vendredi 10 avril 2009

chapitre N-34

Le tournage chez VTP ne fut pas plus difficile que l'entraînement final (sans lunettes virtuelles) et celui de "La Citadelle des goules". Il était même plus facile, en raison d'une part d'interactivité de ce à quoi Erwann (puisque là, il était acteur) avait affaire, contrairement à la rigueur de l'entraînement, celle-ci visant à créer un conditionnement corporel comme sur des rails pour pouvoir ensuite se passer des "rails" visuels de l'immersion virtuelle.
Gatien, son personnage dans la "citadelle des goules", avait été joué d'une toute autre façon que Rolvar, car c'était à partir d'un autre acteur de chez VTP que la simulation numérique avait été conçue, simulation qu'Erwann imitait pour ce rôle. De ce fait Gatien y semblait plus jeune, aérien et moins assuré, voire vulnérable (surtout dans ces sous-sols où toutes sortes de créatures pouvaient lui tomber dessus d'entre les pierres parfois disjointes des voûtes) que Rolvar qui n'était pas non plus "veni vidi vici": il subirait des échecs.
Dans "les miroirs du temps" (et sa suite, tournée en même temps mais qui ne sortirait que bien plus tard), les personnages portaient des tenues et armures entre héroïc fantaisy et manga, beaucoup de métal (aluminium ou plastique métallisé en donnant l'illusion) avec des accessoires à la Druillet dont certains seraient rajoutés ensuite par infographie pour ne pas risquer de causer des blessures à leurs porteurs, lors de leurs mouvements réels. En l'examinant avant le tournage, VTP remarqua qu'il avait quelques bleus aux membres: il ne lui était pas toujours possible d'esquiver la charge d'un adversaire de 125kg, mais juste de faire en sorte de ne pas prendre le choc dans une direction pouvant endommager ses articulations ou son dos. Ce n'était pas gênant pour le film, puisqu'il ne s'y dévêtirait pas: ce garçon devait finir sa croissance avant de chercher à être un fier-à-bras, estimaient-ils. On l'utiliserait surtout pour son agilité et son élasticité, dans ce tournage, en plus d'un physique intéressant à l'image, y compris dans les scènes rapides. Tel qu'il était proportionné et assemblé, il semblait plus costaud, habillé, qu'il ne l'était réellement, or au cinéma il suffisait de sembler.
Le problème de la synthèse réaliste des paysages naturels avait été résolu malgré la puissance infographie dissuasive qu'aurait demandé la synthèse crédible feuille à feuille de vrais arbres, quand ils étaient assez près pour que l'on pût s'en rendre compte. Tarsini avait eu ce problème pour faire des visites virtuelles "n'ayant pas l'air virtuelle" de ses projets architecturaux, d'où le système "les arbres qui cachent la forêt": dans un parc appartenant à l'architecte, de grands arbres avaient été transplantés, obtenus à l'occasion de travaux d'élargissement de routes, d'extensions de constructions, etc. Par rapport aux arbres de forêts d'exploitation, ils avaient l'avantage d'avoir une répartition plus harmonieuse des branches (car moins serrés entre d'autres) et des racines non emberlificotées dans celles des voisins.
En les plantant avec un espacement suffisant, dans une prairie, il devenait possible de choisir de filmer tel ou tel arbre sous divers angles, à une certaine distance (si on évitait d'être proche de l'alignement), en toutes saisons, au cours de l'année. Les mouvements de caméras destinés à une présentation virtuelle étaient reproduits sur le terrain par un travelling robotisé, installé et déplacé automatiquement. Un "fond rouge" (plutôt que vert, s'agissant d'y découper infographiquement des végétaux) était déployé derrière l'arbre devant être filmé, de façon à permettre de l'insérer (en stéréoscopie, de plus) dans un tout autre décor.
10% de arbres avaient été plantés en container tournant, assez vaste pour tenir et nourrir les racines, mais les empêchant d'aller s'ancrer au delà de la paroi cylindrique. Un système hydraulique permettait alors de faire pivoter l'arbre et le terrain autour de lui, ce qui permettait de filmer sous tous les angles (sans être gêné par les voisins) et sous tous les éclairages.
Il suffisait d'en avoir quelques-un de chaque espèce en version tournante (ce qui permettait d'insérer un arbre isolé dans un décor architectural virtuel et simuler une promenade autour) et de concevoir la simulation de façon à ne pas avoir besoin de tous les angles de prise de vue des autres. En particulier, dans une lisière de forêt, on n'avait besoin de des vues extérieures. Les scènes tournées entièrement en forêt (par VTP) pouvaient l'être dans une vraie forêt, puisqu'alors on ne verrait pas ce qu'il y aurait au delà, ou trop mal pour s'en rendre compte. Le système de transplantation infographique d'arbres réellement filmés servait pour en placer dans des décors qui n'existaient pas.
Grâce à cette astuce (qui n'aurait pas pu être improvisée si vite: Tarsini l'utilisait depuis plus de quinze ans, d'abord pour des montages photographiques, puis en infographie puis en animation virtuelle réaliste) les paysages produits pour "Les miroirs du temps" avaient l'air vrais, bien plus qu'il n'eût été raisonnablement possible (même avec l'armada informatique d'origine AK mise à disposition de VTP par BFR et par Tarsini pour ce film) de le faire en synthèse intégrale: celle-ci servait pour toute la végétation vue de moins près, "la fausse forêt cachée par les vrai arbres". L'une des difficultés était de tenir à jour des modèles virtuels réalistes des vrais arbres du parc Tarsini, de façon à ce que la transition du réel au virtuel (quand on était trop loin pour filmer en vrai sans être gêné par une autre rangée d'arbres) ne se détectât point. Une machine à virtualiser en 3D les vrais arbres circulait donc parmi ceux-ci, les remodélisant sous tous les angles (pour construire un arbre infographique) tout en mesurant, les jours de vent, le rappel élastique des diverses parties de sa ramure. Le panachage adroit des arbres réels et virtuels était l'une des clefs de la crédibilité des décors continuellement renouvellés des "miroirs du temps": faire des structures rocheuses ou des dunes de sable était facile, en infographie faire du paysage comportant aussi de la végétation (et pas uniquement, sinon autant filmer en pleine forêt) et des cours d'eau était un défi que le cinéma américain n'avait pas encore relevé sur tout un film, vu la puissance infographique nécessaire.
Les arbres de Tarsini refaisaient bien sûr de la figuration dans de nombreux paysages différents, quitte à les filmer sous une autre trajetoire de caméras, et en tablant sur le fait que les gens n'étaient pas assez "arbronomiste" pour détecter le réemploi d'un chêne, d'un platane ou d'un tilleul n'ayant pas une architecture "remarquable" par rapport à ses congénères, quand ils ne les voyaient pas en même temps: répéter un arbre dans une prise de vue se fût remarqué, contrairement à le remployer dans une autre. Les prises de vues dans le parc Tarsini avaient été faites longtemps à l'avance en plusieurs saisons, avec les mouvements de caméras correspondant à ce qui se ferait en virtuel dans le film, par temps calme, grosse pluie, voire tempête, selon les besoins du film.
Des morceaux de vrais paysages étaient préenregistrés et réutilisés par la même technique: mouvements de caméras réels correspondant à ceux des scènes semi-virtuelles du film.
VTP et Tarsini voulait un film de cinéma, dans lequel le public fasse "hhhaaa!" quand le paysage se déploirait à l'infini dans l'écran, tout en obtenant des effets de transformations impossibles dans un paysage réel, en particulier la météo. Les effets les plus gloutons en puissance de calcul seraient utilisés dans "les reflets du temps", grâce au délai bien plus long disponible d'ici sa sortie.
Outre Zhao et divers acteurs qu'il connaissait déjà chez VTP22, il y découvrit deux Noirs. Le plus grand était Manfred (adopté du Cameroum par des Allemands, d'où ce prénom), 20 ans, 1m94, sculpturalement bâti, coiffé "doriphore micro-tressé", regard presque félin bien que noir, et des traits qui supportaient la mise en stéréoscopie. Il avait été recruté initialement par VTP pour jouer dans une publicité pour de nouvelles barres au chocolat sans sucre "mais pas amères": l'expression "tablettes de chocolat" s'appliquait remarquablement aux abdominaux de ce personnage. L'autre s'appelait Donatien (transformé en "Donatio" par VTP comme prénom d'acteur), moins grand (1m81), plus doux d'allure générale, avec le même genre de traits (pour cause d'émilianométrie) et un tressage "rasta" en pluie, ce que l'infographie pouvait gérer aussi quand il faudrait le virtualiser pour certaines scènes, ne serait-ce que pour créer son ombre et pouvoir le faire se reflèter dans des miroirs, des cristaux ou des surfaces d'eau qui n'existeraient qu'en post-production.
Le film sortirait fin octobre, le temps de finir les retraitements infographiques gloutons en puissance postérieurs à l'incrustation des personnages réels. Tout ce qui pouvait être fait avant avait déjà été fait au cours de l'été. Erwann n'avait toujours pas vu le storyboard complet (sous forme de manga synthétique). Ce qu'il savait, c'était que n'avaient été tournées pour de vrai que des séquences gardées au montage. Il connaissait donc toutes ses participations réelles dans le film (beaucoup d'action, de combats, de courses d'obstacles, de cascades spectaculaires bien sans risque: beaucoup de trucages mécaniques facilitant et sécurisant le mouvement), sans savoir combien il y en aurait avec son clône virtuel.
Erwann comme les autres serait payé "en participation": sur les bénéfices "tous supports" de l'exploitation du film, comme les autres acteurs. Cela pouvait rapporter bien plus qu'un tournage VTP classique (à l'heure) si le film faisait "un carton", tout en évitant à VTP de faire des dépenses de personnages d'une rentabilité incertaine. Si le film faisait un flop, il ne toucherait pas grand chose (juste l'indemnité journalière minimale).
Zhao était bien plus connu que lui, puisqu'il faisait toujours partie du groupe "Bifidus".
Stéphane eut l'occasion d'en apprendre plus sur la composition musicale avec Alceste (des Bifidus) et parfois Adrien, qui n'était pas le compositeur de Millénium mais l'imitateur vocal. Le succès des airs de Millénium, selon eux, venait de ce que c'était composé "naturellement" (bien qu'avec beaucoup d'informatique pour chercher des motifs inédits), c'est à dire pour pouvoir être sifflé: Florian était un mélodiste et non un "harmoniste", au point qu'il n'hésitait pas à réinstaller des accords totalement différents sur la même mélodie pour lui donner une autre ambiance, sachant que c'était toujours la mélodie que le public reconnaissait, car nul ne pouvait siffler ou fredonner des accords (les oiseaux non plus, d'ailleurs). Il lui arrivait même de réinstaller une mélodie existante sur un rythme différent. Certains compositeurs privilégiaient le rythme (surtout s'ils avaient d'abord été batteurs) et y installaient ensuite une mélodie et des accords. D'autres placaient des accords et cherchaient ensuite une mélodie pouvant les parcourir, ce qui pouvait se faire par des méthodes de contrepoint (noires contre blanches, par exemple). Des logiciels savaient depuis longtemps (les années 70) pondre toutes les lignes mélodies (à condition qu'il fût théoriquement possible d'en construire) pouvant relier une série d'accords tout en respectant certaines règles, et repartait différemment de la dernière position "saine" lorsqu'ils aboutissaient à une impasse, à la façon des systèmes d'exploration de labyrinthes. Côté rythme, Millénium avait cherché à obtenir des nouveautés en explorant le cinq temps. tac-tac, tac, tac-tac, tac: 1010010100... en y réinstallant des lignes mélodiques anciennes (domaine public) ce qui suffisait (avec une ambiance "synthé planant" par dessus et moultes petites ornementations) pour obtenir quelque chose semblant nouveau, alors que ça ne l'était pas réellement. Le problème principal restait de se procurer des motifs pouvant être assemblés pour former des lignes mélodiques valables, et c'était pour cela que Florian avait mis au point un logiciel secret, appelé "surgénérateur", qui arrivait à converger vers des motifs "valables" (à l'oreille pour Florian) à partir du classement qu'il faisait des propositions précédentes. Stéphane supposa qu'il s'agissait d'une sorte d'autocorrélateur, car ça lui rappelait ce que faisait BFR, en chimie gustative, à partir des résultats des panels de dégustation, les recettes étant modifiées spontanément par la machines pour proposer une nouvelle série de dégustations tenant compte des statistiques d'appréciation gustative humaine de la série précédente. Le surgénérateur ne proposait pas des motifs inédits "nus", mais construisait des morceaux de musique "tout habillés" utilisant ce motif, pour que ça ait l'air "comme si on l'entendait pour la première fois à la radio". "Les motifs sont le vocabulaire de la musique, le rythme et les accords sa ponctuation", lui dit Alceste d'après ce qu'il avait compris de la conception musicale de Florian. Stéphane avait déjà lu des traités d'harmonie et de contrepoint: il lui aurait fallu une cinquantaine de fois son cerveau pour réussir à apprendre quelque chose d'aussi compliqué: même la chimie organique et la mécanique des fluides lui avaient semblé simples, en comparaison. Un être humain normal ne pouvait pas apprendre tant de règles ni se souvenir d'où les utiliser (Alceste et Adrien le pensaient aussi), mais un logiciel (un "système expert") pouvait certainement le faire. Cela expliquait la rareté des compositeurs ayant pondu quelque chose de valable, et encore: selon Alceste, ceux datant de deux ou trois siècles avaient eu la chance de pouvoir forer dans de vastes gisements encore inexplorés à leur époque et qui de nos jours étaient pratiquement à sec: il n'y avait plus que quelques gouttes à extraire ici où là, tapies dans des interstices rocheux oubliés des pompages précédents. C'étaient ces quelques gouttes inédites que le logiciel de Florian s'évertuait à tenter de pomper, comme un Shadock informatique. Quand on obtenait un de ces inédits, on pouvait construire plein de choses nouvelles avec (en compagnies de motifs "domaine public" déjà bien connus), ayant assez de personnalités pour pouvoir s'imposer juste avec la ligne mélodique et un accompagnement de percussions (non tonales), comme si c'était chanté en tapant dans les mains ou du pied sur un plancher: si ça passait ainsi, ça passerait partout, quelque fût l'habillage.
Tous les tournages étant entrelacés, pour les acteurs, le logiciel sachant qui serait inutilisé à quel moment, il joua un rôle plus bref dans "Dent pour Dent", pour lequel il s'était entraîné aussi.
Erwann faisait partie de ceux que VTP destinait prioritairement aux tournages de "numéric fantaisy" mais "Dent pour dent" n'en était pas: c'était de la violence urbaine. Les essais puis le tournage de "La citadelle des goules" avaient confirmé qu'il rendait bien à l'image en mouvement, en plus d'être assez adroit et rapide pour réussir l'entraînement d'un des rôles les plus mobiles du film. Ca semblait facile et naturel quand c'était lui qui le faisait, avait estimé VTP.
"Dent pour dent" pouvait être tourné plus vite et pour moins cher que "Les miroirs du temps" car il était situé dans l'époque actuelle. Erwann y jouait Emilien, un des jeunes délinquants massacrant (entre autres) un automobiliste pour lui voler son Audi S4 et finissant par être tué dans un accident à l'issue d'une poursuite par la police (ce modèle coûteux étant équipé de mouchards de localisation). Un film très noir, sordide, mais divertissant car personne n'y était honnête (surtout pas les forces de l'ordre). Un rôle parmi d'autres mais fort actif, comme de casser une tête à coup de barre de fer. On voyait bien le crâne imploser et son contenu ressortir entre les morceaux. Le scénario lui avait accordé quelques actes de violences prévus initialement pour un des autres: selon VTP, dans l'inconscient collectif le blond était signe de cruauté, chez un garçon (et pas seulement depuis l'occupation), comme le style que se donnait ce jeune dans le film (toujours impec, souvent en noir, parfois avec un long manteau de cuir fin, les cheveux le plus souvent attachés et portant discrètement quelques bidules en or (dont une chaînette ornée de griffes de même métal, que l'on n'apercevait que brièvement de temps en temps. Volée sur une de leurs victimes au début du film). L'un des autres disait à un moment pour s'en moquer "j'oubliais qu'Emilien ne boit pas de café: ça jaunit les dents...". Pour autant, il s'amusait avec ses copains aux jeux vidéo et sans dédaigner les packs de bières. On les avait voulus "possibles", n'évoquant pas la bande de cogneurs d' "Orange mécanique". On lui avait donné ce prénom "Emilien" n'évoquant que simplicité et gentillesse, comme un ex-chaton de calendrier qui serait devenu un jeune prédateur assoiffé de sang et de malveillance. C'était aussi selon Erwann une référence à l'émilianomètre. Un film qu'il trouva satisfaisant, avec des scènes comme l'emprunt par Emilien d'un chaton (à une copine de Lionel (le chef de bande): "je te le ramène dans une heure") pour attirer une vieille dame dans une ruelle (où le minou l'appelait), lui briser la nuque et lui piquer son sac.
Il y avait eu huit autres tournages en juillet et août (dont trois avec Atte, en plus des épisodes de "Tépakap") dans la machinerie de VTP22, mais plus faciles (gestuellement) et non destinés au cinéma: le format télévision consommait bien moins de puissance de traitement. Il s'agissait de tout ce qui nécessitait des décors "à reliefs parcourables", les autres productions étant tournées comme d'habitude à La Défense. La post-production infographique de "La citadelle des goules" était terminée (mais le film ne sortirait pas maintenant), libérant de quoi synthétiser tout ce dont "Les miroirs du temps" avaient besoin. La stratégie restait: lancer le premier porte-avions (les miroirs du temps), puis deux films moins gloutons à produire mais déjà nettement plus élaborés visuellement que ce que faisait VTP jusqu'alors: "La citadelle des goules" et "Dent pour dent", en attendant de lancer le second porte-avions (les reflets du temps), un peu avant le tournage du prochain (Sartilvar). En combinant clône virtuel, robot animé réaliste à son image et Erwann en vrai, Rolvar était parfois utilisé à plusieurs exemplaires dans certaines scènes (de même que certains autres personnages ou animaux truqués), ce qui correspondait au titre "les reflets du temps". Dans l'une d'elle, il devait ferrailler contre un de ses duplicatas.
VTP avait une stratégie de lancement inédite pour ses films, tout comme ses méthodes de tournage (par rapport à la concurrence): l'entreprise avait racheté 58 salles de cinéma ça et là en Europe (dont 34 en France), profitant d'exploitations souvent peu rentables (places trop chères donc trop peu de spectateurs) et les avait équipées pour diffuser de la stéréoscopie: la première fois, on achetait les lunettes (ou surlunettes clipables) à filtres polarisés, en plus de la place (beaucoup moins chère qu'ailleurs, elle: 10 francs) suite à quoi si on n'avait pas égaré les lunettes on ne rachetait qu'une place pour les autres scéances.
L'ELR avait supprimé tout ce qui pouvait s'apparenter au "numeris clausus" dans un très grand nombre de domaines (notaires, pharmaciens, hypermarchés...), sciant à la base un grand nombre de rentes de situation, de ce seul fait, y compris le prix imposé des livres ou la non-publicité sur les prix des fruits: la concurrence jouait maintenant à plein dans tous ces domaines, avec des chutes de prix spectaculaires. N'importe qui pouvait ouvrir un cinéma n'importe où, pourvu que la salle respectât des normes de sécurité et d'insonorisation. Autrefois ce n'était pas le cas, les concurrents pouvant y mettre leur véto. Cette libération du marché avait eu pour effet de faire baisser le prix des places, jusqu'alors dissuasivement élevé en France. La vente à perte n'était toutefois pas autorisée, cette notion ayant été étendue au cas des appareils ou véhicules vendus moins cher tout assemblés que la somme des prix de leurs pièces détachées. Ceci avait conduit nombre d'importateurs à élever fortement le prix de leurs produits tout en devant (comme le devaient aussi les producteurs français) serrer leurs marges sur les pièces détachées, sous peine de devoir appliquer au moins la même au produit complet. Ceci allait dans le sens de la "société de conservation": favoriser la réparation en dissuadant financièrement le remplacement prématuré des produits "semi-durables". Le tout-TVA allait aussi dans ce sens, en délestant la main d'oeuvre des taxes retombant de ce fait sur les pièces. Il n'y avait pas de TVA sur la part de facturation correspondant à la main d'oeuvre au smic.
VTP étant son propre fournisseur de téléfilms, séries, documentaires et (bientôt) films stéréoscopiques sous forme d'enregistrement numériques stéréoscopiques, cette part de frais n'existaient pas. Autre source d'économie: l'utilisation de sièges robustes et faciles d'entretien (inspirés de certains de ceux du métro) et fixés de façon à permettre le nettoyage de la salle par un système de parcours automatique. Les sièges étaient installés en quiconce (de façon à ne pas avoir la tête du précédent devant soi) et la pente du sol augmentée (même si pas autant qu'une tribune de stage), pour améliorer le confort de vision. La définition des séries télévisées et téléfilms n'était que de 1250 lignes (double définition par rapport au Pal/Sécam). Certains reportages géographiques et animaliers étaient en 2500 lignes, ce qui ne se détectait plus sauf des premiers rangs. La définition utilisée pour "Les miroirs du temps" était portée à 5000 lignes (du 8888x5000) ce qui consommait 21,3 fois plus de capacité de stockage et de calcul que le 1250 lignes en format 4/3.
Les procédés de tournage restaient ceux de VTP, auxquels tous ses acteurs de séries télévisées et téléfilms étaient habitués. Ceci était l'autre raison(en plus du coût) de l'absence de tout acteur venu de l'extérieur, dans "Les miroirs du temps": il fallait que chacun fût au point sur chaque détail de chacune de ses scènes avant le début du tournage "en vrai", tout en ignorant ce que feraient les autres (sauf quand ils jouaient dans la même scène).
Le film sortirait d'abord dans les salles stéréoscopiques appartenant à VTP (il n'y aurait donc pas beaucoup de places en tout, et aucun billet n'était vendu à l'avance), le dimanche avant le lancement général sous forme classique (pour salles non numériques) le mercredi suivant. Les critiques ne pourraient donc en prendre connaissance avant le lancement général qu'en allant y faire la queue "comme tout le monde" (aucune invitation) et verraient donc le film en stéréoscopie, ce qui les impressionnerait plus.
A part une bande-annonce (qui ne nommait pas qui jouait dedans) diffusée la semaine précédente, le projet avait été gardé "suffisamment secret". VTP savait qu'il y aurait quelques fuites (par son propre personnel) mais que personne ne connaissait le montage final, ni les scènes auxquelles il n'avait pas participé. VTP tournait avec très peu de personnel "de plateau", grâce au degré poussé d'automatisation de suivi des personnages par les caméras, l'éclairage et les perches de prise de son que l'informatique savait bien mieux garder hors champ "mais tout juste" que des opérateurs humains, ceux-ci ne pouvant pas en même temps voir ce que voyaient les différentes paires de caméras utilisées. Quant aux décors, ils n'existaient pas, pendant le tournage, d'où le problème de l'entraînement à jouer sans eux, et surtout sans ses "parties mobiles": les monstres, rochers déboulants, machines géantes, etc.
Stéphane, auquel VTP avait demandé de ne toujours pas couper ses cheveux (été 1999: projet Sartilvar) qu'il trouvait déjà inutilement longs (surtout le temps de sèchage à l'air froid), passa quelques jours de vacances dans sa famille, où il ne parla toujours pas du film: des films, en fait, puis repartit en Finlande pour le dernier trimestre de sa mission, retour en France prévu pour Noël.
Il acheta une combinaison isotherme (noire à col roulé, manches longues, jambes longues: pas le modèle pour véliplanchiste...), et des palmes: une paire de normales de grande taille, des gants palmés (prolongeant aussi un peu les doigts par les nervures) et une grande monopalme (où l'on enfilait les deux pieds) ressemblant à une queue de cétacé. Le lac près de BFRSF ne serait pas encore gelé en octobre, mais bien froid, et avoir moins froid (il ne fallait pas se faire d'illusion: cette combinaison lui permettrait juste de se refroidir moins vite, et non d'avoir "chaud", à moins d'efforts intenses) lui permettrait de s'entraîner plus longtemps donc au total de brûler plus de calories que lors d'un bain très froid mais bref. Il fit des essais sur les côtes bretonnes, et après plusieurs jours, pour s'y habituer, acheta une seconde combinaison en se disant que ce serait déplaisant à réenfiler humide quand il serait encore sec donc qu'il vallait mieux en avoir deux pour donner à l'autre le temps de sècher. Il n'utilisa pas l'autre dans l'eau de mer: inutile d'ajouter d'avance le problème du sel (retardant le sèchage car le sel attirait l'humidité) puisque l'usage là-bas serait lacustre. Il s'entraîna aussi, en Bretagne, à utiliser la monopalme: ça sollicitait beaucoup les dorsaux et les abdominaux donc il fallait se contenter d'un mouvement paisible dans les premiers temps, mais le rendement lui sembla déjà intéressant.
Il avait étudié les travaux en cours chez BFRSF pendant les temps de disponibilité chez VTP, participé occasionnellement à la téléassistance, aussi n'était-il pas déconnecté de ce qui se passait dans l'usine.
Il arriva samedi 10 octobre et passa récupérer Surimi chez Timo, qui était maintenant coiffé en "plumeau": tentative de paraître plus grand, ou moins rond? Timo répondit à la question qu'il n'avait pas posée, en disant qu'il avait fait ça lui-même sur une suggestion de Nelli et qu'il suffisait de sècher avec un aspirateur pour obtenir cet effet pendant "un certain temps". Son "foin" rèche et épais se prêtait bien à cette coiffure antigravitationnelle, supposa Stéphane. On ne pouvait pas faire ça avec n'importe quels cheveux, à moins de tricher avec un gel. Bien qu'ayant les cheveux raides et plutôt épais, il supposa qu'il ne lui ne serait pas possible de les garder si hauts sans fixatif et sans effondrement. Timo avait donc selon lui tiré le meilleur usage de sa nature de cheveux, la version précédente ("meule de foin") n'ayant aucun style.
Stéphane rentré chez lui vécu une longue scéance de tendresse avec Surimi (une fois nourrie: Timo l'avait peu nourrie ce matin, à cette fin) puis s'équipa pour aller nager dans le lac: combinaison, palmes (classiques, dans un premier temps), le serre-tête transparent façon Arvi/Oskari et les lunettes anti-éclaboussures. Il put nager vite et assez longtemps tout en faisant des mouvements plus lents, grâce aux palmes qui permettaient (y compris pour les mains) de pousser bien plus d'eau à chaque fois, avec moins de remous donc de pertes de rendement. Tant que le lac ne serait pas pris par la glace, il pourrait ainsi s'y entraîner. Côté bras, il nageait toujours la brasse, pour bien voir vers quoi il nageait (les gants-palmes avaient aussi comme intérêt de lui permettre d'écarter un obstacle éventuellement sale ou dur sans y mettre directement les mains). Côté jambes, il essayait le mouvement "dauphin" (déjà pratiqué en Bretagne avec la monopalme), celui-ci étant bon pour les abdominaux, à condition de savoir se ménager. Il utilisait les palmes en partie pour l'efficacité, en partie aussi pour se protéger les pieds: il n'avait pas envie de s'ouvrir un orteil sur un bout de carcasse de voiture tombée à l'envers pas assez profond quelque part la nuit précédente, et c'était aussi un bon moyen de ne pas risquer d'échardes sur les pontons. Ca pouvait même servir de raquettes s'il devait aborder une rive, pour ne pas trop s'enfoncer dans une vase qui pouvait (peut-être) contenir des bouts de bouteilles de bière cassées.
Dimanche 11, il reprit son poste d'ouvreur (tireur, disait-on ici) dans l'équipe de Juustomeijeri, et d'optimiseur de préparation par ordinateur. Il s'improvisait une coiffure "japono-finlandaise" en remettant et bloquant sur la tête ce qui descendait derrière, d'où un effet de frange "pinceau" irrégulière. Etrange, mais ayant aussi une fonction anti-choc, par cette épaisseur ajoutée.
Il faisait les études pré- et post-match, suite à quoi Tomi Paananen, le capitaine, dirigeait sur le terrain. Juustomeijeri restait insuffisant en mêlée, ainsi que dans les "môles pénétrants" ayant permis à Helsinki de marquer quatre essais. Il leur manquait un vrai entraîneur ayant de l'expérience, pour leur indiquer sur le tas ce qui faisait la différence entre les petites équipes et les grandes. Choisir quoi faire, le système de Stéphane servant à apprendre à bien le faire. C'était très efficace pour le jeu au pied, utile pour estimer les dépenses énergétiques de chacun et ses capacités à venir d'un point du terrain à un autre en un temps donné, mais ça n'apportait pas grand chose dans la gestion des mêlées, des "môles" et entassements (mêlées ouvertes). Seule la mêlée classique pouvait être (grossièrement) évaluée par le logiciel, dans son déplacement et sa tendance à tourner, en tenant compte des appuis des pieds au sol et de la force motrice disponible dans chaque jambe, mais à condition que les "piliers" fussent correctement liés, ce qui n'était pas si souvent le cas, d'où l'effondrement de beaucoup de mêlées. Là, il fallait de l'expérience. La "gestion globale de l'énergie de chacun au cours du match" permettait au moins à Juustomeijeri d'éviter des courses inutiles de certains joueurs et d'optimiser la gestion de ses remplaçants: ceci pouvait constituer un avantage en fin de match. La communication par signes entre les divers joueurs fut elle aussi améliorée: inutile de prendre des risques pour faire une belle passe si personne ne s'attendait à la recevoir, idem pour les "chandelles".
Tomi regarda nombre de matchs européens en les réexaminant au ralenti. Il aurait fallu pouvoir les instrumenter de façon à en avoir un modèle virtuel examinable sous tous les angles, mais comment se procurer assez de films continus du match depuis assez de caméras pour procéder à une telle reconstitution?
La seule façon, comprit-il, d'avoir une bonne équipe de Finlande eût été d'envoyer des joueurs se former dans divers clubs européens de bon niveau. A condition qu'ils veuillent d'eux... Ceci sortait du cadre amateur, ce qui n'était pas l'intention de Juustomeijeri, ni de BFRSF. Quant au rinnepallo, les autres pays n'y jouaient pas, ni même l'ensemble de la Finlande: c'était une tradition régionale.
Lundi 12, il se rendit à l'usine dès 7h30, soit un heure avant l'arrivée du gros du personnel: il n'y avait que l'équipe de nuit sur place, prévenue de son arrivée, ce qui lui permit de réexaminer rapidement les installations puis de le faire de son bureau par le système informatique.
Nelli, en le voyant, le palpa légerement. Ce peuple était encore moins porté sur les contacts directs que le nôtre, mais Nelli semblait croire normal de le taquiner un peu.
N- [le tâtant] toi, je remarque que tu as pris du muscle, et non de la couenne.
Suite à ce qu'avait dit Nelli, il se demanda s'il avait fait de la musculation sans s'en rendre compte, dans son entraînement quotidien pour le film. Le soir, il se regarda en caleçon dans la glace qui recouvrait l'intérieur de la porte de sa salle de bain de faux marbre vert. Poser ainsi rendait inévitablement ridicule, constatait-il, parce que ça évoquait les pages "slips et caleçons" des catalogues. Cela lui semblait toutefois plus naturel avec les cheveux très longs lui donnant l'air plus sauvage (mais fait par ordinateur) que mannequin.
Tant qu'à faire il prit des poses comme dans les catalogues, avec le même sourire lobotomisé, style "publicité pour appareil de musculation". Oui: il était plus costaud qu'initialement. Il avait pris 2kg cet été, et ce n'était pas de la couenne. Il n'avait jamais été "fait avec des allumettes", et maintenant n'avait pas non plus ces bras et ces épaules d'haltérophiles que l'on voyait à tant d'acteurs américains qui devaient faire de la barre toute la journée et prendre des produits. Lui, c'était un progrès musculaire sobrement fonctionnel et non "pour faire voir". C'étaient surtout ses proportions et son assemblage sans fragilité qui l'avantageaient. Si Nelli n'avait pas porté de jugement sur son physique, il n'aurait pas procédé à cet examen détaillé. Les glaces pleines hauteur lui servaient habituellement à essayer des tenues (choisies par VTP/BFR) pour les réceptions. Comme convenu, on lui avait laissé le matériel d'entraînement sur place jusqu'à la fin de sa mission, pour pouvoir s'amuser aux combats virtuels à mouvements réels, dans les nombreux univers permis par les lunettes vitruelles, tout particulièrement les sports de combats sans contact avant la frappe finale, comme le karaté: peu importait alors que le personnage virtuel fût immatériel, alors que pour du judo virtuel il eût fallu construire un robot entièrement fonctionnel. Grâce aux cibles fixées sur lui, le système détectait sa position et le moindre de ses gestes (pour les mains, il y avait des gants numériques) donc ajustait l'attaque de l'adversaire en conséquence.
Aymrald ne savait pas si VTP l'utiliserait un jour dans un film de karaté, mais cet entraînement qui lui faisait travailler l'aptitude à anticiper les mouvements de l'adversaire à peine amorcés lui semblait intéressant. Il ne se faisait pas trop d'illusion: ça ne marcherait pas dans la vie en vrai, de même que ces sports de combats (pratiqués en vrai en salle) étaient rarement du moindre secours contre une attaque réelle par des agresseurs chevronnés qui eux, n'en suivaient aucune règle, ayant rôdé les astuces qui leur étaient réellement utiles sur le terrain, en particulier en présence de murs ou autres obstacles et avec arme (tranchante ou frappante).
Il n'avait jamais été confronté à la violence physique: quelques petites chamailleries en bas âge avec d'autres enfants, rarement et jamais gravement: l'absence de signes extérieurs de vulnérabilité, ajoutée à son caractère stable et discret ne lui attirait pas d'ennemis: seuls des conflits d'intérêts avaient pu créer une adversité momentanée. Dans un groupe, il ne revendiquait rien et avait souvent été considéré comme faisant partie des "bras droits" valables par ceux qui avaient l'occasion, le goût et le talent d'organiser les choses. C'était encore ce qui s'était passé au rugby: il avait été invité par Tomi à généraliser l'entraînement électronique à toute l'équipe, sans l'avoir proposé. L'entrainement aux sports de combat en virtuel (mais avec mouvements corporels réels, sur le tapis d'entraînement: jusqu'à l'instant de l'impact, tout était réaliste: il ne manquait que l'impact lui-même) le rendrait juste "moins incompétent" dans ce domaine, en particulier en matière d'anticipation et d'esquive, car ça, dans le mode "tous les coups sont permis" (combat de rue) ça marchait encore. L'adversaire cherchait lui aussi à esquiver les coups et contre-attaquer, avec un savoir-faire qui s'améliorait en fonction de la vitesse de réaction d'Aymrald, mais pas de façon désespérante: quand il faisait un progrès net le logiciel lui laissait une chance de vaincre, mais pas plusieurs fois de suite: il fallait ensuite trouver mieux. Les aptitudes des adversaires étaient tirées au hasard: aucun n'était nul mais aucun n'était invincible, chacun étant meilleur dans certains coups ou ruses que dans d'autres. Il n'avait souvent pas le temps de découvrir ces lacunes (relatives) car frappé (ou poignardé) avant, mais ne perdait pas à tous les coups, le niveau étant adaptatif.
Autre différence avec la vie réelle: on savait que l'on avait affaire à un méchant, donc tout ce qu'il faisait pouvait être interprêté comme préparation d'attaque, alors que raisonner ainsi dans la vie réelle aurait conduit à beaucoup de bavures. C'était à un niveau plus élevé du jeu qu'il y avait aussi des "tiers" qui n'étaient pas des agresseurs, et l'image (tout autour, puisque via les lunettes à imersion) d'une cellule de prison appairaissait si on molestait un innocent. Cela obligeait, dans ces cas, à attendre un début d'attaque réelle pour agir. Ce niveau de jeu n'était pas nécessaire pour l'entraînement cinématographique: dans un film on savait d'avance qui était qui, ce qui allait se passer, et même le déroulement du combat. Il était utile pour jouer, par contre, une fois assez d'astuces de combat et de capacités de réaction rapide atteintes. Ceci fournissait un entraînement physique intensif et sans risque (le jeu l'avertissait s'il se rapprochait trop d'un obstacle réel au fil des mouvements: il voyait le volume réel puisque c'était des verres semi-réfléchissants mais aurait pu l'oublier, dans le feu de l'action), que l'absence de transpiration lui permettait de pratiquer à tout moment disponible. Pour conserver l'acquis d'abdominaux, il continua de participer aux entraînements de Juustomeijeri (rugby et rinnepallo) et parfois de nager dans le lac: l'eau était plutôt froide, malgré le passage de l'été, mais par rapport à l'hiver dernier, elle lui sembla "moyenne". Il avait aussi acheté un kit d'électrogym qu'il utilisa (sans en abuser) quand il était dans son bureau, à l'usine: puisque ça provoquait des contractions musculaires, ça devait aussi consommer de l'énergie donc diminer la tendance à en faire de la graisse. Il savait qu'il ne fallait pas chercher à trop se muscler car on en devenait alors métaboliquement dépendant, tout ceci ne demandant qu'à se changer en lard si l'on diminuait l'entraînement.
Leo Sinivuori était maintenant chef de fabrication pour les fromages. Il était une variante moins intimidante du personnage "Kare", avec une autre expression naturelle. Léo ne donnait pas l'impression de croire qu'il était filmé, contrairement à Kare. Il y avait un personnage de la même catégorie physique qui était maintenant chef de fabrication des yaourts et crêmes desserts: Nikolai (prononcer "Nikola-i") Sallinen, qui, lui, était d'abord allé en stage chez BFRDK depuis quatre mois. Il les vit tous trois équipés de leur toque, ce qui accentuait la ressemblance, qu'ils fussent coiffés ou non comme Kare. Stéphane découvrait ainsi que BFRSF avait prêté du personnel technique ça et là, ou l'y avait envoyé en formation complémentaire. Où étaient ces deux-là avant?
Leo était mécanicien et hydraulicien des équipes d'entretien générales de l'usine, avant l'été passé chez BFRD comme assistant du chef de fabrication des fromages, Nikolai était électronicien, au printemps 1998. Leppänen avait pu demander à BFR de réexpédier ici ces ceux-là suite aux nombreux départs et à l'indisponibilité de Stéphane pour cause de tournage. Deux personnages pouvant être considérés comme des "sous-Kare" valables: même définition générale. C'était un modèle de Finlandais plus "haut de gamme" et en même temps plus répandu que la catégorie Mika-Atte-Stéphane, mais tous n'étaient pas aussi bien entretenus morphologiquement que Kare ou Leo qu'il venait de rencontrer. Par exemple, Jukka ("Youkka") Hautamies était une sorte de Léo qui aurait passé plusieurs années à trop manger et pas assez bouger. L'expatriation durable de Leo en Allemagne expliquait le nombre de questions posées: venait-il lui aussi de rentrer en Finlande? Stéphane vérifia: Leo ne reprenait à l'usine que le lendemain, lundi. Il ne savait peut-être pas que Stéphane avait été absent tout septembre, et, l'ayant peut-être rencontré le premier, pensait qu'il lui l'informerait plus précisément. Les affectations "fromage" (Leo) et "Yaourts" (Nikolai) étaient extensibles, constata-t-il dans les attributions annexes, selon l'indisponibilités des autres chefs de fabrication. C'était Olli Vehviläinen, un garçon bien plus rond (pas autant que Timo, mais en voie de le devenir), coiffure en tas de foin "Timo 1", qui était chef de production des gâteaux et biscuits, désormais. Lui aussi avait été stagiaire, mais chez BFRIRL (Irlande). Il fallait donc travailler hors de Finlande pour être promu chef de fabrication, en déduisit Stéphane. Charcuterie marine: Paulus Pursiainen, un grand maigre (allait-il le rester, à ce poste?) coiffé au carré (cheveux fins, comme Vertti).
Electrotechnique: Mika et Oskari (pas de changement).
Informatique: Kjell et Niko (pas de changement non plus)
L'équipe d'encadrement technique était donc composée de Kjell, Mika, Paulus, Olli, Nikolai et Leo, plus lui-même pour les modifications et nouveautés.
D'après ce qu'en dit Nelli (en sa présence et celle de Timo), ni Leo ni Nikolai ne détrôneraient pas Kare (moins encore Ari) dans son échelle de valeur, "mais ce sont de bons second rôles". Vus sans toque, Léo avait les cheveux persqu'aussi longs que Mika, Nikolaï à peu près comme Kare mais plaqués et attachés façon "mafia russe". Stéphane les distinguait mieux ainsi.
Le samedi suivant (17 octobre 1998), au lac, il y avait quelques baigneurs (dont une majorité de baigneuses). En cette saison l'eau était très propre: peu fréquentée, et sans crême solaire. Stéphane était équipé comme le week-end dernier sauf que la monopalme remplaçait (en bien plus large que la paire) les palmes classiques. L'efficacité de la monopalme se confirmait à mesure qu'il améliorait ce rythme utilisant tout le corps (y compris la flexion du tronc), et pas juste les jambes, ce que le mouvement alternatif, lui, ne permettait pas. La surface flexible plus importante y contribuait aussi.
Timo était là aussi (alors qu'il ne l'avais jusqu'alors pas rencontré au lac). Il y avait une rembarde d'un seul côté du ponton, auquel chacun avait noué la sangle de son sac. Stéphane avait déjà vu d'autres faire ça, ça évitait de laisser la serviette et les vêtements chauds loin sur la rive, tout en évitant le risque de chute dans l'eau depuis le ponton. Il avait apporté deux serviettes et une "cloche" en tissu éponge, celle-ci servant au moins autant à l'abriter du vent froid que des regards indiscrets. Une fois vigoureusement frictionné (le dos en "bande ponçante à deux mains) et réhabillé:
Timo- il y a beaucoup de gens dans le lac
Stéphane- [sans quitter des yeux la baigneuse en maillot rouge qu'il avait vue se mettre à l'eau du ponton suivant et dont il suivait la longue traversée, ou tentative de traversée?] c'est un bon moyen de perdre du poids: je suppose qu'elles le font pour ça.
T- pas que les filles.
S- penses-tu qu'elle va y arriver? [il désignait "sa" nageuse]
T- non: c'est loin, dans cette direction.
S- pourtant elle est bien partie.
T- trop vite: elle va s'épuiser avant d'en avoir fait le quart. Il y a des gens qui se noient encore ici, pour avoir cru pouvoir nager trop vite et trop longtemps dans l'eau froide. C'est comme un hélicoptère: d'un seul coup il n'y a plus de carburant, alors il tombe.
S- un super-héros comme toi devra alors aller la chercher.
T- non: j'ai eu ma dose de froid, ça suffit.
S- mais si elle se noie?
T- ce sont des choses qui arrivent. Tu n'as qu'à y aller...
S- je n'y arriverais pas à temps
T- moi non plus: elle est déjà loin
S- c'est triste: je la trouvais sympathique
T- la connais-tu?
S- non, mais j'ai aimé sa façon d'attaquer l'épreuve. Elle peut encore réussir.
T- j'en doute, mais tu as le droit de l'espérer.
Elle était proche de la mi-parcours quand elle disparut: crampe? Stéphane avait mis son ralentissement apparent sur le compte de la perspective, mais ce n'était donc pas que ça. Il fut sincèrement triste, au point que des larmes silencieuses lui vinrent. Timo avait dû lui jeter un coup d'oeil:
T- tu ne la connais même pas... C'est triste, mais telle qu'elle était partie, c'était comme un suicide.
S- ce n'est pas la saison
Espérait-il revoir une noyade? Il ne se le reprocha pas: si c'était une coutume locale, autant l'observer.
T- c'est la saison: tu as encore des choses à apprendre sur notre pays. Les suicides de mai-juin sont une bizarrerie locale. Des gens ont même soupçonné nos produits d'influencer le cerveau, mais vu qu'ils sont vendus dans toute la Finlande ça ne devrait pas agir qu'ici. Ce qui est plus répandu, ce sont des dépressions d'automne. Ca existe aussi en Suède
S- je pensais que vous étiez habitués à votre climat et que vous l'aimiez.
T- ça dépend: pourquoi crois-tu que tant de gens boivent ou mangent trop?
S- je croyais que c'était parce que vous ne vous parliez pas assez.
T- ça compte aussi. Ce qui est sûr, c'est que la baigneuse que tu observais a décidé aujourd'hui de nager dans l'eau froide jusqu'à s'y engloutir d'épuisement.
S- dommage: si elle avait nagé moins vite, elle serait peut-être arrivée au bout avec 2kg de moins, si c'était ça son problème.
T- ça ne devait pas être son seul problème. Beaucoup de gens sont malheureux, surtout depuis la crise.
S- que deviennent tous ces cadavres, au fond du lac?
T- je suppose que des poissons les mangent. J'ai aussi vu des plongeurs repêcher des corps, parfois, et une grue ressortir une Volvo 240, un autre jour.
S- il ne doit pas y avoir beaucoup de voitures qui tombent, sinon on verrait des flaques d'huile sur l'eau.
T- peu d'huile s'échappe, si le bouchon de remplissage est vissé. Je suppose qu'elles sont repéchées vite: c'est bien plus facile à retrouver qu'un corps. Une fois, j'ai vu une vieille dame en fauteuil roulant rouler jusqu'au bout de cet autre ponton, là-bas, et plouf! Si elle s'était attachée au fauteuil, elle était sûre d'aller au fond.
Stéphane classait la noyade parmi les suicides masochistes, comme la pendaison: pourquoi vouloir souffrir avant de mourir? Le système du bain se refroidissant et de l'alcool de son prédécesseur lui semblait bien plus confortable. On devait pouvoir faire la même chose dans le lac mais avec un gilet de sauvetage, pour ne pas boire la tasse en s'assoupissant.
Il restait peiné du sort de la baigneuse en maillot rouge, mais puisqu'elle l'avait décidé, elle devait avoir une bonne raison. Il se sentait bien, ici, ce soir. Parmi ses bons points par rapport au "Finlandais lambda" du coin, il y avait l'absence de brioche, une caractéristique entièrement "au mérite" et non "de naissance". Toutefois il ne les voyaient ventre nu qu'au lac, or les gens fréquentant le lac par temps froid étaient (logiquement) plus gras que la moyenne. Il ne fallait donc pas se fier à cette statistique apparente (les bedaines lacustres) pour évaluer le "Finlandais moyen". Se baigner en saison froide était l'exercice le plus efficace qu'il connaissait pour brûler tout excédent calorique (le froid y contribuait encore plus que l'effort, estimait-il), alors si beaucoup des autres en avaient encore tant, c'était soit qu'ils n'étaient qu'au début de cette pratique (il ne savait pas assez les reconnaître pour le savoir) soit qu'ils s'empiffraient en rentrant, car ça donnait faim...
Lors de sa baignade du dimanche après-midi, équipé de même, il aperçut quelqu'un qui nageait à sa suite, d'un crawl assez efficace. Stéphane visualisa un instant la scène de "Ben Hur" où le batteur rythmant les rameurs passait de la cadence normale à la cadence de combat, d'attaque puis d'éperonnage. Avec la monopalme, la "cadence de combat" devrait suffire et il pourrait la tenir plusieurs minutes si nécessaire. Puis il vira à angle droit, juste pour voir s'il était suivi ou si ce n'était que du hasard, et revint à "cadence normale": sa simple "promenade anti-couenne" mais efficace grâce à son équipement. L'autre ne vira pas.
Stéphane continua sa promenade à travers le lac. Quand il revint à son ponton, il y avait quelqu'un dessus, ce qui n'était pas étonnant, en ce dimanche après-midi. Un grand Finlandais sportivement bâti (tendance publicitaire) qui aurait pu être Léo et se frictionnait avec une serviette rouge, sans s'abriter du vent d'octobre dans une cloche: il n'était pas frileux, celui-là.
Il ôta la monopalme, passa à côté du personnage en faisant juste un signe de la main, tout en allant vers ses affaires. Il ôta les gants palmés puis se changea comme d'habitude. Ceci fait, il entendit l'autre dire son prénom, y jeta un coup d'oeil et se demanda qui s'était. L'autre aussi avait fini de se réhabiller.
S- Léo?
Léo confirma, puis:
L- ces palmes pour les mains sont-elles efficaces?
S- ça aide bien.
Leo se rapprocha un peu, la distance tombant de 2m50 à environ un mètre, distance de conversation normale dans ce pays. Stéphane ressortit un gant palmé de son sac, au cas où Leo souhaiterait examiner l'objet. Il examina le gant, trouva cela intéressant (mais ne put l'essayer, ses battoirs ne pouvant y entrer. Bien qu'ayant des poignets épais, il n'aurait pas pu se débarrasser de menottes, contrairement à Stéphane), et remarqua que c'était italien.
L- la palme-queue doit être efficace aussi.
S- il faut y aller doucement au début: ça crée des efforts dans le dos.
L- on dit que des gens se noient souvent dans ce lac
S- il semble que ce soit vrai: j'ai vu hier une noyade volontaire.
Stéphane vérifiait bien ses phrases, en les réduisant à "pas trop de mots", et sans prendre de risques grammaticaux. Il n'utilisait toujours pas les "enchâssements temporels" et constructions de ce genre, bien que les comprenant. Il estimait qu'il fallait d'abord être à l'aise en finnois de base avant de se lancer là-dedans. Leo venait d'utiliser le "faux passif" finnois, qui servait de sujet impersonnel mais n'avait pas (à ce que Stéphane en savait) de complément d'agent: "le poisson a été mangé par le chat" était quelque chose qu'il ne savait pas dire en finnois, sans savoir si c'était théoriquement possible ou non. Mettre "le chat" à l'instructif, peut-être? Il n'essayerait pas en présence de vrais Finlandais.
L- personne ne l'a secourue?
S- elle était déjà trop loin de tous les autres.
Leo posa diverses questions d'intérêt général (y compris sur les curiosités locales comme les suicides) sur ce qui s'était passé ici. Stéphane l'informa en vérifiant bien son finnois ce qui contribua à la brièveté de ses réponses, tout en s'appliquant à les dire de façon aussi détendue que possible: jouer un faux Finlandais était un rôle comme un autre. Leo était revenu ici la même semaine que Stéphane: aucun ne pouvait donc informer l'autre de ce qui s'y était passé antérieurement. Il regardait le lac, ne jetant que brièvement un coup d'oeil vers Leo quand il posait une question qui lui demandait une réponse finnoise un peu plus compliquée. Il se dit que c'était un test de conversation et s'y appliqua: l'exercice était intéressant car Leo n'utilisait pas certaines simplifications du finnois parlé populaire. De plus, il n'utilisait ni "vous" ni "tu", ce qui correspondait effectivement à ce que Stéphane avait entendu dire initialement des usages finnois (et faisait donc de même), mais qui n'était pas le cas de Nelli, Timo et moins encore Kjell.
Stéphane rentra après que Leo eût fini d'alimenter la conversation par ses questions diverses (mais pas personnelles) auxquelles il répondait aussi finlandaisement que possible, sauf quatre qu'ils ne comprit pas, faute de vocabulaire: il n'avait pas emmené le mouchard avec ses affaires de bain, au cas où le sac eût été volé.
Stéphane eût à travailler à temps partiel chez "VTPSF", comme ingénieur participant à l'installation du matériel de tournage. Ayant vu les possibilités de recrutement sur place, VTP avait décidé d'y développer une production télévisée locale, qui servirait de banc de recrutement et d'essais en tournage réel des meilleurs Finlandais et Finlandaises disponibles pour cette activité dans ce pays: il n'y aurait plus qu'à puiser dedans pour alimenter VTP en Nordiques émilianométriques.
Le prochain "changement de joueur" concernait Leppänen, dont la décocaïnisation semblait avoir mieux fonctionné que la dévodkaïsation: sur ce point, il avait rechuté, "à la Timo". Il était arrivé plusieurs fois en retard et l'esprit vaseux le matin, ce qui était inacceptable de la part d'un directeur.
BFR avait cherché dès août un remplaçant qui avait été trouvé directement en Finlande: un Finnosuédois de 46 ans "tombé du balcon" d'une société installatrice de relais de téléphones mobiles lors de la secousse qui venait d'ébranler le monde des hautes technologies finlandaises: le débarquement des Russes dans le téléphone portable, à un prix imbattable: aussi redoublable que l'offensive d'AK sur l'informatique grand public et professionnelle. AK tenait maintenant 73% du marché du neuf hors du territoire des Etats-Unis, et avait industrialisé les processeurs et mémoires (toujours à micro-tores magnétiques) des téléphones portables Lioubioutchaï qui faisaient aussi calepins électroniques, en s'ouvrant en deux. On utilisait le stylet sur l'un des écrans (tactiles) pour actionner des touches dessinées dessus (pas de touches réelles, à part les règlages de veille et sonnerie/vibreur appareil fermé) qui pouvait donc changer selon le contexte. En particulier, on avait un clavier complet (miniature, donc pour stylet) de n'importe quelle langue à la demande, pour l'équivalent des "SMS", ce qui était bien plus pratique. On pouvait aussi s'en servir comme minifax: dessiner au trait sur l'écran tactile, et envoyer, si le destinataire était apte à recevoir du "vectoriel" (bien moins lourd qu'une photo: les instructions de tracé, et non l'image entière), donc avait un Lioubioutchaï aussi.
Une menace russe encore plus lourde pesait sur les opérateurs de téléphonie mobile: une version plus encombrante du Lioubioutchaï (comme un AK de format réduit) dont la périphérie incorporait des antennes-cadres satellitaires. Le réseau de satellites ex-soviétiques ayant déjà fait le succès du "SPS" (s'abrégeant ainsi dans plusieurs langues): Système de Positionnement par Satellites, qui marchait dans le monde entier pour bien moins cher à l'achat (et plus précis) que le GPS américain, avait été étendu (les Russes disposant toujours des meilleurs lanceurs d'orbite basse et moyenne, surtout par rapport au prix) d'un système de relais télématiques et téléphoniques à maillage dérivant bien plus performant que l'expérience "Iridium", car comportant 352 satellites (pour le moment) au lieu de 18. Avec l'appareil "poids moyen" (qui pouvait aussi servir d'ordinateur très portable ou de mini-console de jeux) on pouvait transmettre de la voix (précodée phonétiquement, là était l'économie de débit, grâce à une puce analogique développée pour faire de la décomposition fréquentielles en temps réel), des schéma, du texte tapé, voire des images (pas trop grosses, sinon attente), en fait tous les fichiers de données que l'on aurait aussi pu faire passer par internet. On pouvait accéder à internet depuis ce réseau, pour bien moins cher (ce n'était pas gratuit, mais peu coûteux. Il fallait préprovisionner un compte en Russie, ou d'une officine locale de l'opérateur russe). On pouvait aussi faire des échanges de données gratuitement par ce réseau, sans passer par internet, entre possesseurs du système "Lioubioutchaï 2". La priorité d'accès baissait en fonction du volume de données déjà transmis par l'utilisateur, selon le principe de la "gratuité rationnée": en cas de saturation, ceux ayant le plus chargé le système antérieurement étaient déconnectés les premiers.
Il y avait aussi un canal global (comme une chaîne de télévision par satellite) qui déversait des logiciels (jeux inclus) pour AK en continu sur toute la planète, avec les options linguistiques selon la zone d'arrosage que survolait chaque satellite à cet instant. Il manquait juste l'anglais, parce que les Etats-Unis avaient sorti quelques lois protectionnistes pour empêcher AK de vendre chez eux, et que des soit-disant "associations de consommateurs" avaient comme par hasard fait de gros ennuis aux quelques importateurs indépendants qui avaient tenté de le faire. Pour capter tel ou tel logiciel, il fallait récupérer le programme des dix prochains jours pour la zone d'arrosage où on était (réémi fréquemment, car très peu encombrant à transmettre: ce n'était qu'un texte en cases) et "réserver" le code correspondant dans le récepteur, comme pour un "Showview" sur magnétoscope. L'horloge réveillait alors le récepteur un peu avant et enregistrait le logiciel, d'où la présence d'une mémoire magnétique de capacité "informatique" (et non "téléphone mobile") à bord. Ceci allait encore augmenter l'hégémonie des ordinateurs AK: on n'avait même plus à chercher des logiciels et jeux, bien que déjà libres de recopie: il suffisait de consuler le programme des émissions à venir et de cocher ce que l'on voulait capter.
Juustomeijeri battit Helsinki 32 à 30, l'équipe de Tomi ayant réussi à arrêter quelques offensives helsinkiennes et à marquer deux essais au lieu d'un, l'essentiel des points restant acquis par les pénalités et des drops, via Stéphane. Helsinki avait commis moins de fautes que la dernière fois mais il avait eu l'occasion de placer trois drops au lieu de deux.
En septembre, Juustomeijeri avait perdu 15 à 40, en l'absence de leur expert en zig-zag et drops. Jere avait réussi cinq des sept pénalités qu'il avait eues à tirer, mais l'équipe n'avait pas réussi à se créer d'autres occasions de marquer.
Mardi 20 octobre, le nouveau directeur finnosuédois s'appelait Håkan Högfjäll, 44 ans, grande armoire au visage rond, avec une mèche blond métallisé qui retombait de temps en temps en essuie-glace, regard bleu froidement inexpressif. Il avait perdu son permis de conduire un peu avant de perdre son emploi, ce qui le pénalisait pour en retrouver un, donc s'était contenté d'une rémunération moindre que celle de ses précédesseurs. Pour la première fois depuis l'ère de haute technologie, en Finlande, les salaires des cadres et dirigeants baissaient, surtout en cas de réembauche. En fait il touchait un peu moins que Stéphane (qui était à quatre smics à cause de l'expatriation), sans qu'on le lui dît. Outre le suédois il parlait très bien finnois, allemand, et se débrouillait à peu près en français, d'où son choix par BFR parmi tout ce qui "tombait des balcons" pendant le tremblement de terre (à épicentre russe) sur les télécommunications sans fil mais dont peu avaient appris notre langue. Il allait codiriger pendant une semaine avec Leppänen. Högfjäll eût donc la XM et son chauffeur, Jussi Töyry, qui ne buvait ni ne se cokait, autant que BFRSF pouvait le savoir, et restait manutentionnaire quand il n'était pas chauffeur.
Alors qu'il y avait des réductions de frais de représentation dans diverses entreprises touchées par le séïsme russe, les directeurs de BFRSF disposaient depuis Leppänen d'un chauffeur pour la voiture de fonction, constatèrent les clients et fournisseurs visités ainsi, alors que ça n'avait pas été le cas jusqu'à Schumacher inclus. BFRSF n'était que très peu concerné par le "mini-crac" des hautes technologies puisque les Russes ne s'étaient pas lancé dans l'exportation agro-alimentaire à prix écrasés. La perte de clientelle concernait le rayon" traiteur", car il y avait moins de réceptions et de pots dans les entreprises finlandaises touchées par la crise.
Kjell fit remarquer à Stéphane qu'alors que des Finlandais s'étaient suicidés sans raison de mai à juillet dernier, ils ne le faisaient pas plus cet automne malgré un contexte économique dépressif. Les noyades dans le lac semblaient indiquer le contraire, selon Timo, mais Stéphane n'objecta pas: il n'avait pas assez d'informations sur le comportement de la population locale.
Ce fut au nauffrage de la Finlande qu'il assista, du pont d'une entreprise en assez bonne santé dont un an plus tôt beaucoup imaginaient le démantellement pour délocalisation. Des gens inhabituellement qualifiés venaient voir (sur le site internet de BFRSF) s'il y avait de l'embauche, puisque ça, ça avait l'air de continuer à se vendre, tout comme le bois et la pâte à papier. Malgré la chute des commandes "traiteur", les ventes globales augmentaient, car BFR vendait peu cher, surtout par rapport au niveau de prix de ce pays: les gens perdant leur emploi faisaient un peu plus attention à ce qu'ils mettaient dans leur charriot. La "charcuterie marine" vit ses ventes augmenter de 70%, au point que BFR expédia du matériel à installer d'urgence (par Stéphane et tout le personnel qualifié disponible) pour pouvoir faire face. Les loukoums vitaminés sans sucre furent importés et rediffusés en plus grand nombre par BFRSF, beaucoup de gens faisant des économies (avant d'y être contraints financièrement) et s'en servant pour remplacer les fruits frais, d'autant plus que des études indépendantes avaient montré que c'étaient de meilleurs susbtituts que les jus de fruits: ces friandises sans sucre ajouté et appauvries en fructose (pour compenser leur compacité et ne pas avoir goût de "concentré") incorporaient les bienfaits présents dans la pulpe et la peau.
Cette débâcle du secteur des hautes technologies remit nombre de jeunes sur le marché de l'emploi, dont une partie passait le test de l'Emilianomètre (copie de la machine de La Défense) et des aptitudes comportementales pour jouer dans les premières séries télévisées de VTPSF, activité concurrençant certaines séries américaines importées. Les non-émilianiens ou pas assez fiables gestuellement, ou manquant de mémoire, fournirent l'équipe technique. Les critères de VTPSF étaient plus serrés que ceux de VTP car la maison-mère voulait du "très finlandais", dans sa filière finnoise. Il y en avait beaucoup (surtout sur place), mais il n'y avait pas que ça. Les "un peu moins finlandais" et les "pas assez émilianiens" (même si très finlandais) furent essayés dans une série créée localement à partir d'une BD finlandaise (ça existait donc): "rats des villes, rats des champs".
Mika fut lui aussi emprunté à BFRSF (trois jours par semaine) pour l'électrotechnique de VTPSF en cours d'installation, et expliquer les méthodes aux nouveaux embauchés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire