vendredi 10 avril 2009

chapitre N-36

Pouvoir manger de la chair humaine était l'un des arguments-clefs du nouveau tourisme centrafricain. Le cerveau et la moëlle épinière n'étaient pas introduits dans l'alimentation: on en faisait de l'engrais, tandis que les abats étaient donnés aux crocodiles, que les "prions" ne semblaient pas affecter. L'élevage de crocodiles (pour la chair et la peau) était facile dans un pays chaud: ces reptiles grandissaient vite, car leur système digestif avait un rendement exceptionnel (la rareté des crottes en témoignait) et acceptait tous les résidus carnés que les gens ne souhaitaient pas consommer.
Il y eut une grosse défaillance dans l'usine BFRSF le jeudi de la première semaine de Stéphane chez "VTP22": un mur interne s'était effondré, des tableaux électriques et plein de câblages avec. Le câblage optique de la nouvelle informatique avait pu être remplacé très vite, car son parcours était simple, grâce au multiplexage. On en pouvait pas rabouter de la fibre optique cassée, mais le changement de quelques lignes passant par là depuis leurs extrémités d'origine n'était ni coûteux ni long. Ce fût l'équipe de Mika (assitée de 38 autres personnes, vu l'ampleur des dégâts) que Schumarcher et Kare dûrent organiser pour cette tâche. L'effondrement était dû aux alternances de température dans une grosse tuyauterie de vapeur qui était enfilée horizontalement dedans parce qu'il eût été gênant pour l'accessiblité aux installations de part et d'autre de la mettre d'un côté ou de l'autre du mur (ou plutôt de faire le mur à sa gauche ou à sa droite, la conduite étant déjà là). On l'avait construit dessous, autour, et dessus. La vapeur (issu d'un postchauffage à gaz ou électrique (selon disponibilté du courant par éoliennes) de l'eau préchauffée géothermiquement à 84°C) n'étant pas présente à plein temps, les variations thermiques avaient petit à petit affaibli le mortier. En fait il y avait longtemps qu'il ne collait plus rien, mais le mur était resté empilé par son propre poids. Ce n'était que très lentement qu'il avait amorcé un léger "flambement" puis s'était effondré sans prévenir, des parpaings s'étant fissurés à cause de cet appui légèrement oblique (au lieu de reposer bien à plat sur leur semelle de mortier, même "mort"). Le mur était en cours de remontage par colombages métalliques (ça allait plus vite et ça ne fissurait pas, de plus c'était compatible avec la présence d'une conduite dedans) que l'on obturerait ultérieurement avec du fibrociment (sans amiante) de de la laine de verre. Le plus long était de récupérer ou remplacer puis refixer à cette structure tout était jadis porté par ce mur, en particulier les gros tableaux électriques à quatre mètres du sol. Ce mur était une erreur de conception (la conduite dedans, et pas de maillage métallique porteur) datant de 1969 qui ne s'était révelée que maintenant. La conduite était là avant le mur, d'après des photos. Le mur avait été fait dessous et dessus ensuite, estimant que la conduite (solide) fournirait une armature. Ce qui était vrai, mais allait être fatal à la tenue du mortier. Le bon point était que la segmentation électrique de l'usine avait fonctionné: les autres tableaux avaient disjoncté assez près (dans la logique du réseau) de ceux-ci, sans disjonter ce qui ne passait pas par là. Il s'était formé bien moins de courts-circuits, lors de la chute du mur, que de ruptures de circuit. Toutefois celles-ci avaient arreté à elles seules 9% des installations, puis 23% (au total): celles qui dépendaient pour leur fonctionnement d'une des installations désalimentées. Un peu plus tard le tiers de l'usine s'arrêtait: les 10% supplémentaires qui dépendaient de façon non immédiate de ce qui s'était arrêté, une fois les stocks tampons épuisés.
Schumacher se demandait combien d'âneries de ce genre (ou autre) n'avaient pas encore été découvertes, souvent issues d'un "provisoire définitif" dont tout le monde avait oublié l'origine, ceci d'autant plus facilement qu'il n'y avait plus, dans cette usine, de gens qui y fussent entrés avant 1978. Ca laissait au moins seize années sans témoins des imprudences conceptuelles qui y avaient été commises, plus bien d'autres avec peu de témoins (qui n'avaient eu qu'une vision partielle des installations), ensuite. Ce genre de chose n'était pas spécifiques à BFRSF, ni aux usines BFR en général: elles étaient mieux documentées dans le temps que la plupart des autres sites de complexité comparable, même si certaines documentations ne mentionnaient que le "comment" de non le "pourquoi du comment" de telle ou telle modification ou extension.
Ce qui avait causé historiquement le moins de pannes, c'étaient les machines elles-mêmes: aucune n'était inédite, chez BFRSF: elles étaient toutes des copies (y compris les copies des modifications, ensuite) de celles ayant déjà fait leur preuve dans d'autres usines, BFRSF ayant longtemps été en tard sur les mises à jour, d'où la tâche colossale attribuée aux "superviseurs de réindustrialisation" de ces six dernières années. Ce qui lâchait, c'était tout le reste, qui pouvait parfois causer des détériorations dans des équipements de production (arrêt brutal d'un processus pas prévu pour ça, commandes incorrects causant des surpressions ou surchauffes) mais en étudiant bien la panne il s'agissait d'une conséquence d'un autre problème et non de sa cause. La pompe à lait grillée l'avait été par résistance parasite dans un vieux bornier causant une chute de tension donc la surchauffe du moteur asynchrone en sous-régime. Les éléments soumis à plus d'usure de fonctionnement étaient contrôlés périodiquement et changés lors de signes de vieillissement en "maintenance préventive", avait constaté Schumarcher. Théoriquement, ceci aurait dû conduire à très peu de pannes (juste quelques arrêts locaux pour ces interventions planifiables), mais il y avait eu beaucoup de pannes (parfois totales, comme lors du non démarrage du groupe électrogène, dont le problème avait été constaté hors panne d'électricité mais n'avait pas été réparé à temps) qui venaient d'imprudence de conception du bâtiment, de son câblage, de l'évolution par couches vétustes empilées de son système informatique (l'équipe d'Arvi et Stéphane venait enfin d'en refaire un neuf), de certaines documentations insuffisamment commentées (on avait fait ceci ici, mais pourquoi? Ca ne semblait pas évident du tout...) et de retards dans certaines opérations d'entretien. Si en plus il y avait eu du sabotage, plus rien n'aurait fonctionné, estima Schumacher, car il n'y avait pas un gros coup de pouce à donner à la malchance pour créer des pannes durables. BFR avait pensé au sabotage très tôt, en particulier le sabotage des produits (empoisonnement, blessures par des corps étrangers glissés dedans) d'où un système de sécurité supérieur à celui de certaines installations militaires. Schumacher estimait que c'était le point fort de l'usine, d'autant plus qu'il n'était jamais tombé en panne: il était indépendant de tout le reste, y compris de l'informatique: il avait la sienne, bien plus rustique (et redondante, de plus), gérant des enregistrements analogiques qui utilisaient le procédé LVR de BASF (échec commercial, mais réussite technique) très fiable et fournissant la fonction "K7 sans fin" car les parcourant en nombreux aller-retours, sans balayage oblique par une tête tournante. A ne pas confondre avec le V2000 Philips qui était d'un tout autre principe, avec K7 retournable. BFR avait aquis (pour pas cher, vu que ça n'avait pas eu de débouché grand public, contrairement au V2000 qui avait eu sa petite heure de gloire auprès d'enthousiastes qui s'étaient hélas retrouvés un peu plus tard dans l'impossibilté de se procurer des K7, le procédé ayant été abandonné) une licence de ce procédé pour pouvoir faire refabriquer des K7 et des magnétoscopes de surveillance en sous-traitant une partie de leurs organes en Corée puis en Chine. BFR avait amélioré le LVR en ajoutant un système de soufflage d'air évitant à la bande de frotter réellement sur les têtes (fixes. Elles ne se décalaient qu'à chaque fin de parcours), microfilm d'air comme sous les têtes de disque dur, rendant la bande inusable (à part le frottement d'enroulement déroulement, beaucoup moins agressif) ce qui était important pour un système de surveillance en continu. BFR avait aussi développé une version à enregistrement simultané de 16 pistes (cinq groupes de trois primaires, plus une de son quadriphonique multiplexé (comme des stations de radio) et de synchronisation) pour l'usage de VTP: ce procédé appelé RVBD5 (RVB direct 5 lignes, puisqu'enregistrant cinq lignes d'écran en même temps pour diminuer la vitesse de défilement de la bande donc rendre les changements de sens plus doux en fin de course) donnait une qualité de tournage des séries télévisées supérieure à celle que la télévision (même dans les meilleures conditions du Sécam) pouvait réaliser. Les caméras prenaient à la fois en 625 lignes 25 i/s (Pal et Sécam) et en 525 lignes 30 i/s (deux systèmes derrière le même objectif, grâce à un miroir semi-réfléchissant) pour l'exportations dans les pays en NTSC. Aucun tournage sur pellicule, dès les années 80, grâce à cela. Economie et gain de temps spectaculaire. Une archive finale était faite sur pellicule, pour les deux procédés (la bande vidéo étant connue comme moins stable à long terme), ce qui ne faisait qu'un mètrage exact "net de montage" pour chaque, et non tout ce qui aurait été gaspillé avant montage si on avait filmé en pellicule. Par la suite l'archivage s'était fait sur disques optiques, puis dès 1991 le tournage directement sur disques dur (gros et chers, à l'époque, mais déjà rentables par rapport aux contraintes de la vidéo), sans bande vidéo, ce qui offrait bien plus de possibilités, à commencer par la correction d'éclairage "intelligente" et les trucages (découpage automatique et substitutions de fond filmé ailleurs par les mêmes mouvements de caméras pour créer une impression de vraies fenêtres, dès cette époque pour les sitcoms). L'astuce était que l'enregistrement temps réel était analogique, et non numérique, sur les premiers disques dur (utilisés comme de la bande vidéo monobloc à plat, avec accès rapide à n'importe quelle piste, contrairement à une bobine ou K7). C'était numérisé vers d'autres en temps différé après par une autre machine: à l'époque, les CAN de bonne qualité étaient lents (surtout pour du balayage vidéo) et chers, d'où la numérisation en différé. On pouvait vérifier immédiatement n'importe quelle portion filmée en relisant les pistes correspondantes du disque dur analogique, donc la post-numérisation ne faisait pas perdre de temps: elle continuait la nuit. L'analogique tolérant mieux de petites imperfections que des données numériques pour ordinateur, il avait été possible d'augmenter fortement la densité d'écriture sur ces disques durs (Winchester et autres) car le besoin de sécurité des données était bien moindre. De plus, par nature, l'analogique occupait moins de place qu'une numérisation non compressée (or ces algorithmes n'aurait pas pu fonctionner en temps réel, à l'époque, même dans un ordinateur d'entreprise) car elle enregistrait à surface égale un signal bien plus riche que les pointillés noirs ou blancs qu'étaient les bits. L'inconvénient de l'analogique était d'être plus sensible au vieillissement de l'enregistrement (alors qu'en numérique un signal localement gris foncé aurait encore été considéré comme un bit "bien noir" à la relecture et un gris clair comme un bit "bien blanc") et surtout à l'érosion par recopie. C'était pour la série de manipulations qui allaient suivre (avant le montage final qui ferait une recopie de plus, puis encore une pour la production des copies de distribution à partir de ce "master") qu'il était préférable de convertir ceci en numérique, en y consacrant le temps et l'espace de stockage qu'il fallait.
Les séries télévisées n'ayant pas besoin de la définition d'image du cinéma (d'autant moins que VTP ne faisait jamais de recadrage, qui aurait conduit à extruder des lignes d'origine en d'autres, pour en refaire 625 à partir d'un nombre moindre, après recadrage) VTP tournait dans les deux définitions télévision utilisées dans le monde. Il était inutile de chercher à enregistrer une finesse de détails que personne ne verrait à la télévision, même avec une réception idéale. Outre le coût, la souplesse d'utilisation, le gain de place (enregistreur pouvant être loin de la caméra) et de temps, il y avait un énorme avantage à tourner en vidéo: on obtenait l'équivalent d'une pellicule à sensibilité variable, tout en restant fidèle en couleurs (avec le procédé RVBD où elles étaient enregistrées sur des pistes séparées, et non en "vidéo composite": aucun "bavé chromatique" ne pouvait se produire à la relecture) pour un éclairage réduit, il n'y avait pas besoin d'éclairer "comme pour un interrogatoire de police": on pouvait filmer avec des ampoules électriques ordinaires: celles qui étaient présente dans le décor filmé, et rien d'autre. De plus, on pouvait compenser en clarté, contraste et gamma chaque composante. Là, on avait intérêt à le faire avant la numérisation, car on conservait une échelle d'intensité purement continue, ce qui ne serait plus le cas après: trop tirer sur le "gamma", le contraste, etc, produisait des effets de plages continues par palier, dans ce qui venait du trop clair ou trop sombre depuis un enregistrement numérique. En analogique, cet effet de crantage n'existait pas (et pour cause). VTP avait ainsi pu créer des ambiances de soleil couchant à partir de ce que l'on voyait par les fenêtres (trucages) en ayant en fait filmé en moins sombre (éclairage du décor par les fenêtres, en blanc et suffisant) puis en jouant sur les échelles chromatiques en post-production, de façon totalement automatique, y compris pendant que la lumière dehors changeait ou qu'un nuage passait devant le soleil. Tout le monde croyait que ça avait été tourné en extérieur avec un décor provisoire placé là, et à ce moment. Que nenni! Du "faux cher" tout en obtenant de meilleurs résultats car VTP avait en stock toutes les conditions météo souhaitées, sans avoir à attendre leur manifestation réelle.
A cette époque (années 80 puis début 90) il n'y avait pas encore d'utilisation d'images virtuelles dans les séries VTP (qui produisait quelques dessins animés entièrement faits ainsi, avec des formes peu coûteuses en temps de restitution graphique), sauf pour visualiser "en virtuel qui ne se cache pas de l'être" (celui des dessins animés VTP de la même époque), les pensées non verbales des personnages, dans des bulles transparentes. Ce n'était pas difficile à faire et ça ajoutait quelque chose à la compréhension, en particulier quand un personnage disait une chose tout en en pensant une autre (c'étaient des sitcoms, donc bavards), sans l'inconvénient temporel d'une "voix off" disant l'autre chose ensuite, ce qui aurait nécessité de retarder la réponse de l'autre donc n'aurait pas permis de l'utiliser souvent. Avec la pensée non verbale (donc universelle, en plus), on pouvait le faire en continu, comme les auteurs de bande dessinée, ce qui ajoutait de l'humour sans avoir à faire de gags directs à l'écran. Au fil du temps, cette "pensée visuelle" avait utilisé un virtuel plus fouillé, avec les "avatars" très ressemblants (surtout en petits dans une bulle) des acteurs réels des séries. Avatars de plus en plus réalistes servant aussi à meubler les arrière-plans (puis moins en arrière, au fil du réalisme ou via un peu de "myopie artificielle" de prise de vue), pour diminuer le nombre d'heures de tournage humain (les avatars, eux, exécutaient leur part de scénario exactement comme prévu, par définition) et permettre de feindre d'utiliser dans une scène un acteur qui était à ce moment en train d'en tourner une autre (en vrai, car vu de plus près). Peu de gens le savaient, dans le public, même si cela avait parfois été expliqué dans des revues d'informatique ou scientifique grand public. Ceux qui savaient tentaient de détecter la commutation "réel/virtuel" de tel ou tel personnage. VTP sachant que le raccord ne pourrait être parfait utilisait soit un plan de coupe (changement de caméra), ce qui était le plus facile soit quelqu'un d'autre qui passait devant le personnage réel (déjà plus loin) pour ne laisser revoir que le virtuel: le coup de l'échange des valises à la gare. VTP l'avait fait de temps en temps en sachant que des télespectateurs attentifs et bien informés chercheraient à détecter ces commutations et que le plan de coupe c'était "trop facile". Parfois, ils étaient allés jusqu'à faire un "morphing" du virtuel sur les portions où le réel était encore présent, pour continuer sans lui. C'était plus compliqué (il fallait viser très précisément chaque détail du personnage réel pour caler le virtuel pile dessus, au moindre pli de chemise) mais c'était intéressant à apprendre à faire faire tout seul au logiciel, en ayant de moins en moins à le guider à la souris, et là, il n'y avait aucune image ou quelque chose cachait le personnage au spectateur pendant la substitution. Cela avait intéressé la police et l'armée: faire de l'identification de posture et d'attitude précise de quelqu'un à partir d'une vue "moyenne résolution" (le personnage n'occupant qu'une partie de l'image) et sans l'aide de la stéréocopie pour "détromper" l'analyse. C'était évident pour un observateur humain, mais beaucoup moins pour l'analyse informatique de séquence vidéo. Le développement des autocorrélateurs à réseaux neuronaux par BFR pour trouver des loi "inexprimables" liant des modifications de recettes à des modifications de jugements par des groupes de "dégustateurs en aveugle" avait continué à résoudre ces problèmes "non descriptibles par algorithme en dur" d'analyse des attitudes de personnages à l'écran pour les faire mimer par leurs avatars, dans la marge d'erreur correspondant à celle que la résolution télévision ne trahirait pas. C'était plus facile chez VTP car le scénario déterminait ce que faisait ce personnage plus éloigné, contrairement à l'analyse brute à partir d'une caméra de vidéosurveillance de quelqu'un dont on n'avait pas écrit le scénario, le but étant justement d'en extraire le scénario.
La surveillance avait ses propres groupes d'accumulateurs, vérifiés toutes les semaines, un câblage ne circulant pas au milieu des autres câbles, etc. Pas invulnérable, car les caméras, détecteurs de mouvement, de fumée et de "point chaud non autorisé par la cartographie" fixés au mur étaient tombés avec, mais mieux conçu que toute l'usine. Ceci pouvait expliquer l'absence de sabotage direct. Les erreurs de conception de ceci ou cela pouvait avoir été du sabotage indirect (mais à retardement très long et imprésivible, alors) toutefois Schumacher estimait plus probable un mélange de négligence et d'incompétence, comme dans presque toutes les erreurs humaines. Incompétence, car un vrai maçon n'aurait pas accepté de faire un mur de cette hauteur et de ce poids sur une conduite pouvant chauffer ou refroidir périodiquement. Négligence dans l'entretien des groupes électrogènes (entre autres), maladresse du conducteur de charriot élévateur ayant applati la conduite de dégivrage du toit de l'entrepôt.
Pour la semaine suivante, Aymrald continua à participer en direct aux essais et améliorations de VTP22 et en télétravail à l'informatique de Rennes. Il disposa d'une nouvelle version du simulateur de combat à l'épée (normale, laser, tronçonneuse, scie circulaire à lame libre, etc) dérivé de celui Centrale Dinard et d'une armure à "simulation d'impacts" (ça, c'était nouveau), qu'il pouvait utiliser en dehors du temps de travail, pour préparer "Les miroirs du temps". Avec la puissance graphique du 147T8G et la légèreté des lunettes à immersion (non transparentes, cette fois, pour ne pas voir le bras robot multi-articulé fournissant le retour d'effort et de chocs) ça devenait saisissant, d'autant plus que l'armure (légère mais permettant au système de le localiser membre par membre avec une grande précision) donnait des chocs électriques (pas insupportables, mais franchement désagréables quand l'impact virtuel le méritait) en tout un tas d'endroits du corps (épaules, torse et bras, surtout, grâce à des plots (rond: pas des pointes) vers l'intérieur de la doublure en coton à porter à même la peau) pouvant être exposés à des coups dans le jeu et le scénario. Il n'y avait toutefois pas de collier à choc électrique pour simuler la décapitation, car elle arrêtait la séquence de jeu donc ça n'aurait rien apporté de plus. Ayant fait d'excellents progrès dans l'ancien système, selon VTP, on l'utilisait comme cobaye pour la mise au point du nouveau.
Aymrald supposait qu'il ne jouait pas que contre le logiciel: l'adversaire virtuel, quand il était humain ou humanoïde (deux bras deux jambes, même si c'était un robot ou un mutant), pouvait être "joué" en temps réel par un autre "acteur cobaye" (vu les chocs électriques, cobaye n'était pas exagéré, bien que ce fût sans séquelles) dans un autre simulateur. Le système étant indirect, il pouvait simuler des personnages de tailles, de proportions et de forces différentes des vrais joueurs, celui pilotant le plus grand étant handicapé par des mouvements ayant plus d'inertie en échange de disposer de plus de force et d'allonge. Allait-il croiser le fer ou autre chose contre Atte, depuis La Défense? Transmettre juste les mouvements immédiats de l'autre joueur demandait très peu de bande passante: une ligne téléphonique pas trop parasitée suffisait.
Ceci lui confirma qu'il devait être en concurrence avec d'autres candidats possibles pour le rôle, qui auraient plus d'heures par jour pour s'entraîner que lui. Il ne ferait probablement pas le film (au jugé, il se donnait une chance sur trois, sans avoir de moyen de connaître la probabilité réelle: qu'avait prévu BFR, avec combien de remplaçants?) mais l'entraînement méritait d'être vécu, et effectué le mieux possible car il devinait aussi que les moins bons seraient retirés pour libérer les installations d'entraînement au profit de plus doués.
La simulation ne lui montrait pas la totalité des scènes où il jouait "en vrai": juste ce qui serait utile à son action. Il y aurait probablement plus de monde en action dans le vrai décor (virtuel haute précision, merci Tarsini) que ce qui lui était montré: il ne voyait que son adversaire, ou les obstacles qui le concernaient directement, ainsi que la disposition générale des lieux (faux précipices, etc). Il comprenait que VTP ne veuille pas dévoiler trop de sa "superproduction" à ceux qui n'en feraient peut-être pas partie, à ce stade. De plus, les séquences à travailler n'étaient pas dans l'ordre. Il ne devait pas en parler, même chez BFR. Il n'en parla pas, d'autant moins qu'il n'était pas sûr d'y être gardé donc qu'il eût été présomptueux d'avoir l'air de le croire. Cette confidentialité pouvait expliquer que cette fois, VTP n'eût demandé aucune disponibilité horaire à ôter de celui de son travail chez BFR. C'était indépendant. Il ne devait pas en parler avec Atte non plus, donc ne pouvait pas l'inviter à voir le mécanisme. Le système de visée saurait immédiatement qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce, même s'il avait l'air éteint. Atte était-il un des joueurs? Lui, il en avait le temps, car VTP l'avait obtenu en "détachement horaire" complet de BFR, pour ses tournages de séries ou publicités.
Les comparaisons de systèmes multi-ordinateurs (chacun multi-processeurs) chez BFR l'intéressaient beaucoup, et pas uniquement pour ce qu'il pourrait en faire en cas de besoin (problème) chez BFRSF. Il participa aussi aux essais de divers types de réseaux neuronaux pour l'autocorrélation entre les modifications de recettes et le jugement des assemblées de dégustateurs. BFR lui dit qu'il aurait à faire les mêmes test en Finlande: les goûts de la population ayant pu évoluer, il fallait refaire une campagne de goûtage par de nombreux échantillons aussi divers et représentatifs que possible de la clientelle finlandaise, en mélangeant du BFR existant, des produits concurrents visant le même créneau et du BFR modifié, pour déterminer les nouveaux règlages de la production (sans avoir à modifier les installations, cette fois: juste à les reparamétrer via les AK46). Les test se feraient à Helsinki, pour avoir facilement beaucoup de gens prêts à tester et ne pas être dans le cadre BFRSF: les gens ne sauraient pas pour quelle entreprise les tests seraient menés, et même s'ils le supposaient et connaissaient déjà le produit BFR existant, ils ne sauraient pas forcément deviner lesquels des autres étaient du non-BFR du même genre ou des "prototypes" parmi lesquels BFR devait choisir (ou n'en choisir aucun si le produit existant était massivement préféré). Les essais de l'autocorrélateur et des nouvelles recettes commenceraient à l'usine, avec Ari comme goûteur: habitué à tout ce que faisait BFR, il constituait le "palais étalon" de l'entreprise (à défaut d'être représentatif du goût de la plupart des Finlandais: ça, on ne le savait pas). Il serait intéressant de voir quelles modifications il détecterait ou non, ou même s'il classerait parfois comme "nouveau" l'ancien produit: c'était parfois arrivé, dans des tests de dégustation organisés par BFR avec des gens consommant déjà l'ancienne version.
Aymrald joua ensuite dans "La citadelle des goules", en juin, tout en continuant les travaux. En effet, VTP avait décidé de rôder le système avec un "gros nanar" qui en utiliserait toutes les possibilités, dont beaucoup d'acrobaties et combats prévus pour le tournage de septembre, mais dans un tout autre décor (la citadelle, beaucoup plus facile à synthétiser qu'un paysage réaliste) avec d'autres répartitions des rôles et un scénario n'ayant rien à voir avec l'autre. Il y avait des points communs avec "Castel mortel". Cette fois, Erwann avait un rôle durant une grande partie du film. Il n'avait qu'à restituer fidèlement ce à quoi il s'était maintes fois entraîné en virtuel à retour d'effort. De temps en temps, on lui réajustait un pli dans sa tenue, on lui mettait un petit coup de poudre ou on lui soufflait de l'air bien froid dans les cheveux pour renforcer l'effet métallique: il avait l'impression d'être un chat d'exposition. Bien que VTP tournât bien plus de minutes "nettes de montage" par jour de tournage que les cinéastes classiques, le rendement lui semblait faible, par rapport à ce qu'il avait pu voir dans les tournages des séries: il était nettement sous-employé, comme acteur. Il aurait eu le temps de jouer dans au moins dix films de ce genre, en zappant entre eux au cours de la journée, à condition que tout fût tourné sur place. C'était aussi le cas des autres acteurs. Huit tournages étaient en cours simultanément, dont un seul film, et il n'était pas employé dans les sept autres productions: le reste du temps il participait à la technique.
La citadelle des goules ne sortirait pas tout de suite: d'abord, les moyens infographiques commandés chez AK pour cet été n'étaient pas encore livrés. Mais surtout, VTP savait que pour devenir crédible internationalement dans l'univers des grands films de cinéma, il fallait frapper fort, donc lancer "Les miroirs du temps" en premier. Le "gros nanar" suivrait, avec une richesse d'effets spéciaux (puisque l'on aurait tout le temps nécessaire pour en ajouter) lui permettant de passer à la suite du premier, plus sérieux.
Tarsini avait préparé (en virtuel simplifié) de quoi remplir sans temps morts sept heures de film, pour "Les miroirs du temps". On passait bien sept heures dans un roman, pourquoi pas dans un film? Il y aurait donc deux films, le second n'étant pas "du thé refait avec le même sachet" mais le tome 2 ("Les reflets du temps"), prévu d'origine, tout en réarrangeant le scénario du tome 1 de façon à ne pas finir en queue de poisson: ça devait paraître un récit autonome, tout en laissant des ouvertures pour y brancher la suite. En particulier Rolvar (il était maintenant décidé que ce serait Erwann, au vu des entraînements, mais on ne l'en informa surtout pas: il devrait se sentir toujours en concurrence pour le pousser à parfaire le travail de ses scènes au simulateur) serait mort, mais le duplicata (quand on voyageait dans le temps, on pouvait rencontrer d'anciens soi-même, y compris à seulement un mois de distance de repli) prisonnier d'une zone de temps arrêté, bien plus tôt dans le film, serait débloqué dans la seconde partie. VTP ne souhaitait pas dépasser trois heures par film, car c'était déjà long, en salle: aller au delà pourrait dissuader certaines de le passer (une entrée) au lieu de deux films durant entre 1h30 et 2h: deux entrées. "Les reflets du temps" contiendrait les effets spéciaux et décors les plus coûteux en infographie, ce qui donnerait le temps des synthétiser finement après la sortie des "miroirs du temps". Les deux seraient tournés en même temps, de façon à disposer des mêmes acteurs (sauf pour les personnages morts et les nouveaux venus) dans le même état. De cette façon, le second éblouïrait encore plus le public que le premier, qui devrait déjà frapper fort et rester longtemps dans les mémoires: "ils vont juste croire que les recettes du premier ont financé les surcoûts du second", comme cela avait été le cas pour Mad Max. Le second sortirait au printemps 1999. Entre les deux, "La citadelle des goules" et autres tournages de second rang éventuels: les navires d'escorte, entre les lancements des deux porte-avions. Tarsini avait un projet encore plus "mégalo": "Le crépuscule de Rome", mais il savait qu'il n'avait pas encore les moyens de le faire.
Jouer dans "la citadelle des goules" demandait déjà un bon imaginaire 3D aux acteurs, faute de voir la citadelle et les goules au moment de jouer les scènes. Ils les avaient vues et revues en s'entraînant au simulateur, mais on n'allait pas les filmer dans du médiéval avec le masque à immersion virtuelle sur les yeux. Pour un film de guerre futuriste, c'eût été possible. Le décors automatique fournissait escaliers droit ou à vis, galeries, rembardes, meubles à escalader (il suffisait de placer le dessus de la table, sans chercher la moindre ressemblance esthétique), lustres auxquels se suspendre, etc.
Tarsini avait vu Erwann dans "Castel mortel" et avait misé dessus, estimant qu'il était aussi crédible en chaton de calendrier qu'en tigre aux dents de sabre: ça dépendrait uniquement du film, puisque l'acteur, lui, n'aurait qu'à mimer fidèlement le modèle virtuel de son personnage, or ça, il le faisait fidèlement tout en donnant l'impression que cela venait de lui. Il suffisait d'éviter tout plan proche durable dans lequel l'effet "chaton de calendrier" risquerait de reprendre le dessus. Que cet effet existât en filigramme ne gênait pas. Il fallait juste passer vite dessus. De plus, Tarsini ne mettrait pas tous les oeufs dans le même panier: répartir la charge d'action et d'attention du public sur au moins quatre moteurs centraux restait un impératif pour ne pas sembler imposer tel ou tel au spectateur: celui-ci gardait une part de choix, comme dans un match ou une course. Tout le monde était utile au scénario, il suivrait tout le monde, mais miserait sur qui il voudrait. Ce n'était pas nouveau: dans certains grands films américains c'était le "numéro 2" (au sens du scénario) qui était le personnage le plus intéressant, le héros désigné étant parfois plus fade. Chez Tarsini il n'y aurait tout simplement pas de héros désigné. Zhao, personnage de boysband, était l'autre choix principal de Tarsini, avec Hillevi de Småprat, crédible dans un rôle d'action sans la moindre mièvrerie. Elle jouerait la soeur d'Erwann.
VTP s'était amusé depuis longtemps, en virtuel, à bidouiller ses personnages. Ceci avait permis de constater que Hillevi ne serait pas ridicule en garçon, ni Erwann en fille: si un jour on avait besoin d'une Walkryie au regard laser, pourquoi pas? Ils savaient (ayant retrouvé une photo datant d'un concours de plage de 1985, où il avait fini second derrière un "mort-vivant" très réussi, aux marbures et pelures verdâtres, avec un oeil pendu sur la joue) qu'il l'avait déjà fait, à neuf ans.
C'était une idée de ses cousines: des couvres-seins aérodynamiques en inox (ogives brillantes du diamètre d'un CD, provenant d'un lustre cassé), une armure-robe courte faite d'innombrables couverles de boites pour chats assemblés entre eux avec du fil de fer fin, quantité d'autres accessoires, un casque à pointe et à ailes d'aluminium (découpées et modelées dans les moules jetables dans lesquels étaient vendus certains gâteaux), une épée à deux mains, des protège-tibias en métal (papier d'aluminium bien tendu sur du carton), etc. Il n'aurait pas accepté d'être déguisé en "fille", mais en Walkyrie, oui: il n'y avait pas besoin de maquillage (une Walkyrie ne se mettait pas de rouge à lèvre) et le costume faisait personnage d'opéra: il manquait juste les nuages noirs au soleil couchant et Wagner. Lui, il avait trouvé que l'idée du mort-vivant était meilleure, mais ni lui ni ses cousines ne l'avaient eue lors de la préparation.
Les décors et les animaux en préparation pour "Les miroirs du temps" pouvaient servir dans "Rahan", mais VTP n'avait aucun acteur pour jouer le personnage principal (les Emilianiens ne convenaient pas) et moins encore les "primitifs". On allait donc tout faire en virtuel (après tout, il s'agissait d'une BD...), en le "rotoscopant" sur des cascadeurs réels pendant la phase de mise au point. L'image de synthèse devrait permettre de rendre la précision de détails graphiques de la BD, impossible en dessin animé classique. Le procédé viserait d'ailleurs à donner une image plus "dessinée" que de la synthèse classique, en repassant (automatiquement: effet "dessin au trait", bien connu des logiciels de modifications d'images) légèrement l'image aux traits, un peu plus fortement pour les contours, et en ajoutant les "sillages d'air" derrière les mouvements. La qualité de détail était un point clef pour plaire aux fans (ou nostalgiques) de la BD. Le projet VTP devrait y parvenir (en réutilisant les décors déjà en cours de synthèse pour "les miroirs du temps"), contrairement au très mauvais dessin animé qui avait déjà existé. Dans la stéréoscopie, des personnages non-émilianiens pouvaient poser problème, mais s'agissant de virtuels, il suffisait de ne pas appliquer les mêmes calculs stéréoscopiques aux traits des personnages les plus proches qu'à l'ensemble du décors. On diminuait un peu le relief des visages (simplement "normal", alors que dans un film stéréocopique on avait tendance à forcer un peu le relief de prise de vue: le public aimait ça, et c'était nécessaire pour les paysages lointains, sinon l'effet était peu discernable d'une prise de vue plate) quand ils se rapprochaient. Des règlages étaient en cours pour le style "synthèse redessinée" à bords tracés, au lieu de l'effet "bords doux naturels" de la synthèse classique. Certes, la synthèse stéréoscopique semblait déjà plus "découpée" que la synthèse à plat, mais VTP savait que son film tiré de Rahan serait surtout vu en 2D, où cet effet n'existerait pas: rouge proche devant une surface rouge située plus loin ne créait aucun effet de bord, alors que dans une BD le bord était tracé, y compris pour les bords des feuilles des végétaux. Ce procédé aurait pu rendre l'ambiance d'une BD comme "Corto Maltese" que l'on l'imaginait pas en synthèse volumique classique.
Le retraitement ne consistait pas en une "détection de bord" à partir de l'image finie, car dans ce cas non plus on n'en aurait obtenu aucun pour vert sur vert ou rouge sur rouge. Il s'agissait tout simplement de marquer plus ou moins finement les discontinuités du "Z-buffer", information absente des images de finale mais présente pendant la phase de synthèse: celle-ci savait comment c'était sculpté, alors qu'une image ne possédait plus cette information. Quant aux trainées d'air (ou d'eau, quand il s'agissait de combattre un "peau-bleue") elle participaient à l'impression très dynamique de cette BD. Le film devait les réutiliser, et pas juste par effet de "persistance rétinienne": on allait marquer l'air (différence momentanée d'indice de réfraction) de trainées transparentes et éphémère comme dans de la gélatine, sauf que disparaissant plus vite. VTP appela ça de la "BD animée", par opposition au dessin animé traditionnel et à celui en synthèse volumique classique. Ca n'induisait pas d'augmentation significative du temps de traitement et ça en faisait même économiser sur certaines choses, car à partir du moment où on était en "BD animée", on ne prétendait pas à un rendu réaliste poussé: juste une grande fidélité de volumes et mouvement, mais l'effet "matière" (très coûteux) devenait inutile car les dessinateurs de BD, même précis et soigneux, ne passaient pas des mois à rendre des "textures" à la façon de Rembrandt ou Géricault: ils se contentaient d'ombrages. Le système de redessin automatique aux traits et d'application de "valeurs" (comme disaient les dessinateurs) aux endroits opportuns éviterait en même temps l'effet "métal et plastique imprimés" des jeux vidéo. Ce fut Erwann, en combinaison portant des lignes et des cibles, également collées sur son visage, ainsi que quelques fils bleu vif parmi ses cheveux, ayant même texture pour ne pas de comporter autrement, qui servit à "rotoscoper" automatiquement certaines scènes. Peu importait que le modelé ne fût pas le même: ceci piloterait l'autre. Ce serait également lui qui doublerait vocalement le personnage virtuel.
Erwann trouva curieux qu'on lui demandât de créer le mouvement, alors que dans son entraînement il devait au contraire imiter du virtuel animé. La raison fut "nous n'avons pas eu le temps de préparer toute la cinématique pour ce film. Ca prend beaucoup de temps, vous allez donc la mimer, chacun, et nous garderons les mouvements qui rendront le mieux une fois réhabillés en virtuel". Il savait que ça se faisait déjà pour donner du naturel aux mouvements dans les jeux vidéo de sport, par exemple le football: un vrai joueur tirait un grand nombre de pénaltys, qu'un vrai gardien tentait d'arrêter, ce qui finissait par créer une bibiothèque de mouvements entre lesquels le jeu pouvait ensuite interpoler pour créer un tir légèrement différent intercepté (ou non) à une autre position par rapport au but. Erwann préenregistrerait-il un jour le virtuel pour ses propres rôles? Rien de tel ne semblait prévu, et on lui expliqua pourquoi:
- si nous faisions ça, tu aurais tendance à jouer comme Erwann d'Ambert, involontairement, or ce n'est pas ce que nous voulons: d'un rôle à l'autre, ton jeu devra se renouveller. Ce sera donc à chaque fois un autre "préacteur" qui enregistrera ce que tu devras faire. Nous piocherons aussi dans des mouvements déjà modélisés, en interpolant entre eux, comme dans les jeux vidéo. Rahan n'existe pas, en tant qu'acteur, donc tu peux le créer, en relisant les BD pour apprendre à l'imiter. Comme tu es agile et précis, il est logique de te le confier, et non parce que tu lui ressembles plus que Zhao.
E- la difficulté viendra des corps à corps: comment s'y entraîner?
- avec un personnage mécanique en latex. Il suffit que ça ait grossièrement la forme d'un l'ours, d'un homme, d'un requin ou de l'araignée géante, aux endroits où tu le toucheras, et que ça oppose une résistance suffisante.
Erwann eut donc à rotoscoper des scènes de ce personnage pour l'épisode de la forêt des haches, du lance-filet, de l'araignée géante et de l'arbalète géante. L'accord avait été signé avec les auteurs et le premier film durerait 1h40. Il y en aurait d'autres (probablement plus longs) si le premier plaisait. Beaucoup de scènes pouvaient être jouées sans rotoscopie, car le mouvement était soit simple, soit interpolable à partir d'autres déjà rotoscopés.
Il passa son 22ème anniversaire (déjà? Cette année était passée vite, tellement il y avait rencontré de choses inédites) en famille, d'autant plus facilement que les studios n'étaient qu'à cinq kilomètres de la maison.
Il n'avait jamais parlé spontanément des rôles qu'il avait eu dans certaines séries, sachant que sa famille s'en apercevrait toute seule si elle tombait dessus par hasard, où par curiosité après que quelqu'un leur ait dit "on dirait votre fils, dans Cap sur Mars". Ca s'était su, personne n'en avait fait un plat (ce "boulot d'appoint" n'était pas plus bête qu'un autre) et l'été dernier ses cousines lui avaient posé des questions sur les autres personnages des séries puisqu'il avait pu les rencontrer en vrai. Il ne laisserait rien deviner des "miroirs du temps" (qui risquait de se faire sans lui): s'il y était, il attendrait qu'on l'y découvrît, or ses parents n'allant pas au cinéma se serait soit par quelqu'un d'autre, soit plus tard quand ça passerait à la télévision.
Ses cousines, elles, n'hésitaient pas à y faire allusion, lui rappelant qu'elles l'avaient préparé très jeune à de futurs rôles de films d'action, lors des concours de déguisements, à la plage, l'été.
Stéphane (car à cette époque il ne s'appelait pas Aymald) se rendit compte n'avait pas conscience de son image avant cette époque, et encore, ce n'était qu'épisodiquement, ensuite. Il s'était toujours ressemblé: il n'avait jamais eu l'air larvaire ou "idiot étonné" de beaucoup d'enfants. C'était lui en plus enfantin, mais il n'avait pas "changé". Juste grandi. Il y avait d'autres enfants dans ce genre-là en Finlande, et en Bretagne: difficile de dire d'où ça venait. Anne-Marie:
- quand je pense que ta mère a toujours refusé que l'on te fasse faire des photos publicitaires ou pour des catalogues: "ça va le rendre idiot".
S- ça aurait pu. En plus ça doit être terrible pour ceux qui ont été très bien à huit ou dix ans, et qui ne le sont plus du tout dix ans plus tard, quand on les taquine en ressortant ces photos.
- les gens réellement bien faits le restent malgré l'âge. Je pense qu'à 80 ans, tu te ressembleras encore, mais en vieux: un peu comme ton grand-père.
Anne-Marie lui montra la photo de septembre 1983 avec les bottes, le pantalon, les gants et la veste de chasse qu'il lui avait achetée: ce n'était pas un "cadeau", mais un équipement pour la rentrée: "des poches partout pour les crayons, les stylos, les gommes...". Il avait été recoiffé dans un style plus réussi que ce que fit Anne-Marie les rentrées suivantes: il avait l'air de poser dans une page "sports et loisirs enfants" d'un catalogue de VTP.
Anne-Marie- c'est lui qui t'avait acheté ça.
Stéphane- ah oui: ce dont je me souvenais bien, c'était d'avoir tiré au fusil.
AM- tu n'avais jamais raconté ça...
S- il y a prescription.
Anne-Marie et ses parents l'ignorait encore car son grand-père lui avait dit de ne surtout pas en parler aux autres: "ta mère t'interdirait de revenir ici si elle le savait". Comme l'anecdote n'avait pas été réévoquée il n'avait pas eu l'occasion d'en reparler.
AM- ça aussi, je crois que ta mère l'aurait mal pris.
S- j'ai tiré sur des boites de conserve, pas sur des animaux. A l'air comprimé, puis au fusil de chasse.
Maintenant il se souvenait du shopping, en ville, en septembre, à la fin du séjour. Il se souvenait des essayages de vestes (la manipulation des zips, des velcros et des boutons-pression des différents modèles), de pantalons, de bottes, de gants, avec l'odeur des cuirs bruts ou lustrés du magasin, et surtout, le tir au fusil vers des boites de conserves et des bouteilles en plastiques remplies d'eau. Le recul dans l'épaule (et encore: son grand-père avait préparé des cartouches "dégonflées": moins de poudre, moins de plombs), l'odeur de la poudre: ce n'était la même odeur que celle des pétards, bien que voisine. Contrairement à ses parents, ses grands-parents ne l'envoyaient pas "faire ses devoirs" quand ils recevaient, alors qu'il avait spontanément proposé de dire ça et de monter au grenier lire de vieilles BD datant de l'enfance de sa mère et de sa tante. Il était donc resté faire la plante en pot en mangeant le plus sagement possible, à un angle de la longue table en bois rustique, tandis que les vieux avaient des discussions de vieux. Il essayait de comprendre, mais ils parlaient souvent en même temps (A avec B, C avec D...) et il y avait les bruits de verres, de couverts: un peu comme ce dont on ne se rendait pas compte sur le moment mais redécouvrait en écoutant l'enregistrement d'un tel repas. Stéphane ne fut ni embrassé (par quiconque), ni carressé: ces deux consignes-là, rappelées par sa mère au moment de le leur confier, avaient été respectées. Toutefois, il y eût des "qu'il est mignon" "qu'il est beau", etc, (que l'on destinaient parfois à des enfants qui ne l'étaient pas) que ses parents lui avaient habituellement évités en l'envoyant "faire ses devoirs" quand il y avait d'autres gens et en n'allant jamais chez d'autres gens avec lui: "ça pourrait le rendre idiot". Stéphane ne souriait pas sans raison (pas de sourire "de façade") et il ne regardait pas plus d'une fraction de seconde les gens en face car il savait (le lui avait-on dit ou était-ce un instinct animal?) que c'était dérangeant. Souvent il suivait du regard une main (ou l'autre: la plus animée des deux à ce moment), surtout chez les gens qui parlaient avec les mains: les mains étaient bien plus vivantes et expressives que les visages, de son point de vue. En présence d'inconnus, il s'appliquait à se faire oublier, tout en restant attentif, par curiosité. Son grand-père était intimidant, mais en même temps rassurant, en particulier quand il le portait, dans l'escalier, pour l'amener à sa chambre. Que l'escalier fût "dangereux" n'était qu'un prétexte, mais Stéphane soit ne le savait pas, soit de toute façon préférait être porté. Il devenait tout mou, comme un chat, les yeux fermés, confiant dans la sûreté du pas et des bras de son grand-père. Ca ne durait qu'une vingtaine de secondes, une seule fois par jour. Il n'aurait pas osé demander à être porté, mais il n'aurait pas pris l'initiative de monter l'escalier tout seul, le soir: être porté était plus agréable.
Stéphane se souvenait bien de sa grand-mère Géraldine, qui était morte à 130kg et 70 ans (elle était de 1926). Une charmante femme-hippopotame, qui semblait avoir beaucoup d'affection pour Fulbert, et réciproquement. Elle devait peser au moins deux fois son poids: pour 1m72 (1m76 autrefois) et la ligne qu'il avait, il devait faire moins de 65kg, supposait Stéphane. Il n'aurait jamais pu porter Géraldine dans l'escalier. Ce n'était toutefois pas un couple à la Dubout: car elle était plus petite que lui: 1m60 environ, donc probablement plus quand elle était jeune.
Il y avait effectivement quelque chose de lui chez Fulbert Lepallec, né en 1920 (mais que l'on imaginait bien plus récent, quand on ne le savait pas), veuf de Géraldine depuis deux ans. Stéphane s'était demandé à qui d'autre que lui-même lui faisait penser Atte, et maintenant il s'en souvenait. Effectivement, les profils droits aux traits plutôt fermés semblaient moins vieillir. La ligne blanche des sourcils tangeantait des yeux "bretons bridés" plutôt rapprochés, d'un vert laurier, voire "wagon", pouvant faire penser qu'ils étaient d'un noir d'eau profonde (un noir à base de vert, comme du verre de bouteille cassée regardé par la tranche) quand la lumière n'y rentrait pas directement (quand elle venait de plus haut), et qui devenaient d'un vert plus intense quand elle y entrait. En fait c'était un mélange de vert chat et de paillettes d'un gris sombre, ce qui ne produisait pas le même effet que si ces teintes avaient été mélangées uniformément. A la manière de celui d'un carton à dessin, le vert était très lumineux dès qu'il était éclairé, au point de "manger" optiquement les zones sombres et de s'imposer dans l'impression produite. Sinon, c'était l'inverse. Quand le vert était moucheté d'une couleur plus claire (souvent rouille-orange) celle-ci fonctionnait en même temps, quand la lumière augmentait, donc le "tuait" dans tous les cas: ce genre d'yeux ne semblaient jamais verts, mais de moutarde à bruns selon la lumière. Plus les paillettes étaient sombres, plus celles-ci semblaient disparaître à la lumière, donc plus les yeux semblaient verts. A l'ombre, la composante la plus sombre s'imposait. Il y avait ainsi chez Anne-Marie une photo de lui datant de l'été dernier (1997), prise en bord de mer, dans laquelle il semblait avoir un oeil vert émeraude et un oeil noir. Les cheveux d'un blanc nacré étaient coiffés dans le style "Stéphane 2", déportés par le vent. Implantation sans recul, mâchoire nette, dos droit, pas de ventre, oreilles de taille moyenne (celles des vieux étaient souvent grandes), nez encore émilianiométrique: si c'était ça, d'avoir 78 ans, ça n'avait rien d'inquiétant. 77, sur la photo. Stéphane trouvait qu'il faisait personnage de film, dans cette photo.
Stéphane- n'a-t-il jamais pensé à faire du cinéma?
Anne-Sophie- c'est à lui que tu devrais poser la question. Je ne crois pas qu'il en aurait eu le temps. Mais il ne faut pas s'y tromper: quand on le voit maintenant, on pense que jeune, il devait être sublime, vu ce qu'il en reste. En fait c'est parce qu'il a très peu changé: à vingt ans, c'était le même à l'état neuf, donc ça se remarquait moins, pour sa tranche d'âge, et contrairement à ce que beaucoup de gens supposent, il n'a jamais été blond: il n'y avait que les sourcils qui soient clairs.
Stéphane nota instinctivement qu'il eût fallu dire "fussent", et non "soient": réflexe acquis chez Kermanac'h, mais il ne corrigeait jamais à voix haute la grammaire des gens, car faire une remarque sur la forme pouvait passer pour un désintérêt total pour le fond: c'était d'ailleurs souvent le cas, de la part d'autres gens. Ca leur servait aussi à ne pas répondre à une question qui les mettait en position de "perdre", dans une discussion: critiquer la forme permettait de botter le fond en touche, au moins provisoirement, le temps de chercher d'autres arguments. Non interrompue, Anne-Marie continuait donc:
"Du blond, on n'en a vu que deux fois, dans la famille: Henriette -sa mère- et toi. Comme lui, il a blanchi dès la trentaine, on ne s'en souvient plus. Pour l'époque, il était relativement grand: 1m76, c'était une bonne taille, en Bretagne. Aujourd'hui ce serait en dessous de la moyenne des jeunes, surtout qu'il s'est un peu tassé, comme tout le monde, même en se tenant droit. La dernière fois que je l'ai mesuré, il faisait 1m72. Pareil: pour son âge, c'est parmi les moyens-grands, surtout qu'il ne s'est pas voûté."
Anne-Marie chercha dans l'AK49 les photos de famille qu'elle avait numérisées l'automne dernier, chez son père. Sa mère était déjà morte.
AM- voilà: 1930. 10 ans. Celle-ci est en couleur. Il y en a peu, parmi les anciennes.
Stéphane remarqua d'abord la voiture bleue à bord de laquelle les deux enfants posaient. Prise avec un effet de perspective impressionnant (bien que ce ne fût pas du "Vérascope"), une Buccialli TAV30, au capot long comme dans un dessin animé de Tex Avery, mais moins haut que les ailes des grandes roues de style Bugatti Royale. V12 Voisin, traction avant. Stéphane en avait entendu parler, avait vu des photos dans des magazines, mais jamais en vrai.
S- était-ce la voiture de mon arrière-grand-père?
AM- non: sans doute d'un ami à lui, qui était venu en visite. Il ont photographié les deux enfants dedans, pour faire un souvenir.
Malgré ses roues de camion et son énorme moteur, elle n'était pas plus haute qu'une voiture moderne: le pare-brise n'était qu'une meutrière nécessitant trois petits essuie-glaces. La voiture était décapotée. Il zooma, puisque c'était numérisé avec une résolution supérieure à celle de l'écran. La numérisation d'une photo réelle donnait à l'époque plus de précision qu'une photo directement numérique, technique aux performances encore modestes pour les appareils grand public: souvent guère mieux qu'un écran d'ordinateur, voire moins. Au volant, le plus grand des deux avait une avalanche de cheveux blond-roux sur un visage mitraillé de taches de son. Le plus petit avait des cheveux "marron glacé" mi-longs, la raie de côté (pour la photo?), pas de taches de son, un sourire pleine largeur (mais peu ouvert: une ligne blanche fine) et un regard en ligne: peut-être plus serré qu'au naturel en raison de la luminosité ambiante. Même du peu qu'il en voyait sur cette photo (en raison de la perspective et de la longueur du capot), ce gamin avait un air de famille avec lui. L'autre devait être le fils ou petit-fils du propriétaire de cette fabuleuse routière.
S- s'il y avait une photo à garder, c'était celle-ci. Qui est au volant?
AM- Sigbert. Le frère aîné, celui qui est mort en avion.
S- à la guerre?
AM- non: en 1934. L'ami qui avait cette voiture avait emmené ton arrière-grand mère, Sigbert, Frédégonde et Fulbert faire un tour en avion: il venait de se l'acheter. Oui: Frédégonde était leur soeur, deux ans de plus que Fulbert et deux de moins que Sigbert. Elle ressemblait surtout à Sigbert. Non, je ne connais pas le modèle de l'avion, mais ça devait être un petit, léger, entoilé. Ils se sont écrasés et seul Fulbert a survécu. Peut-être parce que c'était le plus léger, ou parce que le choc n'a pas eu lieu de son côté: on ne saura jamais. Lui, il se souvient qu'il s'était retrouvé dans l'herbe, après avoir traversé une déchirure du fuselage avoir glissé sur l'aile. Il est retourné voir pour essayer de trouver sa mère, mais tout le monde était mort. Son père n'était pas dans l'avion, car il y était déjà allé plusieurs fois et il n'y avait pas la place pour tout le monde en même temps.
S- pourquoi ne m'a-t-on jamais parlé de ça avant?
AM- ton grand-père n'en parlait jamais, ta grand-mère ne le savait pas, puisqu'elle l'a connu en 1948.
S- je savais qu'Henriette était morte dans un accident. Je ne savais pas que c'était en avion ni que papy avait eu un frère et une soeur.
AM- ton grand-père a une formation scientifique solide et ne croit en rien, mais ça l'a tellement marqué que le jour où tu as pris l'avion pour la première fois de ta vie, pour aller en Finlande, il a eu peur que la malédiction se reproduise: "le blond ça porte malheur, surtout en avion". J'ai pensé aussitôt à l'accident d'Henriette, alors je lui ai dit que toi, ce n'était pas le même genre de blond, et que c'étaient peut-être les taches de son qui portaient malheur en avion, puisque lui, il n'en a jamais eu, donc peut-être que dans ton cas ça ne comptait pas. C'est peut-être pour ça qu'il ne t'en a jamais parlé. Toi, c'est du blond nordique, et tu n'as pas de taches de son, mais il a peut-être craint qu'en te racontant cette histoire du aies peur.
S- curieux: il pense qu'il est dangereux pour moi de prendre l'avion, mais il ne m'avertit pas.
AM- parce qu'il sait que c'est absurde et que comme tu voulais vraiment aller en Finlande, tu l'aurais pris quand même, mais en repensant à cette histoire, s'il te l'avait racontée: à quoi bon?
S- y a-t-il des images où on les voit mieux?
AM- oui, mais elles ne sont pas en couleurs.
S- Frédégonde?
Anne-Marie trouva, parmi les photos de 1930: Frédégonde, douze ans, tenait fièrement devant elle une bicyclette brillante: cadeau d'anniversaire? Longs cheveux blonds, visage rond, taches de son (même en noir et blanc on les devinait) yeux clairs: probablement verts.
Fulbert dans une décapotable photographiée de profil: une Renault, d'après la forme du capot. Difficile de dire quel modèle (une "40CV"?), le jouet n'ayant probablement respecté ni les proportions ni tous les détails. Il y avait un pare-brise rabattable et un gros klaxon à poire. La photo prise de profil montrait qu'il y avait une chaîne, pendant un peu sous le châssis, et non des tringles: c'était donc une voiture à pédales de bonne qualité, conçue comme un kart. L'assise basse laissait supposer que la chaîne était contre un des côtés, et non au centre, avec un vilebrequin "pédalo" en guise de pédalier. Probablement pas de roulements à billes, supposa Stéphane: trop difficiles à monter sur un vilebrequin, à moins d'un coût de fabrication dissuasif pour un jouet. Vu les forces mises en jeu, un montage à "axes tout bêtes" ne devait pas être trop pénalisant, surtout si on pensait à graisser de temps en temps. Avait-elle servi à Sigbert antérieurement? Stéphane avait appris d'Anne-Marie qu'à âge égal il était plus grand que Fulbert, alors comme il avait quatre ans de plus que le petit dernier, celui-ci avait dû pouvoir utiliser la "40CV" longtemps après que Sigbert se fût cogné les jambes contre le volant. Frédégonde? Probablement pas: à l'époque, ça devait être considéré comme un jouet pour garçon.
1932: Sigbert (16 ans, donc) au volant de la 201 paternelle. Stéphane se doutait qu'il avait dû avoir la permission de la conduire un peu, bien que n'ayant pas l'âge du permis. Il devait être assez grand pour ne pas avoir de problème avec les pédales. Avoir une voiture à l'époque était signe de bourgeoisie, même s'il s'agissait d'un modèle de bas de gamme. Les Lepallec avaient une bonne situation (le père était dentiste) mais loin de celle de leurs amis avec Buccialli et avion privé.
Août 1934: dernière photo des trois enfants, en bord de mer, sur des rochers avec des filets à crevettes. Frédégonde (16 ans), toujours de ce blond-roux flamboyant, était coiffée à la garçonne, donc un peu plus court que Sigbert, grand et presque maigre, cheveux taillés "à vue de nez". La différence de traits et de morphologie entre lui et les deux aînés était nette, de plus il était le seul à avoir les cheveux vraiment lisses et les avait gardés plutôt longs. Fulbert était effectivement plus petit, à 14 ans, que ne l'avait été Sigbert. C'était le seul "Emilianien" des trois. Son frère et sa soeur n'étaient pas laids, loin de là, mais ceci-cela aurait été recalé par la machine de VTP.
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Anne-Marie- oui: il se peut que Fulbert ait eu un autre père. On dit que ça pourrait avoir été le menuisier qui avait changé toutes les fenêtres et les volets de la maison neuf mois avant sa naissance. Pour autant, Jacques tenait beaucoup à son petit dernier, parce que c'était le plus sage et le plus intelligent, au point que dès six ans il avait dû prendre un précepteur pour lui donner des cours particuliers, au lieu de le mettre à l'école où il se serait ennuyé: il savait déjà très bien lire, écrire, et faire les divisions avec des décimales. Seulement deux heures de cours particuliers par jour, et le week-end c'était lui qui lui enseignait les maths et les sciences. Grâce à ça il a eu son bac à 15 ans en candidat libre, avec mention "bien", ou l'équivalent à l'époque. En tout cas, il avait eu de très bonnes notes.
Une photo en couleurs de 1937 montrait Fulbert debout à côté d'une 402 (sur le capot de laquelle il posait une main), voiture immédiatement identifiable avec ses formes fluides et ses phares juxtaposés derrière la calandre, d'où un effet cyclope vue de nuit. Certes, ça aurait pu aussi être une 302 ou une 202, vue de face, mais Stéphane savait qu'ils avaient eu une 402 qui avait ensuite été volée en 1942. Cette voiture (lancée en 1936) était techniquement plus moderne (roues indépendantes à l'avant, soupapes en tête, freins hydrauliques) que les Renault et les Panhard de l'époque mais moins que la Traction, en échange de quoi elle était réputée plus fiable. Sa ligne élégante et futuriste avait contribué à son succès. Fulbert, dix-sept ans, avait grandi sans faire "ado". Stéphane supposait que lui aussi était passé à côté de la case "âge ingrat", dans le trajet entre enfance et âge adulte. Les cheveux d'un châtain ayant peu varié, coiffés dans le style moyen-court abondant de l'époque. Les sourcils toujours clairs, droits et proches des yeux. On ne devinait pas, sur cette photo, qu'il avait les yeux verts, le soleil était trop haut dans le ciel pour y entrer.
Stéphane savait déjà qu'il avait fait des études dentaires, comme son père, savait aussi pour le bac à 15 ans, et connaissait l'anecdote: "j'ai torturé des Allemands pendant la guerre, y compris des officiers SS, mais ils sont coriaces: ils n'ont rien avoué". Comme étudiant dentiste, à Paris, il avait eu l'occasion de travailler dans des dents teutones, par manque de dentistes allemands sur place et peut-être aussi parce qu'ils savaient qu'un étudiant français n'oserait pas leur faire aussi mal qu'un dentiste militaire allemand. N'ayant pas toujours du protoxyde d'azote à disposition (manque de réapprovisionnement) Fulbert leur mettait de la glace pilée (obtenue d'un poissonnier) dans la bouche pour engourdir avant travaux, du moins quand c'était en bas. Statistiquement, les dents du bas s'abîmaient plus que celles du haut, les résidus ayant plus tendance à s'y incruster. Dès cette époque, il s'équipait d'un masque et d'un bonnet de chirurgien, ainsi que de gants (lavés et non jetés: l'époque ne permettait pas un tel gaspillage) pour faire plus "médical", et aussi parce qu'il supposait que ça se faisait en Allemagne, pays très hygiénique et très organisé, avait-il entendu dire.
Après guerre il avait travaillé dans le cabinet de son père, où il avait apporté nombre d'innovations comme le tube de lumière: remplir d'eau un tube souple, relié à un projecteur de diapositives (avec une lentille différente) et fermé par une lentille côté bouche. Introduire le tuyau dans la bouche, par le côté opposé au travaux, à travers une cale en caoutchouc percée, qui servait à la fois à le tenir et à maintenir la bouche ouverte sans que le patient eût à y penser.
- as-tu peur qu'ils mordent?
avait demandé Jacques, son père
F- ça tient l'éclairage et je pense que c'est moins fatigant pour eux que de devoir garder exprès la bouche ouverte: ils peuvent mordre dans la gomme, c'est plus pratique pour eux et pour moi.
Eclairer la bouche de l'intérieur sans gêner la manoeuvre était un progrès tellement évident par rapport à un éclairage externe que Fulbert s'étonna que personne ne l'eût fait avant, et surtout de ne pas être copié, bien qu'il eût mentionné le dispositif dans une revue médicale de façon à ce qu'il ne pût pas être breveté dans son dos. Il n'avait aucune intention de prendre un brevet, estimant que le jeu n'en valait pas la lanterne, et pourtant, ça ne se généralisa pas. Le dispositif ne chauffait pas (les infrarouges ne traversaient pas l'eau) et ne présentait aucun risque, le projecteur (comportant encore une petite lampe à arc, à l'époque) étant loin de la bouche.
Anne-Marie- Fulbert et son père, en 1945.
Ils étaient adossé à la "11 légère" grise que Jacques venait de racheter d'occasion (modèle 1938) avec des dents cassées dans la boite de vitesses (qu'il fit remplacer par l'électromagnétique Kermanac'h) et qu'il avait pu équiper des roues "Pilote", bien plus élégantes, en plus de favoriser le refroidissement de freins, roues trouvées séparément, d'occasion elles aussi. Ca donnait une allure "sport" à cette voiture correctement motorisée pour son poids: un moteur de "11" n'ayant à tirer que la carrosserie de la "7". Il y avait bien moins de choix de couleurs et d'options dans les Citroën neuves d'après-guerre que dans la production antérieure (des mêmes modèles, mais mieux équipés), en plus de délais de livraison dissuasifs.
Stéphane connaissait cette voiture, Fulbert l'ayant encore, sauf qu'entretemps elle avait été repeinte: la caisse toujours en gris, les ailes en noir.
C'était la première photo (en noir et blanc: la pellicule couleur était-elle elle aussi rationnée?) de son arrière-grand-père que voyait Stéphane. Très grand (1m90?), de petites lunettes à la André Citroën devant un visage en oeuf pointe en bas, terminé par un crâne d'oeuf. Les traits n'évoquaient pas Fulbert non plus, mais plutôt sa soeur et un peu son frère.
Anne-Marie- il y avait aussi un deuxième carburateur et une boite de vitesses spéciale. Ca ne se voyait pas, mais ça s'entendait et ça ressentait, quand il appuyait à fond sur l'accélérateur.
Stéphane le savait déjà: la boite de vitesses spéciales était une électromagnétique "autosynchrone" Kermanac'h à cinq rapports. Kermanac'h ne fabriquait plus la Tracmatix, après guerre (les voitures et l'outillage ayant été volés par les Allemands) mais fabriquait encore des roues "Roulaplat" (vendues assez cher, et pas pour tous les modèles: c'était le marché de luxe qui était visé, avec Bugatti, Delahaye, Talbot, etc, voitures puissantes et rapides mettant leurs pneus à rude épreuve et où une crevaison constituait un danger important (perte de contrôle), à cette vitesse, dans le cas d'une jante classique) et des boites de vitesses spéciales pour la compétition ainsi que pour des engins militaires. Celle destinée à la Traction (et à beaucoup d'autres voitures, dans son principe) utilisait deux trains épicycloïdaux montés en série, ce qui donnait chacun trois vitesses avant donc théoriquement neuf, mais en fait la boite n'en utilisait que cinq, l'un des trains tournant d'un seul tenant (prise directe) quand l'autre utilisait une de ses démultiplications. Toutes les maneuvres se faisaient par des embrayages (ou synchroniseurs) électromagnétiques à poudre (dans de l'huile), avec verrouillage mécanique final, ce qui évitait d'avoir à maintenir les bobines sous tension pour maintenir embrayé. Un système très précis (bien plus que l'embayage au pied), inusable (même quand on patinait longtemps en première pour remorquer quelque chose de lourd) et sans secousse, grâce à une commande agissant sur le ou les carburateurs au moment de changer de rapport: lever de pied au passage du rapport suivant, petit coup de gaz pendant le rétrogradage. Sans cette commande, ça marchait quand même (le magnétocoupleur étant conçu pour ça) mais avec des commutations un peu moins rapides et plus perceptibles. C'était une boite de vitesses de machine-outil adaptée à l'automobile (comme l'avait déjà été celle de la Tracmatix) pour fournir aussi du frein moteur et une marche arrière. La conception à deux trains épicycloïdaux lui permettait de ne pas être plus longue que la boite trois vitesses de la "11", en échange d'être un peu plus ventrue (mais pas plus que la cloque d'embrayage). Elle était plus lourde, certes, mais permettait de supprimer démarreur et dynamo: le moteur/générateur "couronne" incorporé à ce qui tenait lieu d'embayage remplaçait l'un et l'autre, avec un bien meilleur rendement. La boite pouvait être commandée chez Kermanac'h avec divers rapports côniques finaux. La présence du second carburateur permit de choisir une démultiplication plus longue, avec la vitesse maxi en quatrième et la cinquième (directe, dans cette boite) comme rapport "de croisière", destiné à faire tourner le moteur 25% moins vite, au bénéfice de l'ambiance sonore et de la consommation: le carburant était encore rationné. Avec une quatrième bien calculée et le deuxième carburateur (qui n'entrait en jeu qu'en fin d'ouverture du premier, pour ne pas perturber le fonctionnement en mode "calme") la vitesse de pointe passait d'environ 120 km/h à près de 140, ceci avec une consommation plus basse à 110 km/h que celle du modèle d'origine, grâce à la cinquième longue.
Avec les trains épicycloïdaux, il n'y avait aucun intérêt à faire une boite à quatre vitesses, or quatre vitesses suffisaient largement dans la plupart des voitures de l'époque (avec trois, la seconde était souvent trop courte pour servir à relancer pour doubler, avec quatre la troisième pouvait tenir correctement ce rôle) d'où l'idée d'utiliser la cinquième comme vitesse "de roulage constant": on n'avait plus tellement de reprises, sur ce rapport (sauf moteur vraiment puissant), et il fallait souvent l'abandonner en côte, mais le moteur tournait moins vite d'où moins de bruit, moins de consommation et moins d'usure. D'autant moins de bruit que les deux trains épicycloïdaux étaient alors en prise directe, tournant d'un seul tenant. Seuls engrenages mis en jeu: le couple cônique du différentiel.
Kermanac'h fabriquait aussi des boites sans le différentiel, sur le même principe, pour équiper les Peugeot de la série "002" et pour quelques autres modèles courants: pour que le prix fût raisonnable, il fallait pouvoir automatiser autant que possible la production, donc être sûr d'en vendre plusieurs milliers par an. Plusieurs milliers d'exemplaires du système interne, et non de toute la boite: il n'existait que deux formats (un pour moteurs de moins de 85ch, l'autre au delà) du mécanisme, le reste n'étant qu'adaptation de la forme du carter (aluminium moulé) pour imiter les fixations d'une boite d'origine de la voiture destinataire, ainsi que le montage des transmissions (traction) ou de la transmission (propulsion). L'alliage d'aluminium coulé était en vogue en raison d'un manque temporaire d'acier, au point que Panhard avait produit et commercialisé une voiture entièrement en aluminium, ce qui serait passé pour un luxe aéronautique une décénie plus tard. L'Hotchkiss Grégoire était elle aussi réalisée en aluminium.
La boite pouvait fonctionner en mode automatique, manuel, ou mixte: le mode "1-2-3 automatique, 3-4-5 manuel" était le compromis utilisé par la plupart des conducteurs, car sur route, la boite ne pouvait pas "deviner" ce que l'on avait l'intention de faire cent mètres plus loin (continuer à prendre de la vitesse, ou la laisser chuter en raison du prochain carrefour?): une logique préfabriquée ne conviendrait pas à toutes les situations, tandis qu'à faible allure, autant la laisser s'en charger pour avoir les deux mains libres pour le volant, surtout en ville. Le mode automatique était règlé par un curseur: l'un des bouts de course signifiait "passer le rapport suivant dès que possible" (selon régime moteur, donc tension du générateur principal), ce qui diminuait bruit, consommation et usure, l'autre "garder les rapports courts tant que possible", ce qui donnait les meilleures accélérations, tous les règlages intermédiaires étant possibles. L'autre levier règlait le nombre de vitesses automatisées: de 0 à 5. 1 signifiait que l'embrayage était automatique en dessous de la première, et qu'ensuite toutes les vitesses étaient choisies à la main. La boite possédait trois marches arrière, l'un des trains servant d'inverseur (et réducteur) tandis que l'autre conservait la possibilité de changer de démultiplication. Ces marches arrière étaient aussi silencieuses que les autres vitesses (puisqu'utilisant les mêmes dentures obliques) et il n'était pas possible de les passer tant que les roues tournaient en avant: il fallait d'abord les bloquer avec le frein. On n'utilisait généralement que la plus courte (manoeuvres de stationnement), qui était plus courte que la première avant, et la plus longue (recul sur une distance plus importante), qui était équivalente à la seconde de marche avant.
Cette boite n'accrochait jamais (le levier ne faisait que commander à l'automate électromécanique de passer une vitesse. Il ne manipulait rien directement) et ses consituants étaient pratiquement inusables. Les ailettes du carter en alumium suffisaient comme radiateur d'huile même en mode de "patinage" prolongé, qui revenait à brasser une huile rendue pâteuse (mais pas encore prise en bloc) par la poudre magnétique sous champ partiel.
Malgré les commentaires élogieux des magazines spécialisés sur ce système (fiable, pratique, laissant le choix de choisir ou de ne pas choisir les vitesses), ne critiquant que son poids (les bobines magnétiques pesaient plus lourd que des synchros ou des embrayages), il n'y eut aucun constructeur automobile pour en commander une version montée de série ou en option d'usine dans une de ses voitures. Ca restait une option hors réseau et hors garantie, toutefois Kermanac'h garantissait la boite, garantie accordée dès qu'un agent de la marque (un de ceux s'occupant aussi des interventions dans les machines-outils installés dans les usines des entreprises clientes) avait pu examiner la façon dont elle avait été montée dans la voiture (ce n'était pas plus compliqué qu'installer une boite ordinaire. Les règlages supplémentaires étaient des fils électriques donc pouvaient passer n'importe où) et procéder à quelques tests. D'après sa conception, il était difficile de l'endommager autrement qu'en tapant dessus: en cas de manque d'huile, tous les crabots étaient déverrouillés dont rien n'était entraîné.
Stéphane avait déjà eu l'occasion de parler voitures avec son grand-père, s'étonnant, la première fois, qu'il n'ait pas plutôt acheté une DS. Fulbert avait répondu "j'étais tenté, en 1955, mais quand j'ai su tout les ennuis que les gens avaient avec, je me suis dis qu'un tiens vallait mieux que deux tu l'auras". La DS était devenue plus fiable au fil des ans, et avait connu un bond de performances avec la 21 à injection, dans les années 60, ainsi qu'un progrès esthétique: des phares enfin aussi futuristes et aérodynamiques que le reste de la carrosserie, dont deux braquaient dans les virages. Toutefois le prix était très élevé, et Fulbert préférait acheter ou faire fabriquer de nouveaux instruments ou machines pour son métier. La R16TS offrait des performances suffisantes (aidée en cela par un poids nettement moindre) pour bien moins cher, de plus les gens n'avaient pas eu de pépins avec cette voiture, déjà produite depuis trois ans (mais avec le moteur de base). Si Fulbert ne l'avait pas achetée avant, c'était parce que le moteur était jusqu'alors moins puissant que celui de la 11. Lacune corrigée avec les 83ch de la TS à culasse hémisphérique. Vitres électriques, verrouillage électrique des portes, toit ouvrant électrique, beaucoup de cadrans dans le tableau de bord: on ne trouvait pas ça dans les autres voitures françaises de l'époque. Plus tard il la fit équiper de l'injection électronique provenant d'une épave de R17 Gordini (choc à l'avant contre un mur suite à un tout-droit dans un virage, bloc moteur fendu, culasse et accessoires récupérables), en échange de travaux de prothèses dont avait grand besoin son garagiste. Ce dispositif (conçu pour le même moteur) faisait gagner plus de 30ch. 115ch dans une R16 donnait une vitesse de pointe et des accélérations meilleures que celles de la R30, bien plus lourde et donc le V6 n'était pas un modèle de rendement, d'autant moins qu'à l'époque il n'y avait pas encore la version à injection.
Il n'avait racheté une autre voiture qu'en 1984: la R25LS, le modèle à boite longue classé 7CV, qui était aussi le plus aérodynamique donc le plus sobre, tout en disposant de plus de 100ch.
Stéphane vit une photo de mariage: 1948, Fulbert et Géraldine. Mariage sobre car civil, ni l'un ni l'autre n'étant croyants. Fulbert était "libre penseur", comme son père, et considérait "dieu" comme un concurrent du mari, dans le cerveau d'une femme croyante. Mieux vallait donc qu'il n'y eût pas déjà ce barbu à bord. Etait-ce réellement Géraldine? Mince et élégante, les cheveux très longs, d'un châtain un peu plus clair que Fulbert: celui de Geneviève. Incroyable, car Stéphane n'avait connu qu'une grand-mère hippopotame coiffée "champignon blanc". Elle avait les dents plutôt blanches et bien rangées. Fulbert qui tenait beaucoup à la blancheur des siennes n'avait jamais fumé. Il n'aimait pas ça, et se sentait supérieur aux autres, du fait de son bac à 15 ans et de ses études rondement menées malgré (où grâce à?) l'Occupation: il n'allait pas se forcer à imiter ces attardés mentaux, ces cloportes... Toujours pour la blancheur des dents, ni café ni thé. De l'eau, occasionnellement du cidre ou du vin, rarement de la bière: "ça donne du ventre". Sachant qu'une alliance pouvait causer la perte d'un doigt mais que ça éviterait aux femmes ne le connaissant pas de croire qu'il était disponible, il mit un anneau d'aluminium (métal cèdant facilement en cas d'effort important) qui n'était pas fermé, puisqu'il repassait la tête le long de la queue: cela pouvait ainsi s'ouvrir par déformation et partir, au cas où.
Fulbert avait les cheveux totalement blancs dans une photo de 1954, coiffé plus couvrant que ça ne se faisait en ce temps-là, supposa Stéphane. Il n'avait pas pris de poids, contrairement à Géraldine qui semblait ne jamais avoir reperdu l'excédent de chaque grossesse: grassouillette après Anne-Marie (1949), obèse après Geneviève (1953). "C'est de voir sa femme devenir énorme qui lui a fait les cheveux tout blancs", avait-on parfois plaisanté. En fait Fulbert savait que ça lui allait bien, ce blanc glacé (et non crayeux) avec l'effet "plus jeune de près que l'on ne s'y attend de loin". Il ne se gominait jamais: ça se disposait fort bien tout seul, et avant de devoir plonger les doigts dans une bouche, le calot avait tout rangé d'un coup: plus pratique et plus propre, surtout par rapport aux cosmétiques de l'époque. Il eût très longtemps l'air d'avoir aux alentours de 25 ans, sous ce blanc soyeux, au point qu'en 1971 il apprit que quelqu'un avait surnommé Géraldine (112kg) "la femme de Dorian Gray". Il n'en cherchait pas d'autre: elle s'occupait bien de lui, c'était cette tendresse simple et sincère qui l'intéressait, et non une femme à rendre les autres hommes envieux sur la plage. Beaucoup de gens imaginaient qu'il la trompait, or ce n'était pas le cas. Sa vraie frustration était de ne plus pouvoir la porter dans les bras comme il aimait à le faire au début. Il portait ses filles, au moindre prétexte, et elles aimaient bien ça.
Une photo de 1954 de toute la famille devant la 11 légère
S- je suppose que vous avez eu droit au régime sans sucre.
AM- chocolat autorisé une fois par jour, et brossage des dents après tout les repas. Brossé comme on recommande aujourd'hui: en tirant de la gencive vers la dent, "et pas comme on scie du bois", qu'il nous disait.
S- à l'époque, les dents des gens, ça devait être un film d'horreur.
AM- pour eux, le film d'horreur, c'était d'aller chez le dentiste. Comme Fulbert faisait des anesthésies là où d'autres foraient à vif et bien les gens venaient de loin et prenaient les rendez-vous bien à l'avance pour être soignés par lui.
Outre le protoxyde d'azote et les analgésiques injectables, Fulbert utilisait dès l'après-guerre le froid (circulation d'alcool réfrigéré dans un tube de cuivre relié à une plaque en laiton chrômé à bords doux, appliquée contre les racines le long du maxilaire pour engourdir), l'accuponcture (en prévenant que ça ne marchait pas sur tout le monde, mais que ça vallait la peine de faire un essai), qu'il améliora par des signaux électriques de faible intensité, à partir de 1971, en s'inspirant de l'Anesthélec du Pr Limoges. Il y avait aussi l'ambiance: la tenue "bloc opératoire" complète (y compris dès 1947 les lunettes anti-postillons), contrairement à ses confrères, tenue signifiant "ici c'est propre et sérieux, vous êtes en de bonnes mains", la lumière pas trop forte, à dominante bleue, profitant de ce que Fulbert éclairait à giorno l'intérieur de la bouche: pas de lampe "hôpital" dans les yeux du patient, la radio mise pas trop fort pour que le patient ait un peu à tendre l'oreille pour suivre: cet effort auditif était, estimait-il, autant de neurones occupés à autre chose qu'à craindre d'avoir mal. Il ajouta une sorte de mini-planérarium (le projecteur à animation d'étoiles était de la taille d'un globe terrestre) pour donner aussi quelque chose à suivre du regard, au plafond.
Le patient disposait, sur l'accoudoir, d'une "ardoise magique" avec stylet retenu par un cordon pour pouvoir écrire ce qu'il avait à dire, et un bouton pour allumer une lampe signifiant à Fulbert qu'il avait du nouveau à lire. De plus, il expliquait (rapidement, mais clairement) sur une maquette en plâtre et en bois peint (plus tard en plastique) d'une denture complète, avec des parties démontables dans chaque dent, dans quel état c'était et ce qu'il allait faire: "à ce moment-là, vous aurez peut-être un peu mal, mais ça ne durera que quelques secondes". Ne pas savoir ce qui se passait augmentait l'angoisse donc amplifiait la perception de la moindre douleur. Fulbert aurait aimé avoir un endoscope relié à un écran de télévision (la télévision avait commencé à exister pendant la guerre, l'émetteur étant installé à l'usage des Allemands hospitalisés à Paris) pour permettre au patient de voir ce qui se passait, mais ça n'existait pas encore.
Expliquer (vite) avec la maquette dentaire était très utile pour les enfants, en présentant cela avec un grand sérieux, genre leçon de sciences naturelles, et surtout pas comme un jeu. Après les soins ça pouvait être un peu plus détendu, du genre "le caramel, ça se colle là [avec un bout de pâte à modeler, sur une grosse molaire isolée, en porcelaine: dans le plâtre de la maquette la pâte eût laissé des traces], et à chaque que l'on mâche il s'incruste un peu plus au fond des sillons, où les bactéries qui adorent le sucre attaquent la dent sans être dérangées si on ne brosse que rapidement par dessus".
Il avait acheté chez Kermanac'h une mini-machine outils copieuse de formes (mécaniquement), destinée initialement à la joaillerie, lui permettant de faire sur mesures les prothèses dentaires en or blanc. Il avait passé le diplôme de prothésite aussi. Ceci réduisait à la fois les frais (pas de marge chez le prothésite) et les délais, après la prise d'empreinte: c'était prêt le lendermain. Plus tard, ce fut une machine à commande numérique. De plus, il ne prenait que 50% de marge sur le coût réel des couronnes, contre N fois chez les autres dentistes, dispensaires exceptés.
Lorsque le cabinet avait acquis un appareil de radiographie, Fulbert avait fait poser une grosse vitre plombée pivotante et coulissante pour le déclencher à travers, et ne laissait pas son doigt dans la bouche pour maintenir la pellicule: il avait entendu parler de cancers à la main des dentistes américains, qui avaient eu cet équipement plus tôt qu'ici. Il avait donc fait usiner une pince caoutchoutée maintenant la pellicule en place, plutôt que de demander au patient de le faire: avec la pince, il n'y avait pas l'angoisse de ne pas bouger le doigt. De plus, il callait le côté de la tête dans un cadre règlable associé à l'appareil: "appuyez-vous contre ça, comme ça vous serrez sûr de ne pas bouger sans le vouloir" avant de déclencher. 100% de radios très nettes et une préoccupation en moins pour le patient.
Jacques avait compris et suivi les méthodes de son fils. Celui-ci lui avait expliqué:
F- si je n'avais pas fait ces études et me retrouvais chez un dentiste, j'aimerais savoir clairement ce que l'on va me faire et pourquoi il faut le faire, ensuite pendant les travaux j'aimerais avoir la possibilité de penser à autre chose, d'où la radio. Quand nous pourrons mettre une télévision, je pense que ça aidera les gens à encore moins y penser.
Pour la télévision, il faudrait de toute façon attendre qu'il y ait des émissions toute la journée: ce n'était pas encore le cas. Jacques avait mis le même équipement, dès 1945, estimant que ça protégeait sanitairement... le dentiste, en plus de faire sérieux, aseptique et moderne.
Fulbert avait aussi convaincu deux des instituteurs (qu'il avait eus sous la roulette...) d'insérer de temps en temps un cours de prévention dentaire, avec de grands cartons imprimés expliquant pourquoi et comment les dents s'abîmaient, pourquoi ça faisait si mal et que faire pour diminuer le risque. Il eût aimé que l'on mis des photos de bouches en ruines sur les paquets de bonbons, les caramels et pots de confiture. Toutefois il était possible de manger ces produits sans caries si on se lavait soigneusement les dents après. Le message n'était pas "jamais de friandises" (il savait que ça ne marcherait pas), mais "toujours brosser après, même si on n'a pris qu'un seul bonbon, surtout avant de dormir".
Des parents lui avaient reproché ses précautions contre la douleur et l'angoisse:
- si ça ne fait pas très mal et qu'il n'a plus peur du dentiste, comment voulez-vous que je le persuade de bien se laver les dents?"
F- je n'aime pas faire mal quand je peux l'éviter, et mon père non plus. Toutefois, si vous préférérez lui donner une bonne leçon, emmenez-le chez un autre dentiste: il vous suffit de dire qu'ici l'agenda est plein pour un mois, d'autant plus que c'est souvent vrai.
La Province étant ce qu'elle était, on l'appelait encore "le fils du dentiste" bien après la mort de son père. Son air invariablement jeune y contribuait propablement, ainsi que d'avoir toujours les techniques les plus récentes, dont certaines inventées par lui comme le davier hydraulique, assurant des extractions à la fois rapides, sans secousse ni risque pour les dents voisines. Il arrachait statistiquement moins de dents que les autres, car il les soignait mieux (pas de récidives) et jamais plus que nécessaire (pas de dévitatisation sans nécessité réelle) mais quand il n'y avait pas d'autre solution, cette machine le faisait d'une façon autrement moins barbare qu'au davier manuel. Vu l'importance de la clientelle, il prit un associé en 1973. 29 ans très grand (1m96), châtain-roux demi-chauve (pas encore de tonsure), qui lui aussi s'intéressait aux innovations et ne cherchait pas non plus à faire des marges déloyales sur les travaux à honoraires libres. Fulbert put ainsi se concentrer plus sur les soins spéciaux, en particulier les implants, quand cela commença à se faire. En raison des lyses osseuses ayant pu précéder l'édentation ou consécutives à l'infection profonde et chronique d'une racine mal traitée, il fallait parfois faire des greffes osseuses. D'où l'association avec un cabinet de chirurgie esthétique: "vous avez une vilaine bosse sur le nez" (ou à la base du front, parfois), "ils vous la découpent, la stockent soigneusement et moi, je m'en sers pour reconstituer votre maxilaire: l'os vient de vous, donc vous n'aurez pas besoin de traitement anti-rejet". Ce qui fut parfois fait, car (du moment que le client avait les moyens) ça lui donnait une justification médicale, auprès de son entourage, de ce qui aurait pu passer pour des frais de coquetterie déplacés: "mon dentiste avait besoin d'os pour m'implanter des dents, alors je l'ai fait prendre là où il ne servait à rien". Toutefois, parfois il n'y avait rien à ôter, d'où les études sur l'utilisation du corail comme faux os colonisable par la vraie matière osseuse. Fulbert, qui avait suivi ces études-là de près, eût l'idée d'essayer avec une autre structure en biocalcium: l'os de sèche, matière première gratuite et ne menaçant pas les récifs coraliens. Craignant que la densité ne fût pas suffisante, il essaya aussi de la coquille d'huître (décapée) rendue micro-poreuse par une machine construite chez Kermanac'h selon ses indications, qui s'occupait aussi de découper le greffon à la forme exacte du relevé de la lacune maxilaire (après nettoyage local de l'os maxilaire).
Du moment que c'était stérile, le patient ne risquait rien: au pire, ça ne prendrait pas. Fulbert expérimenta donc en parlant de "biocalcium", puis constata, quelques mois plus tard (la gencive avait été recousue dessus) que ça avait bel et bien pris, et s'ossifiait. C'était juste plus lent qu'avec une greffe directe d'os du patient. Le cabinet de chirurgie esthétique en prélevait aussi sur une anse du bassin, élément très épais pouvant être légèrement réduit sans aucun risque de fracture. Toutefois si la coquille d'huître spécialement préparée par la machine de Fulbert tenait ses promesses, cela éviterait une intervention supplémentaire, tout en pouvant fournir des petits compléments de formes plus faciles à choisir que quand on découpait dans de l'os vivant. Cela intéressa les esthéticiens pour les renforcements de mentons et élargissements de mâchoires, opérations de plus en plus demandées (même si pas autant qu'au Brésil, où l'on opérait un peu de tout sur beaucoup de gens) en raison de l'avortonisation faciale constatée chez de plus en plus de jeunes Français, les pesticides (rémanents dans certains éléments) étant suposés avoir un effet proche des oestrogènes, d'où aussi l'apparition de débuts de seins (pas énormes mais bien visibles) chez des bébés filles, l'autre cause de l'avortonisation étant le faible taux d'allaitement naturel dans les années 60 à 80, la têtée artificielle n'aidant pas le maxilaire à se positionner ni à croître (par traction) à un âge où cela aurait dû avoir lieu.
L'information à propos des coquilles d'huîtres atteint les Guignols de l'info, qui sans faire une marionnette de Fulbert (car ayant peu de chances de resservir) parlèrent d'abord du corail, puis "un dentiste breton a prouvé que l'on pouvait aussi greffer des huîtres", en montrant un patient qui avait une grosse coquille (brute, et avec ses deux faces) dépassant de la bouche, formant bec pinceur, "mais en Belgique on préfère les moules". Les deux chirurgiens esthétiques coopérant avec Fulbert lui commandaient déjà toutes sortes de formes de substituts osseux conçus à partir de ce matériau, rendu stérile et biocolonisable (pas très vite, mais solidement) par la machine de Fulbert. Son collègue Henri suivit de près ces travaux. Fulbert remarqua qu'il s'était fait faire d'autres implants, qui, eux, n'avaient pas besoin d'inserts à base de coquille d'huître: une sorte de digue frontale d'un peu plus d'un centimètre de large avait été remplantée légèrement en V d'une tempe à l'autre (bande transplantée d'un coup? Il ne posa pas la question), isolant derrière elle un polder de peau dans lequel les travaux de pompage commencèrent bientôt, Henri s'étant adressé à l'un des chirurgiens esthétique avec lesquels ils coopéraient pour les greffes osseuses. Cela consistait à tirer les côtés et l'arrière (entretemps, une tonsure conséquente s'était formée) vers le haut, suturer et couper les plis de peau nue excédentaire ainsi formés. Travaux faciles à cacher sous le calot de chirurgien, ici, ou sous "complément capillaire", ailleurs. Moumoutte de plus en plus petite, à mesure que la détente de la peau, quelques mois après un premier resserrage, permettait d'en tenter un second. Pendant ce temps, des "rangées de poireaux" étaient repiquées derrière la digue de première ligne, qui formait déjà une haie (brosse) pouvant cacher le reste à quelqu'un de plus petit le voyant de face: avantage d'être nettement plus grand que les autres. Fulbert se demanda de quels travaux il pourrait avoir besoin, à 67 ans. Les mains, oui: elles avouaient bien plus leur âge que son visage. Elle n'avaient pas eu à manipuler quotidiennement en plein soleil des cordages gorgés d'eau de mer, mais elles avait perdu le confort de la jeunesse.
Il posa la question, après avoir bien réfléchi (1988). On lui fit de la lipostructure: pompage d'adipocytes ventraux (même avec un ventre plat, il en restait toujours), regonflage de chipolatas toutes neuves et (mais pas à bloc) du dos de la main, réabsorbant en partie les veines et tendons devenus trop apparents. Une main bougeait beaucoup, changeait constament de forme au cours de la journée, saisissait parfois fortement des choses parfois anguleuses: les adipocytes allaient-ils rester sagement là où ils avaient été injectés, ou migrer en paquets disgrâcieux ça et là? Rien de tel ne se produisit. Trois mois plus tard, ça avait juste perdu un peu de remplissage, ce dont il avait été averti initialement "mais ensuite c'est stable, contrairement au collagène". Il fit la main droite, parce que voir la gauche la vieillissait encore plus, par comparaison. Henri le lui avait fait remarquer: "on dirait une pub pour des gants à vaisselle: la droite n'en mettait pas".
Il n'obtint pas des mains de jeune homme, mais d'un quadragénaire de bureau qui en aurait pris soin. Aucun inconfort, et pas d'accumulation des adipocytes en pseudo-lipômes non plus. Il se regarda attentivement dans la glace, en lumière rasante pour accentuer les reliefs: certes, il ne faisait vraiment pas son âge, mais il faisait "un certain âge". Il estima que ce n'était pas urgent, mais qu'il le ferait un jour ou l'autre: peut-être à 70 ans. Cette technique ne déplaçait pas la peau, contrairement au lifting, donc l'effet resterait naturel ainsi que toutes les expressions: il s'agissait juste de combler les creux se formant derrière la peau. En effet, à partir d'un certain âge, on ne pouvait espérer garder à la fois un visage frais et un ventre plat, les adipocytes ne se rassemblant spontanément que là on l'on ne le souhaitait pas. Or pour le coeur comme pour les articulations, le poids était l'ennemi. Fulbert, ayant Géraldine sous les yeux comme ilote, ne s'était pas laissé aller, d'autant moins qu'elle le surveillait, lui mesurant l'épaisseur du pli du flanc avec un pied à coulisse: "je ne peux plus rien pour moi, alors tu dois rester beau pour deux".
Stéphane qui avait tendance à suivre les mains des gens quand ils parlaient (d'autant plus que Fulbert avait tendance à parler avec, pour illustrer ce qu'il racontait) avait remarqué l'amélioration des mains, quand il l'avait revu, et bien sûr n'y avait fait aucune allusion.
Ce fut fin 1989 qu'Henri décéda de criste cardiaque, peu après ses 46 ans. Si Fulbert avait lu les statistiques des assureurs américains, il n'aurait pas été surpris: l'alopécie précoce était signe de risque cardiovasculaire triplé (la réussite des travaux de reboisement n'y changeait rien, quand ce n'était pas via un traitement interne), et être très grand imposait plus d'efforts au coeur. Les gens trop petits, eux, avaient généralement un coeur qui battait plus vite donc s'usait plus vite lui aussi. Statistiquement, il vallait mieux faire entre 1m70 et 1m80 et avoir une fréquence cardiaque au repos ne dépassant pas 60. Sans que Fulbert n'eût rien lu ni entendu de tout ceci, il se trouva que le nouveau ne fut ni grand (1m74) ni dégarni: un Vietnamien (de nationalité française) à lunettes, de 30 ans, qui lui aussi (c'était le critère) était mordu de "dentisterie-fiction". Il l'avait déjà rencontré dans une réunion technique à Rennes. Jean-Michel était meilleur en informatique et en électronique que Fulbert (qui n'était pas nul, bien que n'ayant pas pu tomber dedans petit) ce qui fit gagner du temps dans leurs travaux de robotisation totale des traitements courants: "ça peut servir dans un sous-marin, une base spatiale, pendant une expédition pôlaire, ou un tour du monde à la voile". Jean-Michel, tout comme Fulbert, avait entendu le cas du navigateur devant s'arracher tout seul une dent faute d'avoir pu la soigner à bord.
Il avait montré au nouveau la roulette à vapeur inventée par son père pour les Colonies, au début du siècle: un bras articulé en trois segments, parcouru de tringles rotatives carrées coulissantes et de renvois à cardans venant d'un train épicycloïdal surmultiplicateur entraîné par une petite machine à vapeur "de table" en laiton poli, chauffée à l'alcool (de la taille des modèles de démonstration pour amateurs: pour actionner une roulette, c'était bien suffisant) qui comportait aussi une dynamo permettant, si on l'enclenchait, d'alimenter le phare "crayon" que l'on pouvait cliper et faire coulisser le long du dernier tronçon jusque contre la bouche. Il avait allumé le brûleur à alcool, et mis à profit le temps de chauffe pour infiltrer quelques petites gouttes d'huile dans chacune des articulations et carrés coulissants de la tranmission.
Jacques et lui avaient réutilisé cette machine plusieurs fois, après guerre, lors de longues coupures de courant dûe à des tempêtes, avant de s'équiper d'un groupe électrogène.
Jean-Michel- l'angoisse du patient pendant la montée en pression de la chaudière...
Fulbert- ce qui compte, c'est la partie qui porte la fraise: du moment qu'elle tourne à la bonne vitesse, il ne faut pas se laisser impressionner par le reste...
JM- n'aurait-il pas été plus simple de faire une turbine à vapeur au début du dernier tronçon?
F- ça l'aurait rendu trop lourd, et on aurait perdu quelque chose au niveau de l'esthétique.
JM- ça ne doit pas tourner rond, quand les cardans sont coudés.
F- si, puisque ce sont des double cardans, à chaque coude. On perd bien moins de puissance qu'avec des courroies. Le mieux est d'essayer...
La machine étant maintenant en pression, Fulbert sortit d'un tiroir une mandibule de porc (nettoyée) garnie de ses dents, qui servait pour tester des fraises.
JM- [attaquant dans un sillon d'une molaire] le pire, c'est que ça marche bien.
F- il manque juste l'injection d'eau: à l'époque, personne ne le faisait. Donc dans un vrai patient, il faudrait faire des pauses pour laisser refroidir le forage.
Après cela, Jean-Michel remarqua la petite télévision portée par bras articulé, tournée et inclinée vers le fauteuil, ainsi que le meuble "japonais" à vitre fumée contenant magnétoscope et K7.
JM- vous leur passez quoi, comme film? Marathon man?
Fulbert ne répondit pas mais sans changer de K7 ni rembobiner se contenta d'actionner la télécommande: cette scène-là.
F- depuis le temps que j'entends cette blague...
Ce fut en 1992 qu'il se fit faire un peu de lipostructure ça et là dans le visage, sans chercher à tout regonfler à neuf de façon à ce que cela eût l'air naturel. Il avait l'air plus frais, ou moins fatigué, mais pas "refait". Ca le renvoyait aux alentours de 1975: dans sa cinquantaine à lui, qui n'en avait pas l'air. Geneviève avait supposé qu'il avait jeté l'éponge du régime Roy Valford, trop restrictif et lui donnant l'air plus fatigué qu'il ne l'était à présent. Stéphane, qui avait déjà observé le rajeunissement des mains, donc était devenu plus attentif au reste ("que va-t-il faire d'autre?") avait deviné que ce n'était pas l'hypothèse de sa mère: abandonner Roy Valford ne pouvait avoir d'effet si rapide, or il l'avait vu deux semaines plus tôt. Fulbert avait attendu la disparition de tout hématome pour revenir de "vacances".
Début 1995, jean-Michel avait été déçu d'apprendre que Fulbert arrêterait à 75 ans:
F- ça fera un demi-siècle tout rond, et je ne m'imagine pas continuer ici jusqu'à quatre-vingt et quelques, entre incontinence, Parkinson et Alzheimer.
JM- arrête: tout le monde sait que ces problèmes n'arrivont qu'au portrait que tu caches dans un placard. Je m'étonne que nos travaux ne t'intéressent plus.
F- bien sûr que si: je me connecterai ici par ordinateur pour voir, et de temps en temps je passerai peut-être, mais c'est maintenant à toi de choisir et former un copilote qui te permette de faire plus de recherche et moins de soins courants. Je ne peux plus faire autant d'heures par semaine qu'avant, et surtout je ne dois plus le faire.
JM- que feras-tu des quarante ans qui te restent à vivre, toi l'adepte de Roy Valford?
F- je vais peut-être voyager un peu: on m'invite ça et là, et je n'avais pas le temps de m'y rendre. Mon rève n'est pas de mourir la roulette à la main: je ne crois pas qu'il y ait un Valhalla des dentistes. La clientelle est habituée à toi, et tu commences même à me ressembler: il te reste bien moins de noir que de blanc.
Effectivement, Jean-Michel avait nettement blanchi depuis son arrivée: trop de nuits blanches à étudier de nouvelles techniques? Il avait fait bien trop d'heures et avait perdu du poids, mais ni cheveux, ni enthousiasme. Ce qui le décevait, c'était de perdre Fulbert, au quotidien, mais il savait que c'était inéluctable: celui-ci, pensait-il, n'avait joué les prolongations que le temps d'être sûr d'avoir un successeur à la hauteur et sachant aller au delà. Pendant combien de temps Jean-Michel allait-il continuer à être appelé "le nouveau dentiste"? Jusqu'à ce qu'il trouve un collaborateur que Fulbert aurait trouvé intéressant.
Fulbert lui louait la maison avec le cabinet, en lui revendant petit à petit l'outillage (initialement il le lui louait aussi, ce qui lui avait évité de s'endetter pour s'installer comme dentiste indépendant) après s'être acheté une maison plus petite mais en bord de mer et avec un hangar lui permettant de ranger ses quatre voitures: la "11", la R16TS (toutes deux assurées "collection" donc petits trajets, et sorties de temps en temps), la R25LS et la Trielec.
Jacques, qui connaissait les lois de Mendel, avait deviné que Fulbert n'était pas de lui: au début, ça ne se remarquait pas "comme le nez au milieu de la figure", mais en observant et en raisonnant attentivement c'était la conclusion logique. Après tout, leur chat non plus n'était pas de lui, alors il n'y avait aucune raison de moins s'attacher à Fulbert qu'à un chat adopté. Les Romains préféraient parfois adopter un héritier que de transmettre à leur propres enfants. De plus, ça rendait les relations plus simples: comme avec un neveu, ou le fils d'un voisin. Jacques avait même retrouvé qui était le père, sans en avoir la preuve: probablement le menuisier, qui avait passé beaucoup de temps à changer des fenêtres et les volets à une date correspondant à la mise en route du futur Fulbert. Un beau garçon de 22 ans (en 1919) aux dents parfaites, ligne de lumière dans un sourire naturellement large sans chercher à ouvrir nettement, de bonnes mains à paume carrée, des cheveux presque chinois, un petit nez et un regard secret, probablement sombre. Il n'était pas grand mais bien bâti et agréablement proportionné, avec une sorte d'harmonie asiatique, bien qu'il pût aussi n'être que breton. Avec ça et Henriette, on pouvait faire Fulbert. Fulbert n'avait pas les cheveux noirs, donc ça devait être l'autre chromosome du menuisier, le noir dominant ne permettant pas de le connaître. Un noir qui entretemps était devenu blanc, ce qui avait réattiré l'attention de Jacques sur ce personnage, attention qui lui avait fait remarquer l'air de famille avec Fulbert. Oui, la ressemblance était celle d'un fils à son père, estimait Jacques: une dose de menuisier, une dose d'Henriette. Jacques espérait que ni Henriette, ni le menuisier n'avaient fait le rapprochement, eux. Qu'on lui fît "un enfant dans le dos", passe encore, mais qu'au moins on n'aille pas le revendiquer ensuite. Jacques n'avait eu le menuisier comme patient que suite à un accident, avant la naissance de Fulbert. Il en avait donc noté le nom (Marcel Dréano) et l'âge. Il n'avait rien aux dents, mais s'était déchiré le palais et la gencive avec des clous qu'il avait dans la bouche au moment où l'un des pieds du tabouret sur lequel il était monté pour fixer l'huisserie s'était rompu. Lorsque son talon avait brutalement heurté le sol nettement plus bas, sa mâchoire avait tressauté. L'hypothèse Fulbert n'existant pas encore, il ne l'avait pas vraiment observé, concentré sur ce qu'il y avait à réparer dans la bouche. Le médecin lui avait dit d'aller voir le dentiste: "lui, il a des instruments plus longs que les miens pour aller vous recoudre ça, et surtout il a l'habitude de travailler dans une bouche". Des sutures douloureuses (surtout au palais), avec des emplâtres gênants, maintenus (pour la gencive) par des fils passés entre les dents, mais s'il respectait les conseils d'hygiène et évitait tous les aliments indiqués (la liste rédigée à la main était longue, elle commençait par: "Clous, aiguilles et hameçons"), ça devait cicatriser correctement. Jacques avait ainsi une mémoire précise de l'intérieur de la bouche du vrai père de Fulbert (revu deux fois pour le suivi, après l'intervention initiale), et se souvenait assez du reste, déjà vu à la maison pendant les travaux, pour faire le rapprochement. Ce n'était pas le premier à avoir un accident avec de petits objets pincés entre les lèvres pour libérer une main: l'hameçon était un cas qu'il avait déjà rencontré plusieurs fois. Le patient n'arrivait pas à le retirer lui-même, contrairement aux clous (sur lesquels l'empallement était rare: le risque était plutôt d'en avaler un par réflexe involontaire, problème qui ne relevait alors plus du dentiste) ou aux épingles et aiguilles à coudre qui étaient des friandises statistiquement plus féminines. Les clous que pincaient les lèvres du menuisier avaient basculé à l'intérieur quand la bouche s'était ouverte involontairement, et trois d'entre eux, s'étant câbrés, lors de la fermeture aussi brutale qu'impévue, déchirant la gencive et le palais. Un seul clou était resté planté et le menuiser l'avait tiré vers le bas avec une pince à becs longs, bien droit pour ne pas faire plus de dégâts. Il avait apporté les trois clous, au cas où ce fût utile. Jacques avait ainsi pu voir qu'ils étaient neufs. Rouillés, c'était plus dangereux. Quand Fulbert avait blanchi, au début des années 50, ceci lui avait rappelé le menuisier et ses derniers doutes avaient disparu. C'était même mieux ainsi: il savait pour de bon qui était Fulbert. Il essaya de le retrouver, histoire d'en prendre une photo au cas où un jour Fulbert se poserait les mêmes questions. Il lui dirait juste "je pense que c'est grâce à lui que tu as de bonnes dents". Il ne le retrouva pas. Peut-être était-il établi ailleurs, ou décédé.
Stéphane vit la photo d'un extracteur antérieur à la version hydraulique: ça ressemblait effectivement à un arrache-roulement miniature, sauf que l'entraînement à manivelle (puis à moteur électrique, dans la version suivante) était par un arbre transversal sortant de la bouche, et non au dessus de la dent, pour une raison évidente d'encombrement. Il y avait un berceau à pattes caoutchoutées règlables pour prendre appuis sur plusieurs autres dents, pendant l'extraction, ou sur l'arrière de la mandibule, pour les dernières dents. Ca n'appuyait pas plus en tout que de mordre fort.
AM- l'avantage du moteur, c'était que le supplice durait moins longtemps. Bien sûr, il anesthésiait, mais ça pouvait faire mal quand même. Parfois, il s'amusait à poser aussi parmi les instruments des outils de garagiste. Bien propres, mais inquiétants, comme l'arrache-rotule, parce ça, on image que ça pourrait rentrer dans une bouche. Tiens regarde ça: c'était le moyen-âge, et pourtant ça a servi en vrai.
Anne-Marie lui afficha la photo de la roulette à vapeur.
S- comme accessoire de film d'époque, ça plairait beaucoup. C'est beau, et je suppose qu'elle peut encore fonctionner.
Il se souvenait avoir déjà vu cette machine, Fulbert la lui ayant montrée et l'avait même fait marcher, en forant dans une dent de porc (sur un morceau de mâchoire nettoyé) pour lui montrer que c'était efficace. Jacques l'avait inventée pour utiliser dans les colonnies: pas d'électricité, et ça évitait au dentiste de pédaler, ce qui aurait nui à la précision du geste. Il avait déposé le brevet et obtenu un prix au concours Lépine, mais aucune entreprise ne l'avait fabriquée en série. Même pas Kermanac'h, alors que les transmissions venaient de chez eux. Fulbert avait imaginé (sans le faire) l'impression que produirait sur le patient l'entraînement de son extracteur dentaire par la machine à vapeur, au lieu d'un moteur électrique.
Anne-Marie montra une autre photo:
AM- 1968, avec la R16TS.
Fulbert posait fièrement, l'avant-bras posé sur une le rail chrômé de bord de toit de la R16TS bleu acier métallisé. L'une des premières TS, avec les phares longue portée ajoutés devant la calandre.
AM- contrairement à ce que tu pourrais croire, vu son côté inventeur, il n'aimait pas avoir à faire de la mécanique. Comme il avait souvent le garagiste comme patient, et qu'il apportait la voiture en révision un peu avant de l'avoir dans son fauteuil, il était sûr de ne pas se faire avoir.
S- en plus ce n'est pas une voiture compliquée, la R16: on voit bien comment c'est fait, sous le capot, une fois que l'on a enlevé la roue de secours. A l'époque, ils ne cherchaient pas à ajouter des trucs partout où il restait encore un peu de place, contrairement à Citroën.
Stéphane avait déjà regardé dans cette voiture, chez son grand-père, et il y en avait aussi une (une TX) à Centrale Dinard. Le moteur tapis dans sa grotte, très loin de l'avant, brandissant son alternateur à ailettes comme une éolienne, "pour le maintenir hors d'eau en cas de traversé de gué", se prenait-on à imaginer. Il connaissait aussi (de vue, et non les mains dans le cambouis) les entrailles de la DS. Le moteur reculé au loin, là aussi, la roue de secours couchée en biais comme un bouclier devant le radiateur, et des trucs, des machins, des bidules mous ou durs grouillant comme des viscères noirs ou verts. Dans la R16, dès que l'on avait ôté la roue de secours (posée à plat), on voyait déjà la crémaillère, la boite de vitesses et sa cloche d'embrayage, les soufflets de cardans et les longerons. On pouvait s'assoir sur la traverse de calandre ou sur le côté, les pieds sur la boite, pour bricoler le moteur plus confortablement. Dans la DS, non: c'était plein, se souvenait-il.
Stéphane lui téléphona, lui demandant s'il avait le temps et si ça l'intéresserait de visiter les nouveaux studios robotisés de VTP. Fulbert hésita entre ses diverses voitures, la nouvelle étant une Lamborghini Jarama, modèle moins connu et bien moins coté que les stars que la marque, mais dotée elle aussi d'un V12 à quatre arbres à cames en tête (celui de l'Espada), placé à l'avant de ce coupé aux formes géométriques brutes et simples, comme si Gandini avait pour la première fois utilisé une CAO (d'époque...) pour l'étude de style. Il l'avait échangée deux semaines plus tôt à un de ses confrères (retrait de permis pour alcoolémie positive un week-end, au volant d'une Mercedes CLK) contre une de ses machines spéciales qui aurait fait double-emploi avec ce dont disposait déjà Jean-Michel. Il décida de ne pas la prendre, sinon Stéphane risquait de rester ébahi le nez dans le V12 et d'oublier de lui faire visiter les studios: ce serait pour plus tard. Stéphane avait déjà conduit la "11": avec la boite Kermanac'h, il n'y avait aucun risque de faire craquer les vitesses par manque d'habitude. La direction était dure, mais moins que dans une "11 normale" ou surtout une "15", en raison du poids. Le freinage était loin de valoir celui des voitures modernes, d'où l'intérêt là aussi de la boite Kermanac'h qui exécutait des rétrogradages précis et rapides. Une astuce classique avec cette boite était de faire venir un câble (genre vélo, sous gaine) de la pédale de frein au sélecteur de loi de passage automatique: enfoncer la pédale de frein déclenchait automatiquement le rétrogradage (si le régime l'autorisait), d'autant plus court que l'on appuyait. A mi-course le rétrogradage maximal possible était sélectionné. Cette astuce était également possible avec les boites automatiques de type classique dotée d'un "rétrocontact" (ou "kick-down"), en le faisant déclencher par la pédale de frein, au lieu d'uniquement par l'accélérateur en butée.
Ce fut finalement la R16 TS "injection" que Fulbert sortit du garage: il ne se souvenait pas si Stéphane l'avait déjà conduite. Oui, une fois, en 1994, peu après son permis. La "11", plusieurs fois.
Stéphane qui connaissait déjà cette R16TS jeta aussi un coup d'oeil à Fulbert, au cas où il aurait fait d'autres travaux: rien qu'il pût détecter.
Il fut invité à s'installer au volant, presque aussi grand que celui de la "11", avec une direction à peine moins lourde en manoeuvres, toutefois cette voiture braquait mieux. Presque autant de chrome et d'aluminium à l'intérieur qu'à l'extérieur, avec en prime une déco en faux bois exotique, nombreux cadrans chromés, volant gainé de faux cuir avec branches à trous dans du vrai inox, vitesses au volant, cadres de vitres très fins: les années 60. Suspension efface-trous, assise basse et délicieusement molle, les pédales loin sous le capot: on se sentait bien à l'abri, dans cette voiture, qui avait d'ailleurs été appréciée des pilotes de stock-car, à l'époque où elle ne valait plus un clou sur le marché de l'occasion. Avec le moteur à injection (grâce au maladroit qui avait jadis mis sa R17 presque neuve dans un mur) les accélérations étaient tout à fait intéressantes, cette caisse bien que rigide (le montage particulier des bords de toit y contribuait: ce n'était pas qu'un choix esthétique) étant bien moins lourde que ce l'on faisait à la fin des années 90, à encombrement égal.
Il s'engagea dans le terrain appartenant à VTP, s'arrêta pour baisser la vitre et "badger" (sans contact: il suffisait de l'approcher) au portier automatique commantant la grille roulante, puis circula sur le grand parking. Les studios, vus de loin, avaient l'aspect anodin de bâtiments agricoles, à part leurs dimensions de hangars à dirigeables.
Ils rencontrèrent d'abord Zhao, qui prit Fulbert pour le père d'Erwann (qu'il n'avait jamais rencontré). Erwann rectifia en faisant brièvement les présentations.
La visite des studios automatisés permettant de reproduire toutes sortes de configurations de dénivellations et obstacles à parcourir par les acteurs intéressa beaucoup Fulbert. Il chaussa un masque à imagerie virtuelle synchronisée à l'orientation et aux déplacements du personnage (pisté automatiquement par les émetteurs environnants) et se retrouva aussitôt dans un manoir sinistre et grandiose, au granit humide, parcouru de brumes et de chauve-souris. Stéphane lui mit le harnais de sécurité (un des bras articulés suivrait maintenant d'en haut les déplacements de Fulbert, comme un marionnetiste mécanique) et lui dit que maintenant, il pouvait visiter: "mais ne saute pas: prends les escaliers".
Quand Fulbert sortit du manoir (dans sa vision embarquée), il se retrouva sur un promontoire rocheux sous lequel grondait la mer. Cette synthèse était moins raffinée que celle d'un tournage, de façon à pouvoir tourner en temps réel à la façon d'un jeu vidéo: on voyait que la mer était fausse, si on était un peu attentif, mais sur le moment, on pouvait y croire.
Après quelques essais, Fulbert restitua le matériel à Zhao, puis continua la visite de cette immense machine à illusions. Il fut pris plusieurs fois pour le père (inconnu ici) d'Erwann, ce qui lui fit silencieusement plaisir: la lipostructure avait réussi. Il put assister au tournage de deux prises d'une scène de "Tépakap", et à sa transformation (au stade d'ébauche virtuelle, le réalisme étant pour plus tard, mais c'était bien plus beau que dans n'importe quel jeu vidéo) en scène de la série télévisée: les mêmes personnages, mais dans la ville (japonaise ou imaginaire) où l'un sautait sur le capot puis le toit d'une voiture (une Fiat Uno rouge), poursuivi par l'autre. La Uno encaissait l'impact par ses suspensions, ainsi que par un peu de cabossage du capot et du toit, avec le bruit de tôle adéquat à ces instants. Le toit reprenait sa forme ensuite mais pas le capot, qui gardait un enfoncement, puis un autre quand le poursuivant faisait de même. Il n'y avait rien eu de tel pendant le tournage, à part un peu de fléchissement des surfaces sur verrins parcourues en lieu et place de la voiture.
Fulbert- peut-on aussi simuler le cas où la voiture roulerait vers eux, quand ils font cela?
Erwann- oui, mais ça demande plus de préparation, car il faut des surfaces qui puissent translater, au moins pendant l'instant où elles seront en contact avec le personnage.
En repassant cette scène au ralenti, on voyait bien les personnages se reflèter (pas très nettement, car en contrejour, mais ça suffisait) dans les vitres et même les tôles vernies. C'étaient en fait leurs modèles virtuels (tout le monde existait aussi en virtuel, chez VTP, sinon de tels effets n'auraient pas pu être générés) synchronisés à leur déplacement réel qui étaient réfléchis par l'ordinateur dans ces surfaces. Les reflets de la ville dans les vitres suivaient aussi le mouvement. C'était ce qui contribuait à l'aspect matériel, crédible de la scène bien que la synthèse utilisée ne fut pas de très haut niveau, faute de temps pour ces brouillons de vérifications d'effets.
Fulbert n'avait pas, jadis, une bonne opinion du métier d'acteur, mais ce qu'il venait de voir lui fit aussitôt comprendre l'intérêt qu'y trouvait Stéphane (Erwann): c'était devenu un jeu d'adresse et d'imagination, car aucun des deux jeunes n'avait vu la rue, ni la voiture, au moment de la prise: ils ne portaient pas les masques virtuels, puisqu'il devait être réellement filmés, et ne connaissaient que sur quelle partie de quelle surface mobile poser leur pied à quel instant précis, grâce à de petits signaux lumineux.
Fulbert- comment était générée la sensation d'apesanteur, dans le vaisseau de Cap sur Mars, à certains moments, quand le moteur grativationnel est en panne? Tout flottait, y compris les vêtements et les cheveux, et on voyait que ce n'était ni dans l'eau, ni avec un ventilateur: trop calme.
Erwann- c'était du virtuel.
F- y compris toi?
E- oui, mélangé avec du vrai. Il ne l'ont pas fait souvent, car à l'époque, ça consommait beaucoup: ils n'avaient pas encore les supercalculateurs de Tarsini. La vodka qui se met en boule dans mon verre et que j'essaie de gober avant qu'elle ne retombe, c'est pareil.
F- synthétiser une boule de liquide transparente ne doit pas être difficile, mais quelqu'un qui ait l'air vrai...
E- voilà pourquoi nous avons une machine qui vérifie que nous sommes synthétisables. S ans cela, VTP ne pourrait pas nous utiliser dans ce genre de scènes: le public s'en apercevrait.
Stéphane lui expliqua aussi que la télévision était plus indulgente sur ce point que le cinéma, du fait de sa résolution limitée. Il fallait beaucoup plus de puissance infographique pour rendre crédible un personnage virtuel à la télévision qu'au cinéma, sauf de loin ou pour des scènes à mouvement rapide.F- en plus, la réception de la télévision est souvent parasitée: ça doit aider encore plus.
E- c'est sur la version studio que l'on vérifie: si la série sort ensuite en DVD ou en DOEC, on voit mieux les défauts qu'en réception télé, et surtout, on peut faire des arrêts sur image.
F- déjà, rien qu'avec de la télévision enregistrée au magnétoscope, on remarque des choses, dans certains films: des choses qui sont dans le champ alors qu'elles ne devraient pas y être, le reflet de la caméra dans une vitre, ou une trace d'avion dans le ciel avant ce siècle... Même parfois des lignes électriques au loin, dans un paysage médiéval.
E- normalement, on doit les effacer en infographie, si on tourne en paysage réel.
F- je ne jete pas la pierre: qui peut penser absolument à tout, surtout à des choses que l'on est tellement habitué à voir tous les jours que l'on n'y pense plus? Les pointillés et les lignes sur la route, par exemple. Avant-guerre il n'y en avait pas, en tout cas pas sur les routes d'ici. Mais qui y penserait, en tournant un film?
E- ça, le spectateur n'y pensera peut-être pas non plus. Il sait qu'autrefois elles étaient jaunes, d'après les films des années 60, mais il ne sait pas quand elles sont apparues.
F- j'ai vu pire: un film où il y avait une poursuite avec une Golf 5 portes, mais une fois tombée dans le ravin c'était une Golf 3 portes que l'on voyait exploser. Ca se voyait bien, puisque l'explosion ouvrait les portes. Qui peut laisser passer une telle erreur?
E- je pense que parfois il s'amusent à le faire. En virtuel, le risque n'existe pas, puisqu'il ne contient que ce que l'on a décidé d'y mettre: on peut faire un anachronisme par ignorance, mais pas par étourderie, ni faire l'erreur que tu viens de citer.
F- sauf si vous réutilisez des fonctions génératrices d'un film dans un autre, pour gagner du temps. Je ne sais pas comment ça marche, mais je suppose que vous ne remodélisez pas tout ex-nihilo à chaque fois: il doit y avoir une sorte de catalogue d'objets, de personnages et d'effets à leur appliquer.
E- c'est à peu près ça, sauf que tout est daté. Le logiciel voit immédiatement s'il y a dans une scène de 1976 un objet ni n'existait pas encore, car chaque fois que l'un d'eux à été créé dans la base de données, il a été daté, avec aussi sa probabilité de persistance. Par exemple, aujourd'hui on ne garerait pas à la file dans une rue une 404, une Simca 1000, une Ami-6 et une R8. Il n'est pas tout à fait impossible que ça arrive, mais c'est fortement improbable, sauf si on est à une réunion d'amateurs des années 60. Une des quatre peut par contre être garée dans une rue dans une des scènes, parmi des modèles plus récents. Ne mettre que des modèles récent manquerait de réalisme: il doit aussi y avoir des voitures de dix, quinze, parfois vingt ans ou plus, proportionnellement à leur probabilité de persistance. Donc un film des années 60 devrait aussi contenir des voitures des décénies précédentes. Dans mon exemple, je peux remplacer la 404 par une 403, ou même une 203.
F- si le programme pense à tout ça pour tous les objets, en tenant compte des probabilités géographiques et par classe sociale, on doit retrouver quelque chose qui ressemble aux cartes postales de l'époque.
E- honnêtement: pour le moment, VTP ne fait pas de reconstitution de passé proche. Nous avons une machine à numériser les voitures, ça fait gagner beaucoup de temps, mais ça ne marche pas pour l'aménagement intérieur, pour le moment: il y a bien trop d'angles morts.
F- j'imagine une sorte de portique laser, comme une station de lavage.
E- c'est à peu près ça. Pour les modèles récents, il suffit de demander le modèle 3D au constructeur, y compris les entrailles, si possible: il est de son intérêt que ses voitures soient dans la circulation d'un film. Le modèle virtuel de la Uno, nous l'avons demandé à Fiat, qui nous l'a envoyé sur cédérom, avec plusieurs autres. C'est ainsi que font les sociétés qui développent des jeux vidéo. Pour les voitures qui n'ont pas été conçues par CAO, ça demande beaucoup plus de travail.
F- les modèles de CAO ne font pas aussi vrais, à voir, que ce que l'on cherche à faire dans un film.
E- nous avons des fonctions qui améliorent beaucoup la crédibilité des surfaces: la tôle a réellement l'air peinte puis vernie, et non d'être du métal teinté d'origine. Ca ne tient qu'à pas grand chose, mais ça compte. Idem pour le verre: il n'est pas aussi brillant qu'en virtuel, sans être sale, et nous simulons aussi des pneus moins neufs: la synthèse est souvent trop belle pour être vraie.
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Fulbert avait été déçu du peu d'intérêt de ses deux filles pour les sciences, et ses petites-filles (nées les premières) ne valaient guère mieux. Stéphane était loin d'être "intelligent", d'après les tous premiers tests, tout en étant disposé à essayer de le devenir: il ne devinait pas grand chose, mais comprenait vite et mémorisait solidement une fois que ça lui avait été expliqué, de plus ça l'intéressait. C'était Fulbert qui avait convaincu Geneviève de le mettre à l'institut Kermanac'h: "mais non, ce n'est pas une pension, il rentrera tous les jours chez toi et il y a moins d'heures de bourrage de crâne inutile que dans l'école publique". Les résultats furent bons, à défaut d'être brillants. D'un caractère prudent et discret (sans toutefois être craintif) tout en étant curieux, Stéphane lui semblait avoir des points communs avec lui-même enfant. Il avait examiné avec intérêt et plaisir les machines inventées par Jacques puis Fulbert, mais n'était pas attiré par son métier. Il avait eu son bac à 16 ans (et non 15), fait ses prépas "compactées" en une seule année (ce qui n'était pas rare, chez Kermanac'h) et eu son diplôme d'ingénieur (d'une petite école du groupe Centrale, mais tout de même une école d'ingénieurs) à vingt ans, puis avait dû donner satisfaction chez BFR puisqu'ils lui avaient confié la réorganisation de la production de l'usine finlandaise. Il lui semblait d'une intelligence plate, car dénuée de génie, mais endurante et efficace. Fulbert pensait que s'il avait souhaité devenir dentiste, il aurait réussi les études, son côté "bête et discipliné" et indifférent au stress l'y aidant, mais n'aurait pas fait progresser d'un micron les techniques utilisées.
Fulbert n'eût pas l'occasion de voir son petit-fils s'entraîner à des scènes chez VTP: ce jour-là, il s'occupait de la machinerie, avec d'autres. Stéphane ne voulait lui montrer que son côté "ingénieur", estimant que le reste semblerait futile.
F- je suis sûr que tu tournes aussi un rôle. Ne devrais-je rien voir?
Fulbert n'avait pas vu Stéphane coiffé si long depuis... En fait jamais en vrai: c'était quand "Castel mortel" était passé à la télévision. Il supposait donc un autre rôle de ce genre, utilisant comme ambiance l'étrange forteresse qu'il avait un peu visitée en virtuel.
S- je n'ai pas le droit de parler du scénario. De plus, tu as vu que le tournage d'une scène a quelque chose de vide et de dérisoire: ça ne prend forme qu'une fois post-produit et inséré dans tout le reste, comme les morceaux d'huître dans une mâchoire, une fois réossifiés et avec des dents dessus. Le greffon tout seul n'évoque pas grand chose quand on n'est pas du métier: on ne devine même pas que ça vient d'une huître.
Il espérait avoir trouvé un exemple lui faisant percevoir l'inintérêt d'assister au tournage au lieu de d'attendre de voir le film en salle ou à la télévision.
F- et si je meurs avant que ça sorte?
S- on manque toujours quelque chose: moi, je suis né trop tard pour voir les premiers pas sur la Lune.
F- tu verras ceux sur Mars.
Il revinrent ensuite jusque chez Fulbert: la nouvelle maison (depuis 1995) proche de la mer, en granit apparent, l'autre étant toujours louée à Jean-Michel qui y cohabitait avec son associée, une dentiste (cette profession aussi se féminisait, même si moins vite que la médecine générale) elle aussi d'origine vietnamienne, sans que l'on sût si c'était purement professionnel ou "et plus si affinités". Fulbert rentra la R16 dans le jardin mais pas encore dans le hangar servant de grand garage.
Garfield, le chat tigré roux mi-angora ventripotent (à l'époque où il avait été prénomé ainsi, qui aurait prévu qu'il imiterait à ce point son modèle?) était affectueux (et pas uniquement pour se faire nourrir) mais à lui seul ne comblait pas le vide induit par la mort de sa "Bavaroise", comme elle se surnommait elle-même depuis qu'elle avait franchi le quintal. Les veuves étaient plus nombreuses que les veufs, mais "une dame" inconnue n'aurait pas pu convenir. Il y avait une partie de son histoire à lui, dans les adipocytes de Géraldine, et ça, ce n'était pas remplaçable. Il envisageait encore moins de vivre avec une "gamine" de l'âge de sa fille: il aura pu trouver, dans la cinquantaine mais ça ne l'intéressait pas: ce n'était pas le même univers. Contrairement à ce que croyaient beaucoup de gens en le voyant avec elle, à l'époque, il ne l'avait jamais trompée. Il y avait eu Géraldine et uniquement Géraldine: ils se comprenaient, tout en respectant chacun le "domaine réservé" de l'autre. Ne pas faire chambre commune avait contribué à la paix et à durée de leur cohabitation: avoir chacun un espace à soi leur semblait tous les deux indispensable: "pourquoi partagerai-je ma chambre avec lui alors que je ne la partage même pas avec mon chat?", disait Géraldine. Garfield était "son" chat, même s'il fréquentait presqu'autant Fulbert. Il s'était arrondi comme elle, et Fulbert ne prit pas le risque de le mettre au régime: "quand on donne moins à manger à un chat, il va se faire nourrir ailleurs".
Garfield s'installa sur Stéphane dès qu'il fût assis, le pétrissant à pleines pattes pour trouver la meilleure position. A la demande de Fulbert, il raconta l'aventure finlandaise (avec quelques vidéo sur l'AK50 pour éviter d'avoir à expliquer ce qu'il était plus simple de montrer), avec la série de pannes ayant frappé l'usine.
Ensuite Fulbert (laissant Stéphane s'amuser avec Garfield, à l'intérieur) rentra la R16 et sortit la Jarama, au même emplacement dans le jardin. Puis il alla chercher Stéphane, en lui disant:
F- j'ai appris un nouveau tour: la multiplication des cylindres.
Ils passèrent le coin de la maison. Stéphane vit, et fit le tour, médusé, sans rien dire. Fulbert avait laissé tourner le V12 au ralenti, pour éviter deux démarrages à froid à quelques minutes d'intervale. Il s'approcha et s'assit à la place du passager. L'invitation était claire. Stéphane, bien qu'intimidé, n'hésita pas. Long capot contenant le monstre assoiffé de tours/minute, planche de bord mitraillée de cadrans (deux à trois fois plus que dans la R16TS, en tout). Fulbert actionna la télécommande du portail, Stéphane mit la première, desserra le frein à main (jusqu'ici, rien de mystérieux) et embraya avec prudence, en accélérant légèrement: vu la cylindrée, ça devrait suffire. Il roulait maintenant en Lamborghini, tandis que le portail se refermait. Seconde, troisième, sans monter à plus de 2500 tours. Il fut vite en cinquième à 100 sur route (vitesse légale depuis l'ELR, sauf danger local): ça n'avait rien d'impressionnant, car dans une telle voiture il devinait que c'était au delà de 200 que l'on devait avoir l'impression d'être à 100 dans un modèle ordinaire. Ils ne bavardèrent pas: Stéphane écoutait la symphonie italienne et testait un peu les accélérations, dans les lignes droites, en quatrième, puis même en troisième, après avoir volontairement laissé chuter la vitesse aux alentours de 60 avant les virages, de façon à avoir de la marge pour une relance. Il n'osait pas accélérer en virage avec une voiture aussi puissante, n'ayant pas l'expérience de ce type de conduite (il aurait fallu pouvoir s'entraîner sur un grand parking désert où les têtes-à-queues auraient été sans conséquences), mais en ligne droite, ça lui semblait sans risque. Après avoir fait dix kilomètres, il prit le chemin du retour: il se doutait que la consommation devait être élevée donc ne voulait pas abuser. De plus, il voulait pouvoir regarder le moteur. Il ne l'introduisit que des deux-tiers dans le garage, en marche arrière, et finit en poussant à la main (le sol étant lisse et les pneus bien gonflés), pour être sûr de ne pas heurter le mur, puis Fulbert ouvrit le capot et lui montra. Beaucoup de cylindres, beaucoup de carburateurs, mais tout semblait assez bien rangé et compréhensible sans avoir recours au manuel technique, contrairement au compartiment moteur de beaucoup de voitures pourtant moins motorisées. 1968: cette voiture avait trente ans. A l'époque, les gens devaient être encore plus impressionnés: ni BMW ni Mercedes ne produisaient de V12. Fulbert avait pensé la lui prêter pour aller en Suède cet été, mais devina que Stéphane ne souhaiterait pas l'emprunter (trop de responsabilité, donc des soucis en plus, surtout compte tenu des récits de ses voyages antérieurs), donc ne lui en parla pas.
F- as-tu un but, dans la vie?
S- j'essaie de faire ce que l'on me dit de faire, et jusqu'à présent ça marche.
Fulbert admit intérieurement qu'au même âge, il en faisait autant: il avait suivi les rails posés par son père puis l'école dentaire.
F- aurais-tu renoncé à chercher Eetu?
S- oui: les Finlandais se ressemblent tellement... Et puis je ne pense pas que j'oserais aller le déranger pour lui annoncer qu'il a fait un fils illégitime en Bretagne, surtout s'il est marié sur place.
F- le déranger, non, mais toi, savoir qui il est?
S- oui, ça m'intéresserait, mais je pense que la probabilité de trouver est faible. Eetu n'est pas un prénom rare, là-bas.
F- mais rares sont ceux qui ont séjourné par ici en septembre 1975. J'irai jusqu'à supposer qu'il fût le seul.
Atte avait quitté BFRSF, embauché "pour de bon" par VTP après des progrès intensifs en français et en mémorisation de rôles (gestes et paroles). Irina était disposée à adopter Surimi quand Stéphane quitterait définitivement la Finlande.

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