vendredi 10 avril 2009

chapitre N-26

Stéphane fit un tour à la centrale électrique: le 21ème groupe avait été installé en raison de la stabilisation du débit thermique au dessus de son niveau d'orgine par les diverses réorganisations spontanées de la "chaudière" souterraine et les manoeuvres d'inversions déclenchées par Oskari lors des problèmes antérieurs. BFR avait transmis à Stéphane ce qu'il aurait à faire en octobre et novembre: modifier les systèmes de post-chauffage de certaines productions (tout ce qui ne se contentait pas de la température du petit puits géothermique d'origine) pour les inclure dans le réseau de vapeur de la centrale électrique: on perdait bien moins de courant à prendre un peu de chaleur en amont via un nouvel échangeur qu'à utiliser de l'électrictée produite avec, en raison du principe de Carnot. Ces opérations n'étaient pas urgentes: elles étaient planifiées selon les autres interventions déjà prévues pour les installations concernées.
Atte logeait chez son père, sa soeur Evita étant partie travailler à Helsinki comme secrétaire dans un cabinet médical, donc y habitait, le trajet étant trop long pour être quotidien même par le train. Il joua quelques rôles consommables, dont un qui dura quatre épisodes dans "Lobosibirsk".
Stéphane avait vu (en stéréoscopie sur grand écran, chez VTPSF, alors qu'ailleurs ça ne passerait qu'à la télévision) plusieurs épisodes. Ce n'était pas lourdement comique: la plupart des gags avaient lieu en arrière-plan de la scène principale, comme dans la série des "y'a-t-il un...". Chaque épisode pouvait constituer un récit complet pour au moins un des personnages, tandis que d'autres y apparaissaient où y disparaissaient. Il n'y avait pas que des cobayes dissidents récoltés dans les goulags pour entraîner les étudiants en neurochirurgie: il y avait aussi des sportifs, cosmonautes, joueurs d'échecs, militaires, chercheurs ou responsables de grands complexes industriels soviétique à tenter de "déboguer" après avoir manifesté des problèmes. Trépanaïev et son équipe y parvenaient... parfois, non sans effets secondaires imprévus.
L'immense hôpital avait été conçu, réalisé, équipé et entretenu aussi sérieusement que la centrale de Tchernobyl. Il possédait d'ailleurs son propre réacteur nucléaire en sous-sol, servant à la fois à fournir l'électricité et à préparer des isotopes pour la radiothérapie. L'idée de faire un circuit de refroidissement invisible de l'ennemi (même par satellites infrarouges) au moyen d'un réseau de long tubes circulant dans le "permafrost" conduisait petit à petit au dégel de celui-ci (erreur de calcul de la capacité à absorber la chaleur) et à l'enfoncement d'une partie du bâtiment, d'où des fissures (avec des ruptures de conduites de ceci ou cela) et des couloirs en pente au point d'être dévalés spontanément par les charriots, au bout d'une vingtaine d'épisodes. Une partie de ce circuit servait à chauffer l'eau de la piscine olympique destiné à la détente des étudiants et titulaires. En principe, ce circuit ne communiquait pas avec l'eau de la piscine, mais suite à des réparations consécutives aux premières fissures, effectuées en se fiant à un plan des conduites non mis à jour, cela devenait le cas pendant un week-end.
Kergatoëc version neurochirurgie soviétique, ce qui offrait bien plus de possibilités, d'où beaucoup d'épisodes déjà scénarisés. Il y avait les rafles de dissidents grâce à des écoutes téléphoniques, ainsi que le recrutement direct dans des goulags, fournissant des sujets décharnés mais constituant parfois des cas mentaux "intéressants". Il y avait les accidents techniques, ainsi que ceux dûs à la corruption (omniprésente) ou à l'alcool (encore plus), qui étaient l'occasion d'évasions. Le plus souvent de tentatives d'évasions, car il y avait les infirmiers "de poursuite" puis "de maîtrise" à l'intérieur du bâtiment, à l'extérieur l'autocollimateur à infrarouge surveillant l'esplanade avant la forêt environnantes bien mieux qu'un tireur d'élite (il n'était débordé que s'il avait trop de gens à viser en même temps, ou quand un bogue plantait cette partie du réseau informatique), puis les tigres, dans la forêt. Il s'agissait de superbes félins mécaniques (des "mécanimaux" à mouvements remarquablement souples, à défaut de savoir improviser des parcours sur relief non préprogrammés) que l'on ne voyait que brièvement entre les armes, ou accélérer pour une scène de prédation, pour le moment, de façon à conserver une illusion suffisante. VTP aurait besoin de fauves bien plus exposés à la vue pour les jeux du cirque dans "Le crépuscule de Rome". Plus l'animal était grand et lourd, plus la robotique avait le temps de maîtriser la moindre amorce de déséquilibre et faire un pilotage dynamique de l'animal: ce qui commençait à fonctionner pour un tigre était encore loin d'être crédible pour un chat. Pour le galop des chevaux, VTP y était déjà parvenu, moyennant deux gyroscopes (contenant les accus montés en couronnes comme lests, donc rentabilisant ainsi leur masse) pour améliorer la stabilité pendant les phases (brèves) pendant lesquelles plus aucune patte ne touchait le sol.
Les épisodes commençaient souvent hors de Lobosibirsk, quand il s'agissait d'un nouveau patient urgent (et non cobaye, quoique dans la pratique...): ça pouvait être dans un stade, dans une station spatiale, dans un complexe pétrolier, sur une patinoire, un terrain de football, un championnat d'échecs ou à bord d'un sous-marin nucléaire. Quand il s'agissait d'un personnage important, c'était une limousine ZIL 117 des années 70, anguleuse et blindée à souhait, qui l'y déposait, ou parfois un hélicoptère Kamov à double rotor coaxial, reconnaissable à cette particularité technique qui évitait de laisser penser que ce ne serait qu'un modèle occidental déguisé. Les patients moins prestigieux étaient convoyé par un ou deux accompagnateurs dans un des vieux bus bringuebalants servant aussi au personnel de l'hôpital pour partir ou revenir de congés en rejoignant ainsi la gare du Transsibérien la plus proche. Vu l'éloignement de toute bourgade, tout le monde était logé sur place. Les cobayes, eux, arrivaient entassés dans des bétaillères. On allait peu à peu s'apercervoir (certains l'auraient déjà deviné) que la chair des décédés du jour ne servait pas qu'à nourir les tigres.
Nombre de robots humanoïdes (n'ayant pas à faire de déplacements, le patient étant traité assis ou couché, mais devant pouvoir simuler ses réactions) avaient été construits à l'image des acteurs devant subir une opération à crâne ouvert suivie de test comportementaux (en stimulant telle ou telle zone, ou en en ôtant d'autres), puis remodelés pour ressembler à ceux des prochains épisodes. Des expériences avaient lieu, y compris sur des étudiants de l'hôpital se portant volontaires, pour réussir à commander des choses directement par le cerveau. Dans ce cas, on faisait juste de petits trous pour plonger des électrodes très fines vers diverses zones et détecter leur activation via des images mentales ou tout autre phénomène interne facile à produire à la demande: en pensant à ceci ou cela, le "pilote" produisait des signaux différents sur l'écran, qu'un autocorrélateur à réseaux neuronaux pouvait classer et ne plus confondre, malgré leur non-répétitivité: un principe voisin de celui de la reconnaissance vocale, mais basé sur les encaphalogrammes de précision obtenus par ces électrodes, relevé bien plus ciblé qu'en plaquant des sondes sur la tête sans y pénétrer. De plus, ça ne se voyait et ne gênait pas, l'émetteur/récepteur décodeur pouvant être installé dans le cou ou le creux d'une clavicule après avoir tiré des fils très fins sous la peau depuis les électrodes. Une fois cicatrisé c'était étanche, ne restait pas longtemps décelable au toucher ni même en fouillant dans les cheveux une fois que la petite zone rasée avait repoussé: rien ne passait à travers la peau, la recharge de l'émetteur (plus bas) se faisant par induction, tandis que certains des fils sous-cutanés servaient d'antennes. L'utilité étit évidente tant pour les handicapés que les militaires et plus généralement tout ce qui aurait bénéficié de commandes supplémentaires sans utiliser les membres (déjà occupés à autre chose) ni la parole ni la direction du regard. D'autres travaux supprimait à la demande (activation de certaines électrodes) la douleur, la fatigue, voire même la peur, l'attrait pour certaines substances ou comportements, ou stimulaient certaines productions métaboliques: dopage sans apport extérieur. La partie scientifique de ces travaux était sérieusement exposée, en étant au plus près de ce que l'on savait de certaines expériences soviétiques réelles, qui avaient abouti parfois à des résultats intéressants mais pas politiquement avouables.
Jarkko Tarkkaniemi s'appelait en fait Teemu Forsberg, mais Teemu qui se prononçait "t'es mou" manquait de dynamisme, du point de vue de VTP (qui surpervisait la série, sans en écrire tous les scénarii: certains proposés par l'équipe finlandaise étaient juste retouchés puis acceptés), tandis que Forsberg faisait plus suédois que finnois. Cet acteur s'appelerait donc Jarkko (prononcer "Yarkko") Tarkkaniemi pour VTPSF et VTP s'il y avait lieu. Tous les extérieurs de Lobosibirsk seraient tournés l'hiver, en profitant des forêts finlandaises (qui les reconnaîtrait?), y compris d'avance pour les épisodes de l'été, tandis que les scènes d'intérieur (les plus nombreuses) pouvaient être tournées toute l'année. VTPSF avait déjà du scénario bien nourri pour 31 épisodes, et comptait en tourner 50 à 70 en 2000, cette série ayant des chances de bien s'exporter (peut-être même aux Etats-Unis) tout en coûtant moins cher à l'heure tournée que la HF de Noitakeinot et en étant bien plus mouvementée que "Paattynyt fuuturi".
Pour Lobosibirsk, VTPSF avait recruté nombre de Finlandais n'ayant pas vraiment l'air finlandais (selon VTP) pour faire plus russes: la population russe était moins homogène génétiquement. Lobosibirsk comptait encore une majorité de blonds, puisque les acteurs avaient d'abord été puisés parmi ceux déjà rôdés aux tournages de VTPSF, mais pas une grande majorité. Nombre de nouveaux venaient de Carélie, province jadis annexé par la Russie.
Les deux séries médiévales de VTPSF ("Aquavit" et "Noitakeinot") s'exportaient bien, tandis que "rats des villes, rats des champs" marchait surtout dans les pays nordiques, bien que des chaînes européennes (y compris françaises) les diffusassent aussi. "Paattynyt fuuturi" était une série tellement finlandaise, et tellement "VTPSF" par rapport à la Finlande "moyenne" que ses possibilités d'exportations (bien que non nulles) reposaient plus sur l'esthétique des personnages que sur le ressenti du scénario. Avec Lobosibirsk, VTPSF disposait d'un produit potentiellement très porteur, tant par son thème que par les péripéties mises en scène. Il n'y avait pas encore (du moins en Occident) les mêmes tabous sur les camps d'exterminations soviétiques que nazis: on pouvait encore faire rire avec les goulags et les expérimentations soviétiques, bien que tout ceci fût allé bien au delà des crimes nazis, car disposant de plus de temps, plus de place et plus de puissance militaire pour empêcher les autres d'aller y regarder de trop près. De plus, Lobosibirsk n'était pas directement comique: tout était (au premier degré) sérieux, scientifique et dramatique pour les déportés et ceux qui tentaient de s'évader, et (dans les goulags mais pas à Lobosibirsk, où la viande était recyclée) l'enfouissement au bulldozer des corps autour des goulags. C'étaient l'alcoolisme, la drogue (facile à se procurer dans un hôpital) la corruption (revente de matériel et de stupéfiants), la mauvaise qualité de fabrication du bâtiment et du matériel ainsi que les rivalités entre services et le recyclage canibale des morts qui rendait le tout divertissant.
Zhao, jugé plus intéressant comme acteur que comme chanteur, ne faisait plus partie du groupe Bifidus, où Niels avait été remplacé par Knut (à son retour) tandis qu'Alceste continuait être la voix "guide" de ce groupe (du fait de sa tessiture) tout en jouant dans diverses productions de VTP.
Ce fut le dimanche 24 octobre que "Kerminator" sortit dans les salles stéréoscopiques Kerfilm avant le lancement "toutes salles" le 27. Beaucoup de spectateur pensèrent que Georg n'existait pas réellement, qu'il s'agissait dans tout le film d'un robot où d'une synthèse d'un haut degré de réalisme. Une interview comportant Georg et l'un des robots utilisés (rééquipé de sa finition d'origine, non détériorée) fut donc organisée pour laisser le public tenter de deviner qui était qui.
Kerminator partait avec un handicap: une n-ième histoire de robot échappant au contrôle de son (ou ses) concepteur(s), ceci sous un titre laissant supposer une parodie de l'original, alors que le scénario était tout autre. Il y avait des allusions à Terminator, bien sûr, mais le film était à la fois trop sérieux (techniquement) pour une parodie et trop différent pour y être comparé. Le succès en stéréoscopie avait été massif, comme d'habitude (on manquait visiblement de salles équipées ainsi, dans le monde), mais qu'en serait-il en version "plate"? On retrouvait aussi une partie de l'ambiance bretonne de Kergatoëc.
La semaine suivante, ce fut "Digestion": du "très gros très gore", mais ce genre de film marchait généralement bien, si les effets spéciaux étaient à la hauteur. La projection d'estomac à l'intérieur d'une Espace pour en digérer les sept occupants, plaqués contre les vitres par les papilles gastriques, plut beaucoup, ainsi que tout ce qui suivit. Ces bestioles ayant un système nerveux réparti, les balles des gendarmes ne faisaient que de petits trous dans leur corps sans les empêcher d'agir, tandis que les parties déchiquetées par des grenades ne tardaient pas à repousser, si on n'avait pas réussi à faire sauter tout le centre. La traque des méduses, qui dissuadaient depuis l'attaque tout bain de mer donc allaient ruiner ces côtes touristiques, était bien plus difficile car leur organisme mou et aqueux ne pouvait pas être repéré au sonar. S'il était possible, en plein jour au dessus d'un fond sableux peu profond de repérer les mauves et les brunes, d'autres étaient entièrement transparentes.
Des Bernard-l'Hermite géants envahissaient un camping (déjà ravagé par les étoiles de mer) pour s'emparer des caravanes comme carapaces car c'était plus spacieux et moins lourd qu'une carcasse de voiture. L'araignée de mer rendait elle aussi très bien en infographie, tout en ayant une allure bien plus inquiétante que celle d'un crabe.
Il y eu une interview de Vittorio Cario (de son vrai prénom Victor, de plus Cario était un nom breton, bien qu'à consonnance italienne), un des sosies d'Emiliano, dont c'était le premier rôle d'action, coiffé très court pour jouer un jeune capitaine de gendarmerie. Il souhaitait sortir de l'image de légume romantique (selon ses propres termes) dans laquelle VTP l'avait "confit" jusqu'alors dans ses séries: des rôles comparables à ceux du véritable Emiliano. VTP en avait plusieurs donc avait autorisé Vittorio à changer, d'autant plus qu'il avait fait beaucoup de musculation, ces trois dernières années, mais ne lui offrit pas tout de suite un rôle de méchant, ni un rôle principal. Outre ce rôle périphérique mais actif (puis mortel) dans ce film, VTP acceptait de lui en confier d'autres dans des téléfilms policiers, y compris, cette fois, des méchants.
VTP tournait en ce moment "Robur le conquérant", qui nécessitait beaucoup d'accessoires et de trucages pour recréer l'ambiance "fin XIXème" où il se déroulait entièrement, contrairement à "Voyage au centre de la terre" et "La mémoire des glaces" qui n'y situaient que leur début.
Samedi 13 novembre Stéphane alla tôt à la piscine géothermique. Ce n'était pas encore ouvert, l'horaire ayant un peu changé. Il rencontra Mika qui maintenant n'était coiffé qu'un peu plus long que lui (plus pré-aymeraldien que post-stéphanois), alors qu'hier c'était encore du "Mika 1". Le vent décoiffait bien plus facilement "Mika 2", qui n'utilisait pas l'accessoire "Arvi".
Mika- [en français] voici l'autre fils d'Eetu.
S- [en français aussi, sans y réfléchir] 40 CAG?
M- hélas aussi.
S- doigts antigel?
M- aussi.
S- mais il te manque les palmes: tu vas avoir du mal à me suivre.
A la piscine, Stéphane eut la confirmation que Mika était plus costaud que lui ou Atte. Il fit son entraînement, comme prévu, faisant juste signe à son demi-frère finlandais quand il le recroisait dans le bassin: celui-ci n'était pas équipé de palmes donc ne pouvait suivre et n'essayait pas. Puis il l'invita à venir à la maison pour lui présenter Gorak. Mika avait aussi un chat, ce que Stéphane ignorait, car il n'avait jamais eu de conversation personnelle avec lui et n'avait jamais visité sa maisonnette de fonction. Il ne savait pas non plus qu'il parlait français: il ne lui avait jamais posé la question, et les employés de BFR n'étaient pas censés s'adresser à lui dans cette langue, s'ils la parlaient, de façon à le pousser à progresser plus vide en finnois.
Mika aperçut l'appareil d'électomusculation.
M- deviendrais-tu aussi narcissique qu'Ari?
D'habitude Mika ne faisait pas de telles réflexions. D'habitude il était finlandais. De plus il lui parlait en français, sans sembler chercher ses mots. Il avait si peu eu l'occasion de parler avec Mika qu'il ignorait quelles autres langues il parlait.
S- je n'ai pas l'ambition poser pour un catalogue, mais les gens d'ici sont mieux bâtis qu'en France, alors il ne faut pas se négliger.
M- parfois mieux bâtis mais souvent trop remplis.
S- j'ai vu, mais il semble que pour se baigner l'hiver ce soit un atout. Meilleure isolation thermique. Comment fais-tu pour ne pas faire comme la plupart des autres?
M- grâce à Timo, je ne peux pas feindre d'ignorer les conséquences de la gourmandise et de la passivité. Rien que pour cela c'est un ami indispensable. Pour ne pas manger n'importe quoi, il faut de la discipline, et pour continuer à bouger, de la volonté. Les gens confondent trop souvent les deux, or sans discipline, la volonté n'est qu'une locomotive sans rails.
Stéphane avait visualisé la scène: c'était exactement ça.
S- as-tu traduit une expression finnoise?
M- je ne sais pas si elle est déjà utilisée. J'aurais pu dire "un taureau aveugle": il doit y avoir de telles expressions dans certaines langues.
S- j'en connais une autre: "volonté sans pouvoir n'est que tiraillements de bête enchaînée".
M- c'est différent.
S- je sais: c'était pour citer une expression avec la volonté et un animal. A propos d'expressions, je me rends compte qu'à part l'accent, tu parles français comme moi: autant de vocabulaire qu'il en faut, les genres, les temps, tout y est. Si nous étions en train de clavarder [Mika allait-il comprendre ce néologisme québécois?], je ne pourrais pas deviner que tu n'es pas français.
Mika lui expliqua qu'il avait initialement souhaité apprendre l'italien, à l'école, mais que cette langue n'y était pas proposée (dans ce bled) alors il avait pris le français, sachant que l'italien avait la même grammaire, un vocabulaire apparenté et était plus facile à l'oral, la correspondance entre la prononciation et l'orthographe étant bien plus systématique en italien qu'en français. Il avait appris plus tard l'italien à l'aide d'une méthode. Depuis qu'Atte était chez VTP, il regardait les séries télévisées en VF sous-titrées en français pour les mal-entendants dont Atte lui envoyait des copies (ce que Stéphane ignorait. Il ne savait en fait rien de Mika, à part ce que lui avait appris Eetu). C'était ainsi qu'Atte avait le mieux progressé en français, et ça avait marché aussi pour Mika: le sous-titrage détaillé dans la langue parlée de l'épisode. Il y avait aussi la radio numérique par satellites "France texte": le texte s'affichait et changeait de couleur sur le Lioubioutchaï 2 pendant l'écoute, comme pour le karaoké. Ils ne parlaient pas trop vite, les sujets étaient variés et Mika avait entendu dire qu'ils parlaient un meilleur français qu'à la télévion, avec imparfaits du subjonctif et tout ce qu'il faut.
S- meilleur qu'à la télévision, ce n'est pas difficile bien que les séries de VTP ne soient pas les pires, en matière de niveau de langage.
M- il y a une chose qui me semble plus facile à dire en français qu'en finnois, même pour moi: les nombres, surtout dès qu'il y a une déclinaison.
S- même "quatre-vingt-dix-sept"?
M- nonante-sept. "France texte" dit "septante, octante, nonante".
Depuis l'arrivée au pouvoir de l'ELR ces mots constituaient la version officielle. Aux informations télévisées, le CSA imposait leur usage. Les anciens nombres restaient en service (y compris pour rédiger un chèque), mais comme "formes désuettes", désormais. Ca marchait bien auprès des jeunes, sauf pour "80", comme d'ailleurs en Belgique. Stéphane avait été élevé ainsi, à l'école Kermanac'h, mais par la suite avait aussi utilisé les "formes désuettes" (non encore déclarées telles) pour ne pas être supposé à chaque fois belge ou suisse. Ayant peu vécu en France depuis cette réforme, il ne s'en était pas aperçu au quotidien, d'autant moins que les "formes désuettes" semblaient vouées à perdurer encore plus longtemps et chez bien plus de locuteurs que les "anciens francs". La plus vite abandonnée, statistiquement, était quatre-vingt-dix (et suivants): nonante apportait là une économie telle que ce terme se répandait assez vite, mais pas dans tous les domaines: pour les années, (problème résolu par le passage à l'an 2000) on entendait rarement "nonante-huit" ou "nonante-neuf", même chez les jeunes.
S- tu es bien plus à l'aise en français qu'Atte.
M- je ne connais pas les us et coutumes de ton pays, à part que l'on y sert du vin en toutes occasions et que l'on en vend partout pour pas cher.
S- ça, c'est la France vue par Atte.
M- ou Timo.
S- Atte te décirait mieux que moi les us et coutumes qu'il a constatés. Il y a des choses dont je ne m'aperçois pas et qu'un étranger peut remarquer.
Mika venait de lui parler bien plus qu'il ne l'avais jamais fait en si peu de temps avant, surtout d'un contexte non professionnel. Autant le laisser parler: Stéphane pensait avoir constaté que l'usage dans ce pays était de ne pas relancer une conversation (hors nécessité pratique, en particulier professionnelle) comportant déjà plus de cinq phrases, or Mika était très finlandais, contrairement à Nelli, Timo et Atte, voire Viivi. Il ne disait rien de plus et essayait de se rapprocher de Gorak, qui l'observait de sa banquette paillée. Quand Il fut assez près, Gorak lui donna un petit coup de patte sur la main, sans les griffes.
M- [en français] d'accord: je m'arrête ici.
Il resta assis par terre (il savait donc que pour ne pas inquiéter un chat il fallait paraître moins haut) et observa Gorak "sans insister". Celui-ci reprit une attitude plus détendue et observa Mika. Stéphane était habitué à plus de méfiance de la part de Gorak envers un visiteur vu pour la première fois. A moins (réalisa-t-il visuellement, en imaginant les trois personnages en situation) qu'ils se fussent déjà rencontrés chez Timo, quand il hérbergeait le chat en son absence. Timo et Mika se connaissaient bien, donc cela se pouvait. Toutefois, même dans ce cas, le comportement de Gorak pouvait être moins tolérant maintenant qu'il était sur son territoire et savait que ce n'était pas celui de Mika. Toutefois si celui-ci connaissait déjà Gorak chez Timo, pourquoi aurait-il souhaité le voir ici?
S- ne vous étiez-vous jamais rencontré chez Timo?
M- vus, oui, mais pas rencontrés. Je me disais que chez toi il serait plus en confiance. Il ne m'avait pas laissé m'approcher autant chez Timo.
S- c'est plus facile quand on lui propose de la nourriture qui lui plaît: Timo avait compris tout de suite.
M- méthode déloyale. [à Gorak] tu es très beau, et tu parais bien nourri.
S- tu peux peut-être te rapprocher un peu.
Stéphane s'approcha de la banquette, pour former un refuge rassurant pour Gorak qui aurait pu partir sur l'extrémité derrière son humain habituel, lequel faisait visiblement obstacle au déplacement éventuel de Mika dans cette direction: les chats savaient-ils jouer aux échecs? Mika se mit contre la banquette et posa la main sur l'osier, pas trop près. Stéphane eût une idée: il carressa Gorak, sur la tête devant les oreilles, puis la main de Mika, puis recommença, en disant doucement:
- j'essaie de mettre des phéromones tranquilisantes sur ta main. Ca peut aider. Retourne la main doucement, que j'en mette aussi dessous.
Mika le fit, la main de Stéphane jouant de nouveau l'abeille entre le chat et la main inconnue, déposant (espérait-il) de ces molécules inodores (pour nous) mais rassurantes pour le chat: comme s'il s'était déjà frotté contre cette main, qui aurait donc "fait partie des meubles". Quand c'était la main de Stéphane qui carressait Gorak, celui-ci se sentait bien donc fabriquait (supposait-il) ces molécules, ce qui n'aurait pas été le cas (il ne le savait pas exactement mais le supposait) s'il avait été carressé directement par une main inconnue.
Cela fonctionna et Mika put carresser Gorak, qui se laissa gratouiller sous le menton avec les doigts ainsi "apprivoisés". Quelque temps après Gorak s'installa sur Mika en le pétrissant comme pour en tester le confort et se laissa carresser des deux mains, puis ronronna et lui donna des coups de tête sous le menton.
M- j'aime beaucoup les chats, surtout les biens lourds comme lui. Il doit être encore plus affectueux l'hiver.
S- très affectueux, d'autant plus que je ne règle pas le chauffage à plus de 14°C, pour éviter trop de choc thermique à l'entrée ou à la sortie. Donc pour lui, la source de chaleur, c'est moi.
M- méthode aussi déloyale que la nourriture.
S- il mange déjà bien assez: quand je l'avais récupéré chez Timo, il avait pris du lard et il s'était même fait un lipôme: une boule de graisse sous la peau, par ici.
Il montra l'endroit, vers l'arrière du flanc droit de Gorak.
M- [touchant] ça n'y est plus.
S- c'est parti tout seul, sans le priver de nourriture.
M- l'obésité réduit la longévité des chats, mais même sans cela ils ne vivent jamais assez longtemps pour avoir la chorée de Huntington. Nous allons faire faire des économies aux systèmes de retraites.
Stéphane était sur le point de lui demander depuis quand il le savait mais ne le fit pas.
S- comme tu dis, Gorak sera mort avant que cela ne me concerne. Il ne faut pas se gâcher la vie avec puisqu'il n'y a rien à faire, dans l'état actuel de la science. Dans quinze ou vingts ans, il y aura peut-être un moyen de retarder son déclenchement.
M- peut-être pas.
S- on ne sait pas.
M- il ne faut peut-être pas travailler jusqu'à la mort, dans notre cas, mais s'amuser un peu avant.
S'amuser: Stéphane n'eût pas cru que cette notion existât chez Mika, en dehors peut-être de certaines victoires amusantes aux échecs.
S- oui. Toutefois il faut aussi prévoir que l'on n'est pas sûr de l'avoir avant cinquante ans, avec 40 CAG: il existe des cas tardifs. Eetu l'a eu à 48 ans, comme tu as dû l'apprendre.
M- oui.
S- mon père familial est mort d'une défaillance cardiaque à 49 ans, et ça aussi c'est héréditaire puisque ce n'était pas un problème de poids, qu'il ne fumait pas et buvait peu. Un an de plus, mais avec bien plus d'ennuis de santé avant. Je considère que malgré Huntington, l'hérédité d'Eetu m'a été très favorable, et en même temps je pense pas qu'il eût été un bon père familial.
M- ma mère m'a dit qu'elle avait payé Eetu.
S- je ne sais pas comment ça s'est passé dans ma famille: je n'ai pas posé la question.
M- nous avons tous deux les doigts antigel. Transpires-tu dès que tu fais un effort important par temps chaud?
S- non.
M- as-tu le coeur qui accélère en cas d'émotion forte?
S- non.
M- ça fait au moins trois tares génétiques que nous n'avons pas. Or selon ce que j'ai appris, tout ceci est lié à un câblage différent du cerveau: il y a des connexions parasites qui existent dans le cerveau de la plupart des gens mais que nous n'avons pas. Chez les grands joueurs de poker ça va encore plus loin: il n'y a même pas d'expression faciale des émotions. Tous les cerveaux ne sont pas organisés pareils: on dit que les gauchers n'utilisent pas de la même façon que nous les deux hémisphères, que les femmes non plus, et que les Japonais les utilisent encore autrement. Je me demandais si nos avantages physiologiques seraient liés à l'anomalie du chromosome 4: c'est lui qui code pour la chorée de Huntington, donc il doit jouer un rôle dans la conception du cerveau.
Que de mots de la part de Mika! Ceci semblait confirmer l'hypothèse de Stéphane: c'était la complexité du finnois qui les dissuadait de parler, puisque l'utilisation d'une langue latine rendait Mika bavard.
S- il y a des gens qui ne transpirent pas et n'ont pas de perturbation physique par les émotions tout en n'ayant pas la chorée de Huntington.
M- je ne dis pas que ce soit ce gène-là, mais tous ces gènes sont peut-être à bord du même chromosomes.
S- je ne sais pas. Je pensais que la non-transpiration était liée à l'absence de récepteurs hormonaux cutanés, car ça, ça se rencontre de temps en temps chez d'autres gens qui ont pourtant des effets physiologiques du stress, à part bien sûr la transpiration puisque la peau n'est pas équipée pour. Du moins pas plus que celle d'un jeune enfant. La plupart des animaux ne transpirent pas, ou juste sous les pattes pour y coller une semelle de terre protectrice.
Stéphane repensait au problème de la marche sur le feu: il était certain que le seul but des danses rituelles préalables était de mouiller les pieds pour y coller le plus possible de cendres humides.
M- l'un n'empêche pas l'autre: le fait que je n'ai toujours pas à me raser ne vient pas d'une connexion du cerveau, ça, c'est sûr, donc ça peut être une absence ou une rareté des récepteurs hormonaux cutanés.
Mika avait lui aussi (maintenant qu'il le voyait de près) l'effet "peau de pêche" confirmant cela, sorte d'anti-reflet naturel (en plus de ne pas avoir la peau grasse) et contribuant à le faire paraître plus jeune qu'il ne l'était. Stéphane avait déjà pensé à l'explication neurologique pour les doigts "antigel": s'étant renseigné sur les manifestations de cette tare affectant la (grande) majorité des gens, il avait appris que ça existait dans l'enfance (donc ce n'était pas hormonal) et surtout que ça pouvait se produire même avec de bons gants fourrés, idem pour les pieds. Ce n'était donc pas la température locale qui agissait, mais un ordre de sabordage donné du centre, soit par le cerveau, soit par un système semi-autonome comme celui qui faisait transpirer, accélérait le coeur, rendait les gestes imprécis (fébrilité, tremblements), anéantissait les capacités de raisonnement et détraquait la digestion (au point de pouvoir engendrer des ulcères, si cela se produisait souvent) en cas de stress chez les gens qui en étaient victimes de ces pertubations métaboliques sous stress. Ce que disait Mika lui semblait possible: déconnexion de ces commandes d'auto-destruction, chez eux, en échange d'une autre, programmée pour bien plus tard.
S- on ne peut pas être sûr que l'exemption de barbe soit définitive: il y a des cas tardifs, vers trente ans [il repensait à Gainsbourg] Mais c'est déjà ça d'évité jusqu'à présent.
M- ça attendra peut-être jusqu'à Huntington. Si la barbe était utile, par exemple pour protéger la gorge du froid, les femmes et les enfants en auraient aussi, comme les cheveux. Dans les espèces qui ont besoin d'une fourrure pour se protéger, les petits naissent avec, comme les chatons.
S- les lapereaux naissent nus: ils n'ont de fourrure qu'après. Il a parfois des choses qui ne sont pas prêtes, à la naissance: les chatons naissent habillés, mais il ne voient pas avant dix jours. Les bébés gazelles, eux, sont prêts à l'emploi dès la naissance, y compris courrir pour échapper aux lions.
M- il y a énormément de choses mal faites dans l'espèce humaine. Déjà, nous voyons mal dans le noir.
S- oui, mais il y a aussi des caractéristiques d'animaux que je ne voudrais pas avoir, par exemple des sabots au lieu des doigts. On ne peut rien faire, avec ça, à part marcher dessus ou donner des coups, et si jamais une grosse épine s'enfonce dans la partie tendre, comment l'enlever? Les vaches ne sont pas aussi souples que les chats, alors je ne pense pas qu'elles puissent le faire avec les dents, surtout pour les pattes arrière.
M- être un chat me plairait.
S- chat ou oiseau: voler, ça doit être agréable aussi. Ou la chauve-souris, avec le sonar pour attaquer dans la nuit totale: celle dans laquelle même les chats ne voient rien.
M- ça ne les empêche pas d'en manger: je suppose qu'ils visent avec les oreilles, quand elles volent trop bas, pour sauter en direction des "clic-clic-clic" qu'elles émettent pour repérer les insectes. Les chats n'émettent pas d'ultrasons mais ils les entendent aussi. Je l'ai vu dans un documentaire sur les systèmes de guidage sans vision.
S- sélection naturelle: les chauve-souris intelligentes ne descendent pas chasser à portée de chat. Elle devraient repérer le chat: ça fait un plus gros écho qu'un insecte. La fourrure, peut-être pas, mais les oreilles, la truffe, les dents...
M- ça doit faire partie des "échos d'obstacles non commestibles" comme ceux de la végétation: ça ne les intéresse pas, si elles suivent une petite friandise volante. Les ultrasons ne permettent pas de savoir si une forme est chaude ou froide, contrairement aux infrarouges. Aux ultrasons, une oreille de chat doit ressembler à une feuille concave, sans savoir que cette feuille l'entend arriver.
S- je regarde souvent la télévision, ici, pour progresser. J'ai aussi des indications temps réel dans la méthode sur ordinateur, mais je continue à trouver le système de déclinaisons difficile, qui m'oblige à m'arrêter pour réfléchir quand c'est un mot que j'utilise peu, ou dans un cas inhabituel. Il y a tellement de radicaux irréguliers... Pas étonnant que tu sois bon aux échecs après avoir réussi à apprendre une telle langue.
M- le finnois est difficile pour les étrangers, nous le savons, car nous nous souvenons que c'est à cause de nos déclinaisons que les Africains ont préféré vous laisser les coloniser. Je suppose qu'il faut être motivé et persévérant, comme pour le japonais. Maintenant je devine pourquoi tu avais fait cet effort: tu savais, pour Eetu.
S- pas officiellement, mais en voyant d'anciennes photos de lui j'avais compris pourquoi je ne ressemblais pas du tout à mon père, et pas tellement à ma mère non plus. La tienne te ressemble bien plus.
M- ce qui est curieux c'est que nous nous ressemblons plus entre nous qu'avec Eetu. Ca doit être pur hasard, comme avec Atte qui te ressemble plus que moi.
Gorak s'était assez bien installé sur Mika pour commencer à somnoler: il s'était aussi habitué à sa voix.
S- au début j'avais pensé que nous étions apparentés, lui et moi. Il a été testé en France pour un don de sperme: la banque vérifie aussi le site des CAG de Huntington, s'ils les avait eus ils l'auraient refusé.
M- il peut être fils d'Eetu mais avoir son autre chromosome 4: il est rarissime d'avoir les deux de bogués, sauf descendance consanguine, donc statistiquement, la moitié de ses innombrables descendants y ont échappé. N'oublie pas non plus que la moitié sont des filles, ce qui fait déjà quatre cas, et que même parmi les garçons beaucoup ne nous ressemblent pas. Kare pourrait être un fils d'Eetu, par exemple: il lui ressemble plus. J'avais vu une fois le père de Kare, il y a longtemps: je m'en souviens car ils n'avaient aucune ressemblance. A l'époque, je ne savais pas pour Eetu, donc je n'y avais pas pensé, mais maintenant, ça me semble possible.
Mika et Stéphane étaient d'accord pour ne parler à personne de leur parenté, car si à l'usine on savait qu'ils étaient demi-frères, ça allait induire l'explication rétroactive de la promotion de Mika par népotisme, alors même qu'à cette époque aucun des deux ne le savait. Stéphane proposa à Mika de venir en Bretagne (lui offrant le voyage s'il souhaitait y venir) en septembre, s'il lui restait des congés (BFRSF en donnait plus que la plupart des entreprises finlandaises, en échange de salaires modestes):
S- c'est un village plus petit que celui-ci, à 8km de la mer: on peut y aller en vélo. [il lui montra des vidéo dans l'AK50]. Je n'ai ni frère ni soeur et mon père est mort cette année, alors un demi-frère ne peut pas nuire. Tout le monde avait deviné, dans ma famille, pour Eetu. Je n'ai rien dit au sujet du chromosome 4: inutile d'être regardé comme un mort-vivant.
M- comment doit-on se comporter dans ton pays?
S- ne change rien: on sait que les gens du Nord sont froids, et les Finlandais encore plus que les Suédois, donc ça ne surprendra personne. Si tu essayais de jouer un autre rôle ce serait probablement maladroit. Toutefois, si tu souhaites parler, tu peux: il est normal d'être bavard, dans mon pays. La Bretagne nord est une région calme: rien à voir avec l'agitation parisienne dont Atte a pu te parler.
Stéphane fut ensuit invité chez Mika pour voir avec qui il vivait: c'était une chatte demi-persane (le nez très court mais pas écrasé entre les yeux, d'où une bonne respiration et pas d'encrassement des coins des yeux) d'un blanc de neige fraîche, avec des yeux verts émeraude comme si elle avait fait des photos pour des boites d'aliments de luxe.
M- Shéhérazade, voici quelqu'un qui a les yeux aussi verts que toi.
S- mais tu es mille fois plus mignone!
Shéhérazade ne tarda pas à s'approcher de Stéphane puis à s'installer sur lui, le pétrissant en ronronnant et s'incurvant sous les caresses. La félinodépendance faisait-elle partie de l'héritage Eetu? C'était bien trop répandu pour pouvoir être lié à ces gènes-là.
Ils allèrent chez VTPSF, où Mika devait tourner quelques scènes énergiques de Lobosibirsk, puisque depuis hier soir il y jouait Mikhaïl, un des infirmiers appelés pour maîtriser les cas difficiles, en collaboration avec Leonid, le personnage joué par Kim qui était un "BFRSF" ressemblant à Audry, mais en plus âgé puisqu'il avait 41 ans. Stéphane put ensuite examiner les tigres de Sibérie artificiels. Redoutablement bien imités, grâce à un très grand nombre d'articulations et de verrins hydroélectroniques, des gyroscopes logés dans le corps et de nombreuses "centrales à inertie". Ces mécanimaux étaient prêtés à VTPSF par VTP pour tests et perfectionnements en attendant les grands tournages qui en auraient besoin.
BFRSF ayant peu de choses à lui faire faire en ce moment, à part les vérifications d'usage (une tournée par semaine suffisait), Stéphane fut prêté à VTPSF pour participer à la mise au point de la machinerie de divers projets, dont "Drakkars et dragons". Mika ne travaillait déjà plus chez BFRSF.
Ce fut le 28 novembre (puis 1er décembre) que "Sartilvar" sortit enfin. Il y avait eu des fuites au sujet de ce film. Comme d'habitude, ni les acteurs ni les techniciens ne connaissaient autre chose que les parties sur lesquelles ils avaient travaillé, mais on savait déjà qu'il y avait des taupes happeuses et que ce serait de la HF à très gros budget (à l'échelle de VTP), dépassant celui des "miroirs du temps". La post-production avait disposé de beaucoup de temps (en plus de ce qui avait pu être pré-produit, en particulier les paysages) et le résultat était à la hauteur des espérances: faire au moins aussi bien que les meilleures réalisations américaines lors des scènes d'action, et mettre bien plus de celles-ci (pas de bavardage "jouant la montre") que dans les films américains. De la HF à l'italienne (dans l'esprit) avec des moyens semblant dépasser largement ceux d'Hollywood. Ca ne pouvait "que" marcher (supposait VTP) et le succès international fut au rendez-vous: depuis "les miroirs du temps", "les maîtres du fer" ou "l'Atlantide" le public savait que Kerfilm lui en donnerait pour son argent dans ce genre de film. Ceci poussa certaines salles à ressortir d'autres HF de Kerfilm pour ceux qui n'avaient pas cherché à les découvrir à l'époque.
Fin novembre, VTPSF disposait d'assez d'épisodes de Lobosibirsk et du test sur le public finlandais pour commencer à en exporter. Lobosibirsk connut un succès considérable aux Etats-Unis: cette série ne respectait pas les codes classiques des séries américaines mais c'était aussi le cas de certaines séries américaines récentes, donc cette partie du public était prêt. Ceci conduisit même quelques acteurs américains (parmi celles et ceux n'ayant rien à tourner en ce moment...) à venir jouer comme "guest star" dans tel ou tel épisode de Lobosibirsk, à condition d'arriver à s'adapter au système de tournage "à la VTP". Suivant une manie américaine bien connue, un "remake" local fut étudié, mais l'idée fut rapidement abandonnée en raison du coût dissuasif pour arriver à un résultat visuellement comparable: les acteurs finlandais n'étaient pas chers, tout en ayant acquis du savoir-faire dans les autres séries de VTPSF, et la reconstitution tant de tout l'hôpital (dont seules de petites parties, permutables et réhabillables, étaient réelles) ainsi que du paysage environnant ou de tout ce qui se passait ailleurs (sous-marin, station spatiale, stades, parade militaire de la Place Rouge, traque des fugitifs par les tigres) n'était pas envisageable avec un budget de série télévisée américaine, vu les coûts élevés là-bas et le manque d'automatisation.
Jarkko avait des clauses d'exclusivité et de non-concurrence dans son contrat: les Américains ne pourraient pas le racheter avant fin 2001, VTPSF estimant que d'ici là le recrutement en aurait trouvé un autre. VTP savait que Jarkko Tarkkaniemi, bien qu'il ne fût pas omniprésent (principe de "non-saturation"), était un atout de la série pour l'exportation outre-Altantique.
Lobosibirsk marchait aussi très bien en Europe. VTPSF parvenait à tourner quatre épisodes de 52mn par semaine, parfois six, avec le système à plusieurs équipes et le panachage des tournages de six à dix épisodes en même temps pour mieux répartir acteurs et éléments réels de décors. L'habitude française de passer une fois par semaine un groupe de deux ou trois épisodes pouvait donc se contenter du tournage "au fil de l'eau" de cette première saison.
L'un des commentaires avait été "Encore une série médicale! A ceci près que c'est la première nous plongeant au coeur d'un hôpital de neurochirurgie soviétique en pleine Sibérie".
Atte était rentré chez VTP le week-end précédent, sans que l'on fût sûr qu'il ait résolu son problème d'alcool. La seule chose que Stéphane avait pu vérifier, c'était qu'il était sobre à l'éthylotest (il le faisait souffler dans l'appareil à chaque fois: demandé par BFR) quand il venait utiliser la salle d'entraînement aux combats virtuels.
Nelli- à ton avis, Atte a-t-il maîtrisé son problème d'alcool?
Stéphane- chez nous, on dit "qui a bu boira".
N- fatalisme... Je croyais que son sort te préoccupait.
S- il faudrait qu'il reste chez son père plus longtemps, mais on ne peut pas l'y obliger: VTP l'attire comme un aimant la limaille. Ce n'est pas une entreprise qui pousse à boire, mais il fréquente d'autres gens, dans Paris, qui ont de mauvaises habitudes. Il se couche trop tard, de bar en bar ou de boite en boite. On sert de l'alcool toute la nuit de tous les jours, en France. Ce n'est pas sain pour un Finlandais qui est habitué ici a n'en trouver qu'à certaines heures dans certains endroits. Ce qui m'inquiète, ce sont surtout ses fréquentations: je pense qu'il ne se serait pas mis à boire seul.
N- il est influençable. Tant que c'était toi sa référence, c'était inoffensif.
S- c'est pour cela que j'avais suggéré à VTP de le renvoyer chez son père: ça me semble une influence saine.
N- saine? Antti Ruusuvaara n'est pas un mauvais père mais il boit beaucoup.
S- je ne le savais pas...
Nelli lui raconta des tas d'histoires arrivées à des gens qu'elle connaissait (y compris de sa famille) suite à une ivresse poussée. Elle raconta aussi que sa cousine Leeni avait été violée et poignardée aux Etats-Unis où elle était partie travailler. Elle raconta des cas de dépressions hivernales noyées dans l'alcool sans toujours éviter le suicide. Ce qui était spécifique aux environs du lac, c'était les dépressions printanières. Timo avait réussi à perdre un peu de poids, depuis cet été: environ 8kg: "le poids de Gorak".
La théorie de la relativité générale n'avait pu être "replâtrée". Restait la relativité restreinte, ce qui signifiait maintenant "restreinte au couple matière/énergie usuel". L'effondrement des ventes du matériel informatique non AK s'était confirmé cet année, de même que la chute du marché de la téléphonie mobile: ce marché n'avait pas disparu mais ne pouvait espérer de marges importantes, en particulier sur les services. En France la natalité continuait de baisser: effet des lois de responsabilité génétique vis-à-vis de la qualité de vie des futurs-nés et peut-être attente de l'an 2000.
Les horaires scolaires réduits (et plus efficaces, libérant en même temps trois mois entiers de vacances d'été pour les élèves) avait, en plus de diviser par 2,7 le budget par élève (l'objectif était de le diviser par six à terme tout en permettant d'assimiler plus de connaissances à âge égal, grâce à la supression de l'entrelacement des matières) ôté au système scolaire français sa fonction de garderie: comme en Allemagne, il était devenu difficile et coûteux de cumuler deux emplois hors de chez soi et des enfants d'âge scolaire. En plus de l'économie considérable de dépenses publiques que cela permettait, cela contribuait aussi à améliorer encore la balance commerciale (déjà dopée par le basculement des charges sociales (CSG inlcuse) dans la TVA) puisque les importations de couches jetables avaient été divisées par 11 par rapport à 1997, en raison d'une taxation au litre de volume de produit jetable, particulièrement dissuasive pour les couches (retour massif au changes lavables: 68% des parents). Les importations de vêtements pour enfants en bas âge et de jouets "premier âge" avaient été divisées par quatre. L'effondrement du secteur immobilier se poursuivait, avec des conditions bien plus difficiles pour obtenir un permis de construire et une taxe sur les constructions neuves, tandis que grâce à la réémigration et la chute de la natalité la demande de logements s'était réduite.
L'abrogation des ordonnances de 1945 sur les jeunes et la réinstauration des travaux forcés (depuis que la constitution française s'était dégagée de toute reconnaissance d'une prééminence européenne dans le domaine pénal) avait raréfié une délinquante déjà privée de ses moteurs centraux par l'émigration des familles nombreuses et (de ce fait) par le dépeuplement (surtout de jeunes) des "cités à problèmes".
Atte n'avait donc connu rien de ceci en arrivant à La Défense: c'était devenu aussi rare que les crottes de chiens sur les trottoirs. Il était arrivé dans un pays qui n'avait déjà plus que 5 à 6% de chômage, où le droit de grève dans les services publics s'arrêtait là où commençait l'obligation de continuité du service public donc où les grèves ne gênaient plus les usagers, d'autant moins que les grands syndicats avaient perdu tout financement autre que les cotisations des adhérents et où un syndicat n'était "représentatif" qu'au pro-rata du nombre réel d'adhérents dans l'entreprise concernée. Atte se s'aperçut de rien de cela: il ne fut simplement pas victime de grèves des transports publics, de même qu'il n'avait pas subi le stationnement payant (interdit sur tout le domaine public) ni des limitations de vitesses aussi strictes qu'autrefois. N'ayant pas connu notre pays avant, il n'avait pas de base de comparaison donc tout lui parût normal: il s'attendait à ce que ce fût différent de la Finlande et ce l'était donc ne le surprit pas plus que ne l'aurait surpris la France de début 1997. Dans celle-ci, il eût été surpris du retard "tiersmondesque" de développement de l'accès à internet. Dans la France d'après l'ELR, le rétablissement de la liberté d'expression (donc l'aboliton des délits d'opinon, plutôt que leur homogénéïsation qui aurait conduit à interdire toute expression d'opinion collectiviste comme apologique des crimes de ces régimes, et l'usage des emblêmes correspondants) avaient conduit à l'apparition du PNF: Parti Nazi Français, avec la croix gammée, qui avait achevé d'asphyxier l'extrême droite (déjà privée de bien de ses arguments par l'ELR, qui avait réussi en supprimant les allocations familiales à faire partir plus de familles immigrées que n'importe quelle mesure contraignante raisonnablement envisageable) et une partie de l'extrême-gauche (fascistes de tous bords, même combat?). Les blagues racistes, sexistes et homophobes avaient de nouveau droit de cité dans les médias, ce qui était allé de pair avec une baisse des actes correspondants et même de la discrimination à l'embauche: la crainte d'être poursuivi pour racisme, homophobie ou sexisme en cas de licenciement ou de non-promotion par rapport à des collègues était l'obstacle majeur au recrutement du personnel concerné. Avec un statut banalisé, aidé encore par l'interdiction de toute demande de photo dans les CV (sauf pour le recrutement d'acteurs, mannequins, etc, ou ça restait indispensable) et la généralisation des téléentretiens d'embauche (car quand on convoquait quelqu'un, que l'on fût un employeur privé ou une administration, on devait désormais payer le transport: l'ELR continuait de dissuader financièrement les déplacements inutiles) puis le CV anonyme (déjà envisagé par des associations, instauré par l'ELR) tant en âge qu'en sexe et nom, la discrimination à l'embauche avait baissé. Les entreprises n'hésitaient plus à embaucher des femmes car la natalité s'effondrait, avec la non-rémunération du congé-matérnité, qui était un congé obligatoire pour tout métier effectué hors de chez soi y contribuant encore plus pour les travailleuses, ainsi que l'interdiction de toute prise en charge publique ou par l'entreprise (avantage indû, sauf si défalqué à prix coûtant du revenu) des garderies. Les Françaises rentraient dans une variante du modèle allemand: travailler ou enfanter, il fallait choisir. La responsabilité génétique, la taxe à la personne ajoutée et la perte, en cas de naissance, des "allocations malthusiennes", comme on les appelait dans le public, avec CMU sans conditions de ressources, faisaient que désormais le bébé était un luxe rarement pratiqué par les classes populaires. Le divorce qui était désormais très difficile tant qu'il y avait des enfants "familialement mineurs" (la majorité familiale était un examen de compétences et non un âge) et, lorsqu'il était possible, avantageait les enfants au détriment du parent divorceur, s'était lui aussi raréfié, tout en dissuadant de faire des enfants si on n'était pas sûr de rester ensemble jusqu'à leur majorité familiale. Moins de divorces avaient aussi pour effet de diminuer encore la demande de logements, donc d'entretenir la baisse des prix donc la hausse du pouvoir d'achat général. Grâce à l'effondrement de l'immobilier et à la compression record (même Thatcher n'avait pas su en faire autant) des dépenses publiques, le coût de la vie (pour un Smicard) avait baissé de 37% par rapport 1997. Certaines choses étaient bien plus chères qu'avant (produits technologiques importés, voitures neuves (or les Smicards n'en achetaient jamais) produits jetables) mais les postes de dépense principaux: logement, transports, nourriture, abonnements aux services de base, avait connu une baisse de prix TTC spectaculaire. La suppression de la redevance télé, la réforme de la taxe d'habitation la proportionnant au nombre d'habitants du foyer, la suppression des parts fixes d'abonnements avaient elles aussi donné du pouvoir d'achat aux gens sans enfants (et même jusqu'à deux, voire parfois trois là où l'effondrement du cours de l'immobilier avait été plus fort que la moyenne) des classes populaires.
On avait donc un peu plus de pouvoir d'achat avec deux enfants en 1999 qu'en 1997, mais comme on en avait beaucoup plus en ne faisant pas d'enfants, la tendance malthusienne restait forte. Objectivement, les réformes de l'ELR n'avaient pas appauvri la famille "standard" (papa maman le fils et la fille) mais avait fortement enrichi les personnes seules, les couples sans enfants et au rang intermédiaire les parents à enfant unique ne cumulant pas deux emplois hors de chez eux. Ceci avait aussi contribué à la baisse de la demande d'emploi, la fiscalité étant dissuasive pour les couples "cumulards" (la franchise étant la même pour deux que pour une personne seule: une seule franchise par foyer), avec priorité à l'embauche des gens faisant partie d'un foyer fiscal (quelqu'en fût la taille) ne comportant aucun salarié.
Le taux constant d'impôt sur le revenu de 20% (au delà de la franchise égale au Smic de 12 mois sans primes) avait créé une immigration fiscale des personnes à hauts revenus des pays voisins, qui avait contribué à elle seule à 8% de la baisse des prélèvements obligatoires sur la population d'origine. L'Angleterre avait aussitôt imité le modèle (l'idée de la "flat tax" venant de chez eux), mais avec une franchise de base plus basse (60% d'une année de Smic français) en échange d'un taux de 18%. Toutefois la position géographique plus intéressante de la France, et son réseau ferroviaire désormais efficace (par perte du droit de grève du service. Les grèves internes -en particulier des actes administratifs- restaient possibles, à condition que le service fût assuré) face aux voies ferrées en ruine outre-Manche conduisait nombre de hauts revenus à choisir la "flat tax" française plutôt que l'anglaise encore plus avantageuse. La météorologie comptait aussi.
Ceci aurait pu faire remonter les prix de l'immobilier. Ce ne fut le cas que dans un petit nombre de localités prisées de ces immigrés "en or", leur nombre total restant insignifiant par rapport à la chute de population par réémigration et dénatalité qu'avait obtenue le gouvernement ELR. De plus la taxation des plus-values à court terme (en particulier dans l'immobilier) était confiscatoire (100% pour une revente dans le même mois, quels que fussent les travaux éventuellement effectués: non déductibles) en échange de se tasser assez vite ensuite, pour atteindre zéro au bout de dix ans. Ceci avait tué la spéculation, en particulier les "ventes à la découpe", à moins d'attendre plusieurs années. La profession de "marchand de biens" disparut, n'étant plus rentable.
L'essort économique français aurait pu créer de l'immigration de pauvres, ce que la TPA dissuadait en partie et que la mise aux travaux forcés pour six mois (puis neuf la prochaine fois, puis un an, etc) de tout immigré clandestin avant renvoi (en autocar et en bateau: pas en avion, pour ne gaspiller ni carburant ni financement) combattait efficacement: avoir été pris conduisait à travailler pour rien (juste nourri au minium vital et hébergé en prison) avant expulsion, avec enregistrement de l'ADN pour déterminer s'il y avait récidive. Au lieu de coûter de l'argent au pays, les immigrants clandestins lui rapportaient de la main-d'oeuvre gratuite et dépourvue de tout droit.
Chez VTP, Atte avait appris que certaines choses étaient des changements récents, par exemple l'interdiction du stationnement payant, la baisse des prix alimentaires et la hausse spectaculaire des produits de haute technologie grand public puisque tous importés. Le tabagisme avait été divisé par trois, tant par la répression (calquée sur l'ancienne répression routière, au pro-rata du nombre de décès par pratiquant, donc avec des amendes 40 fois plus élevées: le tabac tuait 40 fois plus de ses utilisateurs que la route...) que la hausse des prix (plus de 5F la cigarette) et l'interdiction de passer plus qu'un paquet (et qui devait être entamé, de façon à éviter la revente) à la frontière par adulte. On fumait désormais moins en France qu'en Finlande et en bien moins d'endroits. L'alcool, par contre, lui semblait couler à flot à un tarif raisonnable (surtout par rapport à ce qu'il connaissait en Finlande), presqu'en tous lieux et presqu'à toute heure. S'il avait vu très peu de Français ivres-morts, Atte supposait que ce peuple tenait mieux l'alcool, en raison de la culture bi-millénaire du vin. La réalité était qu'ici il se consommait moins d'alcool forts et en moins grande quantité que ne le faisaient les buveurs finlandais. Atte avait trouvé le pastis intéressant, comme goût, mais pour se "défoncer" avec il fallait (selon lui) le dilluer dans autre chose que de l'eau. Il l'utilisait comme moyen de parfumer la vodka, plutôt que la vodka comme moyen d'allonger le pastis. Pour un jeune Finlandais, passer tout ceci sur le tapis de caisse chez Auchan (La Défense), que ce fût de la bière (de la vraie, pas de la désacoolisée), du vin, du pastis, du whisky ou de la vodka, lui avait semblé irréel au début: comme sur certains ferries mais encore moins cher. Une fois, on lui avait demandé sa carte d'identité ou son passeport pour vérifier son âge, car il pouvait faire moins de 18 ans. Mais une seule fois. L'alcool était bien moins cher dans les hypermarchés que dans les bars. Quand aux vins et bières, si on se contentait de bas de gamme anonyme (le vin en "cubi" plastique) c'était à peine plus cher que l'eau minérale de marque. Alcool excepté, il était facilement passé à un régime alimentaire plus sain: ici, les fruits et légumes étaient abordables, voire très bon marché par rapport aux tarifs finlandais.
Le manque d'hygiène restait de son point de vue le plus gros point noir de la société française, même si les crottes de chiens s'étaient raréfiées à coup d'amendes croissantes à chaque récidive. La police faisait des analyses génétiques des crottes pour retrouver les coupables de dépôts nocturnes. Pour le reste, beaucoup d'endroits et de gens sentaient mauvais. Beaucoup avaient les dents abîmées, malgré la démocratisation récente de l'accès aux soins dentaires, implants inclus. Beaucoup de voitures en mauvais état, de traces de vandalisme sur les murs (publics ou privés), même si ce phénomène avait beaucoup diminué avec l'application systématique des travaux forcés (externes, pour la réparation de simple vandalisme, internes en cas d'agression) et le renforcement de la vidéosurveillance urbaine. Les gens lui semblaient pour la plupart trop bavards, se coupant trop fréquemment la parole, mal élevés (même par rapport aux normes françaises qu'il avait étudiées pour savoir comment faire), pressés d'arriver, nerveux, agressifs. Pas tout le monde, mais ô combien plus qu'en Finlande: le Finlandais lambda ne se rapprochait d'un tel comportement qu'après avoir beaucoup bu. Trop de population sur trop peu de surface (surtout en région parisienne) était automatiquement source d'agressivité: il avait vu à la télévision (en Finlande) des expériences de ce genre avec des rats: même quand il y avait bien assez de nourriture pour tout le monde, si on réduisait trop la taille de la cage ils s'entretuaient. Il avait demandé s'il existait des zones peu peuplées en France. Chez VTP on lui en avait montré sur une carte: les montages (hors des stations de sports d'hiver), les grandes plaines agricoles (par exemple la Beauce) et les endroits où il n'y avait rien qui motivât les gens à s'installer (la Creuse, l'Ardèche...), bien qu'avec le développement massif du télétravail et l'accès internet partout via le Lioubioutchaï 2 (y compris sans passer par internet du tout: dans le réseau entièrement conçu par les Russes, où le débit était supérieur puisque comme il n'y avait qu'un seul type de machine à chaque bout les protocoles étaient directs, avec fichiers numériques sans passer par un pseudo-code tout-terrain) des gens cherchant du calme et surtout de l'espace pas trop cher s'il installaient.
La seule fois où Atte était allé dans un sauna parisien, au début de l'année, il s'était aperçu que c'était un lieu de rencontres pour homosexuels, d'où la suggestion scénaristique pour "Viande urbaine". Ca semblait être le cas d'un grand nombre de ces établissements, même si pas forcément tous: comment savoir lesquels? Personne chez VTP ne s'y connaissait. Atte croyait que le sauna était nécessaire au moins une fois par semaine à son peuple pour purifier le sang, alors en août 1999 il en avait acheté un (le plus petit: de la taille d'une grosse armoire) en kit (importé de Suède et non de Finlande) et l'avait installé dans un coin de son studio, près de la salle d'eau pour pouvoir prendre une douche glacée ensuite, en reliant la ventilation à celle de la salle d'eau. Un petit peu de Finlande (bien que "made in Sweden") était ainsi recréée à domicile.
Depuis l'abolition des "régimes spéciaux" et de tous les "excédents injustifiés de rémunération" en particulier à la SNCF, le train était devenu beaucoup moins cher pour tous: il n'existait plus de réductions pour telle ou telle catégorie de clients: tarif unique pour tout le monde, plus bas que le tarif "Carte Vermeil" d'autrefois, TGV inclus. La modulation tarifaire restait liée aux dates et horaires, pour tenter de mieux répartir les voyageurs dans le temps: ceci n'avait pas changé. L'un des gros progrès en souplesse d'usage était qu'il n'était plus obligatoire de prendre de réservation pour le TGV: un compteur automatique de voyageurs permettait de savoir à tout instant s'il y avait des places à bord (et où) et donc d'en accepter de nouveaux sans réservation comme l'aurait fait un RER. Prendre une réservation assurait d'avoir une place, mais aux heures creuses (voire jours creux) on était pratiquement sûr d'en trouver sans avoir réservé. Atte visita ainsi Londres (aller-retour dans la journée), plusieurs fois. L'Angleterre aussi avait changé (et ça non plus il ne pouvait pas s'en rendre compte) du fait de l'effondrement des marchés boursiers: la "City" n'était plus ce qu'elle avait été. Les Jaguar et les Mercedes "classe S" n'étaient plus renouvellées aussi souvent. Il s'aperçut que le train roulait très lentement sur les voies anglaises (archaïques) contrairement à ce côté-ci du tunnel. Se renseignant, il appris que le TGV avait été conçu pour circuler sur toutes les voies (mêmes vieillottes) ayant le bon écartement, contrairement à l'ICE allemand (trop lourd pour les voies traditionnelles), mais qu'il n'y avait pas de miracle: il ne pouvait pas y rouler (sans risque) plus vite que les trains anglais. Le film "Plum pudding" n'avait pas eu besoin d'exagérer.
Revenir en Finlande (sur ordre de VTP, après suggestion de Flavia et Stéphane à l'employeur d'Atte) lui avait fait redécouvrir les bienfaits de l'espace et de la tranquilité, dont il avait soit oublié quelque peu les avantages, soit les avait compensés par l'alcool. En l'absence d'Evita la maison paternelle lui avait semblé une île de paix et de sécurité. Il avait presque tout raconté à son père (sauf la banque de sperme et certaines beuveries achevées dans le vomi et la perte de conscience) en lui montrant ce qu'il avait filmé.
Antti Ruusuvaara avait suivi la recommandation de Stéphane: empêcher Atte de reboire "ou juste un peu de bière en fin de repas". Atte bien que devenu assez costaud avec tout cet entraînement n'était ni rebelle ni agressif et avait donc obéï aux consignes paternelles, d'autant plus qu'il savait que VTP, Flavia et Stéphane pensaient de même. En Finlande c'était plus facile: l'alcool était cher, disponible à moins d'heures en moins de lieux (commerces dédiés, comme pour le tabac en France). La tentation locale venait du train, qui n'existait pas quand Atte était parti chez VTP: les jeunes Finlandais du coin pouvaient maintenant aller faire la fête en ville (Tempere ou Seinajöki, cette ligne ayant aussi été mise en service) sans se soucier de savoir qui s'abstiendrait pour reconduire les autres. C'était beaucoup plus rapide que la voiture (même l'été) et pas trop cher, surtout avec les formules d'abonnement "week-end illimités". Les rames rapides Kermanac'h ramenaient à bonne allure à leur gare de débart des bandes de jeunes que d'autres voyageurs devaient parfois aider à sortir du train, certains, trop imbibés, s'étant endormis lourdement pendant ce trajet. Ceci faisait aussi l'affaire des nouveaux taxis locaux, car il fallait bien revenir de la gare à chez soi quand on n'était plus en état d'y aller à pieds (trop loin, surtout quand on ne savait plus marcher en ligne droite). Autant les habitants du coin appréciaient de pouvoir eux-mêmes utiliser le train (promis dès 1926, annulé en 1927, re-promis en 1960, projet annulé en 1962...), autant de l'avis général il n'avait fait qu'amplifier la tendance à l'alcoolisation abusive des jeunes certains soirs.
De retour à La Défense, il avait essayé de tenir mais avait peu à peu replongé, bien que ne fréquentant pas les "pires" de ses fréquentations antérieures. Il buvait aussi pour éviter d'essayer d'autres substances qu'il voyait circuler chez certains des gens avec lesquels il s'amusait bien. C'était interdit et fortement réprimé (les peines pour trafic ou culture étaient désormais réellement appliquées), et VTP faisait passer des tests respiratoires et salivaires à ses acteurs: les nouvelles lois françaises permettaient à un employeur de l'exiger, dans la limite d'une fois par jour et à ses frais: le test n'était pas déduit du salaire. Bien que n'étant pas grassement payé chez VTP (le fixe était proche du Smic, ce qui en Finlande aurait suffi à raréfier ses acloolisations. Le reste viendrait en participation lors de l'exploitation commerciale de la série, surtout à l'exportation) il avait du succès en société. Flavia lui avait dit "parce que tu es trop beau pour exister en vrai, ici, que tu as l'air plus gentil que Torbjörn, et en plus les Finlandais, ça attire la curiosité: on n'en rencontre jamais. Des Russes, oui. Des Suédois, rarement mais de temps en temps. Des Finlandais: jamais".
Atte avait fini par trouver une poignée de noms finlandais dans l'annuaire, mais il s'agissait d'hommes d'affaires représentant en France de grandes entreprises finlandaises (par exemple Kone pour les escaliers mécaniques: ça, ça s'exportait encore très bien).
Il réussit à ne pas reboire autant qu'avant octobre, mais rebut tout de même trop, même de son propre point de vue. Flavia lui avait dit: "tu n'as qu'à fréquenter des Musulmans: eux, ils n'ont pas le droit de boire, donc tu ne seras pas tenté", mais ce n'était pas une culture qui lui convenait et il devinait qu'il y serait comme un chien dans un jeu de quilles.
Grâce aux contrôles systématiques (très bon marché car c'était BFR qui fabriquait les réactifs chimiques) l'univers VTP était sage sur ce point, contrairement au "milieu" de l'audiovisuel en général. VTP le mit dans une nouvelle série: de la science-fiction, "à la recherche de la masse manquante", thème porté par l'abandon de la "relativité générale" et la "libération cosmologique" qu'elle avait entraînée: on pouvait aller plus vite que la lumière (mais pas avec la matière usuelle: il fallait utiliser des alliages en "micromatière" non relativiste et non quantique (ou plutôt "subquantique": utilisant une "constante de Plank" beaucoup plus fine), rare et convoitée d'autant plus que très difficile à détecter dans l'espace). Réalisée avec bien plus de moyens infographiques (et de moyens tout court) que "Cap sur Mars", qui avait déjà très bien marché, elle se situait dans un futur proche ou la langue la plus utilisée sur Terre était le russe (à cause du réseau mondial gratuit), devant le chinois, et où les Etats-Unis étaient l'équivalent d'une immense Bulgarie (du monde réel) faute d'avoir su s'adapter à temps à l'épuisement des ressources pétrolières.
Le simulateur physique de scènes d'action avait encore été amélioré et il en existait d'autres exemplaires chez VTPSF. Drakkars et dragons aurait besoin de beaucoup de personnages agiles et actifs, en plus de ceux servant à "faire du nombre" aux limites de la figuration, la figuration étant en grande partie fournie par la "réalité virtuelle", surtout quand il y aurait de la brume et pour tous ceux qui ne seraient pas vus de trop près. Le tournage aurait lieu en plusieurs vagues, en se concentrant sur les week-ends (pour utiliser de jeunes acteurs qui continueraient aussi leurs études ou leur premier emploi, en particulier) sans utiliser tout le monde à plein temps. Cette fois VTP n'allait pas tout expédier en trois ou quatre semaines, d'autant plus qu'il y aurait certainement des imprévus (à causes des tournages en extérieurs) et du matériel à réparer. Des "itinéraires bis" furent même prévus dans le scénario au cas où tel ou tel acteur, parmi les principaux, aurait un accident (pas forcément un accident de tournage) l'empêchant de jouer la suite. Tous étaient utiles mais aucun ne devait être indispensable, Erwann inclus. Il y aurait deux versions de tournées simultanément: la version cinéma: 3h, et la version télévision, 4h20, commençant avant et finissant après le film (extensions de scénario aux deux bouts) avec des cadrages tenant compte des contraintes du "petit écran" et qui servirait peut-être de pilote à une série, mais le tournage de celle-ci n'était pas encore décidé. Langue de tournage: finnois, y compris pour Erwann et les huit acteurs suédois ou danois déjà formés aux combats à l'épée chez VTP dans diverses HF.
#### l'aventure finnoise [28] drakkars et dragons
Il n'y avait jamais eu de Vikings finlandais? Justement: il était temps d'y remédier, avaient estimé VTP et VTPSF. L'histoire était située en Norvège et même en Islande, d'où les tournages préalables de tous les mouvements de caméras (avec une précision chirurgicale, pour faciliter la fusion finale) dans les paysages norvégiens, au cours de cet hiver puis du printemps. On ne tournerait que ça en Norvège, pour limiter les frais. La Norvège, c'était trop cher, trop inhospitalier, BFR/VTP n'avaient aucune base sur place, "de plus les Finlandais sont encore plus grands, plus blonds et plus froids que les Norvégiens", ajoutait VTP, en interne, pour justifier ce choix auprès de directeurs qui pouvaient encore douter du bien-fondé de ce "bidouillage". L'Islande aussi était filmée à part (trop chère et surtout trop loin pour y envoyer toute l'équipe, les bateaux, etc), avec son mélange de glace et de feu qui plaisait beaucoup à Tarsini, dont les puissants moyens infographiques seraient chargés de ces effets spéciaux hors de la réutilisation des vues réelles: "Il faut aller au delà de ce que les gens ont déjà vu dans nos HF précédentes, y compris Sartivlar". Pas facile: les effets de paysages insolites et grandioses, de changements atmopshériques, de structures rocheuses et d'effondrement avaient déjà beaucoup impressionné "urbi et orbi" le public de ces films. Tarsini souhaitait que la mer se vide comme un lavabo, dans une des scènes de maléfices (comme le lac souterrain de "voyage au centre de la terre", mais à l'air libre entre les vraies rives d'un vrai fjord, continués infographiquement à mesure de la baisse de l'eau), et que les drakkars se retrouvent à sec au fond du fjord avant le retour des eaux. Ceci en écho à ce qui se passerait au début du film, où une expédition de drakkars en route vers la Normandie (dans la version télévision on aurait les préparatifs de l'expédition, dans la version ciné ils étaient déjà loin dans la Manche) se perdait, suite à une tempête et du brouillard, dépassait involontairement le Cotentin et se retrouvait dans la baie du Mont St Michel (donc pas loin de chez Aymrald), les drakkars privés d'eau par le retrait de la mer (bien plus loin qu'ils ne s'y attendaient: "cette abbaye doit être très riche: nous la pillerons demain") étant pris d'assaut à cheval par les Bretons (l'Histoire disait que les Vikings avaient pris la Normandie, mais pas la Bretagne. Cette scène pouvait fournir une explication, sans prétendre à la moindre authenticité historique), certains étant piétinés par les chevaux (sautant par dessus les boucliers) au fond de leur drakkars, d'autre tentant de s'enfuir étant avalés par les sables mouvants (qui avalaient aussi les deux cavaliers bretons qui les avaient poursuivis). Un seul navire (le plus éloigné) réussirait à résister jusqu'au retour de la marée et à rentrer en Norvège avec un équipage réduit passant son temps à écoper et à rafistoler tant bien que mal la coque endommagée par les assauts bretons. Parmi cet équipage Harald (joué par Erwann, ou Niels en cas d'impossibilité accidentelle d'utiliser Erwann) remplaçant ainsi les chefs plus âgés (dont son père) morts suite à cet échouage imprévu. Bien entendu personne ne les croyaient quand ils racontaient cette histoire de mer se retirant et revenant à la vitesse d'un cheval au galop: "ils ont enlevé toute l'eau jusqu'à l'horizon pour nous attaquer à cheval, et ensuite quand nos coques ont été percées de partout, la mer est revenue à la vitesse d'un cheval au galop. En plus, si on essaye de s'enfuir à pieds, ils y a des monstres sous le sable qui attrappent et tirent par les pieds sans qu'on les voie": ça ne pouvait se produire que sur de grandes étendues de sable plates sur des kilomètres vers la mer, qui n'existaient pas sur les côtes norvégiennes: à flanc de fjord, la mer montait et descendait sans parcourir de distance horizontale importante. Ceux qui avaient pillé avec succès les côtes normandes (ou le sud de l'Angleterre) ne les croyaient pas. La reconquête de crédibilité par Harald et ses valeureux camarades rescapés allait donc être laborieuse. Tout le reste se déroulerait en Norvège, en mer, et en Islande, tout en étant tourné en Finlande. VTPSF envisageait aussi de ne pas avoir à déplacer toute l'équipe en France: une immense étendue de sable gorgé (puis noyé) d'eau, c'était facile à simuler n'importe où, autour des drakkars (pas besoin d'en avoir des kilomètres), et à insérer dans le décor naturel (ou virtuel) de la baie du Mont St Michel. La difficulté technique principale était que les chevaux acceptent de sauter dans les drakkars, et ne s'y blessent pas, tout en ne piétinant pas la structure comme si c'était du balsa: il fallait que ça résiste comme du vrai bois costaud, tout en n'étant pas dangereux pour les chevaux. On réalisa des chevaux mécaniques pour juste la scène d'assaut, qui seraient "finis" en inforgraphie: il fallait quelque chose ayant le volume, les formes, articulations et la masse d'un cheval, pour fournir l'impact, mais l'infographie pourrait se charger de l'habiller de façon plus réaliste, en profitant aussi des caparaçons décorés pour moins montrer la supercherie. Le cheval mécanique exécuterait la cascade avec une précision de machine-outil, sans la moindre hésitation, donc ce serait bon du premier coup et sans risque de chute pour le cavalier. VTP les avait encore améliorés depuis ses autres films d'héroïc fantaisy, où l'usage de vrais chevaux revenait très cher en scènes à refaire et en frais d'assurance. VTP souhaitait n'avoir à utiliser de vrais chevaux que là où il n'y aurait aucune difficulté technique et où quelques imprécisions d'attitude ou de positionnement des chevaux ne nuiraient pas à la prise. Le spectaculaire de la charge à cheval contre puis sur les drakkars ferait une grande partie de l'impact du film dès le premier quart d'heure, estimait-on. Il fallait réussir cette scène en très peu de prises, et sans prendre le risque de blesser de vrais chevaux dressés.
Il y aurait des batailles entre flottes rivales (avec de l'éperonnage et de l'abordage), contre les dragons et serpents de mer, et l'aventure islandaise avec les surprises (souvent fatales) liées aux caprices du volcanisme et à diverses traîtrises, Harlald n'étant pas le moins traître du lot.
Le retrait de la mer du fjord, lui, était bien sûr imaginaire, et était déjà au point, en infographie, chez Tarsini, avec les embarcations pendues aux bouts de leurs amares depuis les pontons, arrachant parfois celui-ci par leur poids.
Comme beaucoup de personnages ne seraient vu que rapidement dans les scènes de combat, le recrutement n'était pas aussi émilianométrique que celui de "päättynyt futuri": il y aurait aussi de personnages moins jeunes, barbus et parfois ventrus, empruntés à "Aquavit".
Il n'avait pas été trop difficile d'en réserver sur place en nombre. En tout, une soixantaine de personnages réels suffirait, le reste étant fourni par l'infographie. Les plus "VTPSF" seraient les plus vus, parmi lesquels Erwann et ses compagnons des "miroirs du temps" (mais répartis dans divers clans, pour ne pas refaire la même équipe) et quelques beaux spécimens locaux comme Kare qui s'entraînait bien plus au simulateur de combat, chez VTPSF, que ne l'imaginait Erwann.
L'expérience acquise en construction navale légère par VTP lors de "au vent du large" était mise à profit pour faire réaliser par l'équipe bretonne tous les navires, qui ne seraient que partiellement en bois pour des raisons de légèreté et de manoeuvrabilité. Pour certaines scènes (en particulier les éperonnages) ils seraient calbotractés (treuils sous-marins) pour garantir un impact aussi violent que précis. Les équipes chargées des "mécanimaux" (déjà présents dans d'autres films) en étaient déjà au essais réels pour l'abordage des drakkars échoués par les chevaux mécaniques. Les monstres marins étaient plus faciles à truquer, puisqu'ils ne sortaient jamais entièrement de l'eau (sauf les dragons, qui, eux, devraient avoir l'air de voler par leurs propres moyens). L'un des serpents de mer commençait comme un anaconda (en plus gros) et se terminait par des tentacules: dans ce domaine, tout était permis, à condition que cela ne fît pas trop rire. Pour ça, il ne fallait les montrer que brièvement, toujours dans des scènes violentes, et non les "exhiber" pour rien. La brume y aiderait aussi, bien que n'étant pas omniprésente dans ce film, contrairement à "Plum pudding": on aurait souvent une vue nette jusqu'au fond. Le tentacule visqueux s'enroulant vite autour d'un drakkar pour le renverser, c'était jouable: le public l'accepterait. VTPSF n'abuserait pas du feu: il y en aurait, avec l'incendie d'une des flottes et des constructions portuaires par un traître, mais ça ne devrait pas avoir l'air de cacher des trucages médiocres sous la fumée et de grosses boules de flammes.
Erwann connaissait beaucoup de scènes, puisqu'il était un des personnages principaux et que VTP savait qu'il maîtrisait bien les combats et acrobaties ainsi préparés. Il les travaillait quotidiennement, le soir et surtout le week-end, au simulateur à immersion. Des éléments de décor avaient été ajoutés (en vrai) pour les scènes où il aurait à escalader et à sauter (le sol était déjà équipé de tatamis). Outre ses prestations comme acteur direct, il animerait (même système de téléaction à retour d'effort que pour Kerminator) en temps réel certains monstres, pour les parties nécessitant plus de réactivité et d'adaptabilité (aux imprécisions de l'autre acteur) que ne savaient déjà le faire les systèmes pilotés par logiciels: ceux-ci suffisaient contre Erwann, qui était très fidèle au scénario gestuel, mais comme on n'avait pas le temps d'entraîner autant tout le monde, et que tout le monde n'était pas aussi à l'aise dans le combat virtuel, il fallait aussi "actoriser" certaines créatures mécaniques, de temps en temps.
Le site touristique créé sur certains terrains appartenant à BFRSF près du lac n'avait pas eu le succès escompté, cet été: des entreprises indépendantes avaient trop investi (BFR avait été plus modeste, se contentant de sous-louer quelques résidences à des exploitants): les pédalos et le ski nautique n'avaient pas fait le plein. L'hôtelerie de loisirs non plus. Moins d'entreprises que prévu étaient venues s'installer dans le coin.
Kerminator avait eu du succès: excellents effets spéciaux, rebondissement pas trop "deux ex-machina", force de l'ordre pas incompétentes mais juste mal informées de ce dont disposait le robot, tentatives intéressantes des ingénieurs de créer des pièges en se basant sur la façon dont ils supposaient qu'il raisonnait, mais pas tout à fait, puisque c'était suite à des bogues que l'intelligence artificielle était devenue digne de ce nom. Ceci expliquait aussi qu'ils aient d'abord essayé de reprendre le robot sans trop l'endommager: pouvoir étudier ce qui se passait dans ce premier logiciel ayant doté une machine d'auto-détermination et de reconfiguration spontanée des objectifs était une perspective fabuleuse que le spectateur pouvait comprendre que l'on tentât de récupérer. Ils étaient d'ailleurs parvenus à le récupérer deux fois, par ruse, mais a chaque fois ça avait de nouveau dérapé, le robot ayant d'abord fait semblant d'être désactivé, au point de les laisser commencer à y faire des mesures et brancher des appareils, puis une seconde fois avec la complicité des machines et bras manipulateurs de l'usine (scène de fraisage dans une tête humaine...) dans laquelle il avait transféré entretemps une copie du logiciel, ce qu'ils n'avaient compris que bien trop tard. La fin, après destruction du robot, laissait supposer qu'il était impossible de savoir vers où il avait pu dupliquer et télécharger son logiciel, car c'était de là que venait le danger et non de la machine humanoïde qui sans lui n'aurait rien fait de tel. C'était ce que l'un des experts en cybernétique expliquait à son supérieur: "si vous détruisez un CD de la Cinquième de Beethoven et le lecteur qui le contient, vous n'avez pas détruit la symphonie, mais juste un moyen de la stocker et de l'écouter. Un moyen parmi tant d'autres".
Le contexte très (trop?) breton n'avait pas empêché l'exportation.
"Revanche nocturne" faisait un score intéressant par rapport aux moyens mis en oeuvre. Rêver d'un personnage (super-héros ou non. Ca pouvait parfois être un animal, ou un robot) capable d'accomplir les vengeances que l'on n'avait aucun moyen physique de mettre en oeuvre en tant qu'enfant était un thème parlant à beaucoup de gens (tous ceux qui s'en souvenaient). La scène terrible, inexorable, de la sélection des équipes à l'issu de laquelle l'un des capitaines devait, avec résignation et consternation, prendre Rémi (comme au "jeu de Nim") donnait un côté "vécu" au film. Cette pratique n'existait plus en France: non seulement le sport était facultatif à l'école (pour ceux qui y allaient encore), mais en plus il était interdit de sélectionner les équipes dans le cadre scolaire: le tirage était aléatoire, en distribuant des numéros (servant aussi de dossards) suite à quoi un logiciel (très simple, mais imprévisible) affichait la liste des numéros pour chaque équipe.
Atte était maintenant l'acteur finlandais ayant eu des rôles importants totalisant le plus d'entrées dans le monde, avec "Peur filante", "Eurotoxique" et "Viande urbaine". Il revint en Finlande mi-décembre, pour jouer dans "rats des villes, rats des champs", série qui connaissait déjà un gros succès local et s'exportait mieux que prévu, bien que le sujet fût finno-finlandais, contrairements aux séries de VTPSF pensées d'entrée de jeu pour l'exportation. Son personnage avait dû rentrer de Paris après la réduction de frais de la société de téléphonie mobile finlandaise qui l'y employait, et grâce à un cousin espérait se recaser dans la campagne finlandaise, où il débarquait avec ses costumes de haute couture parisienne et des habitudes de vie totalement différentes. Le début de son rôle était filmé à Paris (profitant qu'il y était déjà) avant expédition chez VTPSF. Ca l'avait beaucoup amusé, son personnage étant censé être accro à la cocaïne et non à l'alcool.
Ceci rappelait un peu l'aventure de Viivi (au début de la série), jeune infographiste d'Helsinki aboutissant dans une scierie, où elle tombait amoureuse d'un jeune bûcheron du coin (joué par Mika 1) qui ne prononçait pas plus de dix phrases par jour: ce n'était pas un contre-emploi pour Mika, avait jugé Nelli en l'apprenant. Beaucoup de gens de BFRSF avaient appris, travaillé et joué de petits rôles dans certains épisodes de cette série qui renouvellait souvent ses personnages et histoires. VTP utilisant chacun selon ses tendances personnelles, pour leur faciliter la tâche. Mika n'avait pas eu d'hésitation à accepter le rôle, puisqu'on lui demandait d'être encore plus lui-même qu'il ne l'était déjà: "ne t'occupe pas de nous. Dépose les troncs dans la machine comme si tu travaillais réellement ici". Il avait même reçu (via VTPSF) du courrier de fans, bien que son rôle fût accessoire.
"Päättynut futuuri" marchait bien à l'exportation en France et dans les autres pays latins (Amérique du sud incluse), comme espéré, grâce aux si belles Finlandaises (avec parfois du poids en trop, mais craquantes même ainsi) et si beaux Finlandais que VTPSF avait soigneusement triés pour mettre dedans, en plus de scénarii n'en faisant pas que des plantes décoratives: la partie "tuning" plaisait au public masculin, en particulier, avec du "drift" sur lacs gelés (ce qui évitait de détruire les pneus, contrairement à la version sur asphalte souvent pratiquée au Japon). L'exploitation en Finlande suffisait à rentabiliser le tournage, vu le rendement des méthodes de VTP, donc tout le reste n'avait à amortir que des frais de doublage pour chaque nouvelle langue destinataire, sur des marchés comportant bien plus de public. Idem pour les téléfilms policiers (souvent truands) tournés par les mêmes équipes, dont une parodie de James Bond sérieusement réalisée, mettant en scène la mafia russe en Finlande: autant de poursuites en motoneige, à skis, voire en traîneaux à chiens que dans un vrai, sans oublier les scènes de plongée sous-marine, cette fois sous la glace des lacs, et la conduite en équilibre sur les roues du côté droit d'un semi-remorque citerne: de gros gyroscopes installés dans la citerne aidaient au basculement (en agissant hydrauliquement sur leur cadre, en plus du coup de volant calculé par ordinateur dans la cabine tractrice) puis au maintient de celle-ci en équilibre, l'attelage avec la cabine tractrice ayant été modifié pour assurer un gidage plus rigide en roulis entre les deux éléments, de sorte que c'était la citerne qui contribuait à l'équilibre incliné de la cabine. Avantage de ce type de film: peu de paroles, et un rythme de pré-montage (tout étant storyboardé en virtuel d'avance, comme d'habitude chez VTP) défini par VTP, à partir des scénarii parfois de conception locale. Les cascades de véhicules étaient toutes par pilotage robotisé, garantissant une précision d'angle d'attaque et d'envol (pour les sauts) difficilement exigible d'un cascadeur humain, surtout dans les budgets dont disposait VTPSF pour cela.
Les moyens techniques (en particulier les trucages) constatés dans les premiers téléfilms de VTPSF diffusées par des télévisions nationales intéressèrent des scénaristes, romanciers et auteurs de bandes dessinés (du manga au film d'horreur) pour venir proposer des projets. VTPSF les examinait, simulait les coûts et difficultés de réalisation de ceux ayant passé le premier examen, et en réalisait quelques-uns après s'être mis d'accord avec l'auteur sur les modifications à apporter et le choix des personnages parmi le cheptel VTPSF. De ce fait, la "Cinecitta finlandaise" tournait simultanément de plus en plus de téléfilms, télésuites et séries issue de l'imagination nationale (en plus de ce qui avait été conçu par VTP), d'où extension des locaux et recrutement de nouveaux personnages, recrutement facilité par la crise économique et la réduction des perspectives de carrière des étudiants. Désormais, même des sujets jugés difficilement exportables (sauf pour un noyau de finnophiles) étaient acceptés par VTPSF, quand les coûts étaient "factorisables" avec ceux d'autres tournages (réutilisation de décors, entre autres) et que ça semblait pouvoir intéresser un "public test" finlandais. Ce fut rebaptisé "Kinokylä" (plutôt qu'elokuvakaupunki qui eût été la traduction exacte de "Cinecitta". Kylä signifiait "village" et non "cité") pour faire plus finnois. De fait, c'était devenu le plus gros centre de tournage du pays (comme c'était déjà le cas de VTP en France), en plus d'être le plus rapide et le moins cher. A part l'outillage (portiques, bras robotisés, système vidéo, machines diverses) signé Kermanac'h ou VTP (selon que cela avait été acheté ou réalisé "maison") l'origine française de Kinokylä était difficile à percevoir, surtout avec ce nouveau nom. Des ordinateurs AK, il y en avait dans presque toutes les entreprises de la plupart des pays (Etats-Unis excepté). BFRSF, par contre, continuait à utiliser des noms français pour beaucoup de ses produits "de même qu'IKEA donne des noms suédois à ses meubles, même quand ils ne viennent pas des usines suédoises". BFRSF estimait que la référence française était bien acceptée pour la nourriture. Pour le reste, le groupe cherchait surtout à s'intégrer localement, d'où la présence dès les années 60 des salles de sauna à chauffage géothermique (et appoint électrique, avant la géothermie haute température désormais disponible), tout en affichant une longue liste d'avertissements et d'exemptions de responsabilité de l'établissement vis à vis des utilisateurs, qui devaient savoir s'ils étaient médicalement aptes à fréquenter un sauna, et la présence d'un kit de première urgence (y compris un défibrillateur, quand cet appareillage s'était démocratisé) avec instructions sous forme de petits dessins.
L'absence de caméras de surveillance dans les saunas (il y avait juste le système anti-incendie, l'habillage intérieur étant en bois) en faisait un lieu intéressant pour les employés finlandais, d'autant plus que ceux-ci savait que l'accès en était interdit aux expartriés de BFR (allemands ou français, en général).
Entretemps VTP avait tourné plusieurs téléfilms conçus comme des films (mais tournés et surtout synthétisés en 1250 lignes, ce qui divisait l'encombrement mémoire et le temps de traitement par seize, pour tout ce qui était synthétisé) où d'autres "Nordiques" de VTP avaient des rôles plus "plante décorative", comme Knut dans "Le stagiaire", où la fascination visuelle exercée par le personnage sur les autres jouait un rôle important. Idem dans "rien qu'une heure" où un franchouillard insignifiant se retrouvait changé en quelqu'un évoquant Kare de BFRSF (Stig Forsberg, du recrutement de l'époque de Småprat, utilisé dans des "sitcoms"). VTP avait promis à Erwann qu'il ne serait pas utilisé ainsi: le mettre parmi d'autres "Nordiques" banalisait ce paramètre, et quand ce ne serait pas le cas, il y aurait de l'action: il ne servirait pas de plante décorative. Le public avait tendance à classer ces personnages-là en trois ou quatre catégories seulement (sauf le public nordique, qui, lui, était habitué à en distinguer bien plus), ce qui imposait à Erwann de faire ses preuves dans la sienne par la qualité du jeu car ses petits "plus" esthétiques par rapport aux autres "dans le même genre" n'étaient perceptibles que brièvement, dans ce type de tournage. VTP était satisfait du fonctionnement à l'entraînement, au tournage et à l'écran d'Erwann et confirma (sans le lui dire) qu'il aurait le rôle le plus "durablement dynamique" dans "Drakkars et dragons", et pas juste "un des rôles principaux". C'était "un des rôles principaux", car il y en aurait bien d'autres, mais c'était surtout celui qu'il était plus apte que les autres à apprendre et restituer comme VTP le souhaitait, dans leur système. Il s'y entraînait avec un mélange de sérieux finlandais et d'enthousiasme latin, de sorte qu'il n'avait pas l'impression de "travailler".
La production d'électricité géothermique restait stable, alimentant 21 groupes turboalternateurs pour fournir 9249 MW.
En France, BFR fournissait maintenant 28% de la production électrique totale, les autres concurrents géothermiques 16% (ayant commencé plus tard avec des moyens moins amortis et mis en oeuvre avec moins d'expérience), soit 44% au total pour la géothermique. La baisse de la consommation totale d'électricité ayant fait remonter à 21% la part des autres énergies renouvellables, il ne restait que 35% au nucléaire, dont on était en train de sortir plus vite qu'espéré. Le thermique ne servait plus, même comme appoint: c'était l'hydraulique qui servait de réserve de lissage lors des pics de consommation et des interventions sur telle ou telle autre installation. Un système de délestage sélectif donnant priorité aux plus petits consommateurs (entre particuliers) et aux entreprises ayant le plus d'emploi par MWh annuel consommé assurait le maintien de l'approvisionnement du plus grand nombre en cas de défaillance éventuelle d'une partie du réseau. Les travaux forcés avaient permis l'enfouissement à peu de frais de nouvelles lignes moyenne-haute tension (ça posait encore des problèmes techniques pour les très hautes tensions) sans supprimer les lignes aériennes, et sans suivre le même tracé: les deux maillages étaient destinés à coexister et se relayer en cas de pannes. Les moyens mis à l'entretien des lignes aériennes moyenne tension avaient toutefois été réduits: priorité aux nouvelles lignes en galeries couvertes visitables (comme des égoûts) à accès sécurisé (contrairement aux égoûts usuels). Des lignes enterrées non visitables auraient pu causer des frais de recherche et réparation de problèmes dissuasifs dans l'avenir. Mieux vallait excaver plus large et plus profond (ce qui ne prenait guère plus de temps, en utilisant une grosse machine à moteurs électriques, alimentée directement par la ligne en cours de pose derrière elle) et avoir une facilité de maintenance par la suite. De plus ces tunnels permettaient aussi l'enfouissement de tous les autres services: eau potable et non potable (la distribution d'eau non potable avait diminué considérablement les frais d'épuration amont et le coût pour l'usager), les fibres optiques de télécommunication, le gaz, etc. Les galeries étaient conçues pour être parcourues par des robots surpendus sous un rail à leur plafond, permettant l'inspection à grande vitesse et la recherche systèmatique de problèmes éventuels, voire certaines réparations.
La réception de la télévision (une quarantaine de chaînes, voire plus avec les étrangères) par ces nouveaux réseaux optiques, gérés par une société d'Etat (mais nouvelle mouture: très peu de personnel, payé comme dans le privé et sans droit de grève "obstructif") puisqu'utilisant le domaine public, étaient gratuits à l'usage: seuls les travaux de raccordement vers le logement étaient payants. Les télécommunications à haut débit y étaient aussi gratuites (une fois le raccordement payé) sous forme de "gratuité rationnée": priorité aux moindres consommateurs, en cas de saturation, comme dans le réseau satellitaire russe. Cette offre avait un avantage sur le Lioubioutchaï 2: le haut débit, impossible (à moins d'en lancer cinquante fois plus) par satellites, et ceci dans les deux sens, contrairement à l'ADSL naissant. Ce n'était pas de l'ADSL, car non conçu pour fonctionner sur ligne cuivre. C'était la TODE: Transmission Optique de Données Entrelacées. Ou "Multiplexées", mais TODM aurait été moins prononçable.
La mise au point de l'outillage automatique pour l'excavation (pilotage humain global, gestion robotique des gestes exacts de la machine), la fabrication (séparée) et la pose des voussoirs, l'installation des câblages et tuyauteries avait fait l'objet de travaux d'études rémunérés dans de nombreuses écoles d'ingénieurs, aboutissant à des projets concurrents essayés sur le terrain pour comparer leur efficacité réelle (et non leur ingéniosité théorique). Idem pour les méthodes de fabrication de ces outillages "intelligents". Le coût de ces galeries "multiservices" avait ainsi été divisé par 19 par rapport à des méthodes traditionnelles confiées à des entreprises de BTP. C'était l'organisme d'Etat "RNGECA" (Régie Nationale des Galeries d'Energies, Communications et Approvisionnements) qui organisait les chantiers au moindre coût, une fois les méthodes testées. Dans certaines villes, on profita de ces travaux pour moyennant un supplément raisonnable obtenir des galeries de plus grande taille (en tranchée recouverte, et non tunnel: il ne s'agissait pas de tunneliers) permettant d'y créer un métro par la même occasion.
Rien d'une telle ampleur n'avait été entrepris sur le site BFRSF: l'installation des télécabines permettant d'aller à la gare en deux minutes, ou en centre ville en trois (car si le train ne pouvait pas prendre les courbes des rues, le système de télécabines le pouvait, lui: il virait comme un minibus, suspendu au dessus de la circulation), maintenant. Cela avait aussi permis de desservir les localités du coin où le train ne passait pas: ce système serpentait bien plus facilement entre les lacs qu'une voie ferrée, et pouvait aussi les franchir (quand ils n'étaient pas trop larges) en "rail suspendu", haubanné depuis deux pylônes pour passer bien au dessus des mâts des dériveurs de plaisance éventuels.
Ce système qui fonctionnait toute l'année (ni l'eau ni la neige ne pouvant remonter dans le profilé creux par son échancrure orientée vers le bas) attira nombre de touristes: on survolait silencieusement, à basse altitude et à allure raisonnable (de 30 à 70 km/h selon les portions) les lacs, les champs, les forêts, les villages, en pouvant descendre en de nombeux endroits (ascenseurs autour d'une colonne) et remonter de même. Un parcours "périphérique" de 85 km était maillé de diverses lignes intérieures. Moyennant l'achat d'un petit récepteur à oreillette (l'appareil étant de la taille d'un gros stylo, rechargeable. Il pouvait aussi servir de radio FM ordinaire) on pouvait être guidé partout dans plusieurs langues, en choisissant un niveau et un type de commentaire (géographique, botanique, historique, gastronomique, ou un peu de tout ceci: l'appareil triait dans le flux d'informations selon la sélection). L'émetteur situé sur le pilier porte-rail le plus proche était sélectionné prioritairement aux autres par le récepteur, d'où l'adaptation du commentaire au parcours. Un système un peu plus élaboré incorporait une cartographie automatique (on pouvait le louer, pour éviter de l'acheter pour un seul voyage) s'affichant sur un écran: pas besoin de positionnement par satellite pour cela: à l'échelle locale, les émetteurs des pylônes les remplaçaient bien plus précisément, avec un récepteur plus petit et moins coûteux, vu la proximité du signal et le non-déplacement des émetteurs les uns par rapport aux autres. Le réseau à fibres optiques inclus dans le profilé creux avait des capacités de débit incomparablement supérieures aux besoins d'information mutuelle des cabines mobiles et fut mis à la disposition des habitants pour communiquer gratuitement (une fois raccordés) et à haut débit entre eux, les municipalités étant très demandeuses d'un tel système (l'ADSL, elles risquaient de l'attendre encore fort longtemps, même en Finlande, dans des "bleds" aussi isolés).
Des télévisions locales s'étaient créées. Stéphane y fut parfois invité: le succès important des films de VTP en Finlande venait en partie de ce qu'ils étaient toujours doublés en finnois. La VF était disponible dans peu de salles, et jamais longtemps, les films d'action ne se prêtant pas à la lecture de sous-titre. VTP ne la proposait pas spontanément: c'était uniquement si suffisamment de salles la demandaient qu'elle était expédiée là-bas, "à l'usage des élèves étudiant le français", supposait-on à La Défense. Puisqu'il s'agissait de matériel pédagogique (supposait VTP), les sous-titres s'affichaient (hors image: dessous) dans les deux langues, avec un effet karaoké pour le sous-titre français. Des épisodes de séries de VTPSF étaient déjà commercialisés ainsi, en France, sur K7 ou autres supports, à l'usage des téléspectateurs souhaitant se perfectionner en finnois. Pour ses films, VTP s'attendait à une demande de copies en VF située entre 0,5 et 1%, sur le marché finlandais. Qu'elle attînt 3% leur confirma que c'était à des fins pédagogiques.
Pour les pays scandinaves, le doublage était toujours disponible en suédois (quitte à sous-titrer pour les "langues soeurs"), parfois aussi en danois, sans aller jusqu'à proposer du norvégien (assez proche du danois, y compris à l'oreille) ni de l'islandais (idem), le danois audio étant alors sous-titré dans une de ces deux langues. Le doublage espagnol était souvent fait en Argentine, VTP trouvant cet accent plus agréable ("on dirait de l'espagnol parlé par des Italiens"), tout en étant bien compris par les autres hispanophones. Cette version était aussi proposée sur le marché américain, en plus de la version irlandaise destinée à la majorité anglophone. Certaines séries de VTP (et maintenant de VTPSF) avaient été achetées en espagnol (argentin) par certains réseaux de télévision américains visant le public "hispanique".
VTP avait constaté que dans plusieurs pays (dont la Finlande) ses films avaient été commandés en version japonaise bi-sous-titrée (japonais et langue locale, avec effet karaoké sur le japonais). Il y avait toujours (désormais dès la sortie, les doublages ayant lieu pendant la période de post-production des effets visuels) une version japonaise, ce pays semblant apprécier les films de VTP, tandis que les gens apprenant (ou essayant d'apprendre) le japonais dans les autres pays appréciaient de voir en même temps un bon film bien divertissant, y compris s'ils l'avaient déjà vu dans leur propre langue. Erwann avait revu la plupart de ces films, chez VTPSF, quand la version japonaise bi-sous-titrée y avait été diffusée.
La diffusion systématique en finnois de toutes les oeuvres de VTP risquait, selon certains professeurs locaux, de rendre les élèves paresseux: beaucoup souhaitaient maintenant que l'on fît de même pour les films américains et surtout les séries américaines à la télévision: "c'est fait pour se divertir, et non pour subir un cours de langue". La part d'audiance prise par les oeuvres de VTPSF (en finnois d'origine: la question ne se posait pas) et celles de VTP (doublées chez VTPSF, tout simplement) montrait que le public préférait des séries en finnois... si on lui donnait le choix, or l'essentiel de ce qui était diffusé à la télévision n'était généralement pas doublé: juste sous-titré. Depuis la diffusion finlandaise de "La citadelle des goules" c'était Erwann qui doublait ses propres personnages en finnois. L'accent n'était pas purement finnois mais le résultat était estimé suffisant: il lui était bien plus facile d'être "bon" en enregistrant un texte appris qu'en devant improviser une réponse dans une conversation réelle, car il n'avait pas à se préoccuper des tournures ni des redoutables déclinaisons finnoises.
VTP avait une explication simple pour la rareté antérieure des doublages en finnois: l'absence de futur dans cette langue. Maintenant qu'il y en avait un, ainsi qu'un futur antérieur et même un conditionnel futur, tout pouvait être traduit en finnois sans ambiguïté temporelle. La longueur de prononciation des nombres restait toutefois un problème.
Deux associations de consommateurs et une émission de télévision, en France, effectuèrent des tests de dégustation à l'aveugle pour le foie gras, présentant dans des assiettes du vrai, d'une vingtaine de fournisseurs, et les cinq nuances de "Fouagras" BFR disponibles au prix d'un pâté de foie. Le faux fut fort bien classé, finissant second dans un des comparatifs et troisième dans les deux autres. "C'est fait avec des algues, des cultures de levures, des extraits végétaux, et pourtant ça trompe tout le monde ici" (dans l'émission télévisée, trois chefs renommés s'y étaient laissés prendre, en mangeant le produit les yeux bandés), "alors y a-t-il une menace sur le marché du véritable foie gras?". Pour le foie gras de gamme moyenne ou inférieure, certainement, puisque cet "ersatz" était jugé bien meilleur en bouche. Pour le vrai haut de gamme, pas tant que ça, car le prix et la saisonnalité du produit contribuait à son mythe, alors que le "Fouagras" était disponible à bas prix en toute saison, dans n'importe quel pays. Sur l'emballage, surtout sur le marché américain: "ceci est imitation. Aucun animal n'a été gavé pour obtenir ce produit".
Stéphane passa les nuits de Noël et du jour de l'An à l'usine, car lui, ça ne le dérangeait pas, tout en évitant à un autre de devoir rester sur place en cas d'urgence.

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