit à la mi-août.
Audry faisait un remplacement en août dans l'usine belge, en téléassistance par Stéphane qui participait chez VTPSF à la préparation de la robotique utilisée dans "Drakkars et dragons".
BFRB avait été une des premières (un peu avant BFRIRL) à utiliser la géothermie pour précuire des conserves, des légumineuses (lentilles, pois cassés ou chiches) et de la purée de pommes de terres. Elle fabriquait entre autres les pommes dauphines et frites précuites et liophilisées pour de nombreux pays, ainsi que le mini-cuiseur à vapeur + grill pour les reconstituer. Le principe était que la vapeur réhydratait le produit tandis que le gril à infrarouges lui conservait son croustillant, qui aurait été perdu si on avait dû n'utiliser que la vapeur pour chauffer. Ces produits lyophilisés économisaient beaucoup sur les frais de transport (le poids) donc une seule usine permettait d'arroser toute l'Europe et même au delà. C'était le produit belge que BFRSF distribuait en Finlande.
Les modifications en cours étaient l'utilisation d'une matière grasse à la fois goûteuse, plus légère et restant compatible avec ce procédé: en effet, on ne pouvait pas lyophiliser l'huile, donc en réduire la quantité à illusion de goût égale permettait d'obtenir un produit plus sec, se conservant encore mieux et encore moins cher à transporter. En même temps, c'était un argument diététique, dans la limite où ce genre d'aliment pût prétendre à cette notion.
Pour ne pas perdre ses emplois au profit de la France, la Belgique avait copié le "tout TVA" ce qui avait permis de maintenir la compétitivité de sa main d'oeuvre (qui, sans cela, fût allée travailler de l'autre côté de la frontière, la délocalisation des usines juste derrière étant extrêment rentable tant pour l'employeur que l'employé, avant la réforme belge) et avait elle aussi tassé son barème d'impôts: 20% au delà d'une franchise un peu plus généreuse que 12 mois de smic français.
BFRB n'avait donc pas été délocalisée (sinon seule la centrale électrique géothermique serait restée en exploitation) d'autant moins qu'elle avait elle aussi un taux d'automatisation très élevé par rapport aux concurrents du secteur, y compris pour certaines opérations de maintenance courante.
BFR avait fait à Audry les mêmes recommandations qu'à Stéphane pour le Québec: ne jamais avoir l'air de considérer que c'était une sorte de "sous-colonie" francophone, ne jamais sourire de l'accent belge.
La Belgique évoquait la France par la langue, le système socio-fiscal (même transformation spectaculairement efficace) et l'usine elle-même, bien que la production des "fritures liophilisées" (il y avait aussi des beignets) fût une nouveauté pour Audry comme pour Stéphane qui y était "téléprésent" par ses lunettes à immersions et les caméras frontales portées par Audry dans ces scéances: BFRIRL, très "patate" elle aussi, ne produisait pas les fritures liophilisées. C'étaient des versions surgelées qui étaient produites là-bas, ainsi que des chips.
Audry retrouvait en Belgique une tâche proche de celle qu'il avait eu initialement chez BFR, après le départ en Finlande de Stéphane: faire des tests d'étalonnage de l'autocorrélateur à réseaux neuronaux pour établir le meilleur compromis entre le coût, le goût et la lyophilisabilité des divers composants essayés au cours de ces travaux. En même temps il eût à faire des adaptations du système informatique "à la BFRSF" et de la production du "Mistral volant", le nouveau gâteau à l'anis. Il devait rôder du personnel sur place à ces nouvelles méthodes pour pouvoir continuer et y trouva quelqu'un pouvant jouer le rôle d'Arvi (tout en ne lui ressemblant pas du tout) dans la mise en trois systèmes différents de l'informatique.
Les trois tournages de septembre (chez VTP22) auxquels participa Erwann furent "Troglodia", "Les giboyeuses" et "César et les Vénètes": deux films de SF et un d'antiquité romancée. Trois "gros machins", par rapport à des films plus faciles à réaliser comme "Dédalux".
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Dans "Troglodia", on retrouvait une idée (mais juste l'idée, pas le scénario) rappelant "Pellucidar" (habiter la face interne de la croûte terrestre, vide avec un mini-soleil central) sauf que cela se passait dans (et non sur) une autre planète. A l'extérieur, une jungle hostile bombardée de rayons cosmiques, auxquels certaines plantes et insectes s'était habitués, mais aucun mamifère, poisson, reptile ni oiseau. L'ambiance évoquait "la planète interdite", film que Tarsini avait beaucoup aimé, avec le monstre invisible déformant le métal de ses pas puis faisant fondre le blindage de la station. L'histoire était différente, mais l'ambiance y était, dans cette partie du film avant de découvrir (en descendant dans l'ancienne machinerie) que le vrai monde était sur l'autre face de la coque de la planète, avec des forêts de cristaux, des machines, des mutants, et même des océans. L'explication était la présence d'un noyau de matière à gravité inverse, au centre: "la gravité fonctionne à l'inverse des aimants et de l'électricité: ce qui est de même signe s'attire, ce qui est de signe opposé se repousse. C'est d'ailleurs pour ça que normalement ça ne se mélange pas et que l'on n'en rencontre presque jamais. On pense que ce noyau très dense à percuté cette planète quand elle était encore en fusion et a repoussé sa croûte vers l'extérieur comme on gonfle un ballon. Elle s'est solidifée ainsi, poussée vers l'extérieur par dedans et vers l'intérieur par son propre poids. La lune noire ne peut pas en sortir, à moins qu'un jour une autre planète ne percute la coque de la nôtre".
Il n'y avait pas de "soleil central": la lumière était fournie par des centrales électriques, assez rares, car il y avait peu de cuivre et peu de fer, dans cette planète, comme si son noyau de métaux lourds avait été expulsé par le corps répulsif lors de sa pénétration dans le "manteau". On ne pouvait donc pas construire autant d'usines marémotrices que cela eût été possible. La "coque" mettait environ six jours terrestres à faire un tour complet, alors que le noyau répulsif, de forme élipsoïde, faisait un tour toutes les quatre heures terrestes. Sa forme induisisait une variation cyclique (deux fois par tour) de gravité tout autour, surtout vers l'équateur, provoquant des marées dans les mers des deux faces. C'était la seule source d'énergie disponible à l'extérieur, où il n'y avait aucun combustible (contrairement à l'extérieur où le bois abondait et poussait assez vite) et aucune photosynthèse. Toutefois, il existait des algues unicellulaires commestibles dans certaines mers (récupérées par filtrage), laissant supposer qu'il existait au fond une source d'énergie biochimique. Toutefois, cette planète semblait dépourvue de tout volcanisme donc ça ne pouvait pas être des sources biothermales. Le matériau "civilisé" le plus facile à produire était le verre, à partir de la silice (omniprésente), en sortant en surface, de nuit (76 heures terrestres) sous des surplombs rocheux, pour se protéger des radiations. Il était possible d'y faire du feu et donc de fondre du verre, voire faire un peu de métallurgie avec des hauts-fourneaux simplifiés fonctionnant au charbon de bois, ou au "four à puddler" procédé ancien permettant d'obtenir un fer plus doux convenant à la fabrication de tôles magnétiques de générateurs. L'aluminium (obtenu ensuite par électrométallurgie de la bauxite, très abondante) ne pouvait pas servir à cela. Par contre les habitants en faisaient des aubages de turbines hydrauliques et des armures pour se protéger des radiations lors des sorties en surface par de longs puits pourvus d'ascenseurs se rencontrant à mi-épaisseur, là où la gravité s'annulait (d'où l'équilibre de la croûte).
La source d'énergie biochimique des mers intérieures (il y avait 20% de surface d'eau, environ, de chaque côté, et non 70% comme sur terre) était-elle une communication avec les mers extérieures? Des trous dans la croûte? "Non: si de tels trous avaient existé, l'érosion dûe aux marées aurait fait tomber au fond, dans la zone de gravité nulle, tout ce qui serait plus dense que l'eau donc le trou serait obturé depuis longtemps, sauf peut-être pour les plus grandes mers où il resterait encore une ouverture, mais ça n'expliquerait pas la vie dans les petites mers intérieures. Il se peut qu'il y ait des trous au fond de certaines mers très profondes, mais la croûte ayant plus de mille kilomètres d'épaisseur, une mer traversante les aurait aussi donc aucune lumière ne pourrait passer par là. La solidification de la coque par absence de volcanisme pouvait conserver des trous de très grande profondeur, certes (alors que sur Terre, les fosses marines les plus profondes faisaient onze kilomètre: plus que l'Himalaya, mais insiginifiant par rapport au rayon de la planète).
Données de "Troglodia": 60 228 km de méridien (contre 40 000 pour la Terre), 1100 km d'épaisseur moyenne de la "coque", corps répulsif central de 6820 km de plus grand diamètre et de 6150 de plus petit (d'où un effet de marée en tournant), pour 5740 d'épaisseur: l'élipsoïde (approximatif) tournait autour de son plus petit axe, ce qui était l'une des deux configurations stables (et la plus stable des deux), l'autre étant de tourner autour du plus grand axe. La répulsion moindre aux pôles (et constament moindre: pas de marée) expliquait le périmètre équatorial supérieur au méridien (comme pour la Terre) sans que la vitesse de rotation (bien plus modeste) pût l'expliquer. Cette rotation lente expliquait aussi le peu d'importance de l'effet de marée stellaire (dûe à l'étoile autour de laquelle tournait Trogolodia) par rapport à la marée dûe au noyau répulsif, qui, lui, tournait vite. Cette rotation rapide expliquait aussi des marées plus faibles dans les grandes mers que dans les "moyennes-petites": effet de résonnance du balancement de la masse d'eau mieux accordé à l'impulseur dans certaines mers que dans d'autres.
Des vestiges d'une civilisation extraterrestre constituée (d'après les restes) d'êtres cartilagineux ressemblant à des "mains-crabes", comme une main détachée qui aurait eu cinq autres doigts (mais pas de pouce: tous équivalents) à la place du poignet, dont chaque gros doigt se terminait à son tour ainsi (planté dans le dos d'une petite main-crabe), ce qui faisait cent doigts, au total, au bout de dix "bras" ou "pattes". D'autant que l'on avait pu le découvrir, la conception fractale de cet être s'arrêtait là: pas d'encore plus petites mains au bout de chacun des cent doigts. Certains suggéraient que cette architecture pouvait évoquer un procédé de reproduction par bouturage: une mini-main-crabe se détachait, grossissait, formait à son tour de petites mains-crabes au bout de ses doigts pendant que l'originale repoussait. N'en ayant aucun exemplaire vivant ni n'ayant laissé plus que son empreinte cartilagineuse, on ne pouvait en dire plus.
Quelques machines étranges, la plupart hors d'usage, sauf une: une construction de cristaux faiblement luminieux de couleurs variables, formant des tranches radiales se redécoupant en fractales, et semblant tirer son énergie de la chaleur ambiante: la température était plus basse autour de cette chose de la taille d'un bâtiment de réacteur nucléaire terrestre, en échange de la lumière émise. "Ca ne produit pas assez d'énergie pour être un générateur, mais ça pourrait être une sorte d'ordinateur géant qui doit contenir le savoir-faire de ces extraterrestres qui semblaient s'être fait une vie bien plus confortable que la nôtre, ici".
- oui, mais comment s'en sert-on?
- personne n'a trouvé. Ce qui est sûr c'est que ça fonctionne: l'intensité et la couleur de la lueur de chaque élément varie selon des séquences qui ne sont ni bêtement répétitives, ni purement aléatoires. Il y a une logique, là-dedans, mais laquelle?
La question était aussi de savoir pourquoi ces extraterrestres si bien équipés et probablement intelligents avaient disparu: un virus ou un champignon qu'ils n'avaient pas pu combattre, alors qu'il ne montrait aucun intérêt pour les organisme humains? Carences alimentaires? Empoisonnement lent dû à la composition de l'atmosphère (pas idéale pour les humains, mais respirable (manque de pression et d'oxygène, comme en montage) et non toxique)? Pas de trace de violence, dans ces fouilles archéologiques: ce n'était donc pas une guerre entre deux ou plusieurs clans.
Autre mystère: étaient-ils apparus sur cette planète à partir des insectes qui vivaient dans la jungle de surface (pas d'autres animaux détectés), ou l'avaient-ils colonnisée comme l'avaient fait une dizaine de milliers d'années (terrestres) après eux les humains?
Il se passait des choses étranges, parfois, surtout en surface, et ceux qui protégeaient la machine de la convoitise d'autres groupes humains constataient alors (en recoupant les récits) qu'il y avait eu à ce moment un changement de comportement ce cet immense "orgue lumineux". La machine en était-elle la cause ou se contentait-elle de détecter et d'analyser ces phénomènes? Dans un cas comme dans l'autre, seul son étude et celle des machines et documents des extraterrestres disparus permettrait (peut-être) de le découvrir et de l'utiliser.
Les "vandales" (appelés ainsi par les "informaticiens" défendant cette découverte) voulaient la démonter pour récupérer le système générateur désentropique qu'elle était supposée contenir, mais sa structure en cristaux rendait tout démontage "propre" impossible: il faudrait casser, et si le système désentropique était réparti dans les cristaux eux-mêmes il serait détruit du même coups. Il en semblait pas y avoir de centre: celui-ci était creux, constatait-on en escaladant cette structure en tranches radiales surmontée d'un dome de verre (vers son centre) continuellement givré.
Certains humains (claustrophobes?) préféraient vivre en surface, sous des formations rocheuses les protégeant des rayons cosmiques, en sortant de nuit ceuillir de végétaux commestibles et capturer des insectes (commestibles eux aussi, et même délicieux une fois grillés). Il y avait du bois à volonté pour faire du feu, à l'extérieur (moins d'oxygène et moins de pression, donc il était bien plus difficile à allumer, mais avec des réflecteurs de taille suffisante, en aluminium poli, apportés d'en bas, il était possible d'allumer de jour un feu qu'il suffisait d'entretenir ensuite la nuit (76 heures de chaque. La planète ne comportait pas de saisons significatives, l'inclinaison axiale n'étant que de 6° au lieu de 23 pour la Terre), au cours de laquelle il n'y avait pas à s'abriter du rayonnement stellaire pour aller chercher du bois. Du feu et des fillets étaient un moyen simple de récolter quantités d'insectes, presque tous commestibles. Les insectes de cette planète avaient huit pattes (comme nos araignées) et deux ailes: dix membres, comme les fossiles des seuls gros animaux retrouvés (ceux supposés avoir construit et utilisé les machines retrouvées, dont le mystérieux "coordinateur" encore en activité): étaient-ils issus d'une souche commune? Toutefois il y avait aussi sur Terre des êtres à dix membres, parmi les crustacés.
Les rayons cosmiques ne semblaient pas gêner ces insectes, et moins encore la végétation, luxuriante malgré (ou grâce à?) des nuits très froides. Les "mains crabes" avaient-elles aussi habité l'extérieur? Il était trop pénible (la nuit) et trop dangereux (le jour) de faire de telles recherches dans la jungle de surface. Aucun reste de ce genre n'avait été trouvé dans les grottes servant d'abri aux humains vivant "dehors". Certains retournaient "dedans" au bout d'un certain temps, d'autre pas, d'où l'échange d'informations entre les deux mondes.
Dans "Troglodia", l'intérêt pour ce monde creux passait avant les personnages, qui avaient toutefois bien des choses à faire. Il y avait même du canibalisme, quand ceux de l'intérieur, lassés de ne manger que de la bouillie d'algues unicellulaires, faisaient une expédition en surface pour avoir de la viande. De la viande massive et tout de suite, sans se contenter de récolter des insectes (pourtant il y en avait bien assez pour tout le monde, Troglodia étant peu peuplée). C'étaient des humains d'en haut qu'ils mangeaient alors. On ne découvrait ça que dans la dernière heure du film. Erwann jouait Milan, un personnage d'en haut (ceuilleur insectivore, mais pas totalement primitif pour autant: juste une vie simple) découvrant le monde intérieur, qu'il ne connaissait pas, en descendant avec ceux qui gardaient le "coordinateur", puis participait à la résistance à une attaque par "les autres", qui tentaient de submerger la clôture électrique en nombre pour y pénétrer. Il découvrait peu à peu le monde intérieur, participant à d'autres aventures (mais pas en héros déterminé sabrant bras et têtes sur son passage comme l'eût fait Sigbert: Milan n'avait pas un tel entraînement, dans son mode de vie initial) dont le "film catastrophe planétaire" que cette histoire devenait lors de la traversée de la coque par un énorme astéroïde. Enorme, c'était relatif: assez gros pour la défoncer, vu sa vitesse d'impact, mais tout de même petit par rapport au noyau antigravitationnel interne.
Troglodia se basait sur l'idée que puisqu'il y avait de la matière à gravité réduite, pourquoi pas de la matière à gravité négative vis-à-vis de la nôtre? La gravité était la seule des forces fondamentales connues à ne pas être basée sur l'attraction de choses à polarités ou signes opposés. Puisque le même s'attirait, en gravité, on pouvait supposer que l'opposé se repoussait. L'idée de gravité négative avait déjà été évoquée par certains cosmologues (avant même la chute de la "relativité générale") pour rendre compte de la masse manquante: une force négative dûe à ce qui était entre les galaxies pouvait (éventuellement) l'expliquer.
L'absence d'éclairage général dans Troglodia donnait son côté mystérieux à la face interne de la planète (éclairage artificiel uniquement, et plutôt rare: rareté du cuivre et du fer donc peu de générateurs, malgré l'énergie marémotrice disponible aux bords des mers intérieures) tout en faisant faire de grosses économies de puissance infographique à VTP. En effet, à l'intérieur, il n'y avait pas d'effet de limitation de la vue par la courbure de l'horizon, puisque le sol était globalement concave (il y avait des reliefs montagneux, mais modestes à l'échelle de l'ensemble) donc il y aurait eu du paysage à perte de vue, remontant (au lieu de descendre "sous" l'horizon) quand on s'en éloignait, y compris dans le ciel, à part l'énorme masse noir mat du noyau répulsif central empêchant une vision "intrasphérique" totale. Ne pas voir trop loin, et uniquement les zones (modestement) éclairées s'avérait très rentable, tout en contribuant à l'ambiance du film. Dehors, la jungle à perte de vue, découpée de mers (et non d'océans: il n'y avait pas continuité aquatique, mais continuité du "plancher de vaches" autour de vastes mers), il faisait jour, donc tout le film ne se déroulait pas dans la presque nuit intérieure. Le coordinateur était en fait une création fractale (y compris la répartition fluctuante de ses variations chromatiques et d'intensités lumineuses) issue d'un petit logiciel générateur d'objets décoratifs virtuels, création qui avait inspiré son utilisation dans le film.
VTP estimait que Troglodia, planète creuse habitée de l'intérieur (idée reprise de Pellucidar sauf que ce n'était pas la Terre et que l'explication scientifique était différente) attirerait, entre autres, le public de "Voyage au centre de la Terre", tout en se déroulant aussi en surfaces (interne et externe): un grand film d'aventures dans son propre contexte.
Il n'y avait pas d'architecture dans "les giboyeuses": juste des structures rocheuses avec une végétation éparse, semi-désertique, et des machines prédatrices. La giboyeuse était l'un des modèles de machines à viande du film, la "giboyeuse à chaînes libres", aéroglissant sur les sols et les plans d'eau grâce à un moteur à cinq cylindres en étoiles couché dans sa structure pentagonale, de 1m50 de diamètre pour 2m40 de haut (posée au sol). De longues chaînes de tronçonneuses (en plus épais) jaillissait de la structure, tournoyant et s'enroulant autour des proies comme des lassos, attirant vers la machine la proie complète ou le morceau ainsi découpé. Autre machine à viande, la moignoneuse, sorte de vampire-hélicoptère à pales molles, avec un sac à viande ventral se gonfrant du broyat d'un bras (plus rarement une jambe) jusqu'au tronc, quand elles se jetaient sur les gens. Plus tard dans le film, d'autres types de machines (provenant d'une autre région) renouvelleraient la collection.
Le procédé vidéo restituait la vision cylindrique des giboyeuses (tout autour), avec la stéréoscopie, ce qui était un problème géométriquement difficile: la stéréoscopie privilégiait une direction de visée, alors qu'en vision cylindrique il fallait n'en privilégier aucune, chaque direction étant en fait "droit devant". Ca revenait à faire légèrement spiraler le décor dans une direction ou l'autre en fonction de l'inverse de la distance. C'était facile si le décor était conçu par inforgraphie, car alors le logiciel savait exactement à quel distance était chaque chose et leur appliquer la transformation géométrique adéquate. A partir de prises de vues réelles c'était bien plus compliqué. En fait tout le décor utilisé pour les prises de vues censées être la vision d'une giboyeuse était virtuel (d'autant plus que c'était censé être en infrarouges, donc en fausses couleurs), et s'il s'y trouvait des personnages réels, il occupaient un angle de vue assez faible (sauf si tout près) pour pouvoir être inséré sous forme d'un film stéréoscopique cylindrifié pour incrustation dans le "bitmap" (avec table de profondeurs) déjà produits.
Comme le déroulé de la vision cylindrique donnait un format très large, cette vision était donnée en deux versions: la "brute" (quoiqu'en fausses couleurs infrarouges) et l'analysée, où l'on voyait comment la machine repérait et "réfléchissait": il n'y avait aucun nombre affiché (car pourquoi afficher des nombres sur un écran? La machine les "savait" directement, sans repasser par une version écrite) mais les traitements numériques appliqués aux images pour isoler et classifier son contenu. Sans indications écrites. De plus, cette "pensée" purement visuelle évitait de laisser deviner qui avait construit ces machines: des humains (mais de quel pays?), des extraterrestres, où avaient-elle débarqué sans êtres biologiques, pour conquérir la planète, se réparant et répliquant par leurs propres moyens, installant des ateliers automatiques souterrains, etc. Les six giboyeuses construites au printemps par l'équipe fonctionnairent correctement, une fois le problème de l'équilibre par sustentation par hélice dessous résolu, grâce à une série de volets déflecteurs informatisés. Il n'y avait pas de moyen technique de faire circuler horizontalement dans l'air, sans support, de la chaîne de tronçonneuse, donc c'était du virtuel, sauf quand on voyait de près une chaîne happer quelqu'un (c'était alors une vraie, autour d'un mannequin déchirable).
On ne voyait pas longtemps les machines, on les entendait (il s'agissaient de moteurs à explosion, qu'ils soupçonnaient de fonctionner à l'huile de graisse humaine fondue ou quelque chose de ce genre, sinon que feraient les machines de toute cette viande? Ce n'était pas que pour le fer du sang), on les entrevoyait, les attaques étant très rapides, sauvages, goulues. Les humains parvenaient parfois à endommager voire détruire des machines, au moyen d'armes rudimentaires réalisées à partir de pièces de machines antérieurement détruites. Il était impossible de réutiliser les moteurs, car quand une machine était prise ou trop endommagé, son moteur montait en régime dans un hurlement aigu et rageur jusqu'à chauffer au rouge et exploser, projetant des fragments de cylindres incandescents pouvant blesser ceux qui s'en seraient approchés.
Les humains n'hésitaient pas à manger la viande (d'autres humains) stockée dans les giboyeuses ou sous les moignoneuses, quand ils pouvaient s'en emparer, par exemple en déchirant le sac ventral d'une moignoneuse avec une gaffe avant qu'elle se s'envole (allourdie, elle prenait moins vite de l'altitude).
Les groupes humains n'étaient pas solidaires entre eux, mais concurrents: pour la nourriture, les armes, et les abris inaccessibles aux machines (par exemple grotte fermée par un gros rocher roulants). Il y avait beaucoup de traîtrise, et jamais d'entraide désintéressée: s'il se posait la question, le spectateur pouvait supposer que par sélection dans de telles conditions, tout individu à comportement illogique et ne privilégiant pas son instinct de conservation avait été éliminé depuis longtemps. Plus tard dans le film, lors d'une fuite dans des montagnes, apparaissait un troisième modèle de machine à viande ressemblant à une araignée métallique dont quatre pattes étaient terminées par des roulettes crantées, quatre autres par des pinces, cette machine étant doué pour l'escalade et pouvait déplacer des obstacles. Il y avait aussi l'équivalent mécanique du fourmillion, sorte de moulinette attendant ses proies au fond d'un grand cône d'éboulement et jetant des pierres sur ceux qui tentaient de remonter aux parois (ce qui était déjà difficile, pusique ça s'éboulait).
Moignons et prothèses (faites de pièces de machines et de bois quand on en manquait) sur beaucoup de personnages, dans la plupart des tribus: un point commun avec les villageois dans "Sartilvar", ayant perdu une jambe (voire deux) dans la gueue d'une taupe happeuse. Installations souterraines (découvertes tard) séparant, retraitant, distillant et raffinant la chair des proies des machines, installations entretenues et étendues par d'autres machines que celles "de chasse".
L'un des points forts visuels était la vision par les machines, avec la réussite de la stéréocopie cylindrique (360°) pour les giboyeuses et facétisée pour les moignoneuses. Le rôle d'Erwann (vêtu de récupération de bouts de textiles et de métal, comme bien d'autres) y durait plus longtemps que dans "Les dents de la nuit": il parcourait 80% du film, tout en n'étant pas plus souvent à l'image que dans "Drakkars et dragons". Torbjörn et Emiliano étaient happés et hachés menu comme chair à pâté bien plus tôt. Il y avait beaucoup d'acrobaties, de combats suivis d'une retraite précipitée après avoir ramassé quelques pièces de ferraille pour fabriquer des armes, des pièges ou des prothèses et parfois été blessé (mais pas au point de devoir remplacer un membre par de la ferraille). Il était trahi par Zemac, l'un des membres de son clan qui coupait (à l'insu des autres) la corde où il montait pour le livrer à l'araignée de montagne et faire ainsi gagner du temps au groupe tout en évitant, lui, d'être celui de trop. Les autres considérations étaient des luxes que les survivants ne pouvaient plus s'offrir sous peine de ne pas être des survivants, comme la brièveté à l'écran de ce qui arrivait à Végan (le personnage d'Erwann): pas le temps de s'y attarder, il y avait bien plus urgent à filmer. On voyait juste qu'il avait bien été déchiquetté, pour éviter "oui mais en fait il n'était pas mort".

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