vendredi 10 avril 2009

chapitre N-25

<<<2000>>>
L'an 2000 était techniquement très en retard sur ce que l'on en disait quand Stéphane était petit, et plus encore par rapport à ce que l'on en disait quand des gens plus âgés étaient petits: pas de voitures volantes à moteur atomique, de domestiques robots sachant tout faire ni de vols quotidiens entre les diverses planètes du système solaire, de tunnel sous l'Atlantique ni de mémoires informatiques incorporées dans le cerveau. La SF des années 60 n'avait pas imaginé une telle miniaturisation de l'informatique, mais celle des années 70 l'envisageait déjà, jusqu'à un seul atome d'épaisseur, en extrapolant de l'évolution constatée à cette époque. L'abandon de la théorie de la relativité générale réouvrait de fabuleux horizons à la physique et à la cosmologie: avoir constaté que la gravité n'était pas seulement proportionnelle à la masse (d'inertie) mais aussi à la nature de celle-ci résolvait quantité de problèmes, à commencer par celui de la "masse manquante". La population française (résidents étrangers inclus) était de 47 891 223 habitants au soir du 31 décembre 2000: le chiffre de 48 millions annoncé fièrement par l'ELR était donc réel. La vague de suicides se calmait, de même que l'émigration: ces deux phénomènes se tarissaient d'eux-mêmes, et pas seulement parce que ceux qui étaient déjà morts ou partis ne le feraient pas deux fois: les bienfaits économiques, écologiques et sociaux de la baisse démographique diminuaient le nombre de raisons de se suicider ou de quitter le pays. Pour BFR, ça signifiait moins de clients, certes, mais vu la baisse de prélèvements de toutes sortes et la part très importante de l'exportation (encore augmentée par transformations des charges sociales en TVA), au total il y avait augmentation des bénéfices. Il y avait maintenant presqu'autant d'étrangers que de Français à venir se suicider confortablement chez nous: "voir Paris et mourir", bien que la Hollande, la Belgique et plus récemment l'Allemagne aient ouvert un service de nature voisine.
La France avait la première place (et de très loin) pour le pourcentage annuel de suicides (dont les euthanasies), loin devant le Japon, la Hongrie et quelques autres "bons clients" traditionnels. Elle avait aussi le taux de consommation de psychotropes le plus bas de l'OCDE, après avoir eu le plus élevé.
La Suède venait d'autoriser, au 1er janvier 2000 (loi voté en septembre 1999) le commerce d'embyons humains bouturés: il ne s'agissait pas de clônes, puisque l'on ne partait pas d'un sujet déjà né, mais de la multiplication embryonnaire, technique très efficace et connue depuis fort longtemps dans le domaine embryonnaire et même humain, pour augmenter les probabilités de réussite d'implantations après FIV. La loi suédoise imposait qu'au moins un bébé en bonne santé fût déjà né de la culture proposée pour implantation payante à d'autres mères (souvent étrangères), de façon à pouvoir y faire des tests. La Suède allait ainsi devenir le premier exportateur mondial légal d'embryons humains. Le goût quasi-universel pour les Suédoises et la réputation de sérieux de ce pays (garantissant que les embryons seraient conçus, stockés et implantés dans les meilleures conditions) allait améliorer sa balance commerciale, quand la Suède allait devenir une destination touristique de candidates à une maternité parfaite, de même que la France était devenue le pôle mondial du suicide. La loi française sur la responsabilité génétique parentale allait aider au démarrage de ce commerce suédois, car dans le cas d'un achat d'embryon (ceci était permis, prévu et défini, par l'ELR) c'était le fournisseurs qui devenait responsables de toutes les maladies et handicaps génétiques qui auraient été scientifiquement détectables à la date de la conception: ne pas faire les tests constituait une atteinte à la santé d'autrui (l'individu né ainsi) si un problème se produisait. Six des vingt laboratoires suédois s'étant lancés dans cette pratique acceptèrent de signer la convention de responsabilité génétique avec la Sécurité Sociale française, leur ouvrant ainsi le droit d'exporter leurs embryons vers ce pays où l'on hésitait maintenant beaucoup à transmettre ses propres gènes, du fait de la responsabilité génétique parentale. La Suède qui s'était elle aussi faite sortir du marché des télécoms et services informatiques connexes par AK avait besoin d'une activité exportatrice de remplacement. Toutefois, les ventes vers la France et la Hollande (qui avait aussi autorisé ce commerce, bien que n'ayant pas de loi de responsabilité génétique parentale) ne commenceraient qu'une fois les premiers bébés suédois issus de la même souche embryonnaire seraient nés, donc en avril 2000. Ce qui pouvait se faire officiellement avec ces deux pays (pour le moment: d'autres suivraient, espéraient les Suédois) pouvait aussi se faire sans le consentement de l'Etat d'origine si la future mère se rendait en Suède pour s'offrir une implantation embryonnaire, après avoir suivi les phases de préparation hormonales classiques dans ce domaine. Bien sûr, l'ADN ne correspondrait pas mais pour le moment, les Suédois n'avaient pas recensé, dans l'OCDE, de loi faisant un déli du fait de ne pas être la mère biologique de l'embryon porté: le don d'ovocyte avait le même effet. Certaines législations interdisaient les mères porteuses, mais ce cas était différent, puisqu'il s'agissait de cèder à une autre femme (souvent un couple) le bébé une fois né.
L'ELR présentait ce droit comme un pas énorme vers la liberé: "la fin de l'esclavage génétique héréditaire, qui, jusqu'alors, reservait la beauté et la bonne santé à des lignées d'aristocrates du génôme, au détriment d'un lumpenproletariat de gens condamnés à vivre malades et mal foutus simplement parce que leurs parents l'étaient. On peut sortir de sa condition sociale par ses mérites, mais on n'échappe jamais au carcan génétique familial, qui consitue la plus insupportable et la plus dictatoriale de toutes les inégalité". L'ELR avait présenté dès le début l'eugénisme comme un devoir aussi évident que la vaccination. Le fait que les embryons vinsent de Suède fit "tache", toutefois, dans l'inconscient collectif: ça faisait terriblement Lebensborn. Si le pays fournisseur avait été l'Italie, on n'aurait rien pensé de tel, car Mussolini n'avait pas pris de mesures eugénistes. La Suède avait conservé les siennes jusqu'au début des années 60, "et voilà pourquoi les Suédoises sont si belles", supposaient certains.
La Chine, sachant qu'à l'adoption les bébés d'origine asiatiques étaient bien acceptés, ces enfants étant supposés avoir un caractère stable et une intelligence potentielle supérieure à celle des Européens, décida aussitôt de mettre en place la même industrie: des embyrons chinois triés sur le volet, à partir de l'examen d'enfants déjà nés du même bouturage, les autres cellules étant conservées dans l'azote liquide en attendant.
Le gouvernement chinois supposait que la Suède serait incapable de fournir assez d'embryons pour répondre à la demande mondiale, car il n'y aurait pas que les Française et les Hollandaises à souhaiter une grossesse suédoise: il y aurait les Américaines, du moins la plupart de celles qui auraient les moyens de s'offir le voyage et l'implantation. De plus le taux de réussite d'une implantation restait loin de 100%.
On imagina aussitôt l'implantation d'embryons suédois dans des vaches porteuses hollandaises, pour s'éviter aussi les contraintes et les risque d'une grossesse, surtout dans un pays (la France) où il n'y avait plus aucun avantage pour les femmes enceintes, et où c'était un motif de licenciement si ça présentait un inconvénient prouvé pour le travail à effectuer: la grossesse n'était pas une maladie, mais une modification volontaire de la physiologie et du métabolisme, donc nul autre ne devait avoir à en assumer les inconvénients. Surtout pas l'employeur, ni la Sécurité Sociale. VTP modifia en conséquence le scénario du prochain "0016": ce qui était prévu pour celui de 2000 serait reporté dans le suivant, le thème principal devenant les embryons suédois (vrais ou faux) et les vaches porteuses hollandaises. "0016, filière bulgare" tourné en septembre dernier ne sortirait qu'en juin prochain, ratant donc le train de la filière suédoise. Pour cette raison, on décida de pré-produire le plus possible de parties du prochain pour ne pas avoir à attendre aussi longtemps pour le sortir.
VTP fit les tournages réels pour "Objectif Dunes" dans les déserts africains, tandis que d'autres équipes tournaient en Norvège et en Islande les mouvements de paires de caméras prévus dans le film. De petits décalages (translations latérales, verticales, et rotation dans le plan de l'image) pourraient être compensées infographiquement après, à condition que la direction de visée, elle, fût précise, d'où des systèmes suspendus stabilisés par gyroscopes (contrairement à une "steadycam" qui supprimait les trépidations mais n'empêchait ni tangage ni lacets, mouvements à éviter pour le procédé VTP) pour les prises de vue en mer, faites depuis le kiosque d'un sous-marin: la masse ainsi immergée était moins sensible à la houle que la coque d'un navire de surface. Ce sous-marin servait aussi pour les tournages immergés.
Le traité de Nice n'eut pas lieu, ce qui eût pour effet que l'Allemagne n'obtint pas d'augmentation de son poids institutionnel: la perte de pouvoir des institutions européennes suite aux droits de véto référendaires par-ci, parlementaires par-là votés dans de nombreux pays à la suite de la France, ainsi que les bouleversement internationaux dûs à la chute du marché informatique et des télécoms, avaient conduit à reporter les admissions de nouveaux membres aux calendes grècques. Son allégeance envers les Etats-Unis privait la Pologne de toute chance d'échapper à un véto français. La Hongrie, la République Tchèque et les pays baltes auraient posé moins de problème, mais les institutions européennes devaient d'abord être reformées. Une "zone 3" fut créée: la zone 1 était celle de l'Euro, la 2 celle des pays déjà membres n'ayant pas adopté l'euro, et qui perdirent toute voix à ce sujet: en particulier la Suède qui avait fait lobby pour avoir du cuivre au lieu du nickel dans les pièces n'avait plus rien à dire, ne s'étant pas inscrite pour de bon dans le processus du passage à l'euro. Il y aurait donc du ferronickel dans les pièces de 0,1 à 0,5 euro (aspect du métal des pièces de 1F) et du cupro-aluminium dans celles de 1 à 5 centimes d'euro (alliage prévu pour celles de 10 à 50 centimes initialement). La mise en circulation de la monnaie était accélérée: dès le 1er juin 2001, de façon à ce que les touristes puissent les utiliser dès l'été. Le franc converti à 6 francs (5F94, exactement) pour un euro aurait pu l'être pour encore moins, la situation économique française ayant continué à s'assainir (désendettement rapide par excédent budgétaire, celui-ci par "implosion" de la dépense publique, Sécurité Sociale incluse), mais c'était début 1999 que les parités avaient été boulonnées pour de bon. Autant les gouvernements français antérieurs avaient toujours cherché à biaiser les critères de Maestricht, autant le nouveau (depuis l'été 1997) avait insisté pour l'interdiction totale du déficit public dans toute la zone euro, et l'obligation d'un désendettement d'au moins 12% de la dette initiale chaque année si endettement il y avait. Même les Allemands n'en demandaient pas tant, donc les critères ne furent pas portés à ce niveau. Le changement le plus important était que l'on prenait comme unité de mesure le PNB, et non le PIB, pour chaque pays. C'était loin de valoir le "PNN" cher à l'ELR (production moins destruction de richesses) mais c'était déjà un pas important vers le réalisme économique par rapport au PIB, puisque cela incluait la balance commerciale. La révision fut donc que le déficit ne devait pas dépasser 2 % du PNB, et qu'il était interdit dès que l'endettement dépassait 50% du PNB. L'ELR n'avait donc pas obtenu une obligation européenne du "zéro déficit" (ce qui évitait d'avoir à le référencer à quoi que ce fût: zéro, c'était zéro) ni le désendettement obligatoire en pas plus de 8 ans 4 mois (12% de la dette initiale, plus les intérêts en cours). Toutefois, dans un système à monnaie unique, le succès spectaculaire de la stratégie déflationniste française avait prouvé que les déficits et l'inflation qu'ils engendraient étaient suicidaires commercialement, puisque l'on ne pouvait plus jouer sur les changes pour "tricher". L'inconvénient de la déflation dans un système à changes flottants aurait été de gonfler comparativement la dette, mais l'avantage spectaculaire obtenu en matière de balance commerciale permettait de prendre à l'extérieur (via les impôts sur les bénéfices des exportateurs français, de plus en plus solvables) de quoi la rembourser plus vite que sans déflation, ceci sans surpression fiscale interne: l'argent venait des consommateurs d'autres pays, selon le principe qui enrichissait (bien plus, vu les volumes) la Chine depuis des années au point d'en faire la créancière principale des Etats-Unis.
La Suède et l'Angleterre devenaient des pays européens de "seconde classe", puisque n'ayant pas adhéré à l'euro. Leur poids dans les décisions économiques et financières européennes était nettement réduit. De ce fait, la Suède envisageait sérieusement de passer à l'euro, pour ne pas être pénalisée par rapport au Danemark ou à la Finlande qui y étaient déjà. L'Angleterre n'en avait toujours pas l'intention. Une eurotaxe sur le tabac fut votée d'autant plus facilement que cela dispensait certains Etats électoralement réticents (en particulier l'Allemagne) de prendre la décision eux-mêmes: "on n'y peut rien, c'est une taxe européenne: cinq euros par paquet de 20". Cette taxe s'ajoutait aux taxes nationales, sans s'y subtituer. En France, on ne trouvait plus de paquet en dessous de 25 euros (120 francs), désormais, ce qui ne faisait en fait que 1,25 euro par cigarette, soit un prix proche de celui des "joints" de canabis de contrebande: la nicotine à mâcher (gommes, vendues par les buralistes et non les pharmaciens) revenait maintenant cinq fois moins cher, à dose réellement absorbée égale. Chaque Etat pouvait limiter comme bon lui semblait les quantités d'alcool et de tabac transportables par personne à l'entré dans son territoire. La France n'avait pas attendu cela pour limiter le tabac à un paquet "ouvert et incomplet" par personne, ce qui garantissait aux buralistes l'absence de concurrence par des "fourmis", les sanctions étant très lourdes, avec au minimum deux moins de travaux forcés au tri des déchets hospitaliers, en plus de l'amende proportionnelle au carré du nombre de dizaines de cigarettes fraudées (ou l'équivalent en poids de tabac, pour celui en vrac, les cigares, etc), ce calcul tenant compte des récidives (registre national): un paquet soit vingt cigarettes fraudées conduisaient, la première fois, à payer les taxes pour 40 cigarettes (soit 2 paquets), mais la seconde fois, pour 6 paquets, puisqu'au total on en avait fraudé deux (en deux fois) donc huit à payer, en n'ayant payé antérieurement qu'une amende de deux: restaient donc les taxes de six paquets à payer, puis dix pour le prochain paquet fraudé, etc. Tout en ne massacrant pas le touriste qui aurait une fois oublié un paquet non entamé, ça devenait vite dissuassif voire suicidaire pour les récidivistes.
Le tabagisme avait très fortement chuté en France avec les lois incarcérant systématiquement (en cure à leurs frais) les parents (ou tout adulte) ayant enfumé un enfant (les assistances sociales pouvaient poser des mouchards chez les familles suspectes et les télé-inspecter à n'importe quelle heure, ce qui avait donné aux fumeurs et surtout fumeuses une raison supplémentaire de ne pas faire d'enfants), l'exclusion de la protection sociale, d'autant plus facilement que celle-ci ne provenait plus de "cotisations" mais les finances générales, via la TVA, les amendes très facilement distribuées (mais nécessitant une preuve vidéo par l'agent verbalisateur, pour éviter l'arbitraire) pour toute "mise en danger de la santé d'autrui" par tabagisme, la hausse des prix, les peines réellement dissuasives pour les trafiquants, le coût bien plus faible des substituts nicotiniques (grâce à ça, il n'y avait pas de "manque", sauf psychologique: celui de l'habitude, donc pas de dépendance chimique envers des trafiquants) et une image de "looseur" aux dents jaunes cachant son manque d'hygiène derrière la fumée, comme en s'en était rendu compte avec l'interdiction totale dans les boites de nuit: ça puait la sueur, désormais, montrant que beaucoup de jeunes "fumaient pour ne pas avoir à se laver", dont beaucoup de filles, disait une des campagnes de dénigrement de l'image du fumeur.
Autre facteur de désaffection du tabac, surtout pour les jeunes: l'accès facile et indolore au suicide faisait concurrence à beaucoup de comportements auto-destructeurs, dont nombre de drogues et d'auto-mutilations, ainsi que l'anorexie. La raréfaction du tabagisme raréfiait de même le passage au canabis: ce produit circulait encore, mais plus sous forme de "space cakes" (à manger) que de joints. Le "space cake" n'attirait pas l'attention et n'iritait ni les yeux ni les bronches.
La désintoxication à de nombreuses drogues pouvait maintenant être immédiate et durable par un procédé inspiré de la radiochimiothérapie: envoyer une molécule radiosensible se fixant spécifiquement sur les mêmes récepteurs que la drogue à combattre, et les détruisant lors de l'envoi d'un flash de rayons X durs. Intense, mais bref: ça ne faisait pas plus de dommages collatéraux qu'un panoramique dentaire. C'était toutefois à utiliser avec prudence pour les produits voisins de la morphine, car il y avait le risque, si on désensibilisait totalement le cerveau à ces produits, de ne plus disposer d'analgésiques médicaux en cas de besoin, mais pour la nicotine et toute une liste de drogues, on pouvait "nettoyer au Kärsher jusque dans les coins" sans inconvénient.
Cette thérapie était obligatoire pour tout parent ayant été pris à enfumer un de ses enfants, à moins de rester déchu de ses droits civiques et parentaux.
Une eurotaxe sur le sel (0,5 euro par kg), par analyse des produits fabriqués ou importés pour déterminer leur taux de taxation, rendit moins retable qu'avant l'abus de sel dans l'alimentation industrielle. Ce fut commenté, en France, comme le retour de la "gabelle".
La troisième eurotaxe, qui rapporta à elle seule plus que toutes les autres, frappa les carburants fossiles (kérozène et charbon inclus), en fonction du tonnage de CO2 produit par la combustion d'un kilo du produit. Aucune exception pour les routiers ou autres. Cette eurotaxe était mieux vécue par les pompistes qu'une augmentation nationale, car elle s'appliquait de chaque côté de chaque frontière. Seuls les pays hors CE ne l'appliquaient pas.
Ces taxes ne s'ajoutaient pas à l'ancien système de financement européen: elles le remplaçaient entièrement. Il y en avait aussi sur les piles jetables, les couches jetables, etc: toutes sortes de produits considérés comme nuisibles.
Les pays de l'Est entreraient un par un, avec pour chacun une période d'observation de trois ans (mais celle d'un autre pays pouvait commencer sans que celle du précédent fût finie) à l'issue de laquelle un référendum déterminerait s'il ferait partie de la zone 2 (voire 1, s'il remplissait les critères de l'euro et souhaitait en faire partie), de la zone 3 (moindre influence sur les instutions, en échange de moins de devoirs), ou d'ajouter en deux ans (renouvellables) de mise en observation, voire de ne pas l'accepter du tout. Le premier candidat mis en période d'essai fut la République Tchèque. Le cas de la Hongrie serait examiné à partir de juillet 2001. Ces deux pays semblaient moins difficile à faire accepter aux peuples déjà dans l'Europe que d'autres comme la Pologne. Les pays baltes pourraient faire l'objet d'une adhésion à trois d'un coup, car représentant peu de monde sur une superficie modeste. La France et l'Angleterre, qui avaient les taxes les plus lourdes sur le tabac et subissaient donc le plus de fraude, décrètèrent unilatéralement qu'il n'était plus permis d'en passer à la frontière sans payer la taxe interne sur le tabac du pays concerné. En cas de fraude, l'amende serait proportionnelle au carré (exprimé en euros) du manque à taxer, donc cent fois plus lourde pour dix paquets que pour un. La France avait bien plus de marge de manoeuvre dans ces négociations grâce d'une part à la création du droit de véto référendaire sur les directives européennes, et d'autre part à la suppression de toutes les pratiques anti-concurrentielles de ses anciens monopoles (éléctricité, télécommunications, voies ferrées...). Des opérateurs étrangers pouvaient dès le 1er janvier 1999 faire circuler des trains de marchandises en France sous réserve de respecter les normes de sécurité (en particulier la prise de contrôle externe des trains par la signalisation, sans possibilité de la neutraliser manuellement sans un code envoyé par la régulation de trafic) et qu'il y ait réciprocité dans le pays concerné. Le transport de voyageurs avait été ouvert à la concurrence étrangère (sous réserve de réciprocités nationales et de péréquation entre petites et grandes lignes: le nouvel opérateur devait aussi assurer un service suffisant sur de petites lignes) le 1er janvier 2000. Idem pour l'électricité et les télécommunications. Comme il n'y avait plus de "vaches sacrées" à subventionner et protéger de toute concurrence dans ces secteurs, le gouvernement ELR pouvait obtenir bien plus dans d'autres.
Il n'y avait donc pas eu de grande réforme: la plus importante était le durcissement des critères de Maestricht (en accord avec l'Allemagne, sur ce point), pas assez du point de vue de l'ELR mais avec comme avancée majeure que désormais on compterait le PNB et non le PIB: un Etat pouvait fabriquer du "faux PIB" par le gaspillage, mais comme celui-ci dégradait la balance commerciale (faute d'avoir augmenté de même les exportations) cela ne marchait pas (ou peu: sur les secteurs à peu près "captifs" comme les services locaux ça pouvait jouer) pour le PNB. Le gouvernement français n'avait pas non plus pu faire passer le "plafond kilométrique" interdisant de prendre en compte plus de 50 habitants au kilomètre carré pour les poids respectifs des peuples (densité proche de celle de l'Espagne) de façon à éviter de survaloriser des petits pays surpeuplés, alors que la donné durable était la géographie, donc la superficie. Ceci aurait avantagé la France, qui disposait de la plus grande surface (devant l'Espagne et la Suède, mais la Suède se trouvant en zone 2 pour avoir refusé l'euro elle comptait moins).
Chez BFRSF Saku avait été promu parmi les chefs de service de la direction technique qui se composait donc de Kare, Ville, Leo, Nikolai, Saku, Olli, Stéphane (ou Audry), Kjell et Oskari. L'usine avait perdu des commandes de la part de la restauration d'entreprises, en raison de la crise, mais les ventes grand public compensaient. Pinja Vilokkinen semblait donner satisfaction à Rennes dans la gestion du personnel et des relations publiques de BFRSF, avec une indifférence typiquement finlandaise. Cette entreprise dont on lui avait dit beaucoup de mal ("les produits se vendent bien mais à moins d'aimer travailler entre pannes et suicides, il vaut mieux ne pas y aller") ne lui semblait pas pire qu'une autre. Tout était précisément documenté, les gens semblaient compétents à leur poste et l'équipement correctement entrenu, télésurveillé depuis Rennes dont l'équipe de spécialistes (dont hélas aucun ne parlais finnois: il fallait utiliser le français, l'allemand ou à défaut le suédois, les jours où un ingénieur ayant appris cette langue serait disponible dans l'équipe de Rennes). Tout le monde semblait sérieux au travail, y compris les plus jeunes ou ceux ayant un style un peu original. Elle savait qu'il y avait eu beaucoup de problèmes en 1999 et encore quelques-uns en 2000 mais que les équipes techiques en étaient venues à bout avec l'aide du centre technique de Rennes. Que les filles de l'usine avaient décidé d'entrée de jeu de ne jamais avoir la moindre romance avec le superviseur ni son remplaçant. Qu'il y avait parfois des aventures coquines entre membres du personnel mais que cela restait discret et peu fréquent. Que Stéphane allait en vacances en Suède pour ce genre de divertissement (disait-on). Initialement elle avait (sans le laisser paraître) eu du mal à prendre au sérieux "Erwann d'Ambert" dans ce rôle mais avait constaté qu'il était aussi sobre et efficace que les plus sérieux des autres, dans l'usine. En plus de ne pas avoir l'air français, il n'avait ni la désinvolture ni le manque de ponctualité ni la tendance à tout critiquer ni l'inefficacité professionnelle des gens "de ces pays-là", du peu qu'elle en savait.
En sa présence, Stéphane restait mentalement en plongée, moteur arrêté: n'avoir aucune attitude, comme il s'était entraîné au début à le faire avec tout le monde, avant de se rendre compte que ce n'était pas le cas de 100% des Finlandais: Atte, d'abord, puis Nelli, Timo, Viivi et quelques d'autres. Il ne lui serait jamais venu à l'idée d'échanger une plaisanterie (même technique) avec Ville ou Kare, mais il n'était pas nécessaire d'être froidement anonyme avec eux non plus. Une directrice arrivant dans une industrie au personnel essentiellement masculin devait craindre de ne pas être autant prise au sérieux qu'un directeur. Il fallait donc être comme un élève (d'autrefois) face à une prof qui attendait de la sobriété et de la soumission, et rien d'autre. Stéphane savait fort bien jouer à cela, puisqu'il pouvait passer par Rennes pour donner son point de vue si on ne l'écoutait pas sur place: inutile de se comporter ici comme s'il voulait exister. Dans les réceptions organisées par l'entreprise, tout en portant ce que VTP avait prévu (et renouvellé) de chic à cet effet, il parla encore moins que Ville ou Nikolai, ce qui lui était facile en continuant de s'entraîner à extraire du finnois parlé dans un lieu ou plus d'une personne parlait (voyelles longues ou courtes: il fallait être très attentif, même après six ans de finnois). Les Finlandais restaient peu locaces en de telles circonstances (d'autant plus que BFRSF n'y servait jamais d'alcool), mais ce n'était tout de même pas silence dans toute la salle quand quelqu'un s'adressait à son voisin de buffet. L'idéal était quand il pouvait "faire partie du public proche" des conversations de Timo, Nelli ("radio potins", mais pas méchamment) ou Kjell. Oskari était un peu plus réservé, sa jeunesse y contribuant, tout en étant lui aussi bon public pour "radio potins": son attitude n'était ni froide ni indifférente.
En deux ans de Finlande Stéphane n'avait eu l'occasion de visiter (un peu) que quatre maisons: chez Timo, celle du père d'Atte, celle de la famille d'Irina, de la famille de Mika, et un appartement dans Tempere: chez Esko Hautaniemi. Il avait expérimenté la danse (tango finlandais et valse) une soirée, ne connaissait (sauf de simple rapport de clientelle) personne d'autre hors de l'usine et d'avoir échangé quelques mots avec d'autres habitué(e)s de la baignade du lac. Il était passé à la télévision finlandaise sept fois (invité deux fois, plus une sur la nouvelle télévision locale, et quatre fois lors d'évènements chez BFRSF).
Le petit Oskari fut présent dans toute une émission sur la télévision locale par fibres optiques comme gestionnaire technique de la centrale électrique la plus puissante de Finlande (et de la plus grosse centrale géothermique de profondeur du monde, c'est à dire ne profitant pas de la présence d'un volcanisme proche de la surface), à laquelle un reportage de deux heures (par morceaux, au cours de l'émission qui en durait trois) avait été consacré, en repassant des images prises par BFRSF lors des travaux. Il répondit comme prévu par BFR sur les variations de puissance importantes qu'avait connues l'installation au printemps et pendant le début de l'été. Une simulation infographique de ce qui avait pu se passer au fond avait été fournie par BFR.
La série "rats des villes, rats des champs" (baptisée ainsi dans sa diffusion française) connaissait un grand succès, avec le sort des urbains déchus de la "bulle télécom" se retrouvaient à devoir travailler dans des scieries, des laiteries, charger des camions de grumes, etc, ce qui donnait lieu à bien des situations intéressantes, souvent tirées de faits réels rescénarisés. L'arrivée dans des bleds n'ayant ni internet, ni route vraiment carrossable (pour ça, il avait fallu tricher un peu: sur place, ce n'était plus le cas) et fortement traditionnels (idem) de ces "rats des villes" jeunes et branchés alimenta nombre d'épisodes, en plus de ce qui était tiré de la BD de Kim Vaismaa.
Un laboratoire hollandais annonça (la gestation ayant été suivie par huissier, pour éviter toute accusation de canular) la première naissance d'un bébé humain "mis bas" par une vache porteuse dans laquelle deux embryons issus de FIV avaient été implantés. Ceci visait à résoudre le problème juridique, pratique et financier des mères porteuses dans différents pays: louer l'utérus d'une vache (de race frisonne, pour l'expérience, mais ça ne semblait pas un critère important) pour y développer un embryon humain ne rencontrait pas de tels obstacles. La production d'hormones de la vache était contrôlée par un boitier électronique, de façon à assurer les neuf mois de gestation nécessaires. Les chercheurs pensaient aller plus loin en utilisant des ovocytes fécondés de vaches pour les recherches sur le clônage humain: il suffirait d'y copier l'ADN du modèle. Certes, les mitochondries seraient d'origine bovines (dans toutes les cellules) et non humaines, mais était-ce important? Ces micro-organismes captifs gérant l'énergie des cellules étaient bien antérieurs à l'apparition des mamifères, donc ces chercheurs estimaient que leur origine était sans importance. La recherche sur le clônage humain était freinée par le nombre élevé d'ovocytes humains nécessaires pour tenter assez d'essais pour espérer un résultat, or ce n'était pas aussi simple à se procurer que les spermatozoïdes. En les remplaçant par un "habitacle" cellulaire d'une autre espèce, ce problème disparaissait. La Hollande avait récemment autorisé les recherches sur le clônage humain à fins thérapeuthiques: création de cellules souches et de tissus organiques pour des greffes 100% compatibles avec le receveur, ainsi que de versions génétiquement mutées, en particulier la moëlle osseuse pour les leucémies: si la mutation ne modifiait pas le groupe HLA, la greffe prendrait sans traitement anti-rejet.
L'économie américaine était lourdement plombée par la perte des exportations d'ordinateurs (et composants pour ordinateurs) et surtout de logiciels, les ordinateurs AK donnant accès à un niagara de logiciels gratuits, en plus d'être beaucoup moins gaspilleurs de mémoire et de temps processeur. La perte de domaines de quasi-exclusivité américaine comme le GPS et internet contribuait aussi à faire chuter les valeurs boursières américaines et à dissuader des états étrangers (y compris la Chine, ce qui était inédit) de continuer à financer la dette publique américaine en achetant les emprunts d'Etat d'un Etat qui visiblement ne les rembourserait qu'en dollars totalement dévalués. La plupart des pays de l'OPEP refusaient désormais de libeller des contrats en dollars, préférant le yen, le DM ou plus souvent un "panier" de monnaies jugées sûres (dont le franc suisse), en attendant de voir ce que deviendrait l'euro. L'incapacité (volontaire? Certes, cette langue était très difficile à "extraire" oralement, mais tout de même) du réseau satellitaire mondial Lioubioutchaï 2 à encoder et transmettre de la parole en anglais avait aussi contribué à freiner l'usage international de cette langue: le japonais (entre autres) passait bien mieux...
La perte de l'influence américaine se mesurait aussi dans le retour de la plupart des pays européens au système métrique pour l'aviation (y compris civile), et plus récemment la chute de la théorie "américaine" (selon les Russes) de la relativité, ainsi que de "la théorie néo-créationniste du Big Bang".
L'économie mondiale avait un nouvel eldorado: la Russie. C'était un groupe d'action dérivé de l'ancien KGB qui avait utilisé ce savoir-faire (infiltration, espionnage et torture) pour remonter et détruire les réseaux mafieux russes qui plombaient l'économie nationale d'un pays qui avait tout, théoriquement pour être le plus riche du monde: une faible démographie face à d'énormes ressources naturelles, des coûts de production très bas et une recherche scientifique compétente, tout particulièrement dans le domaine spatial. La Russie avait par rapport à la Chine l'avantage d'une population bien plus réduite, faisant peu d'enfants, et plus instruite (bien que ce ne fût pas un modèle du genre non plus, dans ce dernier domaine) donc n'était pas du tout "dos au mur" en terme de ressources naturelles (énergie, minerais, y compris les métaux rares, ressources agricoles) ce qui lui donnait une grande liberté d'action: contrairement aux Chinois, les Russes auraient pu avoir une consommation par tête à l'occidentale sans être en déficit de tout. La Chine était structurellement insolvable, quand on la comparait à la Russie, à moins de détruire (par exemple par canibalisme, de façon à avoir de la viande gratuite) 80% de sa population, ou de la maintenir perpétuellement en état de grande pauvreté comme elle le faisait (la bourgeoisie apparente dans certains quartiers des grandes villes était statistiquement insignifiante).
Il commençait à y avoir une "fuite des cerveaux" de l'Europe vers la Russie: celle-ci n'acceptait aucune imigration de "parasites sociaux" (car n'y obtenant absolument rien, ils n'auraient eu qu'à y mourir de faim et de froid) mais sélectionnait soigneusement des candidats venus de grandes écoles (ou universités fonctionnant comme des grandes écoles) et d'entreprises occidentales qui ne trouvaient plus (ou n'avaient jamais trouvé) de débouchés chez eux.
Cela représentait peu de monde (quelques milliers par an) mais beaucoup de savoir-faire. Il fallait avoir appris assez de russe pour s'y débrouiller professionnellement, ce qui était tri efficace des candidats motivés et travailleurs: on n'apprenait pas le russe en quelques mois "comme ça"...
Parmi ces cerveaux imigrés, un pourcentage élevé (par rapport à leur présence mondiale) de Finlandais, suite à la chute de l'économie des "hautes technologies" dans ce pays. Certes, c'était l'offensive russe qui en était la cause, donc ça pouvait sembler une trahison ("les rats quittent le navire") que d'aller y travailler, quand on avait de la matière grise intéressante (mais dont l'économie finlandaise n'avait plus l'usage en si grand nombre), mais certains voyaient ça comme une "infiltration": savoir comment faisaient les vainqueurs, au lieu de rester dans le contexte des vaincus qui ne leur apprendrait rien d'utile, pouvaient-ils estimer.
La France, absente (depuis plusieurs décénies) de ces hautes technologies grand public ne subissait que des effets indirects de cette crise: certains clients de nos productions "du XIXème siècle" (trains, avions, navires, ponts...) achetaient moins, mais les exportations agro-alimentaires restaient solides, car ces clients n'en étaient pas encore à rationner leurs repas. Les productions audio-visuelles de VTP s'exportaient très bien aussi, grâce à un rapport prestations/coûts qui n'existait pas dans le reste du secteur médiatique français et que la mise en de nombreuses langues, même pour des pays n'ayant pas l'habitude de tout doubler, rendaient faciles à vendre.
Sachant qu'Atte aimait le partis (avec puis maintenant sans vodka) , Timo lui fit goûter une nouvelle fabrication BFR: un gâteau à l'anisette. En fait à l'arôme synthétique d'anis, et un peu de réglisse (tout aussi synthétique et fidèle au goût).
Ce fut le dimanche 6 février 2000 que "Robur le conquérant" (contenant aussi sa suite "maître du monde": tout ceci rentrait dans trois heures, car ce qui était longuement décrit dans les romans d'origine pouvait être simplement montré) sortit dans les salles stéréoscopiques Kerfilm/VTP puis mercredi 9 partout. Un film nécessitant beaucoup d'accessoires, décors et beaucoup de post-production non pour des cascades ou de l'irréel, mais pour reconstituer la fin du XIXème siècle à l'image dans ses moindres détails y compris pipes et cigares, pour les personnages en utilisant dans le roman, d'où un avertissement bien lisible au début du film: "Aucun de nos acteurs ni techniciens n'a été exposé au tabagisme lors de ce tournage. La fumée est ajoutée par infographie", ceci sous une illustration: l'écran était partagé en deux, cigare non allumé à gauche, et plus court, cigare plus long (l'extrémité en combustion étant ajoutée virtuellement) allumé à droite, avec fumée (y compris ressortant de la bouche et des narines, ensuite), les deux scènes étant strictement identiques à ce détail près.
VTP estimait que signaler qu'il avait été nécessaire de tricher aurait plus d'impact anti-tabagique que de représenter un XIXème siècle artificiellement non fumeur. De plus cela permettait de faire faire à la fumée exactement ce que le scénario souhaitait. Dans les deux autres films "verniens", les personnages se retrouvaient assez vite hors du contexte de leur époque pour ne pas avoir le temps d'y montrer du tabagisme ni donner l'impression qu'il avait été ôté: c'était plus simple ainsi.
Le film (très "rêve d'ingénieur") était aussi beau que l'on pouvait l'espérer: il eût été difficile de réaliser en détail une machine volante aussi complexe que l'Albatros, même comme décor animé non volant, alors qu'en virtuel, en faisant travailler les ordinateurs suffisamment de temps pour donner un rendu naturel, c'était possible. L'Epouvante, mise en jeu dans la seconde partie ("maître du monde") posait un problème de dimensions, si on lisait attentivement le roman: pour pouvoir prendre part à une course automobile, elle ne pouvait avoir une "cellule" séparée à l'intérieur pour un prisonnier comme dans un navire ou un fourgon. L'entorse au scénario fut donc que plusieurs versions étaient construites puis redémontées pour fournir les pièces aux suivantes (ce dont on s'apercevait plus tard, dans l'ancien cratère volcanique), ce qui expliquait les changements de taille mais non de style ni de principe général.
VTP n'utilisait dans "Robur le conquérant" aucun des acteurs ayant eu un des rôles principaux dans ses films précédents, la difficulté de jeu y étant moindre, ce qui évitait aussi d'identifier untel à tel autre rôle, sauf pour des personnages annexes. Les déguisements (moustaches et barbes) ainsi que la moyenne d'âge plus élevée y contribuait aussi. Nombre de ces personnages étaient en fait virtuels: les groupe et foules étaient constituées ainsi, tout en n'ayant pas l'air aussi virtuels que les Emilianiens (réels) habituels. D'autres adaptations étaient envisagées, comme "les 21 ballons", où chaque maison de l'île avait son thème et sa propre logique de fonctionnement. VTP n'envisageait pas dans un futur proche de refaire "20 000 lieues sous les mers", non pour un problème technique (c'était plus facile que "Robur le conquérant" car se déroulant principalement hors cités) mais parce que le film américain risquait d'avoir suffi à une grande partie du public. Il était possible de faire mieux, en plus de le faire en stéréoscopie, mais le succès serait-il au rendez-vous? Même chose pour "le tour du monde en 80 jours": mieux vallait adapter des romans ne l'ayant pas été ou dans des versions que l'essentiel du public ne connaissait pas ou dont il ne se souvenait pas: "Robur le conquérant" et "les 21 ballons" en faisaient partie. "La mémoire des glaces" était un "à la manière de", de même que "l'île ingénieuse" étudié pour plus tard, qui mélangerait ce contexte avec celui d'Huxley et de grandes scènes d'action "à la Kerfilm".
Le film fut bien acceuilli, avec parmi les commentaires celui-ci: "Kerfilm semble découvrir qu'il est possible de réussir un grand film d'action et d'aventures sans Erwann d'Ambert". Erwann savait qu'il avait joué dans trop de films, et trop de films à succès, en plus: tous n'avaient pas fait les scores spectaculaires des "porte-avions" maison, mais aucun (de ceux sortis depuis au moins six mois) n'avait eu moins de quatre millions de spectateurs en France et vingt-cinq dans le monde. Il y avait déjà eu "Christine", "Mécanotron" et "Eurotoxique", parmi les films de Kerfilm sans lui, qui avaient eux aussi connu du succès, mais "Robur le conquérant" semblait parti pour faire bien plus d'entrées.
Tous les films de VTP ainsi que ses téléfilms les plus spectaculaires (dont "Niebelungen") repassaient continuellement dans ses propres salles (stéréoscopiques), le nombre de personnes souhaitant les voir ou revoir (après les avoir vus "à plat") en stéréoscopie dépassant largement la capacité d'acceuil de celles-ci, même sur un an. Les films les plus demandés repassaient plus souvent. Niebelungen durait huit heures, avec des entr'actes, soit 4h20 le matin et 4h20 l'après-midi, certains jours des vacances scolaires et certains dimanches. Des diffusions dans d'autres langues (bi-sous-titrées, avec changement de couleur façon karaoké sur la langue étrangère) étaient aussi organisées pour certains films.
Audry (et non Stéphane) fut envoyé en Suède avec Oskari, pour la création d'une centrale géothermique à l'est d'Uppsala, sur la côte balte. BFR était l'une des entreprises participant au projet de tunnel sous la Baltique, entre la Suède et la Finlande, de façon à faire garder beaucoup de temps par rapport au bateau (ou au long détour terrestre par la Laponie) et beaucoup de carburant par rapport à l'avion. Il ne s'agissait pas d'un tunnel foré au tunnelier, mais d'une tranchée recouverte, comme pour certaines lignes de métro: une énorme excavatrice sous-marine alimentée en électricitée 24h/24 par de gros câbles déroulés depuis la centrale géothermique pourrait réaliser cette tranchée d'ici novembre 2000, les travaux de pose de conduite (tronçons cylindriques de béton conçus pour permettre du trafic ferroviaire) et de remblayage protecteur se faisant au fil de l'avance de la tranchée.
Plutôt que d'indemniser des chômeurs (conséquences de la razzia russe dans les secteurs de hautes technologies grand public) la Finlande et la Suède avaient préféré les payer pour faire cette réalisation spectaculaire, qui serait le plus long tunnel sous-marin du monde, une fois achevé. L'ouvrage contiendrait deux tunnels superposés (et non juxtaposés) avec deux petites galeries de service de part et d'autre, dans les rentrants du "8" ainsi formé.
Les résultats de la centrale géothermique de BFRSF avaient beaucoup impressionné les Suédois, ceci malgré les pépins survenus ensuite, et par analyse du sous-sol un site à gradiant favorable avait été trouvé sur cette côte. En fait c'était légèrement en mer: à 5km de la côte, d'où la création de deux îles artificielles creuses au fond desquelles les forages avaient lieu. La Baltique étant peu profonde, ceci ne posait pas de problème technique: c'était comme de grosses piles de pont creuses. L'utilisation d'eau de mer comme fluide transporteur de boue de forage était plus agressive pour la mécanique que de l'eau de lac, mais celle de la Baltique était modérément salée et l'augmentation de l'usure des pièces était moins coûteuse que n'eût été la réalisation d'un aqueduc destiné à alimenter les chantiers en eau douce, de plus il n'y avait pas à se préoccuper de filtrer: l'eau de mer boueuse était rejetée par dessus bord (des îles), tout simplement, ce qui provoquerait une turbidité locale quelques temps avant la redéposition de ces sédiments au fond, une fois les travaux achevés. Dans un premier temps, ce chantier consommait beaucoup d'électricité (venue de la côte par câble sous-marin) avant d'en produire (en principe) incomparablement plus une fois la géothermie mise en service.
Ce furent surtout des Finlandais, bien plus que des Suédois, qu'ils découvrirent dans ces chantiers: la Suède subissait moins de chômage, les télécoms n'y occupant pas une part de l'économie aussi importante qu'en Finlande, lors de l'offensive Lioubioutchaï. Contrairement à la Norvège elle n'avait ni gaz ni pétrole à gaspiller dans des centrales électriques et souhaitait sortir du nucléaire, or l'hydraulique (bien que représentant une part nettement plus importante qu'en France) ne suffisait pas, d'où l'intérêt pour l'expérience géothermique finlandaise, bien plus rapidement rentable et constante dans sa production qu'une immense forêt d'éoliennes.
Deux catégories étaient l'une hostile, l'autre méfiante envers le projet: les transports maritimes (ferrys, surtout), à cause du tunnel (moins d'une heure d'Uppsala à Turku, avec un train de type TGV, plusieurs constructeurs étant mis en concurrence), et certains pêcheurs suédois, qui craignaient les effets du réchauffement de l'eau par les échangeurs de la centrale géothermique sous-marine: les nouvelles espèces qui pourraient éventuellement aimer cela compenseraient-elles la désaffection des anciennes pour cette zone?
Le groupe écologiste secret "Grünwehr" (qui n'était pas la traduction allemande de "Greenpeace": on retrouvait "Wehr" dans "Bundeswehr" ou jadis "Wehrmacht") revendiquait la destruction de onze navire-usines (deux norvégiens, neuf japonais) dans les eaux australes et antarctiques: navires d'escorte coulés, navire-usines arraisonnés (la plupart. Les deux navires-usines norvégiens avaient été coulés sur place), l'équipage massacré, tout l'appareillage de valeur volé ou détruit sur place, sauf ce qui permettait encore la navigation automatique, et ces navires utilisés comme "brûlots" pour revenir exploser dans les ports japonais d'origine et les obstruer, au lieu d'y débarquer le produit de leur pêche. Les assureurs (avertis par Grünwehr que cela continuerait) avaient renoncé à couvrir cette activité, qui s'était de ce simple fait arrêté: perdre un navire-usine (et plusieurs baleiniers) sans aucune compensation financière était un risque que les armateurs de cette pêche ne pouvaient plus s'offrir.
L'attaque s'était faite parfois par sous-marin, d'autres par hélicoptère, probabement lancé du sous-marin (transporté en partie démonté) car trop loin d'un point d'envol possible par rapport à leur autonomie vraissemblable. Les gaz utilisés pour tuer l'équipage étaient proches de ceux de la 1ère guerre mondiale: "moutarde" et "ypérite". Ils pouvaient avoir été récupérés dans d'anciens obus (on continuait à en retrouver ça et là en europe) ou refabriqués, la recette n'étant pas difficile pour un petit laboratoire en l'an 2000.
Le mât radar + radio était détruit le premier, mais faute de frappe simultanée sur tous les navires d'une telle flotille des messages avaient parfois pu être transmis. D'autres l'avaient été via le Lioubioutchaï (ça marchait partout) de tel ou tel membre d'équipage.
L'opération ayant lieu loin de toute base habitée, aucune force aérienne (moins encore navale) ne pouvait se rendre sur place avant la fin de l'attaque. D'après quelques photos prises au moyen d'appareils Lioubioutchaï 2 et transmises ainsi, il s'agissait d'un ancien sous-marin soviétique des années 60 ou 70, non nucléaire (trop petit pour ça), sans pouvoir préciser le type exact car des modifications semblaient lui avoir été apportées, au niveau du kioske et du pont.
Stéphane et Mika furent envoyés les trois dernières semaines de février dans l'usine de Rennes pour participer à un nouveau projet. Mika avait été sélectionné parce qu'il parlait bien français, en plus de divers autres tests (de personnalité, en particulier) effectués chez VTPSF: Stéphane espérait qu'ils n'étaient pas allés jusqu'à faire des tests d'ADN leur permettant de découvrir un géniteur commun, voire la chorée de Huntington, quoique pour trouver celle-ci il fallait analyser spécifiquement ce site du chromosome 4 donc l'y soupçonner déjà.
Ce fut Audry qui s'occupa de Gorak cette fois, car c'était Shéhérazade qui rejoignait Timo. Le ménage avait été fait à fond par BFR chez Stéphane (qui l'avait déjà fait, mais pas avec des moyens industriels) dont le mobilier avait été mis dans un container. Audry retrouva donc les mêmes meubles et accessoires que la dernière fois, à part le lit de sieste de Stéphane, conservé tel que (y compris le dessus de lit et les coussins) pour que Gorak ne perdît pas tous ses repères. Il avait déjà rencontré ce chat chez Timo, lors de ses missions de remplacement précédentes. Cette fois, il allait vivre avec. Audry appréciait les chats, mais se méfiait quelque peu de celui-là. Gorak passa le dimanche après-midi à dormir sur "son" lit, tout en surveillant le remplaçant. Ce ne fut que le mardi qu'il s'approcha et se laissa caresser. Audry se sentait moins seul ici avec un chat, même si Gorak n'en était pas encore au stade "maléable comme pâte à pain". Il acceptait ces missions parce qu'elles étaient bien payées, mais eût préféré remplacer Stéphane en juin et juillet (comme l'an dernier) qu'en février. Toutefois, en juin prochain, il ne referait pas de ski nautique.
Stéphane retrouvait l'ambiance du laboratoire (un des laboratoires) et quelques chercheurs dont il se souvenait. Il s'agissait de fibres artificielles, pouvant être utilisées pour simuler toutes sortes de chairs, selon le diamètre, la longueur, la consistance, ce que BFR mettait dedans et autour. C'était dérivé de cultures d'algues particulièrement économiques car pouvant se faire dans des doubles-vitrages le long de murs exposés au soleil, ou constituer un versant de toit. Des machines en extrayaient alors un équivalent végétal du collagène et extrudaient les fibres artificielles, tandis que le reste de la préparation d'algues entrait dans la composition d'autres produits ainsi que du remplissage de certaines fibres. Ni Stéphane ni Mika n'en apprendraient assez pour pouvoir indiquer à un concurrent comment en faire autant, la nature des algues et de certains post-traitements ne leur étant pas divulguée. Leur mission consisterait à installer le matériel dans diverses usines du groupe et à procéder aux campagnes de tests et de règlage pour obtenir tel ou tel produit alimentaire inédit ou imitant une "chair" existante: poissons, viandes, volailles, non dans la forme crue mais une de celles prêtes à consommer.
Mika n'était jamais sorti de Finlande, n'avait jamais pris l'avion, ni eu à utiliser au quotidien les diverses langues qu'il avait apprises. Seul, il n'eût pas accepté, mais en compagnie de son demi-frère, ça lui semblait une aventure raisonnable. Il participa aux tests de dégustation des premiers échantillons (cherchant à imiter le saumon fumé: en goût et arôme, VTP savait le faire depuis longtemps, le défi étant de réussir la texture) et apprit vite les mêmes choses que Stéphane dont il découvrit aussi le village (encore plus petit que celui de Juustomeijeri), la famille, la chatte rousse Magali, puis VTP22, la base nautique et les plages, l'usine marémotrice de la Rance et le Mont St Michel. Il ne neigeait pas, ici, l'hiver (ou fort rarement) mais il y pleuvait souvent.
Ce fut le vendredi 18 février 2000 que le Lioubioutchaï 3 fut lancé en Occident, après avoir été utilisé pendant plusieurs années par l'armée russe: on pouvait supposer qu'elle disposait maintenant de mieux. Il s'agissait de deux paraboles motorisées de 70cm de diamètre assurant le suivi d'un satellite de la constellation défilante pendant que l'autre se positionnait pour suivre le prochain localement disponible. La capacité de transmission de données étaient multipliée par 600 (en pointe: il restait le système de la "gratuité rationnée") par rapport au Lioubioutchaï 2 qui ne disposait pas de ces paraboles. Il devenait ainsi possible de transmettre de la vidéo en temps réel, mais pas longtemps, sous peine de voire fondre son niveau de priorité d'accès donc le débit disponible, qui ne se reconstituerait qu'à mesure que d'autres auraient été plus gourmands en bande passante entretemps. La lecture ou la copie de "pages" en haute définition, photos incluses, était possible dans perte de niveau de priorité. Ce dispositif encombrant mais efficace était destiné à une utilisation fixe, ou transportable (bateau, camping-car), mais pas portative, contrairement au Lioubioutchaï 2.
Ceci permettait du télépilotage à distance de machines, à condition de ne pas exiger un retour vidéo haute définition, où à n'y recourir que brièvement. BFR avait aussitôt équipé ses usines chacune de plusieurs de ces dispositifs, car de fait, en plus de l'appareil lui-même (fait de puces scellées et piégées) on achetait en même temps de la bande passante dans le réseau satellitaire. Le réseau câblé français à fibre optique, développé au fil des travaux de canalisations ou d'enfouissement de réseau électrique (depuis qu'il était interdit de refermer une tranchée avant d'avoir proposé à tous les autres intervenants techniquement possibles de l'utiliser) fournissait un débit plus important avec lui aussi le principe de la gratuité rationnée, mais il n'allait pas (avec ce débit) au delà des frontières: BFR avait donc besoin du Lioubioutchaï 3 pour télémesurer et télépiloter des processus dans ses usines du reste du monde.
Le Lioubioutchaï 2 avait abattu en plein essort le marché de la téléphonie mobile payante ainsi que celui, ancien, de la téléphonie fixe payante, du même coup. Le Lioubioutchaï 3 allait visiblement faire de même pour celui de l'ADSL, avec l'avantage de fonctionner partout où l'on avait une visée céleste dégagée, au lieu d'être restreint à certains quartiers de certaines villes, recâblés adéquatement. De plus les formats utilisés étaient ceux des fonctions systèmes en ROM des ordinateurs AK. Il existait des "pilotes" pour d'autres systèmes et types de processeurs, mais cela diminuait les performances.
Le Lioubioutchaï 3 donnait aussi accès (à plein débit tout le temps, car ce n'était pas une connexion personnelle mais un arrosage général) à plusieurs chaînes de télévision: quelques émissions scientifiques et géographiques, mais surtout sportives, avec la retransmission gratuite de ce qui était parfois payant ailleurs, au grand dam des réseaux classiques ayant payé pour avoir l'exclusivité de tel ou tel évènement, notion qui n'existait pas dans le droit russe. De plus, s'agissant d'une réception purement passive (le Lioubioutchaï 3 n'avait rien à émettre, pour cela: juste choisir un des canaux disponibles, sur telles ou telles trajectoires de satellites, comme pour une parabole classique, à la complexité du système de suivi et zapping près, complexité entièrement prise en charge par les puces blindées de l'appareil) il était impossible de savoir si quelqu'un était en train de recevoir ces émissions dans un territoire où il y avait eu une exclusivité achetée, en particulier par une chaîne payante.
VTP s'en inquiéta, tout en sachant ne rien pouvoir y faire: "et s'ils se mettaient à diffuser gratuitement nos films, quelques jours après la sortie cinéma, via la complicité d'un projectionniste quelque part dans le monde?". Ce problème vallait pour la totalité du cinéma, mais surtout pour les grands succès. Pour le moment, le réseau russe semblait estimer le sport plus rentable, car plus universel (même si les Américains ne participaient ni à la F1, ni au football (il y avait quelques équipes, mais pas de niveau international), ni au championnat du monde des rallyes, ni de rugby...) et nécessitant le direct, contrairement aux films qui pouvaient circuler sous forme de supports enregistrés.
L'autre évènement attendu était pour cet été: la mission franco-russe vers Mars (lancée depuis Kourou) dont la nature était gardée secrète par les deux pays, ce qui laissait supposer que les ingénieurs n'étaient pas sûrs de leur coup. La seule chose constatée était que la fusée (de conception ex-soviétique) lancée début 1999 était bien plus grosse que tout ce qui avait été envoyé vers Mars à ce jour. On parlait d'un réseau satellitaire permanent autour de Mars, permettant l'exploration détaillée de cette planète comme le Lioubioutchaï (dont certains satellites avaient des optiques pouvant aussi bien être orientées vers le sol que vers l'espace) le faisait autour de la Terre.
##### l'aventure finnoise [] Sartilvar, Tarsilvar et péplums.
Ce fut le dimanche 5 mars 2000, une fois Mika et Stéphane rentrés en Finlande, que Tarsilvar (nom préféré à "Sartilvar 2") sortit en stéréoscopie et le mercredi 8 ailleurs, en 26 langues. Les quatre mois supplémentaires de post-production (bien que l'informatique de VTP n'eût pas que ça à faire) avait permis de surrenchérir par rapport au 1, visuellement, comme "Les reflets du temps" par rapport aux "miroirs du temps". L'architecture tarsino-médiévale découverte au détour d'une plaine, d'une forêt ou d'une chaîne de montagnes ceinturée de nuages justifiait le titre de cette seconde partie: il y en avait encore plus que dans la première.
Parmi les commentaires: "il restait encore un film de la cuvée 1999 de HF tarsinienne, il s'appelle Tarsilvar et vous replongera dans l'univers sartilvarien: on adore ou on ignore".
Ce fut ensuite "Objectif Dunes" qui sortit, le 19 mars, tant pour les nostalgiques de l'époque héroïque des premiers "Dakar" que pour les amateurs de prises de vues à couper le souffle, caméras sous châssis lors des sauts, beaux effets de gerbes de sable lors des slaloms à 200 km/h sur les dunes, effet d'ombres longues et dorées du soir sur la caillasse jonchant d'autres pistes. Voitures d'époque fidèlement reproduites (certaines virtuelles, d'autres réelles), à part la publicité cigarettière, remplacée par d'autres, mais ce ne serait pas ce que l'on remarquerait si on n'y pensait pas d'avance. VTP avait misé sur l'impact visuel (comme toujours) sachant que le scénario ne pouvait pas entretenir la même tension chez le spectateur que pour une course réelle.
Un projet de même type était à l'étude: "Groupe B", situé l'époque des Audi Quattro Sport et 205 T16, à l'apogée de la course à la puissance dans le championnat du monde des rallyes avant que la règlementation n'y mît fin.
Parallèlement à l'installation de la première unité de production de saumon fumé artificiel chez BFRSF, Erwann devait s'entraîner pour "Les N voyages de Robert Trebor", "Dédalux" et un tueur de l'Est dans "0016 embryons suédois".
VTP était en train de tourner "l'Odyssée", sujet se prêtant bien aux effets spéciaux et à la stéréoscopie, où Ulysse serait joué par Vittorio, VTP estimant qu'il avait fait ses preuves dans les rôles d'action qui lui avaient été confiés entretemps (moins compliqués que ceux d'Erwann, mais suffisants pour le rôle) et que la présence d'Emiliano dans le film attirerait son public, en plus de celui des grandes productions VTP. Vittorio bien que censé être grec gardait ses cheveux noirs (puis gris, vers la fin) bien raides, taillés cette fois dans une variante en zig-zag du style romain formant comme des griffes sur son front, au dessus de ses yeux bleu-des-mers-du-sud, ce qui, accompagné (infographiquement, pour cause d'autres tournages simultanés) d'un fin collier de barbe taillé de façon à souligner les angles de la mâchoire et du menton, créait un personnage inédit et estimé attractif par VTP: son premier grand rôle au cinéma. Il y aurait tout: les sirènes, les marins changés en cochons par Circée, le Cyclope... Le cyclope n'avait pas son oeil au milieu du front mais à la place de la racine du nez, comme si on avait fusionné l'un vers l'autre ses deux yeux, ce qui laissait un petit groin retroussé dessous, à narine unique. Il avait aussi une canine centrale entre les incisives et son torse avait un seul téton, central lui aussi. Les membres et les oreilles restaient disponibles par paires. Beaucoup de personnages étaient virtuels (ceux qui ne seraient jamais vus de près), d'autres étaient repris de l'équipe de "Robur le conquérant". Jouer dans "L'Odyssée" était une bonne répétition pour jouer ultérieurement dans "César et les Vénètes", qui serait tourné un an avant "le crépuscule de Rome". Les navires avaient été construits par le chantier des côtes d'Armor et le tournage avait lieu en grande partie chez VTP22.
Vittorio jouait aussi Hector dans "L'Iliade", tourné en même temps que l'Odyssée, avec les mêmes acteurs et beaucoup d'accessoires en commun, tandis que Tarsini avait donné libre cours à son imagination pour construire la ville fortifiée (virtuelle) programmée pour être détruite de la façon la plus cinégénique possible. Le rôle d'Achille était confié à Sébastien Rosmorduc (c'était son vrai nom) un garçon châtain chocolat bâti comme Kare, que VTP utilisait aussi, cet été, dans le téléfilm "les douze travaux d'Hercule".
Dans son troisième tournage simultané il jouait un cambrioleur particulièrement astucieux, dans le genre "mission impossible".
Beaucoup d'acteurs de VTP avaient du mal à entrelacer les tournages de plus de deux rôles (en "zappant" plusieurs fois par jour, selon qu'une scène était prête à tourner dans l'un puis dans l'autre) sans s'y embrouiller. Aux essais, VTP avait constaté qu'Erwann pouvait aller jusqu'à six (mais ne lui en demandait pas plus de quatre, faute de temps pour se réentraîner aux prochaines des uns pendant les temps libres entre les autres), Vittorio trois, les autres parfois trois mais le plus souvent deux, voire un seul "consistant", l'autre devant faire partie d'une série dont il était déjà un habitué. Ceux qui avaient moins de scènes à tourner au quotidien participaient plus à la partie technique. Lucien Venant avait découvert cette "taylorisation" des tournages, chez VTP, et après en avoir surpris avait été convaincu par les résultats: les acteurs maison s'en sortaient bien. Pouvoir tourner aussi vite, et avec aussi peu de prises à refaire, un film aussi difficile (estimait-il antérieurement) que "Viande urbaine" l'avait persuadé de ne plus tenter de tels projets sans VTP: besoin de tabasser férocement un personnage? On construisait un robot à son image, que l'autre acteur pouvait tabasser sans retenue, le robot ayant les gestes d'évitement ou de protection souhaités, robot réaliste sur lequel on reportait les mêmes dégâts que ceux simulés sur l'acteur réel. De cette façon, une telle scène était facile donc rapide à tourner en obtenant un grand réalisme dans la frappe. La "direction d'acteur" était indirecte, chez VTP: le réalisateur intervenait au moment de la modélisation du jeu, soit par un "préacteur", soit directement via les logiciels d'animation, suite à quoi chacun devait imiter son modèle virtuel, aussi fidèlement que possible, à l'entraînement (qui pouvait se faire en solo, hors site) puis au tournage. Il y avait la conception, la préfabrication des rôles, puis leur "assemblage" qui avait lieu au moment du tournage, comme des pièces provenant d'ateliers différents et qui devaient s'emboîter sans jeu ni effort les unes entre les autres. Chacun connaissait bien sûr, lors de son entraînement, les comportements (dans la scène) et textes de tous ceux avec lesquels il aurait à interagir, mais pas au delà. VTP admettait avoir tourné "trop peu de films sans Erwann d'Ambert" en 1999, mais expliquait cela par le fait que cet acteur était d'une précision et d'une fiabilité exemplaires ce qui faisait gagner du temps, surtout pour les scènes d'action dans le style de film qui plaisait à Tarsini et pour lequel celui-ci était plus enclin à mettre ses moyens infographiques à la disposition des studios, sous forme de co-production technique. Zhao était habile dans ce système, lui aussi, d'où sa présence dans beaucoup de films et sa sortie du groupe Bifidus. Les progrès effectués par Vittorio et d'autres allaient pemettre d'avoir plus de grands films sans Erwann d'Ambert en 2000 qu'en 1999, avait appris Venant. Sa notoriété hors des studios était toutefois moindre que celle de Zhao, Alceste, Niels, Emiliano et autres personnages bien plus présents à la télévision (séries et émissions de variétés) ainsi que dans les magazines, ceci depuis plus longtemps. Avec la série "Tépakap" et des rôles annexes dans de nombreux téléfilms, depuis qu'il était chez VTP, Atte était lui aussi plus connu du grand public, alors qu'il était inconnu début 1998, contrairement à Erwann ("Au vent du large", "Cap sur Mars"). Erwann avait beaucoup de fans parmi les gens qui étaient allés voir les films "tarsiniens" au cinéma. Sa notoriété augmenterait donc nettement quand ces films passeraient à la télévision, savait VTP, ce qui pourrait pousser une partie de ce public à aller voir les autres films, en particulier "Drakkars et dragons" qui sortirait fin 2000 ou début 2001.
Ce fut en Finlande que Stéphane put voir "Objectif muscle", téléfilm sur le dopage avec Georg Krüger qui jouerait aussi dans "0016: filière bulgare".
Il vit aussi "L'appel du vide", un film signé "Aérographe" (l'un des "labels" de VTP) sur le parachutisme et le saut à l'élastique, donc très visuel, dans lequel les personnages principaux joués par Emiliano (dans un rôle d'action au grand air? C'était nouveau, ça) et Knut (emprunté à Bifidus) vivaient une romance tendrement platonique, à l'opposé du monde "gay" contemporain tel que décrit dans les médias et films. Ils ne se mettaient pas nus ensemble et les gestes étaient sobres: parfois une main dans les cheveux, comme sur un chat, parfois juste assis épaule contre épaule, le tout sans paroles. Ils n'allaient pas plus loin (voire moins) que nombre de filles hétérosexuelles entre elles, sauf qu'entre garçons ce n'était pas l'usage. Knut parlait français avec l'accent suédois, dans ce film: Erik (son personnage) n'était pas censé être français, sans que sa nationalité fût précisée. Bien sûr l'un des deux (Erik) finissait par s'écraser au sol (rupture d'élastique) suite à quoi l'autre restait seul, avec comme seul souvenir une petite séquence prise au camescope, en vol, où l'on voyait rarement bien le Suédois, avec ses lunettes de protection, souvent hors cadre ou flou. De très belles images aériennes et de sauts, deux personnages parmi les plus agréables à regarder (de l'avis du public) du stock de VTP, et rien de concret entre eux. Emiliano avait dit à VTP: "il n'est pas nécessaire d'être homo pour trouver Knut agréable à voir et peut-être même à toucher, alors si ce n'est que ça, j'accepte le rôle. Il me suffira d'imaginer que c'est un chat pour être crédible à l'image". Knut eût même accepté un peu plus, tant que ça resterait "soft". Pas de symbolique "gay" dans les personnages, leur tenue (qui suggérait au contraire le confort) et juste une tendresse incongrue (mais qui eût semblé normale avec un animal) dans leurs gestes, qui n'avaient rien de cette possessivité brutale que le cinéma associait généralement à ce penchant. Le code habituel pour suggérer, chez VTP, que des personnages allaient plus loin était d'ouvrir l'emballage d'un préservatif. Ici ça n'avait pas lieu d'être. L'abondance de séquences aériennes et de grandes vues de paysages avait suggéré à VTP d'en faire un film, tout en sachant que ça ne ferait pas des millions d'entrées car ça ne correspondait pas à son public de cinéma: il n'y avait ni violence ni même vrai suspens, à part lequel s'écraserait le premier. Peu importait: ça n'avait pas coûté cher à tourner, car les scènes de chute libre étaient filmées (pour les personnages) sur un puits soufflant faisant partie des nouvelles installations de VTP22 (et qui était accessible à un public payant hors des heures de tournage) et incrustées devant celles des paysages. Certaines scènes sous parachutes avaient été filmés en vrai, les deux acteurs ayant accepté les rôles surtout parce que ça leur donnerait l'occasion de faire de nombreux sauts, après avoir appris à orienter et contrôler la chute sur le puits soufflant. Le nouveau clip des Småprat avait été tourné ainsi, la taille de la grille du puits soufflant permettant de réaliser des rosaces jusqu'à dix personnes, donc pas de problème pour les cinq Suédoises. Même si les salles classiques ne se jetaient pas sur ce film, ça meublerait les cycles de rediffusion des salles stéréoscopiques de VTP.
Stéphane l'avait vu en stéréoscopie grand écran, et les prises de vues étaient saisissantes: il n'arrivait pas à retrouver (bien que connaissant le procédé) ce qui avait été filmé réellement en vol ou sur puits soufflant avant incrustation sur le paysage réel. Au moment des gestes tendres il supposa que quelqu'un qui n'irait pas plus loin avec lui ne le gênerait pas, à condition qu'il n'eût pas l'impression que cet autre se retînt d'aller plus loin: il ne devait même pas le souhaiter. Dans ce cas Stéphane aurait eu l'impression d'être un chat, comme avec Pia ou Hillevi. Pia ne souhaitait probablement rien de plus. Hillevi, pas sûr: elle pouvait avoir estimé qu'il fallait rester raisonnable. "L'appel du vide": effectivement, côté scénario, c'était proche du vide, puisque sans les prises de vues aériennes ce n'eût été qu'un petit bout de sitcom gentillet de chez VTP (ceux tournés à La Défense): en remplaçant ensuite l'un des deux par une jeune actrice aussi attrayante du catalogue VTP, la banalité eût été totale, d'autant plus que dans ces scènes-là il n'y avait pas de dialogue: "les grandes passions sont muettes", pouvait-on supposer. Ils ne parlaient que pour choisir les lieux où sauter, l'altitude, estimer la météo, choisir un pont pour l'élastique, etc. Aérographe sortait les films prétextes à de belles prises de vue (il y en avait eu sur la descente des torrents, le ski hors piste...) mais contenant moins de scénario que les productions tarsiniennes. Certains servaient à rôder de nouvelles techniques (ici le puits soufflant, récemment construit) qui serviraient ensuite dans de "vrais" films. "Alice au pays des tigres" faisait partie de cette gamme: ce film-là mettait en oeuvre les fauves mécaniques rôdés par "Lobosibirsk", autour de l'histoire d'une jeune fille rompant avec son milieu familial pour se faire peu à peu accepter par ces gros chats aux gestes fidèlement imités.
Depuis l'arrêt du système de subventions (compensé, en principe, par la disparition des charges sociales, et l'application égale de la TVA sociale aux films étrangers aussi bien que français, ce qui n'avait jamais été le cas avant 1997) il se tournait tellement peu de films (de cinéma) en France qu'il fallait bien remplir avec quelque chose: VTP n'ayant ni le temps ni les moyens techniques ni assez d'acteurs qualifiés pour fournir du "gros" chaque semaine, il restait possible de proposer du beau. Objectif Dunes était proche de ce principe, même si son scénario comportait bien plus de rebondissements: le public allait voir ce film surtout pour les voitures et les paysages filmés "à la VTP". Qui gagnerait était secondaire, pour une partie du public.
Stéphane s'entraînait aussi pour Troglodia (après l'été), film exploitant le principe de la gravité négative pour engendrer une planète creuse faite d'une coque rocheuse à gravité positive autour d'un noyau répulsif. Certains habitants vivaient sur la face externe, fertile mais soumise à des rayonnements mortels, d'où la nécessité de fuir systématiquement le soleil, d'autres certaines parties de la face interne, obscure et accessible via de longues expéditions spéléologiques. La gravité diminuait puis s'annulait à mi-coque avant de s'inserver.
Audry partait en Irlande pour mars et début avril, ainsi que Niko. De ce Stéphane participait plus souvent aux modifications informatiques avec Kjell, ce qui améliorait sa formation dans ce domaine. Il fut aussi souvent à la centrale géothermique pour apprendre le plus possible de ce qu'Oskari avait acquis "sur le tas" (en particulier lors des problèmes d'engorgement du puits) en plus de tout ce que Stéphane avait déjà virtualisé et détaillé dans ses rapports pour BFR sur cette installation. Il serait le remplaçant d'Oskari quand celui-ci partirait en Allemagne avec Audry. Stéphane comprit qu'on ne l'y envoyât pas, lui: BFR n'avait qu'un superviseur "suffisamment finnophone" sous la main, alors que pour des langues plus classiques (anglais, allemand) ils avaient le choix, donc ce ne serait pas lui que l'on enverrait là-bas. Toutefois, dans les deux cas, il leur serait disponible comme télé-assistance depuis BFRSF, BFR ayant constaté qu'il était efficace dans cette fonction. Mika avait lui aussi été récupéré par BFRSF, ne travaillant plus qu'occasionnellement à l'électrotechnique pour VTPSF. Son stage avec Stéphane aux laboratoires d'industrialisation des recherches à la "direction mondiale", à Rennes, le rendait apte à relayer celui-ci pour les nouvelles fabrications.
Initialement, BFRIRL était une usine de conserves et de purée à cuisson géothermique. Au fil des décénies, elle s'était diversifiée pour approvisionner le marché anglais en spécialités plus proches des goûts de ce pays que ce que produisaient les usines continentales: toutes sortes de biscuits plus gras et plus sucrés (quoique souvent au faux sucre issu d'un des brevets chimiques BFR, ce qui était un argument commercial). Là aussi, il y avait beaucoup de modernisations à faire. Audry allait y faire un remplacement. BFR avaient besoin de quelqu'un ayant une expérience de l'expatriation sur place. L'Irlande aurait semblé moins "bizarre" à un Français que la Finlande, mais revenant de Finlande Audry allait devoir s'habituer à une toute autre ambiance, beaucoup moins "fermée". Points communs: un bled isolé et une population locale ayant tendance à abuser de l'alcool. Point de forêts, à cet endroit, mais des champs de patates. Le monorail (ou télécabine) Kermanac'h existait depuis 1992, sur place, ce qui rendait tout véhicule de fonction inutile: Audry n'aurait pas à faire de prospection ni de contact clientelle hors de l'usine et son logement de fonction était dans un petit immeuble de briques apparentes relié à l'usine par un pont vitré de façon à ne pas l'y accoler et avoir ainsi des fenêtres sur toutes les façades.
Il y avait beaucoup à faire chez BFRIRL, en particulier la modernisation du système informatique sur le modèle de ce qui avait été fait en Finlande, d'où l'importation trois jours plus tard de Niko, le second de Kjell, anonymement finlandais (contrairement à Kjell) pour s'occuper de cela en même temps qu'Audry. L'usine irlandaise était la seule implantation anglophone de BFR en Europe (il y en avait une autre en Australie). De plus ils pouvaient de temps en temps parler finnois entre eux: BFR les y avait autorisés, même s'il vallait mieux l'éviter devant les autres pour ne pas avoir l'air d'utiliser une langue incompréhensible pour eux pour leur cacher quelque chose. Ils le firent pour certains termes et expressions qu'ils étaient habitués à utiliser pour le système "trilame" conçu par Arvi.
BFRIRL disposait dès les années 30 d'un forage géothermique fournissant de la vapeur (qui, contenue sous pression, dépassait 130°C) grâce à un gradian thermique localement favorable (BFR avait fait plusieurs essais dans plusieurs régions avant d'acheter le terrain pour une bouchée de pain, en ces temps où c'était un pays pauvre) et produisait aussi de l'électricité pour son propre usage ainsi que les localités voisines (depuis la libéralisation), mais cette centrale de 318 MW n'avait rien de comparable avec l'installation finlandaise qui bénéficiait d'un puits très profond et de grand diamètre. Les méthodes de forages de BFR, déjà innovantes pour les années 30, ne permettaient pas à cette époque de telles prouesses.
Audry retrouva chez BFRIRL une informatique "de bric et de broc" (hétéroclite tant pour le matériel que pour le système, lui aussi dérivé d'un Linux, et les logiciels), un câblage électrique compliqué et pas totalement fiable (vieux borniers vert-de-grisés), des intrusions de rongeurs dans des armoires fermant mal, des électrovannes grippées (lors d'une panne précédente y ayant laissé sècher, faute de purge, des dépôts internes) et un personnel moins sérieux que celui de BFRSF, tout en étant plus vivable que celui de Rennes.
Niko et lui furent qualifiés de "Finlandais", bien qu'Audry ne le fut pas, au sens qu'ils venaient de l'usine finlandaise appliquer ici des méthodes qui avaient réussi là-bas.
L'Irlande de l'an 2000, pays prospère, n'avait pas autant "bu la tasse" de la chute du marché des hautes technologies que la Finlande: il y avait nombre d'industries classiques de toutes sortes, en Irlande, qui fonctionnaient toujours bien car non concurrencées par l'essort technologique russe. Les Trielec Kermanac'h y étaient fabriquées sur place sous license, seule l'électrotechnique venant de Dinard. Le bémol pour l'économie irlandaise était la perte de compétitivité fiscale depuis les réformes françaises: quelques entreprises s'étaient relocalisées en France (celles qui n'étaient pas à capitaux irlandais et n'avaient pas d'équipements lourds à emporter) où il devenait encore plus rentable de produire certaines choses: les salaires y étaient moindres (et désormais nus de charges sociales, y compris salariales: seul restait un "malus" pour accidents du travail pour les entreprises qui créaient de tels frais à la collectivité), le coût du logement aussi (il y avait eu une flambée spéculative en Irlande) et la fiscalité directe très légère. La TVA "massive" ne s'appliquant pas aux exportations, tout ce qui était produit pour être vendu ailleurs était compétitif. Très automatisée (et qui devait le devenir plus encore suite à la mission de Niko et Audry) BFRIRL devait rester compétitive, plutôt que de reporter certaines de ses productions dans les usines françaises.
Ce fut Atte qui récupéra le logement de fonction d'Audry, via VTPSF. Le rôle qu'il avait dans "rat des villes, rat des champ" n'avait rien de puissant ni de glorieux: il était censé être encore plus déboussolé que les autres à se retrouver garçon d'étable dans la Finlande laitière profonde, puis s'ennuyait tellement qu'il finissait par tomber amoureux de Circé, une des vaches dont il s'occupait.
Antti Ruusuvaara s'inquiéta quelque peu de savoir que son fils habitait de nouveau seul: allait-il reboire?
Timo et Nelli lui rendirent visite:
N- c'est comment, l'Irlande?
Ce n'était pas une question pour Atte, qui n'y était jamais allé non plus.
T- vert, il paraît, et il pleut tout le temps. L'usine est au milieu des champs de patates.
A- il y a du gin et du whisky, en Irlande.
T- ils disent whiskey, là-bas. Le whisky, c'est en Ecosse, je crois.
N- je crois qu'Audry ne boit que rarement et jamais beaucoup, contrairement à vous deux.
T- je pensais à Niko: il aime bien boire, lors des sorties du week-end. En Irlande c'est sûrement moins cher donc il va augmenter la dose. Au fait, connais-tu ceci?
Il montra à Atte ce qui ressemblait à une saupoudreuse d'épices (poivre, par exemple).
A- non.
T- c'est du pastis sans alcool, en poudre, et sans sucre non plus. En fait c'est l'addititif du gâteau anisé, mais on peut aussi le mettre dans de l'eau pour faire une boisson.
N- dans de l'eau, dit-il...
T- dans la vodka c'est très bon aussi, mais c'est beaucoup plus cher. Ce produit ne contient pas d'alcool donc il n'est pas surtaxé: cette boite permet de préparer douze litres, à la dose indiquée, et elle ne coûte que quatre marks. Il y a une variante en pastilles qui fabrique une boisson gazeuse, mais elle n'est pas vendue ici parce qu'il y a déjà eu des produits de ce genre d'autres fabricants qui ont causé des problèmes quand des enfants on avalé la pastille sans la dissoudre dans l'eau. C'était à l'orange, je crois.
Atte s'en prépara un verre: intéressant, quoique c'eût été meilleur selon lui avec des bulles, à défaut d'alcool.
En plus d'être directement rentable comme production de jeux télévisées, séries et téléfilms sur place et pour l'exportation (vers la Russie et la Scandinavie, entre autres, mais aussi bien plus loin), VTPSF servait à repérer des personnages finlandais en vue d'en fournir à VTP: ceux qui ne seraient pas trop inexpressifs et qui pourraient accepter de vivre un certain temps en France. Ce furent deux Finlandaises "comme VTP en rêvait" (des Suédoises mais en plus froides) qui furent essayées les premières: Ida Hakala et Jessi Järvinen. Atte se sentirait donc moins seul à La Défense s'il y retournait.
En fait VTP n'avait pas prévu de l'y reprendre dans l'immédiat: trop de sensibilité à l'alcool. Chez VTPSF boire lui reviendrait bien plus cher et demanderait de la préméditation (pas en vente tout le temps ni partout). Ce fut un autre Finlandais qui fut essayé en France: Tero Tyynelä, une variante d'Ari (en un peu moins "maître nageur", mais juste un peu moins), 24 ans, 1m95. Il n'avait jamais étudié le français mais son niveau était suffisant en allemand et ce serait en finnois (sous-titré) qu'il serait utilisé dans un premier temps, avec un rôdage inévitable via "Devine qui vient dîner ce soir".
Oskari eut un petit rôle dans "rat des villes, rat des champs". Il faisait un "rat des champs" qui tentait l'aventure inverse (pensant qu'il y avait des opportunités en ville, vu tous ceux qui en étaient partis) et y était écrasé par un autobus.
En Irlande, Aymrald et Niko furent tellement pris par l'ampleur des tâches à faire et faire faire par l'équipe qui leur avait été attribué qu'ils n'eurent guère l'occasion de découvrir le pays (week-end: repos intensif) et ses habitants. Niko découvrit toutefois un pub à proximité de l'usine et qu'effectivement le wiskey y était bien moins cher qu'en Finlande, sans être bon marché pour autant.
Au fil des semaines Niko avait sombré dans l'alcool, arrivant au travail de plus en plus incertain le matin, ce qui était dangereux pour un "superviseur informatique" (sa mission), au point qu'Audry devait tout vérifier, en télécollaboration avec Stéphane et en collaboration avec Rowan, un informaticien de l'usine, ce qui faisait perdre du temps. Il devint nécessaire, le 21 avril 2000, d'en avertir la direction locale (BFRIRL) et BFR à Rennes. Ceci fût une grosse déception à Rennes: la "direction mondiale" prévoyait de laisser Niko finir la modernisation informatique en Irlande en mai. Ca n'allait pas être possible, et Audry n'était pas assez pointu en informatique "système" (bien qu'ayant un QI supérieur à celui de Stéphane il n'avait pas eu l'occasion de patauger dedans, contrairement à celui-ci) pour le remplacer. On renvoya donc Niko en Finlande (où il n'y avait pas de pub servant du whiskey sans restrictions) et ce fut Kjell qui accepta de venir finir les travaux en Irlande (parce que ça l'intéressait aussi: il n'était jamais allé plus loin que la Suède, à l'étranger).
Ce fut un Niko complètement "à côté de ses semelles" que BFRSF récupéra le 23 avril. Timo en parla à Atte (qui étant chez VTPSF n'avait pas rencontré Niko) en lui disant qu'il n'y avait pas que la France qui était éthyliquement dangereuse pour les jeunes buveurs finlandais: l'Irlande, c'était pire, vu la vitesse à laquelle Niko avait sombré, par rapport à Atte. Ce fut Martti qui assura l'intérim informatique (d'autant plus que ça marchait sans bogues significatifs, même pour les ajouts récents demandés par BFR) le temps que Niko revînt sur les rails ou que Kjell leur fût restitué.
Nelli- Kjell va-t-il résister à la tentation du whiskey irlandais?
Timo- peut-être: il boit surtout des alcools de fruits distillés par son grand-père, donc hors taxes. Le whiskey ne devrait pas lui plaire.
Les choses furent plus simples en Irlande avec Kjell qu'avec Niko: sachant ce qui était arrivé à ce dernier, Kjell ne mit jamais les pieds dans un pub. BFR put donc le laisser sur place en mai.
Début mai fut allemand, pour Audry: BFRD (où il avait déjà été superviseur remplaçant pour BFR), à 18km de Munich, produisait outre les yaourts quantités de fromages et de charcuterie (de la vraie: pas au poisson. Il y avait troc avec l'usine danoise sur ce point, mais la demande augmentant BFRD allait s'y mettre à son tour), ainsi que des gâteaux souvent riches en crême, des pains noirs lourds et collants à souhait...
Une centrale géothermique supplémentaire était en cours de forage. Ce fut Oskari qu'Audry retrouva sur place. Le danger alcoolique, en Allemagne, c'étaient la bière et les vins du Rhin, mais Oskari était un garçon raisonnable (sans être austère du tout) auquel un petit verre suffisait pour être grisé. Oskari avait été collaborateur système d'Arvi avant de passer à l'électrotechnique avec Mika.
Il y eût là aussi beaucoup de travail: encore plus qu'en Irlande, car les équipes du système géothermique en plus. Oskari fut sidéré par les prix "cadeaux" des BMW, sur place, par rapport aux taxes écrasantes qui s'y appliquaient (comme aux autres marques) en Finlande. Toutefois en acheter une et la reconduire là-bas n'était pas jouable, car en plus des tracasseries administratives il y aurait quand même les taxes à payer dessus. Seule alternative: s'installer en Allemagne pour de bon. Oskari ne sachant pas si ce pays lui conviendrait (les voitures et les autoroutes pour s'en servir pied au plancher, c'était un plus. Mais le reste?) ne fit pas de démarches en ce sens auprès de BFR: il devait d'abord voir ce qu'était d'y vivre un mois.
Il y avait eu des changements, à la direction des opérations extérieures de BFR. Audry dépendait maintenant d'une autre équipe qui l'utilisait (ainsi que d'autres, par exemple Kjell ou Oskari) là où il pourrait être utile suite à l'expérience finlandaise. On lui avait donné encore une semaine de congés payés supplémentaire (sans lui retirer de salaire), ce qui portait le total à huit (Stéphane en avait trois de plus, avantage datant de l'époque où personne ne voulait aller en Finlande), en échange de quoi cinq étaient à utiliser dans des créneaux en accord avec BFR.
BFRD convenait bien à Audry: ça manquait d'exotisme par rapport à BRFSF, mais l'allemand, malgré ses trois genres, imposait moins de contraintes et d'impasses mentales pour s'exprimer que le finnois. Ce qui était fatigant, c'était l'allemand écrit, avec des phrases interminables pleines de mots trop longs. Il y avait plus de différence de style d'expression entre l'allemand écrit et l'allemand parlé que ce n'était le cas en français ou en finnois.
Oskari se débrouillait en allemand, sans plus: il avait bien trop fait d'heures sur Atari puis PC puis AK, au cours de ses études, pour étudier sérieusement le reste. C'était d'ailleurs vers les "en échec scolaire par abus de programmation sur AK" que BFRSF avait fait son recrutement de jeunes informaticiens susceptibles de fournir un ou deux ingénieurs système et de bons auxiliaires de ceux-ci. Ils ne fallait donc pas s'attendre à des performances significatives dans d'autres domaines, y compris les langues. Audry dut parfois lui traduire en finnois (avec le mouchard), et traduire en allemand pour les autres ce qu'il expliquait. Comme il ne traduisait pas en français entre les deux mais en concepts mentaux informatiques (non verbaux, plus ou moins de la plomberie ou du chemin de fer virtuel) le fait que ces langues n'eussent aucun rapport entre elles ne compliquait pas les choses.
Les Allemands comprenant vite et bien tout ce qui était technique, cela fonctionna correctement sans faire perdre trop de temps, d'autant plus qu'Oskari acquit vite la quarantaine de termes techniques allemands qui revenait le plus souvent.
Stéphane se retrouvait à devoir gérer la géothermique de BFRSF à la place d'Oskari, avec occasionnellement Mika. Il connaissait théoriquement toute l'installation, avait pratiqué des tournées de vérifications et des séries de test avec Oskari donc hors catastrophes, surveiller cette installation ne devrait pas être un gros problème.
Audry vit que beaucoup d'Allemands et d'Allemandes étaient au dessus de leurs poids (voire très au dessus): c'était la Bavière. Toutes les couleurs et textures de cheveux existaient en proportions non négligeables: on était loin de la monoculture finlandaise. Toutes les tailles et corpulences (il n'y avait pas que des gros) aussi, ainsi que les formes de visages: il y avait de tout, avec ou sans lunettes. Il était donc bien plus facile de ne pas les confondre entre eux que ça n'avait été le cas pour Audry en Finlande: celui-ci avait encore moins l'habitude que Stéphane d'être immergé dans un contexte monogénétique. Deux Trielec avaient été expédiées là-bas (deux de celles de La Défense) comme voitures de fonction pour Oskari et lui, sur place. Logement dans un petit immeuble à mi-chemin entre l'usine et Munich. Tout était organisé, comme d'habitude pour ce genre de mission.
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L'un des sujets de conversation chez BFRD, en dehors de ce qui tenait à l'usine proprement dite, était la sortie éventuelle de l'AK51. En effet, AK n'avait tout simplement rien sorti de neuf, comme machines grand public, depuis l'AK50: les 48, 49 et 50 restaient en production, sans baisse de prix, et se vendaient comme des petits pains depuis 1997 pour le premier et janvier 1998 pour le dernier. Ceci parce que la concurrence n'avait toujours à rien de proposer de comparable à ce prix. En optant d'entrée de jeu pour l'architecture multiprocesseur AK s'était dispensé de la course aux MHz. Les puces "grand public" de 2000 de l'industrie américaine n'en étaient pas encore au GHz, or avec ses "seulement" 16 coprocesseur, l'AK48 était déjà au delà, en capacité d'abattre de la besogne parallélisable (tout particulièrement les jeux, le traitement de son et de vidéo, tâches parallélisables par nature) car ces processeurs n'étaient pas freinés par leurs mémoires, contrairement à ce que subissait les puces "rapides" déjà prévues par la Silicon Valley pour 2000 et que ces fondeurs n'arrivaient pas à rentabiliser, au point d'avoir renoncé à en industrialiser certaines: le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Pour battre les Russes, il fallait passer au "massivement parallèle" grand public, et ça, ça demandait de renoncer à la compatibilité avec les versions antérieures, en plus de mettre à la poubelle les investissements déjà engagés pour les futures platerformes monoprocesseur rapides, entravées par des mémoires trop lentes et où l'astuce des "caches" ne servait à rien face à de grosses masses de données comme le traitement audio/vidéo.
AK avait à la fois noyé et gelé le marché mondial: noyé faute d'autre offre valable, depuis près de quatre ans, et gelé parce qu'à part avoir ajouté de la mémoire en option dans les AK 48, 49 et 50 ou lancé de nouveaux périphériques, il n'y avait pas de nouvel ordinateur grand public AK en vue. Inutile: l'avance prise était telle "que ça tiendrait encore quelques années", d'autant plus que privée de ce marché mondial la concurrence américaine n'avait pas les moyens de lancer ce que techniquement elle aurait pu lancer... s'il n'y avait pas eu en plus le "tapis de bombes" que déversait continuellement le système Lioubioutchaï 2 (auquel des satellites étaient ajoutés à bonne cadence, par contre, et de plus en plus efficaces chacun): ces logiciels ne tournaient que dans les AK: pour en profiter, il fallait avoir ce type de machine. Copiable? Théoriquement, oui, mais après des années d'explorations de leurs entrailles (rien n'était divulgué. Le noyau scellé était même piégé, détériorant de façon invisible certains de ses composants si on le découpait) et qu'il aurait ensuite fallu réussir à produire moins cher que la Russie. "N'essayez même pas": si AK voyait arriver une copie valable, la nouvelle gamme serait lancée. Tout bêtement.
Ceci fit le désespoirs des magazines (et sites) toujours avides d'informations sur le nouveau processeur ceci ou la nouvelle carte graphique cela: rien de nouveau. Il y avait du nouveau dans les gros serveurs professionnels AK (encore plus de coprocesseurs, réseau optique à débit augmenté, etc) mais pas dans le grand public. Ce qu'il restait possible de détailler et de comparer, c'étaient les innombrables logiciels de toutes sortes (du plus scientifique au plus ludique) ajoutés continuellement via le réseau Lioubioutchaï 2. A la fuite en avant de "l'obsolescence programmée" du matériel informatique américain avait succédé l'immobilisme tranquille de l'offre russe. Ceci parce que comme les records de Bubka à la perche, personne n'était allé s'en approcher.
Pour la première fois depuis longtemps (l'Atari ST) un ordinateur grand public était encore "dans le coup" plusieurs années après son lancement, sans avoir été l'objet d'une augmentation de puissance. L'AK50 d'Aymrald ne se distinguait du "50C" de 2000 que par moins de mémoire de travail et de mémoire permanente (jouant en bien plus fiable et rapide le rôle de disque dur). Le réseau optique de 64 coprocesseurs était le même qu'en octobre 1998.
Chez BFRD, les amateurs supposaient qu'avec les économies à ne pas faire de course à la puissance des puces et des mémoires, mais juste les multiplier, AK s'était donné tout le temps et les moyens de lancer plus tard (2001? 2002?) une puce "quatre en un" permettant de quadrupler, à architecture égale (donc sans réinvestir dans le reste) le nombre de processeurs et de mémoires "privées" (pour chacun d'entre eux) de la prochaine gamme. Quadrupler, voire octupler, s'ils passaient à l'architecture empilée brochée, à l'intérieur de chaque boitier de puce.
D'autre que la prochaine révolution AK serait l'abandon du système binaire électronique pour le trinaire optonumérique direct. Le trinaire avait beaucoup d'avantages puisqu'il fournissait des nombres naturellement signés et rendait la division aussi simple que la multiplication, contrairement au binaire, ceci quelque fût le signe des nombres car en trinaire signé (-1, 0, 1) il n'y avait pas besoin de "bourrer des 1" devant les nombres négatifs: on commençait par un "moins", tout bêtement.
Il y avait des cours ludo-éducatifs de trinaire signé disponibles via le Lioubioutchaï 2: simple curiosité mathématique, ou matière de préparer la jeunesse (et les cerveaux moins jeunes mais encore maléables) à raisonner et programmer en logique trinaire? Ca pouvait aussi être de l'intox à l'usage des concurrents éventuels. On disait aussi qu'AK faisait des processeurs supraconducteurs fonctionnant dans l'azote liquide. Or ça, dans une machine grand public, ce n'était pas jouable: si supraconducteurs il devait y avoir, il devraient se contenter des températures ambiantes, ou au pire de celle d'un congélateur ordinaire.
Oskari avait appris la logique et l'arithmétique trinaire (ce n'était pas difficile. C'était même plus instinctif que le binaire en "complément à deux", en particulier pour certaines opérations: il n'y avait pas à se soucier d'extension de signe en copiant un petit registre vers un plus spacieux, en trinaire signé). Ca rappelait à Stéphane le scénario de "L'île ingénieuse", qu'il avait eu l'occasion de lire, car cette histoire très technique nécessitait que les personnages censés être au courant de ces sciences le fussent, via les acteurs les jouant.
AK utilisait effectivement le trinaire dans ses bus optiques (à ceci près que le troisième état non nul servait de marqueur entre trains de bits, et non de trit proprement dit), mais pas pour les calculs car ses puces étaient d'une conception relativement classique. Ce qui était spécifique, c'était l'interface optoélectronique de parallélisation incorporée dans chaque boitier. Un coprocesseur AK n'était connecté électriquement que pour la masse et les deux tensions d'alimentation (+1,7 et -1,7 V), toutes les autres "pattes" étant des minirenvois optiques à prismes ou effet holographique. Ceci entraînait théoriquement un surcoût dans chaque puce (aux tarifs ex-soviétiques, c'était jouable) mais évitait tous les problèmes de pollutions mutuelle entre un tel réseau de "bus" entrelacés en tous sens. La fibre optique ne "bavardait" pas (comme le savait depuis fort longtemps les militaires) et ne captait pas non plus de parasites de ces voisines où d'autres éléments actifs de l'ordinateur. On pouvait faire un "plat de spaghetti" avec sans créer d'interférences, même à très haut débit. On disait aussi que c'était la convertion opto-électronique aller et retour à l'intérieur des puces qui limitait leur vitesse et obligeait AK à choisir de les multiplier plutôt que de les accélérer: ce n'aurait donc pas été uniquement pour ne pas travailler plus vite que les mémoires "tout venant", selon cette hypothèse. Un bus optique était bien plus rapide qu'un bus électrique (même à base d'or) mais à chaque bout il aurait donc existé un temps incompressible de conversion, du moins incompressible à un coût commercialement intéressant.
Cet optocouplage embarqué, les fondeurs américains auraient su le faire, mais pas à ce prix, et moyennant de très gros réinvestissements au niveau des procédures de fabrications des puces qui n'étaient conçues que pour de la connectique (pattes) conductrices. Créér des supports convertisseurs de signaux eût été déjà moins lourd, car les puces classiques auraient pu être simplement plantées dessus après fabrication sans avoir à reconcevoir cette fabrication. C'était théoriquement possible mais ça ne se fît pas, faute de perspectives d'ammortissement dans un marché qui voulait pouvoir utiliser du gratuit tombant du cosmos via le Lioubioutchaï. Même s'ils avaient été techniquement dépassés, les AK auraient gardé cet avantage commercial écrasant.
Les AK n'étaient toujours pas commercialisés sur le territoire étatsunien, AK connaissant les bâtons administratifs dans les roues qui l'y attendaient. Des Américains se procuraient à l'étranger (Mexique, Canada) ces machines sous leur seule responsabilité. Ce n'étaient pas ce faible pourcentage d'importations individuelles qui plombait le marché intérieur du renouvellement des ordinateurs, mais l'attente qu'il y eût à la fois plus puissant et moins cher de conception américaine, et surtout avec une offre niagaresque de logiciels gratuits de toutes sortes. Ceci ne venant pas, les utilsateurs américains restaient avec leur équipement déjà acheté (avant), ou parfois passaient par importation individuelle au AK, mais dans un cas comme dans l'autre ne renouvellaient plus leur matériel par du "compatible" de même nature. Le marché informatiquemondial stagnait, sa seul activité étant le remplacement progressif du matériel de type "PC" encore en service (en particulier dans des entreprises) par des AK pour pouvoir bénéficier non seulement de la puissance (en particulier pour les jeux) mais surtout de l'offre gratuite massive de programmes de toutes sortes via le Lioubioutchaï 3.
Le récepteur Lioubioutchaï 2 n'avait connu qu'une augmentation de mémoire, dans sa version 1999 puis 2000, le système restant le même (avec juste un débit un peu plus important, ce qui ne dépendait que du réseau de satellites) et ayant coupé l'herbe sous le pied des constructeurs de téléphones portables, sauf pour tout petits appareils: en raison des exigences d'émission/réception, le Lioubioutchaï 2 ne pouvait pas être petit: il était du format "deux tablettes de chocolat de 100g" ou d'un mini-ordinateur (ou super-calculette) pliant. Le Lioubioutchaï 1, lui, était conçu pour utiliser les différents réseaux à émetteurs terrestres. La version B pouvait prendre des photos (640x480) comme un appareil numérique (récupération directe sur ordinateur ou envoi par le réseau). C'était la seule modification significative: le marché de la téléphonie à émetteurs terrestre pâtissait, au niveau des opérateurs (or les Russes n'implantaient pas de retransmetteurs hors de chez eux) de la concurrence du Lioubioutchaï 2, appareil plus encombrant mais gratuit à l'usage tout en offrant les services d'un "organiseur" de poche et d'un ordinateur de poche. Le retour sur investissement d'un réseau terrestre de téléphonie mobile devenant plus difficile, l'implantation de relais avait ralenti. De plus certains pays (comme la France) interdisaient les "taxes de connexion" ou "première minute indivisible surtaxée", etc: la facturation au temps réel et uniquement au temps réel (pour le fixe comme le mobile) avait considérablement diminué la facture pour les usagers donc le rendement pour les opérateurs. Quant aux mini-messages (ou "SMS") il était bien plus pratique de les taper sur le clavier d'un Lioubioutchaï 2 et leur transmission était gratuite vers les autres utilisateurs de ce réseau. Elle restait bon marché vers les autres réseaux, avec le système du compte "préchargé" évitant toute mauvaise surprise et évitant à l'opérateur russe d'avoir à récupérer des factures dans des pays (la plupart des pays, en fait) où il n'aurait pas eu autorité pour le faire: avec l'achat d'avance, ce problème ne se posait pas.
L'une des options proposées avec le Lioubioutchaï 2 était la poignée-clavier (principe voisin de cette qui équipait depuis décembre 1997 le "souffleur" d'Aymrald) pour pouvoir taper d'une seule main sans être gêné par des touches trop petites. Sans être aussi "pour cure-dent" que celles des téléphones mobiles, les touches du clavier (complet) du Lioubioutchaï 2 étaient trop rapprochés pour permettre une frappe confortable.
24 mai 2000: retour en France pour les 80 ans de Fulbert (le 25) puis les tournages chez VTP22. Audry revenait en Finlande. Fulbert avait vu tous les films de VTP et lui posa des questions sur comment était faite telle ou telle scène, pour les trucs autres que ceux qu'il avait pu voir l'an dernier chez VTP22. Fulbert n'émit bien sûr aucun avis sur les rôles de son petit-fils, ni ne chercha à savoir combien il gagnait. Il ne se montrait pas aussi "paisiblement indifférent" avec Stéphane que ses parents mais estimait que si celui-ci n'en parlait pas, il ne fallait pas l'interroger. Comme c'était Stéphane qui l'avait invité à voir comment fonctionnait VTP22, ce sujet de conversation avait été ouvert, entre eux. Jamais la moindre allusion non plus à une "vie privée" ni à l'absence possible de celle-ci, car Fulbert était reconnaissant à son propre père de ne jamais avoir accordé la moindre attention à ce paramètre: il avait acceuilli Géraldine sans poser de question. Fulbert avait 28 ans et jusqu'alors n'avait pas donné signe de s'y intéresser non plus. Stéphane reviendrait-il un jour avec une Finlandaise? Impossible à deviner. Il y avait eu les Suédoises du retour du voyage en Suède, mais comme ensuite elles avaient retrouvé leurs copains suédois (ramenés de Bordeaux et logés chez Anne-Marie), c'était difficile interprêter. Plus de Suédoises que de Suédois, toutefois. Fulbert supposait qu'il était en partie à l'orgine de la création de Småprat, en ayant amené une Suédoise chez VTP, ce qui avait pu leur donner l'idée d'aller en chercher d'autres.
Parmi tout ce qu'il avait travaillé, il avait su fin avril que ce seraient "Les N voyages de Robert Trebor", "Les dents de la nuit", "Aux portes du néant" et "Dédalux" qui seraient tournés en juin, ainsi que "0016: Filière bulgare".

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