vendredi 10 avril 2009

chapitre N-31

Certains épisodes de séries télévisées de VTP ou VTPSF servaient de banc d'essai pour de nouvelles astuces de tournage destinées aux grands films. VTP avait besoin de chevaux mécaniques crédibles, des robots quadrupèdes aux mouvements réalistes capable d'exécuter des cascades prévues d'avance, ce qui était moins difficile qu'un "vrai" robot qui aurait eu à réagir à des situations découvertes au dernier moment. Le robot équestre n'aurait, chez VTP, qu'à corriger les erreurs de positions (flexions parasites des membres, glissement des sabots sur le sol) par rapport à la cascade prévue, mais à non à trouver de lui-même comment l'effectuer. Il en allait d'ailleurs de même pour les acteurs humains et les robots les remplaçant pour certaines scènes: VTP n'avait pas l'ambition de faire des robots réellement autonomes (comme ceux des Japonais, avec des résultats encore hésistants malgré des budgets colossaux) mais avait déjà réussi (en particulier dans "Les miroirs du temps", pour des scènes de décapitation, broyage ou amputation en cours d'action) des cascadeurs pré-programmables à correction automatique d'erreurs de position, avec des parties conçues pour être détruites de façon crédible. Les chevaux robotisés n'étant pas prêts, cet été, on n'en voyait jamais de près dans "les miroirs du temps": de plus loin, le cheval virtuel (rotoscopé d'après des vrais, effets de muscles, queue et crinière inclus) n'était pas discernable d'un vrai, tout en faisant exactement ce qui était prévu. VTP n'avait pas l'intention de tourner avec des enfants ni des animaux, sachant combien les réalisateurs (et pas que les siens) détestaient ça. Il suffirait de tricher, dans l'empire du faux goût paraissant plus vrai que vrai.
Kare n'était pas seul de son espèce, à bord: VTP en avait trouvé une dizaine "dans ce genre-là" (y compris pour être montrés avec juste une serviette, au sauna), aussi disponibles que lui, la plupart étant sans emploi. Kare s'était tendu compte que ça pouvait lui suffire pour vivre, ceci d'une façon plus libre que dans l'emploi qu'il occupait depuis cet été. Léo ne jouait pas dans une série télévisé. Maintenant que Stéphane le connaissait un peu, il savait que c'était quelqu'un de timide (mais pas tant que ça, puisqu'il avait pris l'initiative de lui parler de temps en temps, sans nécessité professionnelle) et réservé, plus même que la moyenne des Finlandais, mais pas par froideur ni indifférence. Ce (trop?) beau garçon trop bien bâti n'aurait probablement pas supporté de vivre en France, où tout le monde l'aurait regardé. Ici, il ne passait pas inaperçu mais ne surprenait pas, puisque même Stéphane s'y était vite habitué. Il s'était habitué à plein de choses inhabituelles, en Finlande. Ayant eu l'occasion de repasser par Helsinki il avait eu la confirmation de son impression précédente: les gens n'y étaient pas aussi finlandais que chez BFRSF et dans ses environs, en moyenne.
Il y avait même deux apprentis-acteurs ressemblant à Atte (ça, c'était une autre catégorie, moins intimidante mais plus rare), trouvés ça et là en Finlande. Parmi les filles, il y aurait eu de quoi former plusieurs clônes crédibles du svenskband Småprat au complet: même système de recrutement, mêmes effets. Stéphane repéra même une imitation (visuelle: il ne savait pas si elle était félinophile) de Pia. Les parents correspondaient à leurs enfants, eux aussi, dans cette série. Le scénario, en accord avec les Finlandais et l'office du tourisme, incorporait aussi quelques lesbiennes "paisibles" (ça ne se voyait pas, sauf peu à peu au comportement) et, côté garçons, l'alcoolisme (sans caricaturer par rapport à la réalité finlandaise), sinon la série eût été trop "lisse": les problèmes de poids des Finlandaises, à eux seuls, n'auraient pas suffi. Le tabac n'existait pas (n'était même pas évoqué), comme dans les autres séries de VTP, et la sexualité n'était évoquée qu'au futur, comme si elle ne pouvait avoir lieu que fin juin. Pas un gramme de cela pendant toute la période d'hiver, sauf dans les bulles virtuelles représentant parfois des phantasmes.
Stéphane estimait que ce n'était pas une caricature: comme le lui avait déjà signalé Atte, cette éthnie semblait totalement dépourvue de sensualité (sauf alimentaire: manger et boire, ça, ils semblaient y prendre plaisir) sauf en juin et début juillet, et encore: pas pour tout le monde. En consultant les dates de naissance dans les registres du personnel de l'usine, il avait constaté une majorité écrasante de naissances en mars et avril. Ca confirmait donc ce qu'il avait cru observer, au moins à l'échelle locale. Ca fonctionnait donc comme la Suède, mais en plus froid, même en juin.
Des téléfilms policiers (ou plutôt délinquants) furent aussi tournés, avec des poursuites en voitures et souvent en motoneiges. Les intrigues étaient fournies par des auteurs et scénaristes finlandais.
Suite à des années d'accumulations de petites miettes de patte feuilletée quelque part dans la machinerie via un tout petit interstice (où celles qui voletaient un peu lors de la découpe étaient parfois aspirées par la turbine de refroidissement d'un des moteurs), la ligne de production des millefeuilles à la fragipane fit une embolie et se mit à dégorger de partout. L'installation fut neutralisée au bout de deux minutes (par manque à l'arrivée, le coordinateur avait détecté un problème et stoppé le processus, tout en déclenchant une alarme) mais deux minutes de mille-feuilles à la frangipane, chez BFRSF, ça aurait déjà rempli une petite fourgonnette: cette patisserie se vendait très bien en Finlande, mais aussi Suède et Norvège. La hausse de la demande depuis la crise avait conduit BFR à donner l'ordre à Kare (puisque cette production n'était pas en cours de modification) de passer "en cadence de combat". Ce fut le passage à la cadence d'éperonnage, en raison d'une réception chez un armateur (la construction navale nordique ne semblait pas touchée par la crise): les moteurs donc leurs turbines étaient montés en régime, aspirant plus de "feuilles" volantes, ce qui avait conduit à la surchauffe de l'un d'entre eux, à son arrêt par sa propre sécurité (c'était prévu) et donc de la première section de convoyeur: des trains entiers de millefeuilles avaient continué à venir s'écraser comme ceux en stationnement avant l'arrêt complet du système, ce cas n'ayant pas été prévu initialement. La moitié de la commande de l'armateur norvégien était en bouillie, sans compter tout ceux qui n'allaient pas être fabriqués (au moins, ça ne gâchait pas d'ingrédients supplémentaires, mais c'était un gros manque à gagner) pendant l'intervention consistant à démonter une partie de machinerie pour décasser tout l'intérieur (y compris les carrénages de ventilation des moteurs) pour pouvoir relancer. Rien n'était endommagé, mais ça allait prendre plus d'une heure, même en s'y mettant à huit. Pas plus, faute de place pour manier plus de mains et d'outils dedans. Ville fit un rapport préconisant un décrassage périodique de cette partie de la machine (qui en théorie n'étant pas au contact de la nourriture, mais à fabriquer tant de mille-feuilles de temps en temps un fragment de feuilles volantes y était aspiré) et de ne pas la pousser à régime maximum: si BFR voulait plus de mille-feuilles à la fragipane par seconde, il fallait dupliquer l'installation. Stéphane lut le rapport (Ville le lui avait demandé, estimant que deux avis techniques pèseraient plus auprès de BFR) et mentionna dans l'envoi qu'il l'approuvait.
La réponse de BFR fut: "installez une soufflerie externe qui mette ce compartiement en surpression, comme ça rien n'y rentrera depuis la ligne des mille-feuilles". Stéphane estima que oui, ça règlerait le problème, mais il fallait trouver un emplacement pour ajouter cet organe sans obstruer l'accessiblité d'entretien à d'autres. Il demanda donc à Rennes d'en prendre la responsabilité, puisqu'ils avaient depuis l'été les plans virtuels réellement à jour de toutes les installations.
- vous ne pouvez pas trouvez ça tout seul, après plus d'un an dans cette usine?
S- votre idée est bonne, mais comment faire?
- installer ça en hauteur et descendez une conduite. Ca consommera un peu plus à cause des pertes de charge mais personne ne sera gêné pour l'accessibilté. Etudiez avec Saku s'il y a d'autres installations dans lesquelles le risque d'encrassement très lent par petites infiltrations de miettes existe.
S- ça ne doit pas être la seule: la pâte feuilletée sert dans plusieurs productions.
- je sais. Je vous demande de trouver lesquelles et de vérifier si le problème existe.
Saku et lui firent l'inspection: démonter et ausculter les organes situés derrière chaque coffrage ou capot était fastidieux. Ils firent la tournée en cochant dans la "visite virtuelle", dans un AK49, tout ce qui avait été inspecté et ce que l'on y avait trouvé. Le même problème menaçait effectivement (mais pas tout de suite: le tas de miettes feuilletées était encore loin de la grille du moteur le plus proche) la production des chaussons aux pommes. En aspirant le tas (ce qui ne nécessitait pas d'arrêter l'installation) il découvrit aussi des épaisseurs de moisi et d'énormes limaces brun-orangé en train de se gaver. Arrivant de l'extérieur sous forme d'oeufs ou de micro-larves sous des semelles, elles avaient dû se glisser toutes fines et déformables par un trou du grillage très fin de ventilation externe, puis grossir dans cette caverne d'Ali-Baba nutritive, à l'abri des machines nettoyant quotidiennement les sols de l'usine. "De la grosse limace au beurre". Il les aspira aussi (c'était un bidon "universel"): inutile de les mentionner dans le rapport, car elles n'avaient eu aucune possibilté de ressortir de ce compartiment une fois adultes donc de baver ailleurs. Ville imagina toutefois des clients mordant avec confiance dans un chausson aux limaces. Ou, techniquement possible, trop de ventres de limaces sur une grille d'entrée d'air de moteur conduisant à une surchauffe. Non, se souvint-il: les limaces détestaient les matériaux multiperforés comme les grillages fins et les crépis, car ça leur coûtait bien trop de bave pour réussir à se déplacer dessus.
Tomi avait réussi à recruter Nikolai (26 ans, 1m90, 95 kg: pas de lard, beaucoup de musculation: muscle qui se montre, ou muscle qui sert?) dans l'équipe de rugby, pour jouer comme "15", dernière ligne de défense. Ce garçon solide et sérieux (même par rapport à la moyenne des Finlandais) avait été jugé apte, à l'entraînement, à stopper par plaquage sans faute la charge d'un phacochère de l'équipe adverse. Tomi n'avait jamais pu avoir Ari ni Kare dans son équipe, supposant que ces deux-là craignaient de s'abîmer. La présence de Stéphane, moins grand, moins fort et censé faire attention à son apparence puisque faisant du cinéma, avait pu estomper cette objection. Stéphane n'avait pas parlé du rugby avec Léo: il estimait que c'était à Tomi, et non à lui, de lui proposer éventuellement d'y participer. Tomi avait expliqué à Stéphane que le rugby n'était pas (selon lui) un sport conforme à la mentalité finlandaise, très froide et formelle: les plaquages à bras de corps, les percussions, les mêlées, voire "caramels", ce n'était pas dans l'usage local, où l'on était plus réservé et poli les uns envers les autres. Tomi mentionnait au passage que Stéphane lui-même ne jouait pas dans un poste très exposé aux contacts: ça pouvait arriver, en renfort, mais ce n'était pas son rôle principal. Tomi ne se faisait pas d'illusion: la Finlande ne serait jamais une référence dans ce sport. Stéphane n'avait pas l'ambition de qualifier Juustomeijeri en coupe d'Europe, mais juste de voir ce qu'il pouvait apprendre à faire dans ce domaine. Il y avait un côté "vrai", dans les matchs, par rapport à l'entraînement pour les films et leur tournage: il fallait éviter en vrai la charge de défenseurs pesant plus d'un quintal. C'était le côté "corrida" du rugby, avec plusieurs taureaux. Outre les tirs de précision et chaque fois que possible les "drops", son rôle était de fatiguer les lignes de défense adverse en leur faisant multiplier les charges qu'il feintait efficacement, jusqu'au moment de faire une passe avant d'être intercepté, l'interception (sans ballon) pouvant alors constituer une faute si ce n'était pas lui qui percutait. Au rinnepallo, il était très facile d'obtenir à cette occasion la chute d'un défenseur, pour cause de pente et d'absence de crampons. Au rugby c'était rare, mais faire changer brutalement le sens de leur course à des poids-lourds finissait par avoir des effets en fin de match, tant sur le souffle que sur les articulations. Jere avait une mission de nature voisine sur l'autre bord du terrain, quand Juustomeijeri rencontrait un autre club, alors que pour l'entraînement interne il était le 10 de l'équipe adverse.
Toutefois, VTP l'apprit et y mit fin: Stéphane pourrait continuer à jouer au rinnepallo mais plus au rugby. Il pouvait continuer à travailler pour l'équipe, comme ingénieur d'optimisation des mouvements, mais non jouer, même dans les matchs d'entraînement. Stéphane s'y attendait depuis longtemps et y renonca: via BFRSF et VTPSF, ils avaient les moyens de le surveiller à distance. Le rinnepallo était plus amusant, en plus de ne pas favoriser les collisions, son défaut étant d'être dénué de toute perspective "européenne", car même en Finlande trop peu de villes le pratiquaient. Il n'existait pas d'équipe de rinnepallo à Helsinki, ni à Tempere. Jere retrouvait donc le numéro 10 à plein temps, l'équipe devant former un nouvel ouvreur pour en avoir au moins deux, si Jere était indisponible pour raison professionnelle ou médicales. D'autre part, VTP lui demanda de s'entraîner intensivement au "tripatin", patins à roulettes conçus par Kermanac'h (mais il existait aussi des copies russes et hongroises, maintenant) avec deux roulettes autour du talon et une plus grosse et plus large devant, laquelle braquait en fontion de l'inclinaisons du pied (action verticale sur les roulettes arrière, commandant le braquage de celle de devant). De plus, il y avait un système de frein et de roues libres dépendant du poids: si l'avant n'était plus en appuis, l'arrière ne pouvait plus avancer (ce qui évitait la dérobade du pied par l'avant et la chute en arrière), de même si l'arrière n'était plus en appui, l'avant ne pouvait plus reculer, évitant la dérodabe du pied par glissement arrière donc la chute sur les genoux. Ceci prenait tout son sens dans les escaliers: dans les deux cas (montée ou descente), dès qu'un bout dépassait, l'autre ne pouvait tourner que dans le sens l'amenant contre le fond de la marche (la contremarche), et non vers la chute.
VTP préparait un film de "glisse urbaine" où ce type de patin serait utilisé intensivement. Estimant que Stéphane était agile et doué d'un excellent équilibre (dûe à une coordination précise), ils pensaient qu'en s'entraînant quotidiennement il saurait exécuter toutes les figures demandées par le rôle, sans avoir trop souvent recours à son double virtuel pour cela: ça libérerait du temps de calcul pour d'autres effets, dont les cascades de patineurs moins doués. Un "skatepark" avait été aménagé à cet effet chez VTPSF. On lui remit un équipement de protection (sans oublier le postérieur rembourré, inesthétique mais fort utile lors des chutes sur le derrière, au stade d'apprentissage) et un modèle à carrénage mou des lunettes virtuelles, pour lui montrer par exemple ce qu'il devait faire: imiter le personnage virtuel qui le précédait sur la vraie piste.
Stéphane avait déjà fait du patin à roulettes, en ligne ou "quad", mais sans chercher à faire des acrobaties. Le tripatin était bien plus naturel à utiliser car il ne surélevait presque pas la semelle (les roues étant autour du talon et devant la pointe, au lieu de dessous) donc n'avait pas tendance à contre-fléchir la cheville. Le braquage par inclinaison était lui aussi naturel: comme sur les quads, la stabilité en plus. Le système auto-bloquant des tripatins avait un avantage supplémentaire: la propulsion en ligne. Il était inutile de recourir au "pas-chassé" pour accélérer, puisque dès que les roues arrière (talon) décollaient, la roue avant ne pouvait plus reculer donc "prenait" au sol et permettait de se pousser vers l'avant à l'aide de ce pied, ce qui permettait de circuler vite dans des traces étroites. Cet effet "roue libre" piloté par le décollement d'un bout ou l'autre du pied était tout particulièrement utile en côte.
VTP ne demandait pas à Stéphane d'apprendre à imiter le patinage artistique (il n'y aurait pas de vrilles) mais à savoir sauter des obstacles comme dans les films de glisse urbaine, y compris sur des voitures. Pour cet entraînement, il était assuré par deux câbles fixés au niveau des épaules via un harnais, et un charriot électrique filant sous un rail au dessus de sa trajectoire. Ce système pouvait simuler une pesanteur diminuée, en aidant le saut (treuillage) et en ralentissant la chute, ce qui lui permettait d'étudier les saut à vitesse réduite, puis accélérer progressivement en diminuant la fonction "lunaire". D'après ce qu'il voyait, le film réutiliserait un décor urbain proche de celui de "Mécanotron", y compris les escaliers et couloirs du RER et du métro, mais dans un style différent, moins "région parisienne". Il découvrit que Léo s'y entraînait aussi, en alternance avec lui, et apprit qu'il en allait de même de nombreux personnages de VTP, chez VTP22, dont Atte, Manfred et Zhao, ainsi que les Småprat qui avaient déjà fait des acrobaties de ce genre sur scène grâce à une piste en plastique transparent permettant loppings et vrilles-tonneaux. Il apprit aussi que pour certaines scènes les personnages seraient remplacés par des robots à leur image dotés de roulettes motrices, un gros moteur électrique étant logé verticalement dans chaque mollet, avec les renvois de pignonerie adéquats. Il était bien plus facile à un robot d'avoir l'air crédible sur patins (y compris dans les acrobaties) qu'en marchant. Haches, sabres, masse d'armes, fléau d'armes et pioches feraient partie de l'équipement des bandes de jeunes dans ce film futuriste, esthétique et ultra-violent "mais sans insister dessus", l'image étant déjà passée à autre chose. Ni Stéphane ni les autres n'avaient vu cela, la surprise devant être conservée jusqu'au tournage. Dans ce décor futuriste, la post-production pourrait être rapide (seuls les effets spéciaux de blessures et mutilations demandant plus de préparation et de retraitement) donc le lancement du film se faire dans le mois suivant le tournage avec les acteurs réels.
BFRSF reçut une autre XM (même modèle td 12, mais à boite manuelle, datée de mai 1992 et vert clair métallisé) et un nouveau directeur finlandais, issu lui aussi des déconfitures du secteur téléphonique. Il s'appelait Heine Karjalaien, 38 ans, banalement au dessus de son poids pour un Finlandais "de bureau" de cet âge-là, mais sortant de l'ordinaire finlandais par seulement 1m77 et des cheveux d'un brun presque noir, en pluie raide et épaisse sur ses yeux bleus: des ancètres lapons, donc, mais il avait les yeux bleus: il fallait au moins deux croisements finno-lapons pour trier ça, estima Stéphane. Il avait géré une société fabriquant des chargeurs et des accumulateurs pour téléphones mobiles. BFR avait réussi à en trouver un ayant appris assez de français pour pouvoir se débrouiller avec la "direction mondiale", parmis les gens potentiellement compétents "tombés du balcon", ce qui prouvait qu'il continuait d'en pleuvoir dans les rues.
Le film "Merdes molles", sortit le 24 puis le 27 janvier 1999, donc un peu avant la cérémonie des César. Lucien Venant avait écrit depuis longtemps le scénario de cette comédie-documentaire sur le milieu cinématographique classique "judéo-intello-parisien roulant en taxi", ses acteurs "inesthétiques et ennuyeux ne sachant rien tourner d'autre que des scènes d'alcôves ou de tabagisme", avait-il dit en 1998, son système de subventions (aboli, mais ayant longtemps influencé l'essentiel de la production française), ses cooptations religieuses ou micro-géographiques. A cette époque, il se tournait environ 200 films par ans, dont moins de 20 marchaient un peu et moins de quatre bien, en plus d'être presque tous inexportables. C'était sous le label Olécru que VTP sortirait cette année quelques comédies sous la forme de films (stéréoscopiques aussi) et non téléfilms, tournés avec bien moins d'infographie que du "Kerfilm" mais tout de même ça et là, en particulier pour déformer (morphing 3D à partir d'images réelles) les visages d'acteurs maison de façon à les faire ressembler à ceux jouant dans les "merdes molles", idem pour les réalisateurs, etc. Sous le titre, au démarrage, l'avertissement "L'interdiction de fumer étant totale dans nos tournages, y compris en extérieur, la fumée est ajoutée par ordinateur". On fumait tout le temps et ostensiblement, dans ce film (sans négliger l'alcool ni d'autres substances), tout le monde avait des prénoms et noms à consonnance judaïque, il n'y avait aucun Emilianien (en fait il y en avait, mais méconnaissables après morphing), d'où l'effet comique en stéréoscopie. Tout le système (aboli) des avances sur recettes, des co-productions avec certaines chaînes de télévision (pourquoi pas, mais pourquoi toujours les mêmes), la puissance des critiques, les cooptations aussi par coucheries (d'où l'omniprésence des "scènes de draps" dans ces films) les coulisses des "César", tout y était illustré avec vivacité et bonne humeur, sans (espérait Venant) tomber dans la caricature à gros sabots genre "les Inconnus" car ce qui rendait bien dans un sketch n'aurait pas tenu 1h45 à l'écran. Certes, vu que les réformes de subventions et l'abolition du statut d'intermittent du spectacle (revenant en pratique à faire payer une bonne partie du salaire par l'Assedic, ce chômage n'ayant rien d'accidentel) ce film revenait à canarder les canots de sauvetage d'un paquebot ayant déjà commencé à sombrer, mais de temps en temps, le public pouvait aimer ça. "Merdes molles" ne s'exporterait guère plus que ce qu'il dénonçait, d'où l'absence du label "Kerfilm" et des moyens techniques limités pour du VTP. Ca restait efficace et rondement mené.
Le 28 janvier 1999 les quatre kilomètres de forages furent franchis. Depuis deux semaines, une première centrale électrique (petite et provisoire) fonctionnait grâce à un échangeur situé autour de la conduite de boue graveleuse sous pression, ce qui permettait de l'empêcher de bouillir en la refroidissant dans cet échangeur, faisant ainsi chuter la pression en fin de cycle. L'électricité était utilisée par le chantier lui-même car la production des éoliennes de l'usine ne suffisait pas: le chantier était partiellement dépendant du réseau, jusqu'alors, pour faire tourner ses énormes moteurs couronnes: vu l'effort, il y avait plus de puissance à fournir à chaque foreuse que n'en demandait un arbre d'hélice de sous-marin nucléaire. BFR avait tenu compte dans ses calculs thermiques de la chaleur (importante) ajoutée par l'effort de forage dans les substrats géologiques, tout au fond. C'était proportionnel à la puissance consommée par les moteurs, en surface, car il y avait très peu de frottement avant le fond, grâce au roulettes autour des tronçons de l'arbre, contre le cuvelage.
Un petit pôt fut organisé pour fêter ce nouveau kilomètre de forage accompli. Le nouveau directeur Karjalaïen n'y fut pas. La XM était au garage (un coup d'oeil à la vidéosurveillance le confirma), donc il n'était pas parti. De plus il avait été vu à l'usine ce matin. Ce fut Ronja qui le trouva l'air "supéfait" dans le fauteuil de son bureau, et constata qu'il était mort. "choc anaphylactique", déclara le légiste. Karjalaien était violemment allergique aux noisettes et ignorait (n'ayant pas lu l'emballage) que le "Grand Ivorien" en contenait. Un exemplaire entâmé trônait sur son bureau.
D'une certaine façon, c'était le premier directeur victime d'un accident du travail, bien qu'il eût pu manger ce gâteau hors de l'usine. Sauf qu'alors il l'aurait vu dans son emballage, au lieu de le faire prélever automatiquement comme échantillon sur chaîne (donc "nu"). Il aurait lu l'emballage et été averti de la présence de noisettes parmi les ingrédients et, écrit en plus gros, dans l'argumentaire en finnois sous le nom français: "gâteau fondant à coeur, au chocolat et à la poudre de noisettes", donc ne l'aurait pas acheté. Toutefois ça aurait pu arriver s'il avait été invité chez des gens qui lui en avaient servi une part, objecta Nelli: on lassait rarement l'emballage sur la table.
Ville expliqua à la police que toutes les compositions étaient indiquées sur les emballages, en bout de chaîne de fabrication, et que le directeur n'aurait eu qu'à regarder la recette sur la boite, ou dans le descriptif des productions, ou demander ce qu'il y avait dans le Grand Ivorien pour qu'on lui dise tout de suite: "chocolat, noisettes, oeufs, farine, beurre, sucre". Il existait des allergies à presque tout: "si nous devions les bannir toutes, nous ne viendrons que de l'eau distillée". L'allergie aux noisettes était rarement mortelle (bien moins que celle aux cacahuètes ou au latex) et la loi demandait juste de mentionner clairement les ingrédients, ce qui était le cas, donc Karjalaien avait été victime de sa gourmandise et de son inattention. Allait-on reprocher à ce gâteaux de contenir de la poudre de vraies noisettes, au lieu de l'amande artificielle du Délice de Kerisper?
Nelli- [à Stéphane] encore une victime d'une de nos pâtisseries. Paakinen était déjà mort de nos millefeuilles à la frangipane: il en mangeait plusieurs par jour. C'est de la pâte feuilletée au vrai beurre.
BFR n'eût pas de difficulté à trouver un remplaçant. Viljami Huittinen. 41 ans, aspect insipide et sans vigueur évoquant une sorte de Vertti en plus âgé. Il venait d'une société installatrice de réseaux "intranet" d'entreprises et de maintenance de photocopieuses dont il était directeur et co-actionnaire avant sa faillite. BFR pouvait maintenant se permettre de demander "pratique orale et écrite du français" dans son annonce, tout en trouvant vite un candidat finlandais ayant une expérience de direction d'entreprise qui se débrouillât dans cette langue et acceptât la rémunération raisonnable proposée. Cela signifiait qu'il y avait beaucoup plus de candidats de ce genre (mais ne parlant pas français) qui s'étaient retrouvés dans la même situation.
Viivi, sa nouvelle collaboratrice, fit remarquer à Stéphane que son bras droit Saku "en pinçait pour lui". Cela existait-il donc aussi en Finlande? Il l'avait entendu dire pour les filles, mais pas pour les garçons. Ou alors Viivi affabulait-elle? Finlandaise de la ville, elle se faisait peut-être des idées sur ceux des bleds perdus. Stéphane n'avait rien remarqué de tel.
Viivi- bien sûr: il ne te regarde pas quand il pense que tu pourrais le voir. Mais il te regarde nager dans le lac, quand tu y es, avec des jumelles.
Stéphane- il y a d'autres gens dans la piscine du lac, dont nombre de Finlandaises qui bien qu'au dessus de leur poids ne sont pas déplaisantes à regarder. J'ai eu l'occasion de converser avec certaines.
Au dessus de leur poids par sélection par l'eau froide, avait déjà supposé Stéphane l'hiver précédent.
V- non: quand tu n'y es pas il ne regarde pas.
S- si c'était ce que tu dis, il regarderait toujours, pour que personne ne sache qui l'intéresse. Alors s'il ne triche pas, c'est peut-être qu'il n'ose pas se baigner dans le lac, mais qu'il aimerait bien être capable de le faire, alors il se dit que si moi qui ne suis même pas finlandais j'y arrive, il devrait y arriver aussi. Je n'ai pas vu s'il avait du poids à perdre.
V- je n'ai pas l'impression qu'il soit gras: il est même mince, de corps. [Stéphane se demanda comment Viivi pouvait le savoir: avec la blouse de l'usine, ce n'était pas détectable] Si c'était juste pour apprendre à nager dans l'eau glacée, il viendrait tous vous observer sur place. C'est comme ça que tu as fait pour comprendre comment s'y prendre, après ta première perte de conscience.
Viivi n'était pas là, à cette époque. L'anecdote était donc toujours en circulation dans l'usine, à l'usage des "nouveaux"...
S- ça n'a aucune importance: tout le monde peut me voir avec les autres dans le lac, même de près, alors de loin, qu'est-ce que ça peut me faire?
V- effectivement, rien.
S- alors pourquoi m'en parles-tu?
V- je trouve Saku bizarre.
S- il y a ici des gens bien plus bizarres que lui. Une Finlandaise urbaine doit déjà avoir des habitudes bizarres pour les gens d'ici, je suppose.
V- oui, c'est vrai. Il faut que je m'habitue à ce mode de vie et j'ai pu me faire des idées sur Saku. A Helsinki, j'avais des voisins qui... Deux garçons.
S- ressemblaient-ils à Saku, d'attitude?
V- non. C'était plus comme dans les films danois.
Stéphane n'avait jamais vu de films danois, mais avait entendu dire que ce pays tournait depuis longtemps de la pornographie pédophile, "même que chaque année il y a des enfants qui disparaissent à Légoland", disaient les mauvaises langues. Rien de tout ceci chez Saku, lui semblait-il.
S- donc des Finlandais urbains.
V- oui: c'est pour ça que Saku est discret. Il ne te le dira jamais.
S- alors tu n'avais pas à me le dire: la vie privée des gens ne me concerne pas, tant qu'ils ne m'y impliquent pas. Je croyais qu'en Finlande les gens ne disaient pas de méchancetés les uns sur les autres.
V- Helsinki n'est pas exactement la Finlande: les gens ont beaucoup changé, depuis l'essort économique dans les hautes technologies. C'est plus américain qu'ici.
S- donc maintenant que l'essort est retombé comme un soufflet, ça va se désaméricaniser.
V- possible.
S- je ne suis pas venu en Finlande pour fréquenter des pseudo-Américains.
V- ici, tu n'en rencontreras pas, à moins que des gens de la ville au chômage cherchent de l'embauche dans cette usine. Quand je suis retournée là-bas pour Noël, plein de gens parlaient de la centrale géothermique, vu que la voie ferrée va jusqu'au port d'Helsinki. D'autres entreprises vont venir s'installer ici pour avoir de l'électrité moins chère, surtout maintenant où l'on va pouvoir transporter les marchandises par le rail.
La nouvelle voie ferrée allait jusqu'à Tempere. Tampere-Helsinki existait déjà.
Stéphane s'était habitué à ce petit coin perdu et paisible. Il ne souhaitait pas le voir se bétonner et s'industrialiser. Les habitants du coin étaient favorables à la centrale géothermique et au train (frustrés qu'ils en étaient depuis 1927, avec leur gare sans rails) mais se rendaient-ils compte qu'ils allaient perdre toute leur qualité de vie? Certes, les routes défoncées et les accidents de camions participaient à la "non-qualité" de vie, mais tout de même. En trente-huit ans d'activité, BFR n'avait pas pollué ce lac: les gens y pêchait encore, en saison. Qu'en serait-il dans deux ou trois ans? Si au lieu d'emmener tous ces troncs jusqu'à un autre site (ici, ils ne faisaient que passer) une scierie et une papeterie s'implantaient sur place, pour profiter du train et de l'électricité? Il eût préféré rétroactivement que BFR fît sa centrale deux ou trois lacs plus loin. Trop tard...
Il parla de cela (en moins de mots) à Viivi.
V- tu en parles comme si c'était dans ton petit bled breton que l'on allait faire plein de pâte à papier et une usine d'aluminium. Tu ne seras plus là, quand ça se produira.
S- c'est vrai. D'ailleurs sans ce projet je serais déjà reparti.
V- il doit y avoir quelques personnes dans le coin qui pensent comme toi, mais beaucoup veulent avoir la voie ferrée, parce que ça, en soi, ça n'a que des avantages: ça pollue moins que les camions, et notre centrale permettra d'en arrêter plusieurs qui marchent encore au charbon, en plus d'en éviter des nucléaires. Oui, ils ne se rendent pas compte que ça va amener d'autres choses, et la centrale électrique aussi: elle sera très propre, mais ses nouveaux clients industriels ne le seront pas forcément. Malgré ça, au total, c'est une contribution environnementale positive, car ces industries-là se seraient installées ailleurs. Celles qui viendront seront des délocalisations internes à la Finlande.
S- même si c'est fait proprement, ce petit bout de Finlande paisible va s'urbaniser.
V- inévitable. D'ailleurs quand cette usine a été installée, les bleds alentours se sont étendus, du fait des emplois. Ce n'étaient que des hameaux, autrefois, je suppose. As-tu déjà songé que plus BFRSF achète de lait à nos éleveurs, plus ils élèvent de vaches, or les vaches, ça fait du méthane, en digérant, qui est un gaz à effet de serre bien plus actif que le dioxide de carbone. Même manger des yaourts est mauvais pour la planète, si on compte tout.
S- si on mange les vaches, elle ne méthanisent plus. La viande serait-elle meilleure pour la planète?
V- non, car il faut bien plus d'heures de croissance d'une jeune vache pour obtenir sa viande que pour produire ensuite son équivalent nutritif sous forme de lait. Le lait coûte moins cher en méthane que la viande.
S- je voulais dire: les manger et ne pas les remplacer.
V- la moitié de l'usine ferme.
S- et la nature se repose.
V- c'est ça: on arrête tout, et on passe au canibalisme pour se procurer de quoi manger. Il est vrai que ça règle très vite le problème.
S- oui: la viande humaine est la seule ressource alimentaire qui augmente spontanément, sur terre, alors que même le poisson commence à se raréfier.
V- il nous suffit de dire aux Estonniens qu'il y a des emplois pour eux ici, et dès qu'ils arrivent, on les mange, sans le dire aux suivants.
S- c'est un petit pays. Vous les aurez vite tous mangés.
V- ensuite nous ferons le même coup aux Ukraniens et aux Russes: chez eux, il y a du stock... Les Européens de l'Ouest ne veulent pas venir chez nous, mais à l'Est, il y a des candidats.
Stéphane espionna discrètement Saku, ce qui lui était très facile avec les enregistrements vidéo depuis la régie. Saku regardait aussi des gens se baigner dans le lac en semaine, quand il n'y était pas: Viivi s'était fait des idées, à cause de ses voisins de palier à Helsinki "comme dans les films danois". Les enregistrements ne montraient pas non plus qu'il le regardait à la dérobée dans l'usine. Viivi avait imaginé n'importe quoi, à moins qu'elle eût dit ça juste pour le taquiner. Taquiner n'était pas l'usage, en Finlande rurale, lui avait-il semblé, mais à Helsinki? N'y ayant pas vécu, il ne pouvait rien conclure.
En se baladant alentours, il remarqua quelques nouvelles constructions: des maisons, quelques petits immeubles, et même une banque. Déjà?
Le chantier géothermique avait totalement saccagé le parc si calme et verdoyant (hors neige) de l'usine. Il y avait de la boue partout, des bandes transporteuses, des baraques de chantier. Un massacre. BFR avait mis les convoyeurs par ici pour que la boue ne ruisselle pas vers le lac, en ajoutant une petite digue en béton pour le protéger au cas où le vent ferait refluer la boue dans cette direction. Pour le lac, les précautions avaient été prises. Mais pour la qualité esthétique percue par les fenêtres de ce côté de l'usine, beurk... De l'autre côté, c'était le parking des camions qui semblait presque une zone écolo, par comparaison: de la neige qui recouvrait l'essentiel du goudron, un semi-remorque en train de manoeuvrer, des bouleaux autour: c'était calme et propre, par rapport à l'autre côté. Au delà de ce grand parking, de la nature, sur des terrains appartenant aussi à l'usine depuis très longtemps "en cas d'extension" (à l'époque, BFR avait vu grand, et l'hectare ne coûtait presque rien). Il savait que quand la centrale serait achevée l'herbe, les bosquets puis de jeunes arbres recoloniseraient l'ex-chantier alentours, mais ce qu'il craignait, c'était qu'une fois l'urbanisation locale densifiée, BFRSF ne revende ces zones boisées (surtout derrière le parking des camions, là où il y en avait le plus) à des promoteurs (pour logements ou autres entreprises) parce qu'elles ne servaient à rien à l'usine, à part fournir une vue verdoyante aux camionneurs du parking. Il était aussi possible que BFRSF les conserve pour y construire des serres géothermiques: dans un cas comme dans l'autre, ce ne serait plus des espaces-tampons de nature sauvage.
Il se renseigna: en fait, BFR possédait bien plus de terrain qu'il ne le croyait, allant jusqu'au tiers du tour du lac. Ce n'était pas clôturé et les gens du coin y passaient (en particulier à la saison des champignons) donc ça ne se voyait pas, mais au cadastre, c'étaient des terrains de l'usine. BFR en avait même racheté dès la signature de la voie ferrée. Ca semblait être de l'espace public (et à l'usage, c'en était) mais c'était de la "réserve foncière" BFRSF. L'achat juste à la signature de la voie ferrée était sans ambiguïté: spéculation face à qui voudrait y construire. Si c'était de la spéculation à long terme, BFRSF allait attendre que le reste fût construit, donc que les prix montent, avant de commencer à en vendre des parcelles. Dans ce cas, le cadre de vie serait préservé pendant quelques années.
Stéphane posa la question à Rennes:
- oui, c'est à nous, tout ça. Un tiers du bord du lac aussi. On le laissera aux promeneurs, avec des plots anti-véhicules: ça garantira qu'il n'y ait pas de camping-cars, de baraques à frites, de loueurs de pédalos ou ce genre de choses sur nos pelouses. Ca, si ça se fait, ce sera du côté urbain, si la municipalité n'impose pas des règles strictes. Il n'y aura de serres que sur 22% du terrain total.
S- et le reste?
- 5% de lotissement pour des employés, et les 73% restants, on les garde, car on ne sait pas encore comment vont évoluer les environs, avec le train et la centrale. Peut-être un parc à thème.
S- Yaourtland, avec des vaches géantes?
- on verra. Je doute que des millions de touristes prennent le train juste pour ça, mais sait-on jamais?
Stéphane imaginait difficilement des baraques à frites et des pédalos autour du lac: ce n'était pas touristique. BFR avait raisonné comme pour un bord de mer breton.
Ce fut le 1er février 1999 que la voie ferrée définitive (encore à voie unique, pour le moment) posée le long de la provisioire fut électrifiée et qu'une navette voyageurs en aluminium (trois caisses, comme un RER, mais avec des bouts en demi-cylindre vertical qui donnaient un air "années 30" à l'ensemble: plutôt que de chasser l'air par dessus, Kermanac'h avait estimé tout aussi efficace et moins contraignant de le faire par les côtés, d'où les extrémités cylindriques. De plus ça ne faisait pas perdre d'espace habitable, contrairement à un "nez de TGV") y circula, construite par Kermanac'h. L'électrification n'était pas par caténaire mais par un rail central qui n'était alimenté que sous le poids du train (déclencheurs intégrés à certaines traverses en béton), donc ne présentait aucune tension le reste du temps. Procédé déjà connu pour certains tramways. BFR et les chemins de fer finlandais étaient tombés d'accord pour cette solution qui supporterait bien mieux la glace que les caténaires et surtout, ne limitait pas la hauteur des charges transportables (sauf pont par dessus). Le "chasse-élan" puis les roues éliminerait tout obstacle conducteur tombé éventuellement en travers avant que le contact ne fût mis, ce qui évitait les risques d'avoir des tronçons en court-circuit au moment de la mise sous tension automatique. La rame voyageurs Kermanac'h était "tous bogies moteurs" (quatre: deux étaient des "intercaisses", comme pour le TGV) et disposait d'une turbogénératrice de secours permettant une circulation à 40 km/h sur le plat sur des portions non alimentées: ceci avait permis des tests de circulation de ces rames avant l'électrification de la ligne, pour contrôler le "dressage" des voies et le confort ressenti à bord. Le reste du matériel ferroviaire était fourni par les chemins de fer finlandais, moyennant des locomotives électriques modifiées (au début, elles étaient diesel) pour utiliser ce même système d'alimentation à rouleaux conducteurs rétractables, tout en conservant leurs pantographes pour les voies électrifiées par caténaires. Les navettes en aluminium, bien plus légères, auraient permis la pose de rails sur les lacs, pendant l'hiver, mais ce n'était plus l'usage, en Finlande.
Les extrémités demi-cylindriques des rames Kermanach servaient aussi à ne produire qu'un seul modèle de caisse: les trois étaient identiques, à boggies intercalaires. C'étaient ces extrémités qui évitaient au premier et au dernier bogie de dépasser de l'avant et de l'arrière de la rame. Dans les permiers essais, la turbogénératrice était logée en porte-à-faux sous une des ces extrémités. Une fois la ligne électrifié et fiabilisée, les rames se contenteraient d'accumulateurs pour franchir des portions éventuellement défectueuses. Ce matériel avait déjà été mis en circulation au Burkina-Fasso par Kermanac'h, où faute d'électrification (sauf en quelques endroits) les turbines (une à chaque bout, car ce n'était pas juste "de secours") marchaient tout le temps et fournissaient aussi la clim par cycle à absorption/désorption sur l'échappement. L'eau distillée qui se condensait sous les refroidisseurs "passagers" de la rame était récupérée pour alimenter le cycle à vapeur du troisième groupe d'aubage de la turbine. Matériel que son constructeur souhaitait maintenant tester au froid dans l'expérience finlandaise. Le mauvais état des finances publiques finlandaises suite à la débâcle économique des hautes technologiques avait permis l'expérience, les pouvoirs publics préférant tester du matériel ferroviaire à tarif réduit que d'en acheter du "déjà prouvé" au prix fort. La sécurité de roulage étant attestée (même sur les voies africaines: ces rames ne circulaient pas que sur des voies neuves) et Kermanac'h ayant fabriqué des boggies à roulis négatif (c'était l'angle par rapport aux caisses qui inclinait celles-ci) à l'écartement finnois (ce qui n'était ps difficile, à condition d'y penser dès le début), qui n'était pas le même qu'en Europe, le feu vert fut donné pour l'utilisation de ces rames dans du transport public de voyageurs, avec augmentation progressive de la vitesse au cours de l'exploitation. A terme, la vitesse moyenne serait de 180 km/h, et non "200 et plus", parce qu'à cause des lacs un peu partout on ne pourrait pas éviter d'avoir des virages un peu partout, moins progressifs que ceux que l'on aurait pu dessiner sans lacs. Les virages avaient été relevés, mais pas assez: il fallait tenir compte des convois de marchandises, plus lents, qui ne devaient pas verser vers l'intérieur (en particulier les citernes). Ceci plus l'inclinaison des boggies en virage permettait de rouler relativement vite (pour la région), mais sans pouvoir se lancer dans de la "grande vitesse" à la française. La vocation principale de cette voie ferrée était de remplacer le camionnage jusqu'au port d'Helsinki, le trafic voyageurs étant (pour le moment, en tout cas) une demande moins importante.
L'ancien tracé de la voie ferrée était devenue une rue de l'autre côté de la gare, baptisée "rue de l'attente", à l'époque, car la municipalité pensait que le projet avait été retardé pour des raisons financières et non annulé. Toutefois, au fil des décénies, la courbe d'origine avait été entaillée de quelques constructions, qui n'étaient pas incompatible avec la circulation automobile mais imposait des virages impossible pour une voie ferrée. La municipalité voulant que le train passe là où il aurait dû passer en 1927 il allait falloir racheter, démolir et reconstruire un peu plus loin quatre maisons. Le projet BFR ne prévoyait plus de passer par là: il avait été tenu compte des passages possibles et il fallait donc tangenter la bourgade sans y pénétrer. Ca éviterait à la fois des démolitions et aussi un coude supplémentaire pour la voie (même en démolissant) en raison de l'orientation de la "rue de l'attente" par rapport à la voie prévue: le projet de 1927 ne visait pas le sud, donc ne coutournait pas ce lac.
Avoir la gare à la périphérie au lieu du centre? Les ingénieurs ferroviaires finlandais étaient aussi contre l'idée d'un détour pour atteindre le centre: "en plus ça va faire du bruit, surtout les trains de marchandises", et trouvèrent un argument: "en bien si le train ne vient pas au centre ville, il suffit que le centre ville vienne au train: votre bourgade va s'aggrandir, alors faites en sorte qu'elle le fasse de l'autre côté, moyennant quelques passerelles piétons et quelques tunnels routiers. De cette façon la gare va se retrouver dans la ville. En 1927, votre gare-école était en périphérie, et vous voyez ce qui s'est passé de l'autre côté de la rue de l'attente ensuite". La municipalité décida finalement que les terrains constructibles ne seraient pas de l'autre côté, sinon à la "saison des suicides" des gens sauteraient des passerelles à l'arrivée d'un train, ce qui occasionnerait beaucoup de retards à cause des formalités légales avant d'ôter le corps découpé de la voie, et plus encore si le train s'arrêtait avec un de ses wagons dessus après avoir tenté de freiner. Il y aurait un tunnel routier à chaque bout de la future ville, pour les routes existantes, et rien d'autre. Les terrains constructibles le seraient sur cette rive du chemin de fer, et non de part et d'autre.
Ce fut donc à une nouvelle gare, qui ressemblait à une serre (c'en était une: BFR ayant commandé beaucoup de serres, pour les cultures géothermiques, en commander une de plus "au prix de gros" faisait faire des économies au projet), que les navettes prenant cet embranchement s'arrêtèrent, 72 ans après le projet initial. De la voie "voyageurs" (plus facile et rapide à poser car interdite aux trains lourds: les rames Kermanac'h tout alu n'avaient pas plus de charge à l'essieu qu'un autocar, tout en contenant deux fois plus de voyageurs par élément) électrifiée de même avait été dessinée entre les lacs (avec virages bien relevés) pour desservir 17 localités (suite aux discussions sur "qui aurait une gare", il y avait eu 17 gares au lieu des 12 prévues intitialement) avant de rejoindre la voie principale. Des abonnements de transport furent vendus, dont certains en formule "illimité le week-end" pour se rendre à Helsinki ou ailleurs par ce moyen de transport rapide et confortable.
La construction des voies occupait utilement des chômeurs, ce qui arrangeait l'Etat, de plus cette extension ferroviaire ferait économiser du pétrole par rapport aux transports routiers, ce qui n'était pas négligeable. Enfin ça montrait aux gens que la Finlande ne se résignait pas à la crise: on faisait encore des choses nouvelles, dans ce pays, comme cette centrale géothermique (même si c'était un projet BFR).
"Télé-yaourt" sortit le 10 février 1999, comédie parodiant le système VTP. Ce n'était pas pas produits par "ceux-là" et ce n'était pas une réponse à "Merdes molles", puisque tourné à peu près en même temps et sans avoir d'informations dessus, VTP ayant bien gardé le secret, avec comme toujours le strict minimum d'informations aux acteurs: juste leurs propres scènes, de plus certains ne connaissaient pas leurs répliques, car elles seraient ajoutées en post-production: non seulement VTP filmait peu les visages de près pendant des discussions (sauf pour parodier, comme ici, les films faisant ainsi, tout en accumulant les mégots dans les cendiers) mais en plus le public français ayant l'habitude de voir bien plus de films doublés que français d'origine changer les paroles ne dérangerait personne.
Télé-Yaourt avait fait son casting parmi les "juste recalés" d'un grand casting de VTP: celles et ceux qui passaient à l'Emilianomètre (ou presque) mais avaient échoué dans d'autres épreuves. Ils avaient ainsi des informations toutes fraîches sur le système VTP, déjà bien connu de beaucoup de monde (via le "turn-over") à l'époque des séries télévisées. Ils avaient trouvé une approximation tout à fait valable (visuellement) d'Emiliano, un garçon aussi plaisant que Zhao, et quelques autres. Pas de sosie d'Erwann d'Ambert, d'autant moins qu'à l'époque de l'écriture du scénario puis de l'essentiel du tournage "Les miroirs du temps" n'était pas encore sorti, d'où le titre "Télé-yaourt" et non "Ciné-yaourt". De plus cette production n'avait pas les moyens de faire de la HF, même sous forme d'extraits: il fallait que ce fût bien fait (d'où le choix de personnages aussi emilianiens que possible, même s'ils n'étaient pas doués) pour que le comique vînt du système, sans lui inventer des défauts qu'il n'avait pas. L'Emilianomètre avait été bien reproduit (visuellement) d'après les témoignages, ainsi que moultes bancs d'efforts et les épreuves de "destabilisation psychologique".
Ce fut fin février à 5165m que BFR décida d'arrêter les forages: il y avait bien assez de marge thermique pour dépasser (malgré la baisse ultérieure locale de la température souterraine dûe à la circulation d'eau) de 28% le cahier des charges de la centrale (sans le dire aux Finlandais: "attendons qu'elle tourne"). Les tunneliers verticaux furent télédémontés (dans l'eau à 252°C, sous 516 bars de surpression. Le robot était entièrement rempli d'huile donc il ne s'écrasait pas) et remontés (enfin). Une machinerie différente, plus petite, fut descendue d'un seul tenant au bout du même train de tube, reconstitué section par section après avoir été déposé section par section. Cette fois, c'étaient les gravats des forages transversaux qui remontaient, puis il y eût la fragmentation à l'explosif (série de petites charges) et ainsi de suite, jusqu'à avoir réalisé la vaste chaudière "à fragmentation" prévue. Toujours dans l'eau.
Stéphane put voir chez VTPSF (salle stéréoscopique comme chez VTP. VTPSF en avait établi six autres, en Finlande, pour le lancement des films) la version VTP de Christine, en finnois.
C'était bien la même histoire, mais transposée à la première moitié des années 90 (passé proche) et notre côté de l'Atlantique. Stéphane avait déjà vu des "remake" américains de films français, souvent décevants, en particulier dans le domaine comique. Là, VTP était resté fidèle au scénario et même à l'ambiance de l'original, modifiant certaines scènes mais non l'impression qu'elles produisaient. C'était Sylvie Racouet qui jouait la copine que Christine cherchait à éliminer: une fille aux traits simples (mais pas "simplette"), plus sage d'allure que Flavia, long cheveux marron glacé, visage plutôt rond dans être trop rond, yeux d'un gris-vert fin, et paisiblement émilianienne. Le virtuel était indétectable, malgré la définition "cinéma". La forme originale mais simple (au niveau des effets de tôlerie) de la SM s'y prêtait. Au début, sur la ligne d'assemblage censée être dans l'ancienne usine du Quai de Javel, on entrevoyait aussi des DS, les SM étant produites parmi celles-ci et non sur une ligne dédiée, le volume de production étant insuffisant pour cela. VTP avait veillé à ce que le film "tînt tout seul" si on ignorait tout de l'original, tout en resservant le plat dans une nouvelle saveur si on le connaissait. Là, on perdait l'essentiel du suspens, le scénario étant très peu modifié avant la fin, mais on goûtait les prises de vues bien plus détaillées et encore plus spectaculaires que celles, déjà fort réussies, de la version originale, et la qualité de la transposition du sujet dans une autre époque et une toute autre société: la France avait très peu de points communs avec les Etats-Unis, dans le mode de vie. VTP avait envisagé de situer l'histoire en Allemagne (où il y aurait eu les autoroutes allemandes, pour certaines scènes) mais avait finalement estimé que ça marcherait aussi en France, ce qui simplifiait le tournage dont une partie était sur route réelle.
VTP était curieux de l'acceuil de ce film aux Etats-Unis: les fans du "vrai" iraient-ils voir cet ersatz européen en faisant confiance à VTP (ceux qui avaient vu les films précédents) pour ne rien affadir? Les salles stéréoscopiques le passèrent sans hésiter, les autres attendirent de voir les résultats de celles-ci, pour la plupart. Les fans de mécanique y allèrent après avoir entendu "dans celui-là, il sort entièrement le moteur Maserati et la boite, on voit tout dans les moindres détails". Les airs (tous des années 70) les plus utilisés dans cette version étaient ceux de Sparks, mais on trouvait aussi un peu de ABBA ("Money money money", "The winner take it all", "Waterloo", "Maman mia"...), selon les scènes, et "Born to be alive". La virtualisation complète des entrailles de la SM, pour pouvoir les animer ainsi sans leur donner un aspect anormalement neuf, avait été une tâche fastidieuse, bien plus que pour la carrosserie. VTP n'avait pas remplacé les personnages en cherchant une ressemblance physique, mais juste le même "emploi". Le temps consacré aux scènes d'action était augmenté par rapport aux temps moins actif, toutefois ils n'étaient pas élagués comme dans un film de VTP ordinaire: ce n'était qu'un règlage, le scénario étant suivi à ces petits ajustements de tempo près.
La scène où l'avant réussissait, pneus fumant façon dragster, à s'arracher de l'arrière écrasé sous les griffes de la lame du bulldozer, était inattendue mais logique d'après ce que l'on avait déjà vu: VTP se l'était donc permise, avec au cours de la rupture (et avant la séparation) le changement de bruit du moteur, qui devenait soudain "cru", signifiant que l'échappement se rompait ou se déboitait. Cela retentissait bien plus à l'intérieur du hangar et ajoutait à l'intensité de la traque finale d'Emilie, en fouillant dans le décor à l'aide des phares directionnels tout en laissant des taches de LHM vert fluo sur son passage.
Au début du générique final, la mention "Une seule SM a été utilisée pour ce film, et elle roule encore". Ceci à soi seul modérait le budget, le film original ayant nécessité la restauration à grands frais (au moins pour l'aspect extérieur) d'un grand nombre de Plymouth Fury pour destruction ensuite, les scènes de régénération étant filmées à l'envers: à l'époque, il était inenvisageable de le faire en virtuel de façon crédible à l'écran, même avec un délai de calcul déraisonnable. Le surcoût de cette nouvelle mouture par rapport à une production VTP intrinsèque venait surtout des droits à reverser à Stephen King pour cette seconde adaptation (transposée) de son roman, tandis qu'au total c'était moins exigeant en puissance infographique que "les miroirs des temps" ou même "la citadelle des goules", l'infographie n'étant nécessaire que pendant les scènes de détérioration ou régénération. Ceci nécessitait une synthèse d'un réalisme poussé, mais uniquement pour la voiture (voire seulement une partie) et pas pendant tout le film.
Stéphane vit aussi que Matias avait rejoué dans téléfilm de VTP (tourné en 1250 lignes, ce qui diminuait fortement le coût de l'infographie, à réalisme apparent égal) dérivé de la nouvelle "l'homme minimum": un "looser" choisi pour tester la survie sur une planète inconnue envisagée pour colonisation, avec comme assistant un robot conçu initialement pour l'aider, mais qui en fait s'avérait devenir son ennemi implacable parce que l'homme "minimum" avait eu le tord (pour l'expérience) de devenir moins maladroit et incompétent qu'au début. Sobre et terrifiant. Cette fois il gardait les yeux d'un bleu laiteux, et non beigeâtres comme dans "Christine". VTP semblait découvrir les emplois possibles d'un acteur au physique de perdant.
La neige ne tarda pas à recouvrir les derniers déversements sur le terril et le remonte-pente, déjà acheté, fut installé à la joie des petits et des grands. Au fil de sa croissance, le terril avait été recompacté par des engins de chantier, de façon à le stabiliser et à conserver une pente forte donc à ne pas gaspiller trop de matière par étalement sous l'effet des précipitations.
Les calculs thermiques ayant permis de choisir les groupes turbo-alternateurs adéquats, ceux-ci avaient été livrés sur place quand on retira enfin tout le matériel de forage, installa les lourdes conduites forcées (devant empêcher la vaporisation prématurée) et la pose de l'échangeur eau. Des travaux pour lesquels l'équipe française était revenue brièvement sur place, car en cas d'imprévu, vu les pression et les températures en jeu, il vallait mieux l'avoir déjà fait plusieurs fois en vrai: Stéphane et les autres étaient là pour apprendre. BFR craignait surtout que quelqu'un fût brûlé par une fuite de vapeur d'huile sous pression, d'où l'envoi des spécialistes maison, pendant ces cinq jours de réalisation du circuit fermé d'eau (où l'on pouvait en réinjecter en cas de fuites, mais d'où elle n'était pas censée sortir). Son maintien sous pression devait l'empêcher d'y bouillir: BFR avait calculé la résistance des matériaux en conséquence. Les abords du chantier étaient en voie de nettoyage: des bulldozers évacuaient les accumulations de boue "des grandes profondeurs" qui s'étaient formés sous le convoyeur de remplissage des wagons, on retirait certaines installations, on en amenait d'autres, plus classiques, pour la réalisation du bâtiment et l'installation de l'électrotechnique devant prendre le relais de la mini-centrale (arrêtée, pour le moment, puisque le circuit d'huile ne passait plus par son échangeur).
Dimanche 11 mars 1999: démarrage du premier groupe turbo-alternateur de 440 MW et jonction au réseau. Tout le système "aval" était déjà près. Ce fut le lundi que l'installation fut officiellement inaugurée (après le lancement de trois autres groupes turbo-alternateurs. Il y en aurait 19 au total, avait estimé BFR d'après la surveillance des caractéristiques thermique du puits).
Les immenses échangeurs thermique entre les deux puits, les conduites de vapeur haute pression, les énormes turbines basse pression de fin de cycle, les transformateurs comme de petits immeubles. Certes, la "chaudière" était tout au fond et ne prenait pas de place, mais tout le reste constitutait un complexe bien plus encombrant (60% de la surface de l'usine d'ajoutés) que ne l'imaginaient non seulement les habitants, mais aussi les gens de BFRSF, Stéphane inclus. C'était un monstre géothermique que BFR avait foré. 8360 mégawatts. La puissance de plus de six réacteurs nucléaires de 1300 MW. Record du monde pour un site non volcanique.
Il y eut une grande réception (toujours sécurisée par dépôt et examen préalable du matériel) présidée par Huittinen (qui ne semblait pas fait pour ça, mais c'était tout de même son rôle), avec la télévision. La centrale fournissait déjà 1760 MW.
La mauvaise surprise pour les écologistes, ce furent des lignes à haute tension supplémentaires traversant les paysages finlandais en raison de la fermeture de centrales existantes dûe à ce monstre. Certes, il coûtait moins cher de faire deux gros trous que plusieurs paires de petits, donc il était logique de faire une grosse centrale géothermique en un seul endroit plutôt que de petites en plusieurs.
BFR avait confié à Tarsini la conception du bâtiment de la centrale, qui l'avait conçu dans un style julesvernien (parce que les forages lui évoquaient "voyage au centre de la terre"), du gothique métallique (très gothique, avec ses arcs-boutants) à faux rivets apparents, avec du verre à petits carreaux. Un gothique bien plus ambitieux qu'il n'eût été possible de le faire en pierre. A part son aspect trop neuf (pas de crottes d'oiseaux sur les vitres, pas de coulées de rouille) le bâtiment semblait avoir plus d'un siècle, ou avoir été réalisé pour un film de "steam punk". La grosse électrotechnique traditionnelle (car dans une centrale géothermique, seule la façon d de chauffer changeait) y contribuait aussi: les énormes transformateurs, les isolateurs, on était chez Métropolis. L'usine BFR semblait toute sage, à côté: simple L couvert de trois étages, avec des fenêtres ordinaires tout autour. Le circuit de refroidissement final (pour le moment il n'y avait que six turbines d'installées) irait un peu partout, et pas uniquement dans l'usine ou les serres. Une partie irait jusqu'au village comme chauffage urbain distribué. Une autre chaufferait une piscine sous serre pour l'élevage de crocodiles (pour la peau et la chair: le croco, ça poussait vite, dans un climat adapté, donc c'était rentable, plus que le cuir de vache, et ça mangeait un peu n'importe quoi avec un rendement d'assimilation exceptionnel, comme en témoignait le peu de crottes qu'ils produisaient). De plus un élevage de crocodiles dans une serre pleine de plantes tropicales constituerait une attraction touristique. Et quel snobisme que de proposer, plus tard, des sacs en crocodile de Finlande. Des saucisses de crocodile? Pourquoi pas...
Des gens s'inquiétèrent: "mais si des crocodiles s'échappent, ils vont pondre dans le lac et le coloniser". "Mais non: même l'été l'eau est bien trop froide pour eux. Les oeufs n'écloraient pas".
Les terrils enneigés n'étant pas très hauts et les skis localement disponibles (uniquement des skis de fond) ne s'y prêtant pas, Stéphane trouva plus amusant de faire de la luge (en plastique moulé, en deux portions articulées, pouvant être hissée au tire-fesses aussi) car on était assis au ras du sol donc on avait l'impression d'aller bien plus vite. La direction se faisait en faisant pivoter la moitié avant avec les pieds, tout en se cramponnant aux poignées caoutchoutées de la moitié arrière. Ca ne durait pas longtemps, sur cette piste, mais au moins, il n'y avait que du divertissement: ni gamelle, ni besoin de réfléchir pour faire des slaloms intéressants, l'engin virant très bien.
Ce fut dans le train qu'il reprit conscience. Deux secouristes. Viivi. Une minerve, une sorte de civière gonflable et une douleur violente du côté gauche de la tête: l'oreille et derrière l'oreille. On lui avait mis un sac en plastique rempli de neige contre cette zone. Il voyait bizarrement. Par moment, il voyait mal. Il se souvint que l'ère visuelle était vers l'arrière: un coup en plein dedans? Il voulut parler mais n'y parvint pas. Le train? Parce que bien plus rapide malgré les arrêts et moins cahoteux que l'ambulance sur de telles routes. Il bougea ses doigts de pieds et les sentit frotter les uns contre les autres: si ça marchait jusque là-bas, il n'avait rien à la moëlle épinière, contrairement à ce que l'utilisation d'une minerve et d'une civière gonflable lui avait fait craindre. Ne pouvant pas parler, il leva une main et l'on s'intéressa enfin à lui. Il mima une écriture au crayon, puis fit des mouvements de la bouche pour montrer qu'il ne produisait pas de son. On lui donna de quoi écrire, en le redressant un peu. Il commenca à expliquer par écrit ce qu'il ressentait, en français, langue qu'aucun des trois ne parlait.
Ce fut dans le train qu'il reprit de nouveau conscience, sans souvenir de l'avoir déjà fait. Même "check liste" interne mais cette fois-ci les autres s'aperçurent plus vite qu'il était réveillé et lui donnèrent tout de suite le calepin et le Bic. Stéphane réécrivit quelques mots, s'arrêta en se demandant si quelqu'un lisait le français, et recommença en finnois. L'un des secouristes lui demanda s'il entendait, en pointant sa propre oreille droite au cas où il n'aurait pas entendu. Stéphane fit signe que oui, tout en demandant ce qui lui était arrivé.
Viivi lui raconta qu'il avait pris un ski derrière l'oreille, perdu par quelqu'un qui était tombé en haut de la piste. Il se souvint que sa dernière action avait été un virage à gauche: voilà comment le ski l'avait frappé là. Il demanda si c'était une fracture du crâne. Le premier secouriste lui dit qu'il fallait faire une radio pour le savoir, qu'ils l'emmenaient à Helsinki: une ambulance serait à l'arrivée du train. Ce secouriste était "dans le genre de Seppo" (sans lui ressembler), l'autre ressemblait à beaucoup de Finlandais de 25-30 ans. Stéphane demanda s'il pouvait sortir de la civière, en mentionnant que ses doigts de pieds répondaient très bien.
Ce fut encore dans le train qu'il reprit conscience, mais cette fois il ne roulait pas. On l'en faisait sortir, à Tempere. Il y avait d'autres personnes que Viivi, le "faux Seppo" et son camarade "rien de particulier". On le mit dans l'ambulance. Une CX, alors que ce n'était pas l'ambulance la plus répandue en Finlande en 1999. "On arrive à l'hôpital en break CX blanc, on en repart en break CX noir". On lui fit une radio: pas de fracture. En fait, il avait un petit écrasement de la surface du relief de l'apophyse mastoïde, très douloureux mais sans gravité en soi: comme quand on prenait un coup dans le tibia le marquant sans le fracturer. Peau meurtie et tuméfiée mais pas déchirée, tout comme l'oreille: le choc n'avait pas ripé, d'où aussi sa transmission totale à la boite cranienne et à son contenu. IRM: vague traumatisme cérébral, expliquant des troubles fonctionnels divers. Stéphane était moins sensible à la douleur que la moyenne, mais c'était tout de même dur, très "sonnant" pendant des heures. Sous l'impact, le cerveau avait violemment rebondi de l'autre côté, tandis que la tête basculait fortement (avec un cou moins court et moins épais, il aurait pu se retrouver tétraplégique), expliquant que le trouble ne fût pas localisé uniquement derrière l'impact: son cerveau devait être "talé" en plusieurs endroits, comprit-il. C'était le talon et non la spatule du ski qui l'avait frappé: moins blessant (la frappe avait eu lieu à plat, et non par un coin) mais plus ridige d'où une percussion violente, comme un coup de massette. Il ne reperdit pas conscience mais resta aphasique, utilisant son "souffleur" pour communiquer par écrit plus vite qu'en écrivant au stylo. Les examens n'expliquaient pas l'aphasie, tandis que les perturbations visuelles diminuaient. On le garda la nuit et la journée suivante en observation. Les toubles visuels continuant à diminuer, il put rentrer. Autant la cause de l'acouphène était évidente, autant personne n'avait idée de celle de l'aphasie: ce n'était pas dans cette zone du cerveau. Toutes sortes de choses pouvaient causer une aphasie, dont le choc psychologique lié au choc réel d'un accident, problème qui pouvait disparaître tout seul sans que l'on pût prédire quand. Contrairement à ce qu'il craignait, le choc, bien que frappant l'oreille et donc l'os derrière, n'avait pas endommagé le petit mécanisme "marteau et enclume" derrière le tympan: les tests acoustiques passés à Tempere montrèrent que ça marchait encore: l'acouphène qu'il avait de temps en temps, comme le "sifflement-scintillement" d'un tube cathodique de télévision mais en plus fort, au point de devenir réellement gênant, provenait du cerveau (comme les autres troubles) et non de la "mécanique" auditive.
Il ne parlait toujours pas mais trouva un moyen plus pratique que le papier: ajouter un haut-parleur externe au "souffleur", pour utiliser la synthèse vocale sans traduction (on pouvait s'en servir pour vérifier ce que l'on avait entré sans voir l'appareil). Les Finlandais utilisaient peu de mots par jour, sans avoir cette excuse médicale. Il n'aurait donc pas à parler beaucoup. L'acouphène variait de façon imprévisible: parfois discret, comme un vague souffle, parfois gênant au point de nuire à la compréhension, surtout dans une langue qui lui était toujours aussi antinaturelle, bien qu'il la maîtrisât suffisamment pour l'usage qu'il en faisait ici. Le finnois ne posait pas de problème d'extraction à l'oreille (contrairement à l'anglais) mais derrière un acouphène ça demendant un effort mental supplémentaire à un cerveau talé.
Stéphane retrouva avec plaisir l'adorable Surimi dont le ventre contenait peut-être des chatons. Pour avril, si c'était ça. Il se rendit compte qu'il lui avait réellement parlé, en français comme d'habitude avec Surimi: l'aphasie était-elle dûe à un manque de présence féline? Ce trouble que les médecins n'expliquait pas était parti tout seul, comme on lui avait dit que ça pouvait peut-être arriver. La félinothérapie auditive (ronronnements contre l'oreille) ne supprimait pas l'acouphène (dont l'intensité était variable: souvent modérée quand il était debout, elle augmentait malheureusement quand il s'allongeait, comme si la pression sanguine dans la tête y contribuait) mais était réconfortante. Il put néanmoins dormir: le phénomène cessait-il pendant le sommeil, en s'endormant aussi?
Le lendemain, en retournant à l'usine, il apprit que l'on avait retrouvé Huittinen mort de froid dehors, près du village, probablement à cause d'un abus d'alcool qui l'avait assoupi sur son trajet (à pieds) de retour du bar. Dans la nuit, personne ne l'avait vu, pouvait-on supposer, et quand le jour était revenu il était trop tard. Ca ne ressemblait pas à un suicide mais à une imprudence: même à pieds, l'alcool pouvait tuer, par grand froid, si on s'endormait en route. La modeste piste du terril avait déjà engendré plusieurs entorses et une fracture de l'avant-bras (celle-ci en "snowboard"): la plupart des gens du coin ne connaissaient le ski de descente qu'à la télévision (il y avait des montagnes au nord de la Finlande, mais peu de gens d'ici y étaient allés), s'y lançant avec trop d'enthousiasme et trop peu de discipline.
4400 MW étaient maintenant installés. Dix turbo-alternateurs dans le bâtiment prévu pour vingt-quatre (quatre rangées de six) au cas où. Inutile de se presser, puisqu'il fallait attendre la réalisation des lignes à haute tension vers d'autres destinations pour exploiter des turboalternateurs supplémentaires. La gestion de la centrale électrique et les installations restant à faire avait suscité l'embauche de certains temporaires du chantier, encore des Finlandais qui se ressemblaient (classables en quatre ou cinq tas, à première vue) et que Stéphane mettrait un certain temps à identifier. On trouvait beaucoup de jeunes diplômés dans ce personnel, ce qui était erreur de recrutement car mieux aurait vallu en prendre de plus costauds moyennement qualifiés, pour ce chantier: des Seppo plutôt que des Vertti. BFR aurait dû l'indiquer à Nelli, puisque c'était elle qui avait été chargée du nouveau personnel, faute de directeur de remplacement. Si Timo ne signalait plus à Stéphane le moindre "syndrôme de l'imposteur" chez Mika c'était parce que ce dernier avait fini par se rendre compte de ce que son copain Timo retransmettait et le lui avait formellement interdit: "je ne me suis jamais plaint au superviseur" [il le désignait par son titre pour le travail, par son prénom pour jouer aux échecs] "alors qu'à cause de toi il va me prendre pour un jamais content de son sort. Je n'ai pas à me plaindre: tout ceci vient de moi. Je n'ai qu'à déléguer un peu plus à Oskari, maintenant qu'il connaît bien l'installation". Timo respecta la consigne et Stéphane ne l'entendit plus jamais dire que Mika ne s'estimait pas à sa place dans ce travail et qu'il fallait le remettre à des tâches plus simples. Timo savait que Mika avait songé quitter l'entreprise, mais il ne savait pas où aller.
Chez VTP, Atte avait trouvé le travail plus difficile qu'il ne s'y attendait, mais bien expliqué: il n'y avait pas à réfléchir, ce qui le rassurait. Etant un fournisseur demandé dans la banque de sperme (bien que ce fût partagé entre plusieurs clientes, il fallait "refaire le niveau"), il était retourné y essayer l'hyppopotame naine, la dauphine (qui n'était pas une voiture), la grenouille géante, l'étoile de mer... Mais pas l'oie, par respect pour l'oeuvre de Selma Lagerlöf. La truie restait sa préférée. L'anonymât était conservé, chaque cliente connaissant son donneur par un numéro, ce qui permettrait tout de même d'éviter les consaguinités involontaires à la génération suivante: de père inconnu, mais pas de numéro inconnu. Ceci permettrait aussi de lancer un "rappel" en cas de découverte une fois des grossesses lancées d'une tare génétique non décelable à l'époque du don, les techniques de dépistage génétique évoluant continuellement.
Stéphane signala à BFR les conséquences de son accident (BFR savait qu'il avait été hospilalisé suite à un accident de ski, mais n'en connaissait pas les séquelles) et qu'il ne lui était donc pas possible de jouer le rôle de directeur par intérim: il pouvait de nouveau parler mais l'acouphène lui posait des problèmes de compréhension, de temps en temps. Toute fonction de relations publiques était donc exclue. Il n'en informa pas ses parents: il estimait qu'il fallait d'abord voir comment ça évoluerait, en particulier l'acouphène. C'était le trouble qui l'inquiétait le plus, car bien avant de l'avoir il avait entendu dire que ça pouvait s'installer à perpétuité, suite à une explosion (coup de feu trop près, par exemple), un choc violent ou un problème de circulation sanguine intra-crânienne. Le coup sur l'os restait douloureux: il se pouvait que la douleur locale brouillât le signal auditif, avait-il supposé, donc que quand l'os serait calmé l'acouphène aussi. Pas sûr, mais possible: le niveau de douleur de la surface osseuse et le niveau d'acouphène lui semblaient liés, à ce qu'il avait pu observer des variations de l'un et de l'autre. Prendre des analgésiques diminuait la douleur mais pas l'acouphène: le cerveau traitait moins le signal douloureux mais continuait à en faire du son, supposa-t-il. Il devait garder la minerve encore quelques jours, en la desserrant petit à petit, et retourner ensuite à Tempere pour un contrôle technique général de tout ceci.
BFR envoya quelqu'un de BFRD en renfort, sans le nommer directeur, mais "co-superviseur technique", pour assister Stéphane au cas où, ainsi que Ville qui était débordé par ce que Kare semblait avoir eu moins de mal à gérer.
Ce fut Klaus Kohl, un trentenaire sérieux à souhait (pas un clône de Jürgen) qui parlait allemand, français et suédois mais pas finnois (on ne pouvait pas tout avoir) tout en ayant accepté l'expérience BFRSF... à cause des Finlandaises, devinait BFRD. 1m90, plutôt mince sans être sec, regard gris-bleu, cheveux d'un blond sans éclat coupés moyennement courts dans un style sans imagination, pas d'expression tout en n'ayant pas des traits finlandais: plutôt "teutons". Ce n'était pas un dévoreur de charcuterie ni de gâteaux. Chez BFRD, il était aux fromages, sans s'en gaver non plus. Kohl reprit les yaourts et les fromages à Ville, car ces productions étaient très proches de (et pour la plupart identiques à) celles de BFRD. Stéphane put donc déléguer un peu plus à Ville ce qu'il estimait encore un peu compliqué pour Saku et Nelli, qui apprenaient sur le tas à gérer des équipes de maintenance. BFR avait estimé qu'il faudrait au total neuf chefs de secteurs de production, pour pouvoir choisir un directeur n'ayant pas à s'en occuper directement, donc plus facile à choisir. Pour le moment, il y avait Ville, Kohl, Stéphane, Mika et Kjell, Leo, Nikolai, Olli, ça ne faisait huit. Certains avaient des "bras droit" assez compétents (Nelli, Saku, Oskari, Niko). Stéphane était un peu diminué pour le moment, Kohl en rôdage, Mika ne disait rien mais Timo savait qu'il n'était pas à sa place dans cette fonction. Seul Kjell semblait n'avoir aucun problème avec le système informatique "à trois lames" commencé par Arvi et terminé par l'équipe de Kjell: il y avait des bogues, mais le système de "vote à trois" les contournait et permettait de les repérer plus précisément (le "minoritaire" du comparateur) et donnait le temps de les résoudre avant qu'ils ne pussent nuire (si un autre bogue avait fini par se manifester en même temps, dans un autre cas). C'était antérieurement l'informatique qui avait le plus souvent planté telle ou telle partie de l'usine, voire la totalité. Les problèmes d'électrotechnique, voire de maçonnerie, avaient été spectaculaires mais non récurrents.
Les clients de l'usine ne savaient pas à qui s'adresser. Aucun des huit n'était compétent pour ça. Kohl ne parlait qu'allemand, sinon il aurait peut-être pu faire les relations publiques. Nikolai trop glacial et ayant trop à faire dans l'usine. Olli et Leo trop "monocompétents" sur ce qui leur était confié. Stéphane était encore soumis à son acouphène par moment, donc c'était exclus. Ce fut Kjell qui s'y colla, après suggestion de Timo, Nelli et Viivi, puisque l'informatique fonctionnait toute seule (seules les modifications de production devaient y être transcrites, en particulier pour la production électrique, mais Niko et les autres suffisaient). Kjell n'était pas aussi "informaticien associal" que Vertti, et le fait d'être l'ingénieur système de l'usine lui donnait de la crédibilité face à l'extérieur. On le supposerait intelligent et rationnel. On n'essayerait pas de le mener en bateau, d'autant moins qu'il avait peu de marge de manoeuvres dans des négociations, Rennes pouvant y mettre son véto à tout instant.
Niko l'avertit que c'était un poste à risque, vu le peu de durée des ses prédécesseurs: "et le superviseur n'a jamais accepté d'y aller".
Kjell- car il ne peut pas, statutairement: le directeur est un employé de BFRSF. Le superviseur est directement employé de BFR et détaché chez nous pour les opérations décidées par Rennes.
N- tu vas être notre patron...
K- pas vraiment: BFR me confie juste des relations publiques. La direction réelle, c'est Rennes. Notre système a beaucoup simplifié la télédirection de l'usine de chez eux.
Ce fut donc Kjell qui reçut des "messieurs importants" et des journalistes pour la répartition de la production électrique et les locations de bureaux ainsi que de logements de fonction pour d'autres entreprises sur le domaine appartenant à BFRSF. Rennes avait décidé de ne rien revendre: juste louer. C'était plus rentable à long terme, et ça permettait aussi aux entreprises candidates de faire un essai sans investissements lourds. Surtout pour le tertiaire, où il n'y avait pas d'équipements lourds à transporter.
Tout ce qui serait construit (sur 5% du terrain, comme prévu, loué et non vendu) serait dessiné par Tarsini, pour faire un ensemble cohérent et esthétique, et pas "n'importe quoi juxtaposé". Ceci ne concernait pas les implantations hors des terres de BFR, mais à l'extérieur il fallait acheter, or les propriétaires savaient que leurs terrains jusqu'ici simples pâtures ou bois de rendement moyen allaient prendre de la valeur donc avaient anticipé cette augmentation en se montrant gourmand au mètre carré: plus c'était proche de la gare, plus c'était cher. Idem pour ce qui était proche d'une ligne à haute tension déjà réalisée: le câblage de forte puissance avait un coût élevé à l'hectomètre, ce qui était aussi un critère d'installation pour les industries gourmandes en électricité.
Stéphane resta dans sa maisonnette proche du village (donc de l'autre côté du lac), tandis que BFRSF en construisit d'autres près d'une des serres du domaine BFR, un peu mieux agencées (mais sans la salle d'entraînement annexe) et moins loin de l'usine. Le garage était une pièce supplémentaire, séparé par un mur de refend, et non une annexe parallélépipédique accolée: le toit continuait dessus. Cette fois, ce n'était pas du parpaing mais du préfabriqué à ossature métallique, prise en sandwich entre eux fibrociments alvéolaires (une face fibrée, pour la ridigité, l'autre d'une nature proche du "béton cellulaire") ce qui donnait une isolation phonique et thermique optimale, tout en n'ayant aucune fonction porteuse à assumer. Ca faisait des murs très épais: 25cm + 10 + 25, soit 60, mais BFR n'avait pas de problème de "COS" sur ses terrains, vu leur étendue. L'aspect extérieur des panneaux, à joints visibles, évoquait de la pierre de taille calcaire d'immeubles parisiens cossus. Le toit en fausses ardoises (c'était aussi un fibrociment moulé et teint, assez réaliste sauf de tout près) avait des pignons en escaliers (comme certaines constructions belges ou hollandaises) et des chiens assis à rembardes en faux fer forgé: c'était en réalité de la fibre de verre, la machine commençant par disposer les torons de fibres dans le moule, en les fagottant automatiquement (bobiné autour) là où le fer forgé aurait été bagué, puis injectait ensuite le plastique teinté dans la masse. Léger, solide (autant que des skis), sans entretien et pas trop froid sous les doigts. C'était ce qu'avait choisi Tarsini pour les petits immeubles de bureaux et de logements de fonctions plantés ça et là par BFR le long d'une ligne de télécabines parcourant le parc. Ce système pendulaire évitait les problèmes de nettoyage au sol d'une voie, et n'y créait aucun relief gênant les autres usagers. On passait aussi bien sur de l'eau (il y avait des "mini-lacs" ça et là, en plus du grand qui séparait l'usine du village) que sur l'herbe ou autre chose. Les pistes cyclables n'étaient pas gênées par des rails, de ce fait, d'autant moins qu'en circulation le fond des cabines était à 2m50 du sol, montant à 4m50 là où le tracé passait au dessus d'une voie pour camions.
Il s'agissait là aussi d'un produit Kermanac'h: des télécabines automotrices, à crémaillères dans le profilé rectangulaire (fendu en bas) qui fournissait aussi l'alimentation électrique, à l'abri de toutes intempéries, les télécommunications entre les bâtiments (gratuites entre toutes les constructions BFR) et mettait le système à crémaillère à l'abri de tout encrassement. De loin en loin, des arches trapézoïdales portaient sous elle ce profilé, sur une ou deux voies: la gestion informatique permettait de faire une grande partie en voie unique avec des zones de croisements, ceci sans risque de collisions ni même d'attente de voie libre. La cabine (huit places+ 2 strapontins) descendait près du sol pour permettre d'y monter ou d'en descendre. La descente se faisait le long d'une des colonnes (matérialisant les arrêts possibles) contenant un contrepoids, plus ou moins rempli d'eau selon le poids de la cabine (connu par la suspension pendulaire), ce qui permettait un mouvement facile et régulier vers le haut ou vers le bas sans avoir besoin d'un moteur puissant pour cela. Il y avait un réservoir d'eau (à antigel) en haut et en bas de chaque colonne. Il ne fallait utiliser la pompe (ou laisser couler du haut vers le bas) que si beaucoup plus de gens montaient à cet endroit qu'ils n'en descendaient, ou l'inverse. Un plan de chargement permettait d'y accéder en fauteuil roulant: en relevant les strapontins, on pouvait en mettre un à bord.
Le réseau n'était que commencé et ne passait pas encore près de chez lui, donc Klaus utiliserait encore une des Trielec de fonction pour se rendre à l'usine. Tout en n'étant qu'un petit peu plus grand que celui de Stéphane (mais sans faux marbre vert dedans: c'était du lino imprimé pour imiter du parquet en chêne monté en "point de Hongrie"), son nouveau logement de fonction était bien plus cossu d'aspect extérieur, bien mieux isolé (y compris la dalle de sol) et mieux agencé: au lieu d'avoir les pièces donnant directement les unes dans les autres, il y avait une petite entrée comportant toutes les portes: séjour, cuisine, chambre, salle de bains (avec sauna), WC. Six portes avec celle d'entrée. Celle des WC était de type "KZ" comme pour un placard. BFR avait construit neuf logements de fonction de cette façon, dispersés dans le vaste domaine: les gens ne l'usine ainsi logés n'étaient pas voisins, mais à portée de vélo les uns des autres. Mika disposait maintenant d'une de ces maisonnettes, à deux kilomètres de celle confiée à Klaus. Kjell était logé "de fonction" à 1400m de Klaus et 1700 de Mika. Une autre acceuillerait le nouveau directeur quand il serait choisi.
De même qu'il existait en Finlande un modèle virtuel d'Helsinki que l'on pouvait visiter et où l'on pouvait même faire des achats (livrés ensuite), on pouvait télévisiter le site BFRSF depuis n'importe où en Finlande, soit tel qu'il était (mais la crasse des chantiers en cours en moins), soit tel qu'il serait à telle ou telle date, pour réserver sur plan la location de ceci ou cela quand ce serait prêt. Le système de télécabines avait été conçu (au niveau de la solidité des profilés porteurs) pour pouvoir aussi jouer de rôle de camionnettes (1200 kg de charge utile), pour les livraisons un peu partout: nourriture, matériel de bureau, etc.
Le réseau de chauffage géothermique (en fin de cycle) était réalisé sous les futures routes et pistes cyclables: au lieu d'être des pertes inutiles (en passant ailleurs), la chaleur perdue servirait à les dégeler tout l'hiver. De même, le terrain de rinnepallo avait été labouré profond pour y installer les mêmes canaux, ainsi que des drains poreux sous la partie centrale (plate) pour récupérer l'eau de fonte.
L'été, on n'y enverrait pas d'eau chaude, tout simplement, puisque les bâtiments ne l'utiliseraient pas non plus. Certains des mini-lacs seraient chauffés (l'été), ce qui intéresserait les baigneurs, sans conséquences écologiques importantes: par rapport au grand lac (où aucune chaleur ne serait envoyée, comme convenu) ça comptait peu. Il serait difficile de trouver des poissons acceptant de passer l'hiver sous une couche de glace tout en s'accomodant d'eau à plus de 27°C de mai à septembre, mais peu importait: ce n'était déjà pas là que les pêcheurs venaient. Des gens s'inquiétèrent de ce qu'un lac chaud risquait de faire proliférer les moustiques. Le projet fut abandonné après que BFR se fût un peu plus documenté sur la question. On ferait une grande piscine: bassin de 100m, contre 50m pour une "olympique", sous une vaste serre à panneaux démontables: piscine ouverte l'été, couverte l'hiver, quitte à faire payer un peu l'entrée pour l'entretien, contrairement à si on s'était contenté de chauffer un des plus petits lacs en y immergeant des conduites.
Ce furent finalement six piscines de ce type qui furent prévues, car un opérateur touristique avait misé sur l'utilisation touristique de ce nouveau site, prenant des baux pour plusieurs des petits immeubles paysagés prévus par BFR, à proximité des piscines et des arrêts de télécabine pour en faire de l'hôtelerie (en studios et deux-pièces, voire trois-pièces rebaptisés "suites") touristique de week-end et d'affaires en semaine. L'hôtelerie étant usuellement très chère en Finlande, il était facile de casser les prix pour attirer les clients dans cette nouvelle offre, avec le confort d'un vrai studio au lieu de juste une chambre, et surtout les deux ou trois pièces bien plus pratiques pour les familles que de prendre deux chambres doubles.
Deux piscines à bassin de cent mètres furent créées près de l'usine, d'usage réservé aux employés (de BFR et de VTP), l'une chauffée à dix-huit degrés, l'autre à vingt-huit, celle à dix-huit convenant mieux aux efforts prolongés, l'autre à la détente. Le système de filtrage autonettoyants (alternativement: un circuit en utilisation, l'autre en nettoyage automatique) avec stérilisation par ultrasons permettait de ne pas mettre plus de chlore... que dans l'eau du robinet, ce qui était bien plus agréable.
La saison de rinnepallo put ainsi redémarrer beaucoup plus tôt que d'habitude: à cause de la fonte par tiédissement souterrain (juste assez pour maintenir hors gel, sans trop perturber l'herbe) l'herbe était encore plus humide qu'en automne et donc encore plus glissante. Les crampons restaient interdits. Les lamelles souples des semelles autorisées donnaient peu d'adhérence dans ces conditions, d'où une difficulté de jeu accrue. Stéphane s'avéra mieux s'accomoder de cela que la moyenne des joueurs et de ce fait devint remplaçant pour les matchs contre le village, dont l'équipe venait jouer sur le terrain géothermique le week-end. Il eut l'occasion de marquer un essai, à cinq points seulement (2+3), faute d'avoir le temps de tourner la face 6 sur en haut avant d'applatir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire