vendredi 10 avril 2009

chapitre N-39

Knut commença par décevoir le réalisateur américain: ce garçon était "beau comme dans un rève", mais il ne savait pas jouer. Knut expliqua comment c'était chez VTP. Hélas la production hollywoodienne n'allait pas changer toutes ses méthodes pour un seul personnage. De plus, Knut n'arrivait toujours pas à extraire l'américain à l'oreille (bien qu'il le lût facilement): c'était encore plus difficile pour lui que l'anglais des Anglais. Le français, langue "plate et carrée" (dit-il aux Américains: car à défaut de l'extraire à l'oreille, il pouvait parler l'anglais), ne lui posait pas ce problème, une fois appris lexicalement. Grammaire compliquée (pour un Suédois), mais qui n'était pas indispensable pour comprendre ni même être compris: le "petit Nègre" suffisait. Les Nordiques doués pour les langues? Pas tous: ce n'était pas sur ce critère que Knut avait été recruté chez VTP, car Bifidus, il aurait pu l'apprendre phonétiquement. Alors on trouva une solution toute simple: lui parler anglais avec un accent exagérément français (ou allemand "comme dans les films"): là, il comprenait tout.
Les autres importations rachetées chez VTP posèrent des problèmes similaires: il aurait fallu importer les méthodes de VTP avec, alors que leurs producteurs américains s'étaient dépéchés de leur faire signer des contrats avant que d'autres ne le fissent, sans vérifier qu'ils sauraient rapidement jouer dans des séries américaines tournées avec des méthodes très différentes. Personnages bon marché (à l'échelle américaine), télégéniques (VTP ne prenait que des "contrôles techniques vierges"), stables de caractère (idem), et signant facilement vu la différence massive par rapport aux tarifs VTP, mais pas si utilisables que ça: il allait falloir les re-rôder entièrement (Pernilla, par exemple).
Certes, le rachat des "VTP-boys" (et VTP-girls) comme on les appelait là-bas ne fut pas une énorme erreur, d'après ceux qui avaient misé dessus outre-Atlantique, mais un investissement à moyen terme: il fallait d'abord leur apprendre à "rouler sans les rails". Ils y parvinrent (ces séries américaines ne demandaient pas d'avoir fait l'Actor Studio, et la carotte financière motivait à réapprendre les règles de ce nouveau jeu) mais pas tout de suite.
VTP avait organisé un casting à Copenhague, un autre à Göteborg, et trouvé, après en avoir examiné 2622 (dont 1530 Danois) puis testés 51 (18 Suédois, 33 Danois), un Danois, Nils Lerby, qui convenait. Pas un clône, mais "de la même ligne d'assemblage" que Knut. Si on voulait "à peu près Knut sans y regarder de trop près", il n'y avait qu'à se baisser pour en ramasser. Si on voulait "aussi VTP que Knut", et en plus capable de bien s'adapter aux contexte VTP, mentalement, il fallait trier dans 2622 jeunes Danois et Suédois. Pas de casting en Norvège: pays exagérément riche (le pétrole), déjà que ses voisins étaient loin d'être pauvres, et dont les habitants étaient réputés "pas commodes". La Finlande non plus: trop loin, trop peu européenne, habitants trop inexpressifs. Chez VTP, des gens avaient dit "on n'a qu'à faire le casting en Allemagne: sur 80 millions d'Allemands, il y a certainement plus de garçons comme Knut qu'en Suède, et il y a plus d'Allemands qui apprennent le français que de Suédois". Ce qui était vrai, mais un Allemand, ça manquait d'exostime, selon VTP. De plus ça aurait obligé à examiner trop de candidats, déjà qu'il fallait trier dans plusieurs milliers au Nord...
Pour les Suédoises (les précédentes étant toutes parties à Hollywood...), c'étaient 5074 jeunes filles "blondes jusqu'aux cils" que VTP avait examinées dans le même casting, 278 essayées, onze recrutées: là, on ne cherchait pas une "remplaçante" mais des Suédoises "qualité VTP", prêtes à passer au moins six mois en France et comprenant bien le système VTP.
Ce fut Linn Lykdal qui reprit le rôle de Pernilla pour la troisième saison de "Cap sur Mars"
La saison 3 démarrait avec Niels à la place de Knut, dans le rôle d'Oleg, sans la moindre explication (c'était déjà arrivé dans ses séries américaines) mais en lui verdissait lui aussi les yeux par infographie en post-production. Il ressemblait moins à Erwann que Knut (qui n'en était déjà pas un clône), mais on n'était plus à ça près... Linn était moins encore sosie de Pernilla (elle était encore plus "vétépiquement parfaite", Pernilla n'étant pas issue d'un casting aussi fouillé) pour le rôle de Karin, dans l'autre vaisseau, et là non plus il n'y eut pas d'explication pour cette substitution. 44 nouveaux épisodes allaient être tournés (la BD ayant été continuée de quelques-uns entretemps), le contrat américain pour la série 2 finançant déjà la 3, compte tenu de ce que VTP avait demandé aux Américains ce qui correspondait à deux fois le "manque à gagner" par rapport à des séries ordinaires très bon marché à tourner. Même s'ils n'achetaient pas la saison 3, elle était payée, les personnages recrutés, tous les décors et systèmes de tournage amortis depuis longtemps.
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Trois jours plus tard, jeudi 2 avril, les deux tiers du toit de l'entrepôt s'effondraient: le système de dégivrage géothermique (canaux circulant sur le toit) avait été obstrué par écrasement d'un tube venu du bas par le bout de fourche d'un charriot élévateur (dépassant de la palette, d'où invisibilité du dommage par le conducteur du charriot). Ceci joint à une structure corrodée (ce n'était pas une dalle en béton, mais de l'acier avec un doublage isolant: fibrociment, laine de verre, fibrociment, feuille goudronnée par dessus. Personne n'avait donc pu voir les dégâts causés par la rouille depuis 1962, suite à des infiltrations stagnant contre les poutrelles, sur le revêtement du dessous) était venu à bout de la résistance des matériaux: l'acier avait fléchi, et même cassé par endroit, s'était déboité de la maçonnerie d'où l'effondrement du toit, sous la masse de glace, sur le stock. Il n'y avait pas beaucoup de marchandise endommagée, même si les dégoulinures de yaourts éclatés des palettes supérieures étaient impressionnantes. C'était d'ailleurs cet empilement qui avait arrêté la chute de la toiture au tiers de sa course.
On pensa d'abord à la vétusté de la structure (ce qui était une partie de l'explication) mais vu l'épaisseur de la couche de glace formée par la neige se tassant dessus c'était bien le manque de circulation de liquide antigel chaud dans les canaux de dégivrage qui était la cause de la catastrophe. Le circuit n'était pas totalement obstrué, sinon cela aurait allumé un signal quelque part. Le liquide y circulait trop lentement, d'où incapacité à éliminer autant de neige qu'il ne s'en déposait en plein janvier finnois. Dès qu'une couche de glace suffisante s'était formée, les canaux dégeleur ne fondaient (de jour) que des galeries sous la croûte, et non la croûte elle-même, d'où augmentation sans fin de l'épaisseur.
Lauri Kyrönlahti, le directeur officiel de l'usine (en titre, selon BFR) dut affonter un nouvel afflux de journalistes et de curieux sur le site. On retrouva avec les vidéo du système de sécurité de l'usine l'auteur du coup de fourche de charriot élévateur dans la tuyauterie principale. Pincée et non percée, d'où l'absence de fuite et d'alarme. L'entrepôt était très surveillé: des envoyés malveillants (terroristes, maître-chanteurs, agents secrets de concurrents) pouvaient tenter d'empoisonner certains produits en stock, à défaut d'avoir pu le faire pendant la fabrication. Il fut licencié pour faute grave: il avait forcément senti le choc, et aurait dû aller voir. La réparation n'aurait pris qu'une demie-heure, presque rien coûté et la glace ne se serait pas accumulée.
Toutefois, ayant eu vent de la chute de la dalle de la salle informatique, les experts de l'assureur vinrent examiner les structrures du bâtiment de plus près. Le toit de l'entrepôt ne serait pas tombé sans les dizaines de tonnes de glace accumulées dessus, mais la corrosion des poutrelles était importante, cachée par le doublage isolant. La dalle de béton de la salle informatique serait tombé bien avant si la pièce au dessus n'avait pas été un simple vestiaire: toute machine "sérieuse" installée là serait passée à travers plusieurs années plus tôt.
Des fractures furent décelées dans d'autres dalles, une fois le lino et le revêtement antichoc et isolant les cachant retiré. L'eau utilisée pour nettoyer les sols s'infiltrait par les fissures et accélérait la corrosion des fers. Ceci depuis au moins vingt ans. Le système de dégivrage de l'autre entrepôt fonctionnait bien, mais sa structure était elle aussi corrodée: certains "IPN" n'étaient plus que des "T", leur semelle inférieure ayant disparu: "syndrôme des longerons arrière de la R16": rétention d'eau entre les deux faces du "panneau raidi" ainsi constitué, sauf que dans le cas de BFRSF les faces n'étaient pas corrodables donc ne se perçaient pas donc ne libéraient pas l'eau: elle y restait jusqu'à ce que des trous dans le bas des poutrelles lui permettent de couler jusque contre la suivante, plus bas dans la pente. En cas de panne du dégivrage, cette eau gelait et contribuait à faire éclater la structure de l'intérieur.
On perça donc des trous un peu partout (au ras des poutrelles) dans la face intérieure, pour pulvériser de l'antirouille (ça avait été traité d'origine, mais pas pour barbotter continuellement dans l'eau). Des drains en PVC furent posés le long des lignes de trous pour évacuer l'eau sans perdre le caractère isolant du placage intérieur. Des "jaunes de contraintes" (petites résistances adhésives en "frise grècque") furent placés là où le moment fléchissant serait maximal, pour contrôler toute déformation anormale des poutrelles principales. Un gros U métallique de protection fut placé autour de la conduite montante principale du dégivrage géothermique. Ceci fait, les experts de l'assureur accèptèrent de continuer à couvrir l'autre entrepôt. Les dalles fracturées couvrant certains locaux devraient être démolies et refaites. L'assureur finlandais savait que BFR était une entreprise sérieuse (son système anti-incendie, anti-sabotage et anti-intrusion était d'une efficacité que même des sites militaires n'atteignaient pas) donc ne refusa pas de couvrir, à condition que les travaux demandés (conséquence de la vétusté précoce d'une construction un peu rapide des années 60) fussent faits et que les locaux menacés ne fussent plus utilisés jusqu'alors.
Le personnel redouta sérieusement une délocalisation: s'il fallait démolir et reconstruire le bâtiment, BFR préférerait le reconstruire ailleurs. L'assureur le savait aussi: trop exiger de ce client serait le perdre. Les médias finlandais, déjà intéressés par BFRSF depuis le carnage kamikaze de Jyri, ne manquèrent pas de rapporter que BFRSF avait cru pouvoir tricher sur la résistance des toits à la neige par dégivrage géothermique, sans prévoir qu'un cariste maladroit applatirait un jour la conduite sans s'en rendre compte, dommage caché derrière le stock ainsi manipulé. D'autres ajoutaient qu'il était étrange que personne n'ait remarqué à temps qu'il y avait une si grosse couche de neige sur ce versant de toit, contrairement à tous les autres du bâtiment. La "ronde des directeurs" fut aussi évoquée, le nouveau ayant eu droit à un effondrement de dalle sur les plus gros ordinateurs de l'usine et un effondrement de toit d'entrepot.
Les produits à emballages endommagés (mais non éventrés) avaient été offerts à des associations caritatives (au delà de ce qui pourrait être consommé à la cafétéria de l'usine juqu'à la date limite), car non présentables pour la vente. Le toit de l'entrepot avait été recontruit en trois jours, avec un nouveau maillage métallique ne permettant aucune rétention d'eau en cas d'infiltration. Des thermomètres avec alarme furent insérés au retour de chaque rampe de dégivrage: si la température en sortie était trop faible, c'était que le débit était insuffisant par rapport aux besoins climatiques.
Il avait fallut neuf jours pour finir de rendre la gestion directe des AK46 par l'AK49 indépendante des Convex au cas où il lâcherait complètement. Ce qu'il faisait sans les AK, le système 1997 savait le faire aussi (et même un peu plus). BFR expédia un AK 147T10, sorte de serveur à 1024 coprocesseurs capable de remplacer (et même en beaucoup mieux) les deux Convex, le tout pour bien moins cher, mais il fallait écrire entièrement un coordinateur dedans. L'avantage de l'AK 147T10 était qu'étant à bain d'huile, comme les machines plus petites, il se contentait d'un radiateur externe de type automobile avec un ventilateur fonctionnant de temps en temps, sans nécessiter une salle climatisée. On pourrait donc facilement réinstaller tout ceci ailleurs, en cas de nécessité. En Lithuanie?
Du moins, "on" aurait pu: le problème était que toute la câblerie aboutissaient à la salle informatique d'origine.
Il fallut donc recruter de nouveaux jeunes programmeurs pour venir à bout de cette mission de "portage" du coordinateur 1997 dans l'AK147T10, en répartissant les fonctions entre les quatre "résidents" et le télétravailleur de l'équipe initiale. Ce furent Niko Meijanen et Martti Tikkinen, 18 et 19 ans. Niko n'avait rien de particulier (pour ce pays) tout en n'étant pas un sosie de Konsta, Martti rien de particulier (un peu plus "banalité Konsta" que "banalité Niko") à part des lunettes "non négligeables": pas des fines comme Arvi.
Ce fut lundi 13 avril 1998 que ce qui avait convaincu Kyrönlahti d'accepter la direction, malgré un salaire modéré, fut livré à l'usine. Un coupé surbaissé au long capot précédé d'une verrière sur six phares. Ce n'était ni l'avant de la SM (trois "vitrines") ni de la première Alpine A310 1600 (deux verres en V) mais une ligne un peu plus fine au bord qu'au centre, avec règlettes à diodes jaunes (première voiture de (petite) série à être équipée d'origine ainsi), répondant au même motif d'éclairage mais en rouge à l'arrière. Le jaune était autorisé (mais pas obligatoire) en Finlande depuis près d'un an.
Les proportions générales étaient celles d'une Mercedes CLK, mais avec un dessin plus simple, plus "direct". Il s'agissait de la première "vraie" voiture fabriquée par Kermanac'h grâce à la suppression des charges sociales en France, qui permettaient d'exporter à moitié-prix de main d'oeuvre par rapport au système précédent. La voiture était réalisée en aluminium, produit à bas prix par le plus gros site géothermique de BFR, et soudé "sous sarcophage" à gaz neutre chez Kermanac'h. Toit rigide escamotable (pas une nouveauté: la Peugeot 301 des années 30 l'avait déjà). La vraie innovation était sous le capot: une turbogénératrice sans liaison mécanique avec les roues, que Kermanac'h pouvait optimiser pour divers carburants ou gaz selon ce qui serait le plus intéressant à l'usage dans le pays destinataire. Quatre roues motrices électriquement, un moteur chacune. Possibilté de rouler pendant 230 km à 70 km/h de moyenne routière (essais en France) sur accumulateurs (NiMH: les Li-ion étaient encore trop chers au kWh embarqué), la turbine prenant le relais au delà. Les pertes électriques (générateur/moteurs) étaient une fois et demi seulement celles d'une transmission 4x4 permanente mécanique, mais l'optimisation du regime de fonctionnement de la turbine (indépendant de la vitesse de la voiture) et le lissage par les accumulateurs (stratégie de recharge "toute décharge entamée doit être effectuée en entier avant de pouvoir mettre ce bloc en recharge) permettait d'être tout le temps au rendement thermodynamique optimal, ce qui compensait cela. De plus, la turbine pouvait aussi servir de groupe électrogène (à bord de la voiture) pour alimenter autre chose quand elle ne roulait pas, par exemple les appareils d'une caravane. Les Japonais avaient présenté dès 1985 quantité de prototypes à turbines, dont certains ne semblaient être viables (vu l'inaptitude de la turbine à la motorisation terrestre directe: manque de couple, manque de reprises, plage de régime étroite et très haut perchée, presque pas de frein moteur) qu'en les reconvertissant en voitures électriques à turbogénératrices embarquées. Kermanac'h l'avait fait, d'abord pour de petits engins militaires: la grande fiabilité de l'ensemble, et la possibilité d'une approche finale tout-électrique non seulement silencieuse, mais sans "signature" thermique décelable aux infrarouges, était un atout considérables pour des opérations commando motorisées. La version installé à bord de la "CRT" (Cabriolet Rigide à Turbine) disposait de l'injection d'eau dans un troisième rotor, pour fournir gratuitement (en récupérant la chaleur non utilisée dans un cycle classique pour produire avant ce troisième étage un gros volume de vapeur) de la puissance supplémentaire au moyen d'eau au lieu de carburant (liquide ou gaz, certains modèles pouvant être vendu pour marcher aux deux). Avec 40% d'eau, on obtenait une consommation de moins de trois litres de gazole (si on utilisait ce carburant) aux 100 km à 90 km/h. Le gain était bien plus spectaculaire en ville, ou le lissage de puissance par l'électricité évitait les pertes de rendement dû à des variations de régime dans un moteur relié aux roues par une transmission mécanique. La CRT reprennait nombre d'astuces de la Tracmatix d'avant-guerre: Viraplat, jantes Roulaplat compatibles avec des pneus "tubeless" ordinaires, 165 65 HR 15: inutile de mettre des pneus larges (donc lourds et gâcheurs d'énergie), puisque la CRT avait quatre roues motrices et pesait 910 kg à vide malgré les accumulateurs. Elle était bien plus chère en France (à cause de la TVA sociale) qu'en Finlande: avec l'ancienne TVA française elle n'aurait coûté "que" 221 418F, somme dans laquelles Kermanac'h faisait déjà 51% de bénéfices: cette voiture était moins chère à fabriquer qu'elle n'en avait l'air, car elle comportait moins de pièces (en particulier mécaniques) qu'une familiale diesel turbo à deux roues motrices, et un plus grand nombre de sous-ensembles identiques (chaque roue avait son propre groupe motoréducteur électrique, qui avait deux démultiplications: une de route, et une pour démarrage difficiles (avec caravane en côte) ou tout-terrain (bien que les pneus ne fussent pas faits pour ça). La souplesse des moteurs électriques se contentait fort bien de deux vitesses, comme pour certaines locomotives: une démultiplication "voyageurs" (rapide) et une "marchandises" (lente, à fort couple). La transmission électrique aux roues était elle aussi un modèle ferroviaire: celui des locomotives diesel-électriques, en remplaçant le diesel par une mini-turbine optimisée comme génératrice. Le rendement aurait été encore meilleur avec un petit diesel turbo optimisé pour une plage de régime précise et utilisé ainsi comme générateur embarqué, mais il eût été bien plus lourd (et cher à fabriquer en série: une fois industrialisée, une turbine était peu coûteuse à produire, avait constaté Kermanac'h) à puissance égale, or dans l'esprit de Kermanac'h il s'agissait d'une solution d'appoint, ou pour longs voyages: au quotidien, la CRT serait utilisée uniquement à l'électrique, et rechargée sur secteur entretemps. Un moteur à combustible plus lourd, c'était des accumulateurs en moins, à poids total inchangé. De plus, la turbine demandait moins d'entretien et démarrait sans préchauffage, avec très vite son rendement optimal. La transmission électrique, utilisée par Kermanac'h depuis les Trielec de l'Occupation (et d'avant, où elles servaient surtout de voiturettes de golf ou de service dans de grandes usines), permettait une répartition très précise du couple sur chaque roue, contribuant à la fois à l'adhérence et à la stabilisation de trajectoire sans recourir à des artifices comme l'ESP ou des antipatinages compliqués car ayant affaire à un moteur thermique unique entrainant plusieurs roues. On pouvait conduire sans utiliser les pédales, avec les commandes au volant (handicapés ne pas s'abstenir). On pouvait aussi conduire avec les pédales (deux, comme une automatique) pour ne pas être dépaysé par rapport à la conduite classique. L'éclairage à diodes (utilisé aussi pour le plafonnier: jaune) prenait le moins possible de courant aux batteries pour cette fonction. Il n'y avait pas de chauffage électrique (trop gaspilleur): si l'on souhaitait du chauffage sans rouler à la turbine, une petite partie du carburant alimentait un chauffage à catalyse, ce qui en consommait moins que de démarrer la turbine rien que pour ça. Toutefois, quand on était loin de chez soi ou d'un endroit où brancher les accus au secteur la nuit, on pouvait faire de la "cogénération" en rechargeant les accus (s'ils en avaient besoin) tout en obtenant du chauffage.
Cette voiture avait été très remarquée au salon de Paris, cette année, mais Kermanac'h n'avait pas encore fixé le prix, n'ayant pas industrialisé tous ses éléments. Ce fut chose faite à la fin de l'année. Kyrönlahti avait demandé d'avoir cette voiture comme voiture de fonction pour venir chez BFRSF. L'argument était "vos éoliennes rechargeront enfin un modèle de prestige". L'aluminium n'était pas peint, mais poli et verni (légèrement violet, pour précompenser un jaunissement éventuel à long terme de ce verni), d'où un éclat bien plus métallique qu'une peinture métallisée. Déjà vu sur certains prototypes d'autres constructeurs, mais pas sur une voiture de série (même de petite série) à un prix abordable. Pas bas de gamme, mais abordable tout de même: des voitures bien plus chères offraient moins d'innovations. Le silence de fonctionnement et de roulement (pneus "éco") était tel qu'en ville, une sonorisation imitait le son feutré d'un V12 (Jaguar, BMW ou Mercedes: on pouvait choisir), pour ne pas prendre les piétons au dépourvu, dès que les capteurs en détectaient. Kermanac'h avait trouvé une solution bien moins chère que le GPS comme écran de navigation: acheter chez AK le récepteur pour le système ex-soviétique, qui à l'époque était moins bridé en précision que le GPS américain. L'informatique de bord était construite autour d'un "noyau" AK46, qui ne servait donc pas qu'à piloter des systèmes industriels fixes. On pouvait y introduire de nouvelles bases de données routières par des "diapositives" (version non enregistrable et très bon marché du DOEC). Le système étant construit à l'intérieur de la voiture, et non ajouté ensuite, il ne pouvait être volé en état de marche: ses composants étaient répartis dans la structure et servaient aussi de système antivol complémentaire: la commande autosynchrone des moteurs était dans certaines de ces puces, dont une partie dans la clef... usb qui servait de clef de contact, avec une entrée cônique (pyramidale écrasée) pour ne pas avoir à tâtonner pour l'enfoncer sous le tableau de bord, de bas en haut pour éviter que des miettes n'y tombent. Cette clef n'était pas qu'une mémoire: elle comportait un microcontrôleur nécessaire pour le fonctionnement de la voiture, effectuant une tâche manquante différente pour chaque modèle produit. Il fallait aussi un code. Plusieurs pouvaient démarrer la voiture, mais seul le "vrai" permettait de s'éloigner de plus de 2km du point de départ sans tomber en panne. Utile en cas de vol sous menace avec obligation de donner la clef usb. Utile aussi pour la confier à un garage, d'autant plus qu'une boite noire enregistrait toutes les actions de conduite (il fallait plus de huit millons d'actions de conduire pour revenir au point de départ) et la trajectoire effectuée: selon deux logiques: l'une par la rotation de chaque roue et le braquage du volant, l'autre par le système de positionnement s'il captait correctement. Le capot fermait avec un blocage mécanique à chiffres, sous le tableau de bord. Si on avait la bonne clef USB, le tableau de bord (entièrement vituel, comme les avions: éteint, il était noir, à part le totaliseur kilométrique mécanique -nécessité légale- qui restait lisible) pouvait donner le code pour l'ouverture du capot. Le code mécanique (six chiffres) sans la clef servait à pouvoir intervenir si le système électronique ne fonctionnait plus (gros court-circuit, etc).
208 km/h sur autoroute allemande: en France, certaines portions avaient récemment été autorisées à 200, mais pas au delà: "il fallait que les gens s'habituent", avait estimé l'ELR, après avoir commencé par des portions à 150 ou 180 selon la configuration des lieux, tout abaissant le 130 à 110 voire 100 en d'autres endroits: "les limitations de vitesse ne sont crédibles que si elles correspondent à la difficulté réelle du tracé".
Le pare-brise ne revenait pas trop sur le conducteur, contrairement à ce que firent d'autres constructeurs de coupés-cabriolets pour raccourcir le toit à ranger. On n'était pas plus "recouvert" par le pare-brise (de taille raisonnable) de la CRT que dans une décapotable toilée traditionnelle des années 70 et les montants n'étaient pas plus épais, d'où l'élégance obtenue. Le coffre n'était pas trop haut non plus, pour éviter d'alourdir la ligne. Pour obtenir cela, le dessus du toit se repliait en trois parties, avec une lunette arrière plate légèrement trapézoïdale et des montants arrière inclinés qui coulissaient obliquement dans les flancs, en passant derrière les passages de roues. Ceci permettait de rabattre la lunette arrière sous le toit sans "ne savoir que faire des montants". Les lignes plus directes, plus tendues de la CRT par rapport à la CLK cherchaient aussi à s'harmoniser avec un toit nécessairement anguleux (d'où l'inclinaison importante des montants arrière pour ne pas faire "boite en carton") pour permettre un repliage aussi efficace. C'étaient ces montants qui pouvaient sortir d'un coup en cas de retournement pour servir d'anti-écrasement des passagers, fonction facilitée aussi par l'absence de places à l'arrière. En voyant la CRT "détoitée", avec ses montants de pare-brise courts et peu épais et son coffre de hauteur normale (voire bas, pour une voiture des années 90), on ne s'attendait pas à en voir ressurgir un toit rigide escamotable mais plutôt une capote ordinaire.
Le toit se logeant dans un compartiment qui lui était réservé, entre la cloison derrière les sièges avant et le coffre, le volume utile de celui-ci (318 litres) n'était pas affecté par l'opération. Des capteurs empêchaient d'enclencher le repliement du toit s'il y avait quelque chose dans l'espace derrière les sièges (l'hiver, on pouvait y mettre un supplément de bagages, ou éventuellement un animal).
La Finlande reverdissant enfin, Kyrönlahti n'allait pouvoir profiter de cette fonction. Le toit se repliait automatiquement en cas de pluie sur une CRT garée. BFR en avait acheté quarante comme voitures de fonctions dans divers pays (parfois plusieurs dans le même, selon l'importance des installations), en obtenant un rabais de 36% chez Kermanac'h car cela allait faire de la publicité à ce modèle: les clients potentiels étaient à la fois enthousiastes et dubitatifs: "si c'était possible à ce prix-là, les Japonais l'auraient déjà faite: méfiance...". Ce fut tout d'abord auprès des loueurs que Kermanac'h eut ses prinicipaux clients: fiable, bon marché d'entretien, avec boite noire d'utilisation, difficile à voler, et tentante à louer (car alors on ne prenait aucun risque), la CRT proliféra en location "loisirs et prestige" dans de nombreux pays. Le seul bémol était, en cas d'accident, le coût plus élevé de tôlerie avec l'aluminium qui supportait moins bien le décabossage que l'acier. Ce fut aussi la raison pour laquelle les loueurs choisirent surtout les versions peintes, plutôt que métal poli "miroir" verni: les retouches y étaient moins visibles. Après l'avoir vue en location (donc c'était fiable) et souvent essayée par ce moyen (Kermanac'h n'en prêtait pas pour essais) des clients l'achetèrent malgré la rareté des agents de marque. Les Trielec étaient souvent commercialisées par des marchands de voiturettes multi-marques, voire des magasins de scooters (quand ils avaient la place pour ranger quelques Trielec), mais la CRT tombait, en France et dans d'autres pays, dans le système commercial des vraies voitures. Les pays où il existait des concessionnaires indépendants multi-marques furent donc servis les premiers, pour raison pratique. C'était le cas de la France depuis que l'ELR avait autorisé les concessionnaires indépendants et les réseaux multimarques (par exemple via des hypermarchés), sous réserve d'engagements financiers solides pour garantir un service après-vente correct. La CRT fut distribuée par deux chaînes d'hypermarchés concurrentes: Kermanac'h n'avait donné aucune exclusivité (pour les forcer à être sages sur les marges par rapport à l'achat direct à l'usine, possible mais avec service après-vente sur place uniquement) et ne versait pas de "marges arrière" (de même que BFR, qui proposait les produits les moins chers de leur catégorie, à qualité nutri-diététique égale. Parfois moins chers que certaines "marques distributeur", sauf quand c'était BFR qui les fabriquait anonymement). Kermanac'h répondait "de toute façon, on n'arrivera pas à en fabriquer pour tout le monde: ce n'est pas une grosse usine, donc ce sera pour ceux qui les prenent sans négocier". Si BFR avait passé sa commande plus tard que dans la semaine du lancement, le rabais eût été moindre, voire nul: une fois la fiabilité de la voiture prouvée (par des essayeurs indépendants, en particulier) il n'y avait plus à faire d'efforts pour en vendre. Kermanac'h n'en exporta pas dans les pays où les règlementations et les pouvoirs d'associations de consommateurs d'obtenir des dommages énormes pour des broutilles voire leur propre stupidité (l'affaire du maladroit qui s'était renversé du café chaud sur lui, par exemple). Kermanac'h n'exporta aucun véhicule aux Etats-Unis, mais des importateur indépendants s'en procurèrent et les commercialisèrent là-bas (en particulier en Californie) sous leur propre responsabilité, aucun recours ne pouvant être intenté contre Kermanac'h qui n'avait tenté aucune formalité d'homologation sur ce marché. Ce furent les importateurs indépendants qui s'en chargèrent. S'agissant de petites quantités d'un véhicule "de niche", deux de ces importateurs réussirent à ne pas être recalés par l'administration américaine et à en vendre sur la Côte Ouest. Le problème était que Kermanc'h n'avait produit aucun modèle à instrumentation à mesures anglaises et volant à gauche: les modèles destinés à l'Angleterre et à l'Australie avaient le volant à droite. Les importateurs durent donc se procurer le logiciel d'affichage britannique en l'implantant dans un modèle à conduite à droite, rajouter eux-mêmes certains "gri-gri" de la règlementation américaine (cataphotes latériaux). La turbine passait les tests de pollution sans problème, mais posa de gros problèmes à l'administration de certains pays pour lui attribuer l'équivalent d'une puissance fiscale ou d'une vignette: ce moteur n'avait pas de "cylindrée", et si l'on comptait le volume d'air aspiré par tour d'arbre pour calculer un équivalent de cylindrée, celle-ci était trop faible pour contenter ces administrations. Certains pays classèrent la CRT comme voiture électrique avec générateur embarqué (ce n'était pas un moteur, puisque ça n'entraînait pas les roues et que la voiture pouvait aussi rouler sans la turbine). Ce fut le cas aux Etats-Unis où il y avait déjà eu d'assez grosses voitures électriques (en toute petite série) à la fin des années 70, obtenues en remplissant d'accus le capot d'une voiture américaine de série et aussi (comme petit modèle) de la R5 "Le Car" distibuée là-bas par AMC. D'autres pays firent une équivalence sur la puissance réelle aux roues. D'autres ne l'homologuèrent pas donc ni Kermanac'h ni un importateur indépendant ne l'y introduisirent. Le marché qui en acheta le plus fut la Suisse: véhicule très fiable, à l'aise sur les routes de montagne en hiver, élististe techniquement, esthétiquement réussi et pas hors de prix. L'importateur suisse acheta à lui seul 29% des CRT produites par Kermanac'h, le reste du monde (France incluse) se partageant les 71% restants. Kermanac'h trouva même un importateur japonais.
Lauri Kyrönlahti avait "bachoté" à fond le trombinoscope de BFRSF et le dossier technique pour avoir autant que possible l'air au courant en arrivant. Il s'appliquait à remplir sobrement la mission que BFR lui avait confiée, en essayant de garder autant de sérénité que possible face aux catastrophes qui l'avaient acceuilli: le bâtiment n'était pas fiable. L'outillage et le personnel l'étaient-ils?
La surprise médiatique début avril 1998 fut le lancement par VTP du premier "svenskband" français: un groupe entièrement composé de Suédoises, alors que même ABBA n'en avait que deux à bord. Ceci parce que Millénium avait enfin réussi à faire du néo-ABBA, en un peu plus rapide: parfois ça faisait penser à Boney M réocherstré façon ABBA, tout en ne réutilisant pas leurs mélodies non plus. Parfois il y avait même un côté Sparks, comme l'utilisation d'un tempo variable mais avec une mélodie qui n'évoquait pas celle de "B.C." Les tenues ressemblaient à celles des Bifidus dans les versions les plus délirantes, auquelles s'ajoutaient des paillettes, pour Småprat (prononcer "smôprate"), clin d'oeil à l'ère disco que la musique évoquait en plus "Millénium".
Fredrika, Annika, Hillevi, Kerstin et Ellinor, Suédoises tendance "Claudia Schiffer" (bien qu'elle fût allemande) étaient issues de la sélection parmi les 5074 "vraies Suédoises et Danoises" (mais on n'avait pris que des Suédoises, pour le svenskband. Les Danoises allaient dans les séries télévisées ou la pub), ces cinq-là répondant de plus à des critères vocaux pour pouvoir (en se relayant) exécuter (au début: feindre d'exécuter) ce que Millénium avait préparé pour l'album du groupe, baptisé "Abbamatik". Le vrai prénom d'Ellinor était Elisabeth, ce qui n'était pas suédois de l'avis de VTP (il y avait aussi eu une Jeanette, dans le tas à trier, bien qu'elle n'eût aucune origine française), alors parmi les prénoms plus suédois commençant par "El", Ellinor avait semblé intéressant. Aymrald trouvait que Hillevi était la plus intéressante, mais en son absence il se fût largement contenté d'une des quatre autres.
Avec Bifidus, VTP visait un public féminin (et jeune), alors que Småprat visait les garçons, à vue, la musique restant plus "multipublics" comme celle de Bifidus, mais dans son propre style. "Småprat, la cinq-cylindres venue du froid", titra un magazine télé en les présentant dans ses pages "people" à l'occasion de leur passage télé le samedi soir.
Småprat était bien plus suédois qu'ABBA car toutes les chansons étaient en suédois et toutes les Suédoises avaient l'air 100% suédoises.
Le soir du mardi 14 avril 1998, Atte montra à Stéphane une K7 qu'une copine d'une cousine lui avait donnée. C'était des épisodes de "Au vent du large" (été 1996), en version suédoise sous-titrée en finnois.
Atte- Metta m'en a fait une copie. As-tu un frère jumeau qui s'appelle Erwann?
Stéphane- non. J'avais joué là-dedans pour gagner un peu plus d'argent. C'était bien avant d'être superviseur. Ari aussi à fait un boulot d'étudiant dans les médias, m'avais-tu dit.
Atte- les trimarans hydroptères, c'est plus classe que les slips.
S- mais plus fatigant: nous étions très souvent mouillés.
A- j'ai vu! Elle est bien, cette série. Ca donne envie d'essayer ce genre de bateaux. Maintenant, je sais où Sonja a puisé l'idée de la coupe "235". As-tu joué dans autre chose?
S- oui: c'était de la science-fiction, je faisais un mécanicien spatial russe qui buvait en cachette
A- comme Timo?
S- il n'est pas russe.
A- non, mais il boit. Et pas qu'un peu.
S- j'avais surtout l'impression qu'il mangeait
A- les deux, mon général
La blague existait donc aussi en finnois. Exportation? En fait Atte l'avait lue en français dans sa méthode, et l'avait traduite pour la réutiliser.
S- Timo boit...
A- oh, ce n'est pas grave: il n'a rien de dangereux à faire, dans l'usine. As-tu subi une formation spéciale?
S- oui: une formation intensive [en insistant sur cet adjectif]
Sans préciser que ça n'avait duré que deux semaines, pour passer d'ingénieur de base à pseudo-superviseur industriel.
A- que me conseillerais-tu comme bagnole d'occasion pas trop chère?
S- ici, il n'y a pas le même choix qu'en France. Je dirais Fiat: ce n'est pas cher, et les pièces non plus.
A- ce sont d'autres marques italiennes qui me font phantasmer.
S- à combien se monte ta capacité financière pour les phantasmes automobiles?
A- il faut tenir compte de l'assurance. Oui, ça risque d'être une Panda, ou une Dacia.
S- comme celle du parking?
A- c'est le garage "Eurotuning" qui fait ça. Tiens, on pourrait aller y faire un tour samedi. Si ça se trouve, ils ont des kits pour R20. Ils en ont même pour les Lada...
S- n'insulte pas l'industrie française. En son temps, ce fut une bonne routière bourgeoise.
A- mon oncle a eu une 305. En voitures françaises, c'est tout. Ah si! Mon grand père maternel avait une DS 20, une à l'ancienne: avec les phares comme les Porsche. Mais je n'étais pas né: j'ai vu des photos.
Enfin une trace de l'existence d'une famille maternelle d'Atte.
A- [reprenant] à propos de photos, crois-tu qu'il y aurait une place pour moi dans une des séries télévisées de cette boite de production? Les blonds comme toi ou moi, ça doit être rare, dans ton pays, donc ils doivent avoir du mal à en retrouver.
Voilà donc ce qu'Atte avait sous la langue depuis le début, en lui montrant cette cassette...
S- autrefois, oui. Mais VTP est allé faire son marché en Suède et au Danemark. Ils ont ramené de ces Suédoises... même ici je suis sûr qu'elles plairait. Le groupe Småprat.
A- je connais! Mais je ne savais pas que ça avait été fait par une société française: elles chantent en suédois...
S- ce sont de vraies Suédoises.
A- ABBA c'était suédois, mais c'était en anglais.
S- les Suédoises, ça fait plus suédois en suédois.
A- oui. As-tu rencontré les Småprat?
S- oui. Les bureaux de BFR de La Défense sont dans la même tour que ceux de VTP. C'est VTP qui fait les publicités pour BFR.
A- avec des Suédoises?
S- maintenant oui. Ou des Danoises.
A- pas de Finlandaises?
S- non: c'est trop loin. Ils ne sont pas allés recruter ici.
A- mais un Finlandais comme moi, ça pourrait marcher... Surtout que toi, tu ne peux plus jouer là-dedans.
S- ils m'avaient déjà remplacé par Knut Hellström: un Suédois. Puis il a été racheté par les Américains...
A- comme un joueur de foot?
S- oui, exactement. Alors ils l'ont remplacé par un Danois: Niels. Je ne sais pas s'il y est encore. Il ne suffit pas d'avoir l'air de pouvoir jouer dans une série télévisée: il y a des tas de tests à passer, il faut avoir de la mémoire, il faut garder son calme même s'ils demandent de refaire dix fois la scène.
A- ça doit être difficile.
S- quand on ne l'a jamais fait, oui. Mais ça s'apprend.
A- pourrais-tu m'apprendre?
S- non: je ne sais pas enseigner cela, et je n'ai pas le temps. Ce que tu peux faire, c'est regarder une série télévisée, et t'entraîner à imiter tous les gestes et les paroles d'un personnage. Pas forcément moi: commence par une série en finnois, ça sera plus facile. Il te faut un camescope sur un pied, pour te filmer, et ensuite repasser le film, en comparant avec la série télévisée enregistrée. Tu pourras voir ce qu'il faut améliorer, et recommencer, recommencer, jusqu'à ce que l'on ait impression que tu es un autre acteur qui joue le même rôle.
A- comme le karaoké pour les chansons?
S- oui, il y a des systèmes informatiques qui peuvent vérifier tes mouvements: si tu mets des vêtements spéciaux, que le logiciel reconnaît, il peut comparer ce que tu fais avec ce que tu dois faire et te le signaler sur un écran en face de toi, ou dans des lunettes virtuelles.
A- c'était Vertti qui en avait, des lunettes de réalité virtuelle.
S- c'est comme ça que VTP a appris à danser aux Småprat. Ca marche aussi pour apprendre les mouvements d'un rôle pour une série télévisée.
Une fois Atte "rangé", Stéphane "rembobina" une partie de la conversation. Atte n'avait pas tort: avec son caractère, il aurait été plus à sa place dans une série télévisée de VTP que dans une usine finlandaise. Il pourrait en parler à VTP, mais si Atte partait, il n'aurait plus personne avec qui bavarder. Il fallait d'abord trouver un autre moulin à paroles finnois.
Il pourrait toujours récupérer chez VTP des logiciels de préparation aux rôles et les donner à Atte, s'il voulait tenter sa chance là-bas l'été prochain. D'ici là, il aurait certainement trouvé avec qui d'autre pouvoir parler d'un peu de tout pour continuer à progresser en finnois.
Stéphane parlait français avec Surimi faute de pouvoir le faire avec quelqu'un d'autre. La petite minette finlandaise (sibérienne, d'allure) ne comprenait probablement pas, mais peu importait: que de tendresse, que de ronronnements! Les Finlandaises (humaines) ne semblaient pas être des sources de tendresse: bien plus froides et indifférentes que les Suédoises, du peu qu'il avait pu en observer hors de l'entreprise. Il était allé tour à tour à Helsinki, à Tempere, à Pietarsaari,Jyväskylä, l'anonymat dans ces villes supprimant l'effet "superviseur de BFRSF" alors que dans les environs de l'usine tout le monde savait qui il était (surtout après y avoir circulé avec la R20 orange). BFR ne lui avait donné aucune information sur où et comment les filles et garçons de ce pays se fréquentaient (probablement via les études ou par "copains de copines", avait supposé Stéphane), et moins encore sur la "drague" en Finlande. Il ne l'avait jamais expérimentée en France, puisque des filles s'intéressaient spontanément à lui, au moins visuellement. Stéphane supposait que son air plus ou moins finlandais (ce qui ici ne se remarquait pas) et sa dentition plus-que-parfaite y étaient pour beaucoup. Le contraste était bien moindre en Finlande. On n'y voyait pas que des dents parfaites, mais fort peu de catastrophes dentaires, contrairement aux "modèles de série" français. Peu de gens mal faits, même s'il n'y avait pas que du "zéro défaut" et si le surpoids semblait y être plus fréquent qu'en France. Il avait l'impression qu'il aurait pu vivre dix ans dans ce pays (loin de BFRSF) sans déranger quiconque: les vrais crocodiles sauvages des autres mares ne savaient pas qu'il était un croco d'élevage. Sur ce point, BFR avait raison: on pouvait l'oublier. Ca ne marchait pas aux alentours de BFRSF car tout le monde s'y connaissait au moins de vue: tout "nouveau" (même 100% finlandais et "finlandaisement anonyme" comme Kyrönlahti) y était aussitôt repéré.
Il y avait une autre raison: ce n'était pas encore la saison. Il fallait probablement attendre le solstice d'été en vue d'un dégel des Finlandaises dégèlent, pour faire des observations plus intéressantes, ou tenter de connaître la copine d'une copine d'Atte ou de Timo: on ne faisait connaissance privée que par relations, ici comme ailleurs.
Le lendemain, après des travaux intensifs de reconfiguration de la machine à composer les "Schwarzwaldtorten", il profita de ce que c'était lui qui ce soir-là hébergait Atte (donc retour en Alfa 33) pour lui poser des questions sur les Finlandaises "en dehors de ta soeur et de celles de l'usine, bien sûr".
La théorie d'Atte était que les filles "n'aimaient pas ça" et ne donnaient l'impression de pouvoir plus tard accepter qu'en échange d'avantages importants. Atte supposait (à moins qu'il plaisantât, envisagea aussi Stéphane) que beaucoup de filles de son pays (voire la plupart) étaient lesbiennes, et qu'elles ne faisaient semblant de s'intéresser aux garçons que pour les utiliser comme chauffeurs, bricoleurs, gardes du corps et surtout distributeurs de billets. Que d'autres n'étaient pas lesbiennes mais ne donnaient de valeur qu'à ce que leurs concurrentes penseraient d'elles. Attrapper un garçon comme Ari (si un jour l'une d'elle y parvenait) ne servait qu'à rendre jalouses les copines. Atte avait même lu dans un magazine féminin que les garçons trop beaux de partout dissuadaient nombre de filles car elles estimaient n'avoir "rien à leur vendre" donc que ça ne marcherait pas, "et c'est encore pire quand elle supposent qu'en plus le garçon est intelligent, car alors il ne sera pas exploitable". Stéphane objecta qu'une belle paire de seins tenant bien était toujours un argument qu'aucun garçon ne trouverait sur lui-même. Elles avaient au moins ça à "vendre", visuellement, même à quelqu'un comme Ari. Oui, mais un Ari allait pouvoir choisir parmi des milliers, voire des millions de paires de seins. Comment être sûre de proposer la bonne? Trop difficile. "Même toi, comme tu es superviseur industriel, tu les inquiètes...". Stéphane croyait pourtant que le pouvoir dans une entreprise donnait de la valeur à un garçon pour une fille. Il dit qu'ici, tout était faussé car tout le monde dans le coin savait qui il était, BFRSF étant la seule grosse entreprise du coin.
Atte- oui: il faut que tu ailles là où elles ne savent pas qui tu es. En juin-juillet, de préférence. Et puis il faut savoir qu'une fille, à l'usage, ça coûte encore plus cher qu'une voiture. Moi, je suis obligé de choisir, pour le moment, alors voiture. J'irai draguer en Suède, cet été, après avoir fini le tuning sur l'Alfa. La Suède, c'est beaucoup moins cher, en matière de filles. Voire gratuit.
Stéphane- il est vrai que VTP ne s'est procuré aucune Finlandaise. Je pensais que c'était parce qu'ils n'y était pas allés: trop loin.
A- oui, de chez toi, la Suède c'est plus pratique: c'est au bout du Danemark.
Atte disait-il vrai, pour les Suédoises par rapport aux Finlandaises, ou était-ce juste parce qu'il pensait que ce serait plus facile dans un autre pays?
S- moi, j'ai trouvé une Finlandaise qui me fait des câlins matin et soir, et qui se contente de ce que je lui offre à manger.
A- qui ça, Nelli?
S- non, pas de la boite. D'ailleurs tu la connais presque autant que moi [il carressait Surimi, qui ronronnait sur lui].
A- [réfléchissant à qui il pouvait connaître "presque autant" que Stéphane...] c'est une minette?
S- oui!
A- et tu ne me l'avais pas dit?
S- tu n'étais pas là.
A- Surimi [qu'il écrivait "Syrimi", en finnois, pour avoir le son "u"], ça peut aussi être un prénom féminin...
Ce que racontait Atte (était-ce vrai?) était pire que ce que supposait Stéphane: rien à espérer des Finlandaises à moins de se transformer en distributeur de billets. Certes, la référence féminine d'Atte étant sa soeur aînée, il ne se faisait aucune illusion sur les autres filles et n'avait aucune confiance en lui dans ce domaine. Cela pouvait avoir noirci le tableau, dans son esprit, et lui confirmer qu'il vaudrait mieux essayer en Suède, parce que les Suédoises avaient la réputation d'aller avec presque n'importe qui. Majorité de lesbiennes parmi les Finlandaises? Les filles d'Europe du Nord avaient effectivement cette réputation, avait entendu dire Stéphane de diverses sources. Quel pourcentage? Il n'en savait rien. Atte pensait que c'était au moins les deux-tiers, voire 90% si on incluait les "lesbiennes non pratiquantes". Dans un pays comme la Suède, peuplé de tant de filles sublimes, un garçon s'imaginait facilement que même s'il avait été une fille, il aurait continué à préféré les filles. Ceci pouvait expliquer cette réputation. Toutefois les Suédoises ne semblaient pas exclusivement lesbiennes, pour la plupart, et moins encore vénales. Etait-ce un problème purement finlandais?
Atte n'était pas un "échantillon représentatif" de son pays, mentalement, ne fût-ce que parce qu'il parlait bien plus que le Finlandais moyen. Sa vision des Finlandaises pouvait être liée à son histoire personnelle. Stéphane estimait qu'il ne pouvait en parler avec personne d'autre: il n'avait aucun autre interlocuteur ou interlocutrice d'assez ouvert pour des discussions non professionnelles, à part Timo verre en main, mais qui serait alors encore moins fiable qu'Atte, comme source d'informations. Ce qu'avait dit Atte n'était qu'une exagération de ce qu'il avait lui-même cru observer.
Stéphane ne savait pas "lier connaissance": ça se faisait tout seul via telle ou telle activité, ou ça ne se faisait pas. Ceci expliquait qu'il ne connût que des gens de l'usine, et uniquement ceux et celles qui avaient travaillé avec lui. Il n'y avait pas grand chose à faire, dans les environs, à part de la conduite sur neige, du ski de fond (il avait essayé et trouvait ça ennuyeux), du patin à glace (il n'en avait jamais fait et les chutes étaient douloureuses, même sur le derrière, vu la dureté de la glace: à partir d'une certaine épaisseur elle ne présentait plus d'élasticité, sur l'eau, donc cognait comme du carrelage: il n'avait pas insisté) ou de la baignade dans un trou du lac en forme de piscine. Personne n'avait de traîneau à chiens: "c'est plus au nord, qu'ils font ça". Il n'y avait pas d'équipe de foot locale, ni de hockey sur glace. Il existait une autre actitivé locale: boire. Timo connaissait du monde, lui.
Le pédalage dans la Trielec et les entraînements aux combats avec le bras robotisé à retour d'effort avaient suffi à résorber le début de poignées d'amour qu'il avait constaté après le début de sa mission, qui étaient aussi la conséquence du travail dans déplacement (car logé dans la tour) chez BFR/VTP à la Défense les mois précédents.
Bien avant le dégel, il était retourné se baigner dans le lac, en veillant à imiter comment faisaient les gens du coin: ne pas sauter dans l'eau pour s'y engloutir et faire surface ensuite. Rentrer calmement depuis le bord, ce qui était bien plus éprouvant car lent. Il fallait être un peu masochisme pour faire ça, ou avoir un défi à relever face à soi-même. Stéphane était dans ce second cas: il savait que c'était superflu, mais arriver à le faire et rester un temps raisonnable (sans chercher à concurrencer les gens du crû qui en avaient bien plus l'habitude, en plus (parmi les praticants) d'avoir plus de couenne) lui semblait un auto-test de finnocompatibilité valable. L'autre eût été le sauna, mais puisque ça pouvait tuer même des Finlandais... Stéphane n'avait pas de raison de chercher à se supprimer, et même s'il en avait eu une (invalidité définitive suite à l'attentat, par exemple) il aurait choisi une méthode plus agréable. De même que si certains Finlandais se soûlaient, fumaient et se droguait, cela ne signifiait pas qu'il fallût les imiter.
Après le lac, il se sèchait les cheveux à grand vent à l'aide de la grosse turbine récupérée dans l'ancienne climatisation de la salle d'informatique, avant son ferraillage. Il fermait toujours la porte de la salle de bain pour le faire, car le bruit et le vent auraient déplu à Surimi.
Mi-avril, l'eau était encore froide mais il n'y avait plus de glace, ce qui permettait de nager plus librement. Stéphane utilisait des palmes, tant pour l'efficacité que pour se protéger les pieds d'un choc contre un objet éventuel flottant entre deux eaux, ainsi qu'en pensant aux échardes possibles sur les pontons. Aux mains, des gants palmés d'un vert translucide amélioraient l'efficacité de la brasse, permettant un mouvement plus puissant sans ajouter de remous.
Il rendait visite une fois par semaine à Irina, toujours hospitalisée, et la tenait au courant des évolutions, déboires et réparations de l'informatique de l'usine comme si elle avait pu comprendre. Le médecin n'était pas contre: évoquer un contexte professionnel dans lequel elle s'était beaucoup impliquée pouvait stimuler une récupération neurologique partielle, si elle était possible. Irina était consciente, le trou dans son front (au dessus de l'oeil droit) n'était plus qu'une cicatrice assez propre, mais les dégâts internes étaient importants. Les neurologues étaient d'accord sur un point: toute tentative d'extraire la balle (même par le trou d'entrée avec une tige puissamment aimantée) n'aurait pu causer que de nouveaux dommages au cerveau. Elle pouvait manger par ses propres moyens, mais difficilement parler. Elle préférait regarder la télévision ou écouter des gens lui parler, quelque fût le sujet.
Jeudi 16 avril y eût une nouvelle réception (plus modeste que la précédente) chez BFRSF pour présenter la nouvelle version de la Schwarzwaldtorte (raison officielle) mais aussi le nouveau directeur, Kyrönlahti. Les médias revenaient chez BFRSF en se demandant, pour certains, ce qui allait ce produire cette fois: qui allait "pêter les plombs": quelqu'un, ou l'usine? Surtout pas l'informatique, espérait Stéphane, car Anton n'était pas venu.
Ce fut Timo qui l'avertit au cours de la réception: "Anton est mort: un camion de bois à perdu des troncs juste devant sa moto". Faire de la moto sur la neige, surtout avec un modèle aussi puissant, avait toujours semblé kamikaze à Stéphane, mais Anton semblait maîtriser: il était finlandais. Eviter une avalanche de troncs était plus difficile, même pour un motard finlandais. Il était le dernier à avoir une connaissance relativement intime des systèmes implantés dans les Convex. Arvi, le plus efficace et assidu des akistes, n'y avait jamais touché. Stéphane avait une connaissance du Linux des Convex comme utilisateur, et non comme "ingénieur système": c'était une compétence rare, dont Anton ne possédait déjà qu'une partie. Seul Vertti connaissait à fond ce système.
L'informatique centrale de BFRSF volait maintenant sans pilote ni copilote: pilotage automatique uniquement. En situation normale, ça suffisait, mais les situtations normales semblaient l'exception, chez BFRSF, avait pu constater Stéphane. Celui-ci et les akistes mirent les bouchées triples pour accélérer le portage dans l'AK 147T10 du coordinateur 1996, tout en continuant à faire passer sous gestion locale (AK46) les installations modifiées: la plus récente concernait la Schwarzwaldtorte, mais celle-ci restait dépendante de la "centrale de pâte" qui était gérée par l'un ou l'autre des coordinateurs sur Convex, puisque non modifiée. Cette centrale alimentait aussi la fabrication des petits fours, parmi tout ce qui utilisait l'un des trois types de pâtes (brisée, sablée, feuilletée, aromatisée ou non) qu'elle fabriquait au kilomètre, avec des laminoirs, des massicots, des compas de découpe, des emporte-pièces pour les petits formats, et un système de retour des chutes en début de trains de laminoirs. La pâte feuilletée passait en plus par la plieuse-stockeuse-beurreuse. La centrale de pâte n'avait jamais causé de problèmes par elle-même, mais si les deux Convex plantaient, il faudrait tout refaire en local avec arrêt complet de tout ce qui en dépendait pendant ce temps, y compris les croissants. Un gros client de viennoiseries BFR était présent à cette réception qui en avait plein les corbeilles de son buffet.
Stéphane fit son rapport, mentionnant les conséquences très graves (en cas de panne) du décès d'Anton, puisqu'Irina était toujours incapable de pondre plus deux lignes de C correctes (et encore: par chance... Il avait essayé à l'hôpital, en lui mettant en mains un des AK49 qu'elle utilisait habituellement): elle savait encore taper un peu de texte avec tous les doigts, ces reflexes-là étant intacts, mais comme "ingénieur système", il ne fallait plus compter dessus. "On devrait l'emmener à Lourdes, au point où nous en sommes", suggéra quelqu'un de chez BFR.
On lui dit de mettre l'équipe informatique restante (que des jeunes recrues...) sur l'akaïfication de la centrale de pâte, qui devait devenir au plus vite indépendante de la gestion sur Convex. Certes, les deux coordinateurs étaient capables de la gérer, mais l'un des C240 ayant été endommagé il fallait prendre de l'avance.
Le jeune Arvi (17 ans) se retrouva ainsi "ingénieur système" (sans titre) de l'AK147T10, pour le portage au plus vite (mais sans bogue: tests extensifs indispensables) de la gestion de la centrale de pâte. Ce serait moins lent que de réécrire ex-nihilo tout un système de gestion locale par AK46 pour cette installation complexe et ramifiée: le coordinateur 1996 savait la gérer, donc émuler dans l'AK147T10 ce qu'y faisait cette partie du programme serait moins lent. Toutefois cette gestion faisait d'appel à beaucoup d'autres fonctions du coordinateurs (utilisées aussi par d'autres gestionnaires de processus) donc le portage allait prendre "un certain temps", même en distribuant les fonctions à tous les akistes, selon leur degré de complexité. Stéphane vérifiait et surtout "extrayait" deux fois par jour d'Arvi la documentation technique correspondante, ce dernier étant trop pris par la programmation et les tests pour s'occuper de la faire. Devoir l'expliquer à Stéphane l'obligeait à mentionner en clair des choses qui lui semblaient intérieurement évidentes mais qui ne l'auraient pas été pour quelqu'un d'autre ayant à remettre le nez là-dedans après son départ, voire son décès puisque cela semblait être un poste à risque: BFR avait perdu trois "ingénieur système" depuis l'arrivée de Stéphane: deux par camions et une par balle.
Le lendemain Kyrönlahti trouva Arvi profondément endormi dans le fauteuil de "programmation allongée" d'Irina (puis d'Anton) et eut du mal à le réveiller. D'après les dates des sauvegardes des fichiers sources, Arvi avait programmé jusqu'à 4h52 et s'était endormi sur place sans s'en rendre compte. Il fallait veiller à protéger ce garçon contre son propre zèle, estima Kyrönlahti qui en parla à Stéphane.
Stéphane- je sais: c'était arrivé à Irina.
Kyrönlahti- ce fauteuil est trop confortable
S- oui: on programme plus vite là-dedans. J'ai le même dans mon bureau.
K- vous êtes-vous endormi dedans?
S- jamais plus de huit minutes, car si l'écran de veille s'enclenche le vibreur dorsal me réveille. Nous avons dû oublier de parler de cette option à Arvi. Si on ne l'enclenche pas soi-même, ça n'agit pas. Les huit minutes sont une mini-sieste qui semble intéressante pour récupérer et moins s'endormir ensuite, selon certains spécialistes suédois dont Vertti avait trouvé les théories sur internet. Vertti: celui qui a conçu ce fauteuil. L'ingénieur système qui était là à mes débuts.
K- quelqu'un d'aussi jeune et peu expérimenté qu'Arvi peut-il gérer ce système?
S- je ne le sais pas, mais nous n'avons personne d'autre.
Stéphane expliqua à Kyrönlahti ce que BFR lui avait recommandé. De plus, il fallait recruter au moins un programmeur supplémentaire, même s'il ne pourrait remplacer Anton "poste pour poste".
Ce fut Kjell Källström, un Finnosuédois de 19 ans, petit et rond (1m74, 83 kg), avec une meule de foin fibreux en guise de cheveux, qui avait été prospecté lors du premier recrutement puis recontacté et re-testé parmi d'autres pour venir consolider l'équipe de "portage" du coordinateur 1996. Un garçon tranquille, voire un peu endormi, mais efficace en informatique sur AK.
Stéphane fut invité à la télévision finlandaise dans une émission à une heure de faible écoute (tôt le samedi matin, en direct) sur comment des étrangers travaillaient en Finlande. Il avait été repréré via des reportages sur BFRSF. Stéphane demanda à BFR s'il était autorisé à y aller et donc à arriver plus tard à l'usine.
- oui, car vous n'aurez rien à dire de confidentiel sur l'entreprise: c'est de vous qu'il s'agira, dans ce genre d'émission.
Il ne fit aucune critique sur la Finlande car il savait qu'il ne fallait pas généraliser ce qui s'était passé aux alentours de BFRSF (l'insécurité routière, par exemple) à tout le pays. Il confirma que le finnois était une langue difficile, et qu'il était surtout difficile de trouver des bavards, en Finlande, pour s'entraîner. Il y avait un Allemand, une Belge, une Roumaine, un Argentin et un Russe.
Le public (qui en était généralement à son petit déjeûner) pouvait poser des questions par SMS (déjà d'usage courant en Finlande) ou par internet. On demanda à Stéphane ce qu'il pensait de la nourriture finlandaise (supposant qu'un Français n'aimerait pas). Il répondit qu'il travaillait dans une entreprise qui en produisait donc n'avait que l'embarras du choix. Ce qu'il pensait de l'hiver? "C'est très beau. D'où je viens, la neige est rare et elle ne tient jamais longtemps au sol". Ca, il le pensait sincèrement. Ce qu'il pensait des Finlandaises? "Je vis avec une Finlandaise. Elle à cinq mois et ronronne beaucoup". Si la conduite sur neige lui posait problème? "Je fais attention. Un collègue de travail m'a donné des leçons". Ce qui lui déplaisait le plus dans son séjour en Finlande? "Il n'y a pas de futur en finnois. Je ne m'y suis toujours pas habitué et je crains de ne jamais pouvoir m'y habituer. Souvent, je voudrais dire quelque chose au futur, et je ne peux pas le dire en finnois". Ceci réorienta le débat du plateau sur la langue, car d'autres étrangers confirmèrent que l'absence de futur les prenait parfois de court et les empêchait de s'exprimer naturellement. Dans beaucoup de langues, il y avait une parenté entre le conditionnel et le futur, obtenus tous deux soit par conjugaison directe soit via des auxiliaires. Le finnois ayant un conditionnel direct (par insertion de "isi" entre le radical et la désinence), un mécanisme analogue aurait pu être utilisé pour former un futur, mais ce n'était pas le cas.
Stéphane estima n'avoir rien dit de trop, puisque sa remarque sur l'absence de futur gênante en finnois avait été reprise et développée par d'autres invités. Il avait programmé le magnétoscope en partant et remarqua en regardant la K7, le soir (il était resté plus longtemps à l'usine, pour compenser. Ce jour-là, Atte "squattait" chez Timo), qu'il avait été filmé plus souvent qu'à son tour, par rapport au temps de parole. Avait-on estimé qu'il intéresserait plus le public, ou était-ce juste parce qu'il était plus à l'aise sur un plateau de télévision grâce à l'expérience de chez VTP? Cela pouvait aussi venir de l'actualité mouvementée de BFRSF depuis qu'il y était, bien que l'émission ne portât pas là-dessus. Il remarqua aussi qu'il parlait beaucoup avec les mains: autant que l'Argentin.
Cette nuit-là, le cvx0 (celui qui n'avait pas été endommagé par l'effondrement de la dalle) lâcha d'un coup. Matériel? Logiciel? Pas moyen de le faire "rebouter". Réinstaller tout à partir de la sauvegarde? Arvi qui arriva aussitôt (étant toujours logé dans le bungalow au bout du parking de manoeuvre des camions) n'avait jamais réinstallé de système dans un tel ordinateur. Il n'avait pas non plus vu Irina le faire. Compte tenu des doutes sur la fiablité du second (qui marchait encore) c'était au premier qu'avait été confié le pilotage des tâches que les deux coordinateurs pouvaient piloter et qui n'étaient pas encore dans l'AK147T10. L'AK49 de veille détectant l'arrêt du cvx0 (aucune réponse) avait basculé aussitôt sur le coordinateur 1996 tout ce qui pouvait l'être (en particulier la centrale de pâte: les deux pouvaient la gérer, de même que la yaourterie et une bonne partie de la production fromagère) mais 15% des installations s'arrêtèrent. Il n'en manquait plus que 4%, en théorie, dans l'ensemble "coordinateur 1996 + gestion locale par AK", mais ces 4% étaient nécessaires à 15% du total des équipements. Les travaux de portages de l'équipe d'Arvi consistait à pouvoir rendre cette remouture du coordinateur 1996 indépendante du cvx1, mais pas à se passer totalement du cvx0, dans le réseau: c'était prévu pour plus tard, l'ampleur de la première tâche étant déjà gargantuesque: les 84 108 lignes de C du coordinateur, plus des "annexes" et interfaces dont certaines étaient encore en Fortran 66 ou 77. 31 755 lignes de Fortran et de C d'annexes. Commentaires inclus, certes (certains en français, pour ce qui venait de chez BFR, d'autres en finnois pour les modif faites sur place) mais ça faisait déjà du pain sur la planche. Certes, adapter des sources C pour les recompiler dans un AK ne nécessitait pas de les réécrire entièrement: juste des entêtes à changer, quand tout allait bien, parfois des appels systèmes différents pour les fonctions qui en utilisaient. Certaines fonctions "purement logicielles" (ne faisant même pas d'accès fichiers) pouvaient être portée sans modifications. Toutefois les portages (quelque fût le système) étaient toujours l'occasion pour une nuée de bogues de prendre le train en marche, dans une configuration qui pouvait sembler fonctionner sur de petits essais mais allait poser des problèmes dans d'autres cas. Il ne s'agissait pas de millions de lignes de logiciels: c'était encore à taille humaine, mais d'une bonne équipe pendant plusieurs semaines, et non d'Arvi tout seul en une nuit.
Stéphane demanda aux parents d'Irina comment elle allait et que peut-être qu'en la réinstallant sur ce fauteuil de programmation qu'elle aimait tant d'autres réflexes seraient sollicités.
Ceux-ci acceptèrent (les médecins aussi. Irina était mobile, si on l'assistait un peu car il y avait risque de chute, certains réflexes de posture étant altérés aussi). Irina arriva à l'usine le lendemain, reconnut Stéphane et l'appela ainsi (gros progrès: jusqu'alors elle disait à ses parents "le beau garçon aux yeux verts" mais n'arrivait pas à mettre un nom dessus): le contexte de l'usine avait déjà réussi à réenclencher ça. Un Convex C240 planté pouvait-il faire mieux? Stéphane avait moins proposé d'amener Irina pour retaper le Convex que l'inverse (mais si jamais elle se souvenait d'un coup de la procédure de réinstallation, pourquoi pas...).
Une heure plus tard, le cvx0 redémarrait, et les parties correspondantes de l'usine aussi. Remis au route par une "ingénieur système" ayant une balle dans la tête et ne se souvenant même pas du nom du superviseur avant son arrivée à l'usine? Les parents d'Irina estimèrent que même si ce n'était qu'une lueur provisioire (ils ne voulaient pas se donner de faux espoirs trop tôt) c'était plus efficace (et pour moins loin) qu'un voyage à Lourdes. Irina n'avait pas réinstallé le système: elle l'avait relancé avec une série de commandes appropriées, et restait incapable d'expliquer comment. Un réflexe professionnel, rien de plus. L'AK49 face au fauteuil, qui servait d'interface homme machine "intelligente" avec les deux C240, avait conservé la séquence dans sa boite noire. Stéphane la restitua et demanda à Irina de lui expliquer.
- il faut faire comme ça,
tapa-t-elle au clavier dans une autre fenêtre. Il lui était plus facile de taper (surtout avec les accoudoirs-claviers séparés de ce fauteuil) que de parler. Pas d'autre explication. Fallait-il toujours faire comme ça, ou uniquement dans ce cas? Quand Arvi vint voir, elle l'appela "mèche bleue", et non Arvi.
Stéphane- moi, qui suis-je?
Irina- les yeux verts.
La reconnaissance des noms avait été éphémère. Il lui restait toutefois un trombinoscope visuel, puisqu'elle identifiait chacun par ce qui le distinguait le plus facilement des autres. Timo aussi avait les yeux verts, mais elle l'avait bien moins fréquenté à l'usine que Stéphane. Le père d'Irina suggéra que c'était peut-être parce que le système informatique n'avait plus besoin d'elle que son cerveau était moins stimulé et régressait. Stéphane expliqua qu'il ne pouvait tout de même pas créer des pannes exprès: "je me ferais virer". Toutefois le portage des vieilles annexes et interfaces en Fortran 66 pouvait solliciter assez de neurones chez Irina pour la "relancer" elle aussi. Ca, c'était un essai sans risque: au pire, elle n'y arriverait pas, mais rien ne serait endommagé. Arvi, qui avait compris le principe, pêcha une des plus vilaines interfaces de transfert de données en Fortran 66, avec beaucoup de commentaires en français et de nombreuses déclarations implicites de variables. Pire encore: des tableaux donnés par l'ordre "dimension", sans le type, des "commons", des "equivalence" et des "goto" assignés. Tout ce que les tenants de l'informatique "structurée" détestaient mais qui régalait les "Véritables". Irina était-elle une Véritable? Vertti, assurément.
On la laissa sur ces fonctions-là et des copies de tous les sources du coordinateur pour faire des essais dans une zone cloisonnée (Linux le permettait assez facilement) des disques durs du Convex, pour pouvoir faire des essais de compilation dans le Convex et aussi (fonction par fonction) dans l'AK49. Son père et sa mère furent autorisés à rester à ses côtés, la validité de leurs badges "visiteur" étant prolongée à cet effet. Les doigts d'Irina mitraillèrent les touches des bouts d'accoudoirs comme ceux d'un mordu de jeu vidéo de bataille spatiale confronté au niveau ultime de combat.
Kyrönlahti, informé de cette étrange expérience, était dubitatif: s'il arrivait quelque chose à Irina (syncope, rupture d'anévrisme...) la responsabilité de l'usine (donc la sienne, puisqu'il s'agissait du personnel) pouvait être engagée. Avec autant de précautions que possible il demanda aux parents d'Irina de remplir une demande en clair et d'assumer la responsabilité de l'expérience, sinon il n'aurait pas le droit de l'autoriser: "mais nous pourrions lui prêter cet ordinateur portable pour continuer l'expérience chez vous, ou à l'hôpital sous surveillance médicale". Ce à quoi les parents d'Irina objectèrent que le contexte de l'usine compait au moins autant: le fauteuil, le bureau, ce qu'elle voyait à travers les vitres, le personnel: tout. Ils signèrent donc la demande et la prise de responsabilité, BFR ne faisant maintenant que mettre à leur disposition un bureau non médicalisé pour une expérience demandée par eux. Ils s'étaient d'ailleurs assis de façon à ce qu'Irina ne pût les voir, pour ne pas la déconcentrer. Ils supposaient que "Yeux verts" ou "Mèche bleue" n'étaient pas gênants, s'ils venaient voir où elle en était, car ils faisaient partie du contexte informatique habituel de l'usine. Par contre Irina n'avait pas connu Kyrönlahti. Ils lui demandèrent donc de ne pas se montrer ni s'adresser à elle. Ce dernier accepta, tout en disant "je n'ai aucun moyen de ressusciter Paakkinen".
Le cvx0 replanta un peu avant midi: Irina l'avait relancé mais n'avait pas identifié (donc supprimé) la cause réelle du plantage. Le coordinateur 1997 à bord du système de même époque ne gérait maintenant que les 4% que l'autre coordinateur aidé des AK ne savait pas encore piloter, donc la recherche d'une situation révélatrice de bogue était envisageable "à l'échelle humaine" (mais sans aucune certitude de résultat). Irina plongea avec délice dans les "dumps" mémoire du crash. Un océan de code hexadécimal brut de déversement: l'autopsie du système au moment du plantage général. Même Vertti n'aurait pas cherché une aiguille dans une telle botte de foin. Irina ne trouva pas non plus, mais elle s'y appliqua, puis appela Arvi par un message en tapant cette fois son prénom. Arvi vint voir, suivi de Stéphane qu'il avait prévenu. Un écran plein de codes hexa qui défilait. Irina qui fouillait du regard dedans. Là, c'était elle qui était plantée, supposa Stéphane: personne ne pouvait comprendre ça: il aurait fallu la puissance de traitement exact d'un gros ordinateur, or un cerveau humain même "génial" n'avait même pas celle (en traitement exact) d'une calculette programmable de lycéen. Le cerveau n'était pas un ordinateur (même un petit des années 80): c'était un autocorrélateur neuronal (et pour cause) à pondération analogique (et non numérique). Doué pour la reconnaissance de formes, de parole, de contextes, domaines d'analyse où les logiciels d'ordinateurs classiques "ramaient" laborieusement, mais misérablement nul pour du traitement exact de flots de données. Trier par ordre croissant les numéros de téléphone d'un petit annuaire, aucun cerveau humain ne pouvait le faire. Même en un milliard d'années, s'il avait été immortel, à cause du manque de "registres" mentaux pour conserver à leur valeur exacte et emplacement exact (mais changé à chaque passe de tri) des données qui n'étaient pas au coeur des manipulations comparatives à cet instant. Chercher à vue des bogues dans un dump hexadécimal système (pas juste d'un logiciel planté) de dizaines de méga-octets, mission impossible.
Stéphane retapa de son bureau la séquence qui avait relancé le cvx0, le système redémarra, et peu à peu les services techniques concernés aussi. Ca tiendrait "un certain temps", pendant lequel Irina pouvait rester à fouiller dans les données brutes (ça ne les effaçait pas). Un certain temps, ça pouvait être quelques secondes, quelques heures ou quelques jours: ne connaissant pas la cause, nul ne pouvait prédire l'effet.
Arvi s'aperçut qu'Irina ne savait plus faire qu'une chose: faire défiler page d'écran par page d'écran les données hexa. Comme hypnotisée. Elle ne réagissait à rien d'autre. Il en parla à ses parents, en disant qu'elle était plantée comme l'ordinateur tout à l'heure et qu'il faudrait la sortir du contexte pour la "relancer". Les parents acquiescèrent. Arvi remit l'éditeur de "vieilles horreurs toutes rouillées" en Fortran 66. Irina se remit à les étudier et les traduire en C. Arvi demanda:
- sais-tu qui je suis?
Irina- Arvi.
Puisque le cvx1 fonctionnait, et que le cvx0 pouvait replanter à tout moment, les travaux de portage du coordinateur 1996 furent gelés (avec commentaires d'état pour reprise sans hésitation des travaux gelés) et tout le monde fut mis à l'akaïfication des installations "coordinateur 1997 uniquement" les plus nécessaires à d'autres.
Arvi- [à Stéphane] Irina est dans une zone sans priorité d'accès ailleurs, j'espère
Stéphane- oui. J'ai changé le code "su".
A- parce que sinon ça pourrait faire comme dans "Ubik", avec retour à un coordinateur des années 60 tout en Fortran dans chaque machine.
Lors de la reprise en main par AK46 de chaque organe technique concerné, l'équipe électrotechnique (Mika et Teemu) était avertie d'en profiter pour déconnecter, nettoyer, reconnecter et revernir toutes les bornes de tableau correspondantes.
Après ce week-end de réinterventions d'urgence dans l'informatique par l'équipe, le lundi 20 avril au matin, Kyrönlahti fut découvert mort dans un sauna: arrêt cardiaque.
Atte- [à Stéphane] si ça tue même des Finlandais, je suppose que tu n'es pas près d'essayer.
Stéphane- BFR me l'a interdit, par sécurité. Le sauna est fait pour les gens qui y sont habitués depuis la petite enfance.
A- probablement. Il faut aussi avoir le coeur solide: Kyrönlahti devait avoir un problème. Nous devons te sembler un peuple étrange.
S- je suppose qu'il en serait de même pour toi si tu séjournais en France. Nos cultures sont si différentes que je ne serais pas plus dépaysé au Japon.
A- à part la circulation: les Japonais roulent à gauche. J'aurais aimé visiter ton pays avec mon Alfa 33.
S- le trajet est très long. Vaut-il mieux passer par la Suède ou redescendre via la Pologne?
A- la Suède mérite une visite, surtout en juin. On peut atteindre la Suède en visitant d'abord la Laponie puis en redescendant, ou en prenant directement le bateau. Ca doit être plus long par la route, mais ça permet de voir le soleil de minuit.
S- il faut prévoir un appareil contre les moustiques.
A- il y en a beaucoup l'été, c'est vrai.
BFR autorisa Stéphane à utiliser la CRT en attendant la nomination d'un nouveau directeur. Kjell et Kare se partageaient l'usage de la XM s'il y avait lieu.
Entretemps le cvx1 avait planté, avant que le portage du coordinateur dans le 147T10 fût opérationnel, car l'équipe s'était mise à fond à l'akaïfication des quelques installations encore totalement dépendantes du système 1997. Après ne pas avoir réussi à relancer le cvx1 (la panne était matérielle, semblait-il) ce fut à bord du cvx0 que ce le système 1996 (complet) fut réinstallé. Stéphane se souvenait qu'il fallait d'abord zéroifier totalement les disques durs, par sécurité (le système 1997 était toujours archivé et cette archive était encore à jour, puisqu'il s'était avéré impossible d'y recompiler quoi que ce fût sans plantage). Arvi put réinstaller la sauvegarde complète la plus récente du système 1996 dans le cvx0, et les commandes "Irina" le relançèrent, mais pendant ce temps 70% de l'usine s'était encore arrêtée, avec des travaux de nettoyage faisant perdre du temps supplémentaire pour certaines installations.
Au redémarrage, rien ne marchait. Le système 1996 marchait, à bord du cvx0, mais le coordinateur ne coordinait plus rien. Ceci parce que les deux systèmes étaient restés dépendants des adresses réseau de leurs machines hôtes. Pour les échanger, il fallait modifier ces variables d'environnement. Une opération simple, à condition d'y penser. Stéphane y pensa une demi-heure plus tard, tout en supposant que ça ne devait pas être quelque chose d'aussi trivial. Et pourtant, si: la gestion avait redémarré.
Toute l'usine était maintenant pilotée par un seul Convex (ce qui n'était pas forcément plus mal: le système 1997 était un nid de bogues et de plantages) et ce qui avait été porté dans le réseau AK (les AK46 locaux, l'AK49 "chef d'orchestre" d'interfaçage avec le C240, et le nouveau serveur 147T10 dans lequel une version simplifiée (il manquait encore beaucoup de fonctions, mais le "noyau" et certaines d'entre elles tournaient déjà) du système 1997 avait été porté. Ceci permit aux électroniciens (dont Seppo) d'examiner tranquillement le défaillant, au cas où il serait possible de le remettre en route comme "canot de sauvetage" en cas de défaillance matérielle de l'autre.
BFR devait trouver un nouveau directeur. Personne n'avait critiqué le choix de Kyrönlahti (qui ne vallait pas Paakkinen mais faisait honnêtement ce qu'il avait à faire). Alors ce fut le prédécesseur de Paakkinen, qui était parti en 1988 dans une autre entreprise (de portes et fenêtres), qui fut recontacté, BFR ayant appris que suite à la fermeture de cette usine il était sans emploi (à quelques encâblures de la retraite) depuis mai 1997. Il n'aurait pas à s'occuper de toute la technique: le directeur technique (Kare) et le superviseur de modernisation (Stéphane) s'en chargeait. Le salaire restait moyen (statutairement BFR ne pouvait pas couvrir d'or un directeur d'usine) mais il y aurait trois mois de congés payés (oui: trois) et une voiture de fonction qui ne le laisserait probablement pas indifférent. Stéphane restituerait la CRT (qu'il n'avait en fait eu le temps d'utiliser que deux fois).
Rasmus Matilainen, 63 ans, accepta de "rempiler" pour six mois (donc en fait quatre et demi, compte tenu des six semaines de congés payés). Il arriva jeudi 23 avril.

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