vendredi 10 avril 2009

chapitre N-37

La loi favorisant le télétravail (en incluant les temps de trajets par les transports public, où à vélo (et non en voiture) quand il n'y en avait pas) avait contribué à l'effondrement du cours de l'immobilier de bureau. Il y avait des pancartes "bureaux à louer" (parfois "à vendre") sur de nombreuses tours de La Défense. Des étages entiers de bureaux avaient été transformés en studios et deux-pièces pour loger le personnel: il n'y avait aucune fiscalisation des logements de fonction de moins de 50m² (non imposables comme "avantages en natures", désormais), dans le but d'accélérer la reconversion des bureaux surnuméraires en logements de fonction, ce qui avait encore accéléré la chute du cours de l'immobilier locatif, tout en réduisant fortement la demande de transport. La règle était que l'utilisateur du logement de fonction devait pouvoir y accéder sans traverser les locaux de l'entreprise, à part un hall d'entrée, un ascenseur et un palier clos (pas en vue directe des bureaux: il devait y avoir aussi des portes palières pour l'espace bureaux, si le palier comportait les portes de logements, contrairement à certains étages où les ascenseurs débarquaient "en plein dedans"). L'ELR au parlement avait voté une loi "à la japonaise" interdisant toute nouvelle immatriculation de voiture par quelqu'un ne disposant pas d'un stationnement privé (hors du domaine public) à moins de 50m (horizontalement) de son logement. Ceci avait accéléré la chute des ventes de voitures neuves, en plus de l'effet "réparer au lieu de remplacer" induit par la TVA sociale et de la réduction des besoins de transports (sauf pour certaines professions non "télétravaillables"). Parallèlement à la baisse des deux-tiers du marché intérieur (frappant surtout les constructeurs étrangers, jusqu'ici intégralement exemptés de charges sociales françaises. Les prix publics des voitures françaises avaient un peu baissé, mais moins que de produits totalement français, en raison de la part très importante de composants étrangers dans cette industrie). La production des constructeurs français avait augmenté de 37% (remise à pleine production de productions jusqu'alors réduites faute de demande): délestées de toutes charges sociales à l'exportation (où la TVA ne s'appliquait pas) leurs voitures s'exportaient comme des petits pains, or la France n'était qu'un petit marché à l'échelle mondiale: y vendre moins n'avait aucune importance si on vendait un peu plus presque partout ailleurs. C'était grâce à la suppression des charges sociales qu'une production comme la CRT était devenue viable, surtout à l'exportation.
Source de beaucoup d'insécurité et de dépenses imprévues, les paiements à distance et le principe du prélèvement automatique de montants non prévus (et non limités) d'avance avait été totalement interdits en France. Les prélèvements étaient plafonnés (en cas de dépassement, une facture classique devait être envoyée pour le supplément, avec un délai d'anticipation suffisant par rapport à la date du prélèvement) et les cartes bancaires ne pouvaient désormais être utilisées que physiquement, dans un appareil à code, lequel devait passer à huit chiffres dès le prochain renouvellement de carte, un code à quatre chiffres étant notoirement insuffisant, "et huit chiffres, c'est moins qu'un numéro de téléphone, à retenir". Aucune transaction n'était désormais valable en transmettant un numéro de carte bancaire, que ce fût en VPC, par Minitel ou d'autres moyens. Les restaurants (par exemple) acceptant les cartes devaient amener le terminal sur la table, et en aucun cas s'éloigner avec celle-ci. C'était déjà souvent l'usage, c'était maintenant la loi. D'autre part, losqu'il existait une redevance ou commission demandée par l'organisme bancaire aux commerçant pour les paiements par cartes, les gens payant autrement devaient bénéficier d'une réduction correspondante, l'Etat considérant que sinon ça revenait à leur faire payer le surcoût d'un système qu'ils n'utilisaient pas. Le prix indiqué en rayon était donc le prix maximum (commission de carte bancaire incluse, si le commerce les acceptait), le prix à la caisse devant être inférieur du montant de la commission bancaire si on payait autrement. L'ELR n'était pas favorable aux cartes bancaires, sans souhaiter non plus les interdire car elles avaient leur raison d'être pour les services automatiques (distributeurs de billets, stations de carburant 24h/24...) mais poussaient à trop dépenser sans compter, surtout chez les gens n'ayant pas une bonne culture de gestion budgétaire.
Les nouvelles lois contre le bizuthage (parfois déguisé en "week-end d'intégration" avec la complicité de l'établissement) étaient appliquées sans la moindre complaisance. Outre les peines de travaux forcés pour les cas ayant causé des morts ou des blessés, 1382 étudiants (souvent d'écoles prestigieuses) avaient été interdits à vie d'accès aux établissements d'études supérieures (y compris privés. Seule la formation à distance restait possible) et de toute fonction donnant autorité sur autrui (y compris l'autorité parentale), par mise sur une liste noire consultable par tout un chacun, et 104 professeurs, directeurs d'établissements ou bras droits de ceux-ci avaient eu leurs diplômes annulés, ainsi que leurs droits à la retraite, car il s'était avéré qu'ils n'avaient pas cherché à empêché le bizuthage (bien que la preuve fût apportée qu'ils en avaient connaissance) ni appelé les forces de l'ordre dès qu'ils l'avaient constaté. Les premiers cas passés à la télévision firent prendre conscience que les règles du jeu avaient réellement changé: pas juste en théorie. Plus aucun établissement (même coutumier du fait depuis des décénies, voire siècles) ne prit le risque de laisser faire: le renvoi des élèves tentant d'en organiser un était devenu immédiat et définitif, même quand ils étaient de "très bonne famille" ayant fréquenté l'école de père en fils. Le ministère de l'enseignement disait "il faut empêcher toute racaille de se dissimuler parmi de futurs décideurs publics ou privés", donc éjecter quiconque cherchait à s'arroger un pouvoir illégal sur autrui.
Des scéances en apparence non agressives (et qui pouvaient faire partie officiellement de certains cursus, jusqu'alors) comme le test de se laisser tomber en arrière les yeux bandés (les autres étant chargé de rattrapper) ou la sculpture humaine (positionner d'autres élèves pour symboliser quelque chose avec) étaient également interdits. Le test de scupture humaine restait possible en manipulant des mannequins numérotés, indisquant aux "matériaux" l'attitude à prendre, mais sans contact direct. Le test de "chute en confiance" était totalement interdit, ainsi que d'autres (vertige, etc) pouvant humilier inutilement un élève devant les autres, parfois involontairement. On pouvait exiger un test de vertige lors d'un examen pour devenir pompier ou guide de haute montagne, mais pas dans des professions intellectuelles.
Stéphane (Aymrald, dans ce contexte) se souvenait d'avoir accepté le test de chute en arrière, et même de s'être proposé en premier, pour une raison qu'il expliqua juste ensuite: une fois rattrappé il s'éloigna un peu et leur dit: "si vous n'êtes pas sûr de pouvoir faire ce que je vais faire, n'acceptez pas, car à la moindre maladresse des autres il y a un risque réel de finir vos jours en fauteuil". Il se laissa tomber en arrière, droit, puis vrilla sur lui-même après la moitié de la chute pour se recevoir sur les bras, tout près du sol, ce qui fut applaudi, après un instant de stupeur lors de la chute, d'autant plus qu'Aymrald était quelqu'un qui ne se signalait pas aux autres par ses propos ni son comportement, d'habitude. C'était la première fois. Il voulait signifier "je l'ai accepté uniquement parce que s'il le faut, je peux tricher". Le psy réfléchit un instant et dit:
- c'est bon: on ne va pas le faire, à moins qu'il y ait un autre cascadeur parmi vous?
Aucun volontaire.
Le psy vint le voir après:
- votre numéro était impressionnant, mais pourquoi vouliez-vous empêcher le test?
A- pour éviter que quelqu'un ait à refuser devant tous les autres. Ce n'est pas un test de confiance, ça, mais une épreuve d'humiliation publique pour le premier qui n'osera pas, sous les rires des autres. Vous le savez certainement mieux que moi.
- si c'est votre motivation réelle, je ne peux pas vous la reprocher.
A- on devrait interdire ce genre de tests. Ceux du début n'étaient pas gênants, et bien plus amusants.
- êtes-vous considéré comme un leader, ici?
A- non: d'habitude je suis du genre sous-marin en plongée: je reste spectateur au périscope [il mima les mains sur les poignées de l'appareil], mais aujourd'hui je n'avais pas envie d'assister à un nauffrage, alors j'ai tenté de désamorcer votre test.
- tenté et réussi.
A- je ne savais pas que je pourrais vous y faire renoncer, mais j'aurais au moins fourni un alibi d'avance à tous ceux qui refuseraient.
- pensez-vous réellement qu'il y ait un danger?
A- oui, parce qu'il est tentant de jouer à rattrapper le corps de plus en plus tard, au fil des cobayes. Il y a déjà eu un tétraplégique dans une université américaine, à cause de ce jeu.
- donc en passant le premier vous pensiez que le risque était moindre.
A- oui, en plus de savoir me retourner comme un chat, s'ils me manquaient.
- vous n'aviez pas besoin de faire confiance aux autres parce que vous aviez une deuxième solution.
A- une "botte", comme aux Mille Bornes. Je n'ai aucun mérite: je me suis d'abord entraîné à huit ans avec un matelas pneumatique attaché dans le dos, et sur du sable mou, en plus.
Le petit Stéphane était préalablement tombé à la renverse en patins à roulettes et avait cherché à ne plus jamais atterrir ainsi, en cas de chute arrière, jusqu'à ce que ce fût devenu un réflexe, car la vraie chute arrière ne préviendrait pas. Il ne donna pas au psy la raison de cet entraînement, supposant qu'elle allait de soi.
- vous devriez faire du cinéma d'action: savoir tomber est un atout important.
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Il avait remarqué l'apparition d'autres voiturettes "Trielec" Kermanac'h en Finlande, pendant son séjour: ça s'exportait donc jusque là-bas, et pas uniquement comme voitures de fonction de BFR. Monoplaces, biplaces avec ou sans moteur thermique "de voyage", et version "marchandises" à l'indienne (mais électrique).
BFRSF et ses environs n'étaient pas si représentatifs que ça de la Finlande, s'était-il aperçu. Comme déjà supposé sur le trombinoscope, les filles de l'usine avaient été mieux choisies que les garçons (au point que l'on pouvait supposer qu'elles n'avaient pris du poids qu'ensuite): ces derniers étaient simplement représentatifs de la population locale, alors qu'elles étaient représentatives de ce qui s'y faisait de mieux, à part le poids. Tout ce monde lui semblait encore plus finlandais que la population d'Helsinki ou de Tempere.
A Rennes, Aymrald contactait plusieurs fois par jour (via le Minilog puis Véritel) Kjell ou Niko, là-bas, tant pour échanger des informations sur les procédures informatiques pour l'équipe de Rennes que pour lui-même: qui, dans les informations en finnois, allait détecter qu'il en savait bien moins qu'il n'était censé en savoir pour une telle mission? Le voir taper du finnois presque en temps réel pour contacter "des experts en Linux" lui vallut une certaine considération de la part de ses collègues informaticiens français. Ici, on le remarquait, ce à quoi il n'était plus habitué en Finlande.
L'accès facilité au suicide pour tous, rapide et confortable (cinq méthodes disponibles officiellement, au choix) et la fermeture du robinet des psychotropes (prescrits maintenant uniquement dans le cadre d'un internement hospitalier, de plus l'hospitalisation d'office, cette "mise au goulag psychiatrique" sans procès ni appel, avait été abolie dès 1997: "nul ne peut être privé de sa liberté sans un procès juste et équitable" était enfin appliqué) avait induit une vague d'auto-élimintation spectaculaire, tout particulièrement chez les enfants, aucun avis parental n'entrant en compte pour le droit à quitter librement la vie. On se suicidait aussi beaucoup à l'adolescence puis dans les études supérieures, à l'autre bout chez les gens trop diminués, handicapés ou devenus physiquement dépendants, ainsi que tous ceux qui n'ayant jamais réussi quoi que ce fût et se rendant compte qu'ils ne réussiraient jamais ne fût-ce que les miettes de leurs rêves choisissaient de ne pas rester à regarder jusqu'au bout un film pénible ou simplement ennuyeux. "Tout rate et vous savez que vous n'arriverez jamais à quoi que ce soi? Suicidez vous! Simple, rapide, confortable, et in-ratable: la solution à tous vos problèmes".
L'ELR avait fait périodiquement des campagnes en faveur du suicide, en rappelant que même les situations les plus désespérées avaient désormais au moins cette solution: "si c'est plus difficile que de se suicider, n'hésitez pas: suicidez-vous!".
Puisque c'était l'Etat qui proposait et recommandait le suicide, cet acte perdait tout caractère de révolte ou "d'appel à l'aide": on avait vu se raréfier les "tentatives de suicide", leur crédibilité étant maintenant nulle. Les parents pouvaient répondre "si tu avais voulu te tuer, tu aurais réussi: n'importe quel imbécile peut aller se faire piquer ou décapiter sur simple demande".
Les "tentatives" de suicide étaient donc en chute libre, face aux suicides réussis: au lieu de dix à douze mille par an antérieurement, la France en était fin 1997 début 1998 à plus de six cent mille par mois pour les nationaux, sept cent quarante mille en comptant aussi les étrangers. Par mois, et non par an.
Parallèlement, il y avait une hausse forte des meurtres, car beaucoup de suicidaires en profitaient pour se venger des gens qui leur avait nui (s'ils pouvaient les retrouver et trouvaient l'occasion de les tuer sans être pris immédiatement). Il n'y avait pas que des meurtres, mais aussi des mutilations, choisies pour que la victime y survive au moins (avant de peut-être se suicider elle-même) le temps d'en éprouver les effets. Toutefois, la plupart des suicidés ne cherchaient pas à faire cela avant.
Un nombre important d'autres Européens (surtout voisins) étaient venus profiter du système français de libre accès public au suicide sans nécessité d'expliquer pourquoi. 19% des suicides offerts ainsi l'étaient à des étrangers venus pour cela.
La vague de suicides étaient dûe au grand nombre de gens en ayant déjà l'intention mais n'ayant à leur portée aucune méthode sûre, simple et indolore: les vrais poisons foudroyants étaient impossibles à obtenir si on n'était pas du milieu médical, idem pour les armes à feu pour la plupart des citoyens.
Cela allait donc ralentir une fois ce retard d'offre par rapport à la demande d'accès simple au suicide résorbé. La seconde source de baisse de la population était la "désimmigration", suite à la supression des allocations familiales (ça ne faisait pas partir tous les immigrés, mais bon nombre, ainsi que des familles de nationalité française ayant cru pouvoir vivre de cette rente), la première étant la vague de suicides, deux phénomènes qui allaient se tarir d'eux-mêmes tandis que la chute de la natalité prendrait plus modestement le relais, ainsi que la part de suicides que continueraient de choisir nombre de personnes âgées et malades.
La réémigration et les suicides avaient déjà allégé la France de près de huit millions d'habitants, ce qui avait accéléré l'implosion du marché de l'immobilier, la baisse de la pollution, la baisse générale du coût de la vie et contribué à l'excédent commercial, en plus de l'effet massif de la TVA sociale dans ce domaine.
Atte, après avoir passé les tests de VTP (émilianomètre [excellent], résistance à la déstabilisation psychologique [faible pour un Finlandais mais supérieure à la moyenne française: accepté de justesse], capacité à mémoriser des gestes et du texte, à transpirer le moins possible...) fit quelques bouts d'essais. Aymrald obtint plus de précisions sur le projet de tournage de septembre: au vu des progrès accomplis en entraînement au simulateur tactile de combats, il pouvait avoir un des rôles principaux. Il n'y aurait pas de rôle "central" dans ce tournage, qui mettait en concurrence plusieurs clans, fort différents, face aux effets sur le temps (météo) et le temps (chronologie) suite à la découverte d'une machinerie souterraine les contrôlant. De l'héroïc fantaisy (ou "HF") en semi-virtuel (ce que VTP appelait du "Légendique", contraction de "légendaire" et "numérique") avec des monstres de toutes sortes, des voyages dans le temps, une bataille sur la glace contre des chevaliers atomiques. Des paysages, des architectures et des machines grandioses: "encore plus que dans le clip Atlantide. C'est Tarsini qui synthétisera tout ça". Sa part de tournage se passerait pendant ses vacances de septembre, mais il devrait s'entraîner quotidiennement jusqu'à cette date, hors de son temps de travail pour BFRSF. On lui posa des questions sur la Finlande en générale et sur Atte en particulier. Aymrald ne dit rien de plus que ce que les autres gens de l'usine pouvaient savoir. VTP, dans cette aventure, lui faisait l'effet d'un chantier naval sur le point de lancer son premier porte-avions après n'avoir produit jusqu'alors que des chalutiers.
Le système d' "avance sur recettes" avait été supprimé dès 1997, de même que le régime des intermittents du spectacle, ainsi que quantité d'autres statuts dérogatoires ou "spéciaux". Ceci avait tari d'un coup la production de "navets subventionnés", comme les appelait VTP d'où l'imitation par beaucoup de producteurs de ce qui était systématique chez VTP: le paiement des acteurs "en participation" (sauf pour les tous petits rôles à la limite de la figuration), ce qui revenait à récupérer une forme d'avance sur recettes en retardant le paiement des acteurs, voire pas de paiment du tout si le film ne faisait pas de bénéfices: ils étaient "producteurs associés". Ca se faisait déjà ça et là hors VTP, mais désormais, nombre de producteurs ne choissaient que les acteurs acceptant ce système, et avec des pourcentages "raisonnables". Tout ce que le cinéma avait pris l'habitude de payer "anormalement cher" tendait maintenant à se rapprocher de la réalité, tout en restant au dessus donc bien plus coûteux que chez VTP. De plus les procédés de tournage maison économisaient beaucoup de temps et de personnel par rapport à ce qui se faisait généralement ailleurs, tout en tournant en stéréoscopie et avec des mouvements de caméras plus sophistiqués, dûs à les bras porteurs robotisés. D'autres réalisateurs avaient déjà utilisé ce procédé, mais pas partout ni tout le temps. Chez VTP, c'était systématique, avec des transpondeurs permettant au système de cibler les personnages même s'ils n'étaient pas parfaitement positionnés à l'instant prévu. Chacun apprenait son rôle en imitant un modèle virtuel, façon dessin animé 3D assez détaillé mais sans chercher un rendu réaliste: il fallait que ce fût synthétisable en temps réel par les stations graphiques des studios, à l'usage de chaque acteur, à son propre rythme d'apprentissage. VTP n'utilisait pas de figurants: pour de tels rôles, des automates réalistes convenaient, avec la certitude d'avoir exactement l'attitude et le geste souhaité au bon moment, d'autant plus que comme c'était prévu dans le scénario, ceci ne nécessitait pas d'intelligence artificielle, contrairement à la robotique "réactive". Le terme automate désignait pour le grand public une sorte de manionnette aux mouvements "visiblement mécaniques", ce qui n'était déjà pas le cas des automates industriels, par exemple ceux utilisés depuis des décénies pour peindre des voitures: leurs mouvements étaient aussi souples et naturels que ceux des peintres puisque mesurés sur eux en temps réel et répliqués, en se basant sur le meilleur enregistrement. Il en allait de même pour les automates de figuration de VTP, qui pouvaient aussi figurer des rôles parlants simples: il suffisait d'avoir préenregistré l'animation du visage et le son sur un acteur réel, qui n'avait pas besoin de ressembler à l'automate: le même pouvait enregistrer pour un grand nombre d'automates d'aspects différents.
En 1998, ce procédé donnait un bien meilleur rapport réalisme/prix que l'imagerie virtuelle, pour les personnages vus de près. Une fois les figurants animables construits, on pouvait les réutiliser à l'infini, avec d'autres tailles (tronc et membres télescopiques), morphologie (rembourrage sous vêtements) faciès (le masque souple électroanimable), coiffure, etc. On ne pouvait pas encore les utiliser pour les rôles nécessitant des déplacements un tant soi peu compliqué: cela aurait pu de se remarquer, mais pour "faire du nombre" debout ou assis dans une foule, tout en exécutant des mouvements préétablis, personne ne pouvait faire la différence, à l'écran. Ca marchait aussi pour les personnages dans des véhicules (y compris pour les conduire: en fait le véhicule était directement programmable) et même sur des deux-roues: il y avait longtemps que l'équilibre robotique à deux roues, même à petite vitesse, était un problème classiquement résolu. Ca marchait d'ailleurs bien mieux à l'échelle réelle que pour les jouets, car les déséquilibres s'y produisaient moins vite et l'adhérence était plus proche de celle du modèle théorique que pour un objet bien plus léger. L'équipe de robotique de VTP travaillait aussi à améliorer le réalisme des quadrupèdes, en particulier des chevaux. L'utilisation de vrais chevaux (donc parfaitement dressés pour le cinéma) revenait très cher, dans un film, tout en n'étant pas d'une fidélité garantie au scénario. De plus nombre de scènes d'action ne pouvaient être tournées avec les vrais chevaux, en raison du risque de blessures: les trucages classiques dans ce domaine imposaient certains types de chutes, filmés sous certains angles seulement. Pour faire autre chose, il fallait des chevaux mécaniques capables d'être pris pour des vrais à l'écran, au moins pour les scènes où l'on n'utiliserait pas les vrais. Il y aurait parfois moyen de tricher, par exemple en améliorant l'équilibre du cheval mécanique par un longeron porteur partant à l'opposé des caméras (au pluriel, pour la stéréoscopie), caché à celles-ci par le corps du cheval, comme le faisaient depuis des siècles les illusionistes dans les tours de "lévitation", mais ça ne permettait de filmer que de profil (ou de trois-quarts si le longeron était disposé ainsi), donc ne pouvait convenir qu'à des plans brefs. Les travaux de robotique équestre sans appui complémentaire avaient beaucoup progressés: le cheval mécanique exécutait les allures classiques et franchissait même des obstacles de concours hippique sans déséquilibre en réception, mais pas au point de tromper un public attentif, pour le moment. On devrait donc se contenter de chevaux virtuels (uniquement de loin) et réels de plus près. Pour cette raison, il n'y aurait pas de chevaux dans le premier grand film d'action de VTP, prévu pour septembre. Il y aurait des monstres mécaniques, mais puisqu'ils imitaient quelque chose que les gens ne connaissait pas, il suffisait que les mouvements fûssent fluides et équilibrés, sans avoir à imiter fidèlement un modèle existant. La robotique serait donc bien plus crédible dans ce domaine, tout en donnant à la bête un aspect bien plus matériel que la synthèse: écrasement de végétaux (voire de faux personnages) sous elle, etc. La synthèse serait utilisée aussi, en particulier pour ce qui volerait et pour certaines chimères trop difficiles à mécaniser, en raison de structures plus fines et d'un souhait de mouvements très rapides tout en étant d'une précision infographique, pour s'adapter à ceux (réels) des acteurs qui devaient donc tourner dans les voir. Pour cette raison, l'image virtuelle serait calculée ensuite, l'acteur n'ayant pas au millimètre près et à la l'image près la main ou le pied au bon endroit. Les acteurs mécaniques non plus, d'ailleurs: tout ceci comportait de l'inertie, de petites flexions parasites, des glissements d'appuis interdisant une précision "chirugicale" des gestes de combat. La répétitivité était meilleure que pour les acteurs humains, mais seulement meilleure: elle ne pouvait pas s'adapter exactement à une synthèse déjà créée. On ne pouvait donc pré-synthétiser (avant le tournage réel) que ce qui n'aurait pas d'interaction directe précise avec des parties du tournage réel. Ceci, toutefois, ne vallait pas pour les ombres portées: on pouvait les créer d'avance, le spectateur n'ayant pas dans sa tête un multiprocesseur graphique temps réel capable de synthétiser ce que devrait être l'ombre portée de quelqu'un sur une surface compliquée, peu importait qu'il y eût de petites erreurs de positionnement du futur tournage réel par rapport à ses ombres précalculées. De plus, cela garantissait la synchronisation de l'ombre du personnage réel (puisqu'issue de son modèle virtuel) et de son adversaire virtuel. De ce fait, le décor "passif" (même animé, mais n'interragissant pas de façon trop précise avec les personnages réels) pouvait être synthétisé bien avant le tournage, or c'était lui qui occuperait l'essentiel des pixels des images finalement montées. Deux robots imitant fidèlement l'aspect d'Atte (avec éléments échangeables selon besoins) étaient en cours de fabrication. Les traits d'Atte étant proches de ceux d'Erwann (toutefois ils n'avaient pas les mêmes expressons instinctives), le même système de micro-animation faciale n'aurait qu'à agir dans un masque souple ou l'autre, selon le personnage à simuler, avec sa propre programmation.
D'immenses studios entièrement automatisés étaient en construction "dans le 22" (non loin de Kermanac'h, qui fournissait la machinerie), avec des systèmes de repositionnement automatique d'éléments de décors et de modification des altitudes par des plate-formes hydrauliques repositionnables: le but était de fournir aux acteurs réels des supports d'évolution correspondant au décor virtuel (aussi réaliste que possible) qui serait synthétisé autour d'eux. Il fallait pouvoir reconfigurer très vite ces reliefs et surfaces d'appuis (parois destinées à être touchées et devant résister, ce que le virtuel n'offrait pas) d'une scène à l'autre. Il y aurait beaucoup de relief, d'escalade et de saut, "comme pour bien montrer que ça n'avait pas été tourné en studio". Tout ceci était entièrement programmable et ne nécessitait aucune intervention humaine, y compris pour sa mise en place: de façon à pouvoir reconfigurer vite en pleine nuit ou pendant des pauses du personnel, c'étaient un système robotisé qui installait, connectait et restait chaque élément mobile reprogrammable du décor, de façon à pouvoir les mettre n'importe où sans avoir eu à acheter de quoi modifier la totalité de la géométrique du lieu, à la façon d'un pavage sur verrins. De plus, ça évitait d'être lié à un maillage, quelqu'il fût. Tout ceci était revêtu de matériaux antichoc et ne présentait pas d'angles vifs. Même si dans certaines acrobaties les acteurs étaient cablotractés (effacé ensuite par infographie) pour éviter tout risque de chute et permettre des sauts plus vigoureux (mais sans en abuser à la façon des réalisateurs coréens ou japonais), des accidents étaient toujours possibles pour ce qui semblait plus simple ou ne permettait pas ce type d'astuce. Les acteurs s'entraînaient avec des kimonos, pour faire croire aux espions que VTP préparait un film de kung-fu. Automatisation du suivi de l'éclairage et des perches de prises de son comme cela se faisait déjà dans leurs sitcoms, mais aussi du vent, de la pluie (même si la pluie pouvait être virtuelle ailleurs, le personnage réel devait être arrosé pour de vrai, lui), des nuages de poussière, etc, ainsi que l'évacuation rapide de ceci pour la prochaine prise. Ceci allait permettre le tournage de spots publicitaires spectaculaires à budget VTP, mais aussi de téléfilms et films ne pouvant pas se jouer sur du plat ou dans un petit nombre de décors en relief. Ici, on pouvait en simuler (matériellement) autant que dans un jeu vidéo. La reconfiguration était juste moins rapide que par logiciel. Erwann savait que VTP avait un projet de film de Vikings qui ne serait pas tourné là-bas, mais ici, en empruntant des Finlandais des alentours de l'usine BFRSF après avoir filmé (sous les trajectoires exactes reprises par le tournage) les fjords de Norvège et le volcanisme islandais sur place: dans l'état actuel de la technique, ça revenait moins cher que de tenter de le faire 100% en virtuel sans que l'on s'en rendît compte. Les drakkars seraient construits dans le petit chantier naval ayant réalisé les catamarans et trimarans hydroptères (naviguant réellement, et plutôt bien) utilisés dans les trois "saisons" déjà tournées de "Au vent du large".
C'était un défi que lançait Tarsini à VTP: passer du bateau de plaisance au porte-avions en lançant gros film de cinéma bourré d'effets spéciaux. Jusqu'ici VTP se contentait de séries et téléfilms tournés à la chaîne. L'architecte, auteur du film (sous forme de BD puis de virtuel simplifié) mettrait à la disposition du projet ses énormes moyens de calcul infographiques, habituellement utilisés pour immerger les clients possibles de ses projets dans ces projets, "modélisés jusqu'aux brins d'herbe". C'était aussi pour cela qu'il avait eu besoin (sous-traité chez Kermanac'h) de machines permettant de reconfigurer rapidement des escaliers, des rampes, des plate-formes: toute sortes de surfaces parcourables, de façon à donner l'impression, une fois le masque de réalité virtuelle (asservie au mouvement de la tête) mis, d'y être réellement, et pas juste de piloter une caméra à l'intérieur. Des harnais avec câbles empêchaient les visiteurs de tomber, car il eût été trop compliqué d'installer automatiquement des garde-fous partout. Le terrain (matériel) changeait pendant que les gens étaient sur une autre partie, et le tout pouvait même coulisser, permettant la marche sans fin (à condition de ne pas courir, le système mécanique devant avoir le temps de refaire ce vers quoi on allait) dans une architecture ou un paysage urbain bien plus vaste que le hangar de simulation. Certes, ceci supposait que les visiteurs restassent à peu près groupés: partir dans des directions opposées aurait conduit les uns ou les autres à rencontrer un mur (après l'avoir d'abord vu, via leur masque virtuel, pour ne pas s'y cogner par surprise) même s'il n'y en avait pas à cet endroit dans le projet.
Cette machinerie extraordinaire était un plaisir que Tarsini s'était fait à lui-même: pouvoir visiter ses projets en les sentant sous ses pieds, en sentant aussi des différentes de température confirmant l'impression visuelle des lieux: un projecteur infrarouge s'allumait s'il était censé passer derrière une verrière en plein soleil, du vent bien plus frais soufflait (pas fort, mais perceptible) en sortant sur une terrasse, etc. Lui aussi utilisait le système de harnais suivant le parcours du personnage, car plonger d'une plate-forme réelle dans une piscine virtuelle était aussi tentant que dangereux: le décor mobile n'aurait jamais pu déplacer de telles masses d'eau en un temps raisonnable, en plus des problèmes d'étanchéité entre les panneaux rapidement justaposés.
VTP avait été impressionné, et avait aussitôt commandé à Kermanac'h une machinerie du même genre, sur plus de mille mètres carrés (20x60). Elle n'avait pas besoin de réagir aussi vite que celle de Tarsini, ni de pouvoir faire tout coulisser en retirant des surfaces d'un bout pour en rajouter à l'autre, car un tournage ne l'exigeait pas, contrairement à une visite de site qui équivalait à un immense "plan séquence". La forme rectangulaire de cette installation venait de ce que l'on n'avait généralement besoin de distance parcourable que dans une direction, pendant une prise, et bien moins dans l'autre. Sinon on ferait une seconde prise après avoir déclenché la redisposition des surfaces parcourables. Il n'y avait bien sûr rien d'installé là où personne ne circulerait, sauf en prévision de la prochaine reconfiguration, pour faire gagner du temps: si on n'avait pas besoin de tous les éléments, et si les non-utilisés (règlés au plus bas) hérités de la configuration A, ne génaient pas dans la configuration B, autant les laisser puisque la C en aurait l'usage.
De plus (et ça, ce n'était pas une particularité VTP) les scènes n'étaient pas tournées dans l'ordre, de façon à limiter le temps perdu à faire se remodeler le décor "porteur".
"Ne vous inquiétez pas: si vous devez vous appuyer contre un mur, un arbre ou un véhicule en virtuel, il y aura quelque chose en vrai. Vous ne tomberez pas à travers", avaient expliqué les ingénieurs aux jeunes acteurs découvrant ce système. Tarsini savait que ça, même les Américains ne l'avaient pas. Ou pas encore.
Ce fut effectivement la série d'arts martiaux "Tépakap" qui servit de cobaye pour ce système. L'ambiance de la série étant très "manga", en décors urbains de verre, béton et acier (y compris des poursuites dans un métro futuriste) il n'y avait pas besoin de trop de puissance infographique pour synthétiser tout ce qui se passerait autour des acteurs. La végétation se composait de yukas, cactus et palmiers, plantes se synthétisant facilement. C'était l'infographie qui hérissait de piquants séparables la main d'un acteur après avoir heurté une "raquette" de cactus (virtuelle), qui se brisait et tombait de l'autre côté. Dans ce cas, il n'y avait rien de matériel sur place. Les coups de sabre pouvaient aussi trancher un "cierge" d'un cactus chandelier, la lame (qui n'existait pas non plus) étant supposée assez tranchante pour ne pas ralentir lors de cet impact: l'acteur n'avait donc qu'à savoir où serait la plante (un fil tendu suffisait à l'indiquer) sans avoir à modifier son geste en cours de frappe pour simuler un impact. Le simulateur d'escrime était en cours de rôdage: il était dérivé de celui déjà réalisé par des élèves de Centrale Dinard comme projet d'études, tout en devant offrir plus de mobilité à l'acteur. L'intéraction éventuellement destructive entre acteurs réels et décor virtuel était un impératif pour rendre celui-ci "palpable" pour le spectateur, malgré son aspect "manga". Quand les acteurs étaient un peu plus loin, ils étaient virtuels eux aussi, ce qui simplifiait tout.
Un logiciel d'analyse d'image avait été ajouté depuis début 1998 pour détecter en temps réel tout regard vers les caméras en prise à ce moment-là, et signaler la faute: il était strictement interdit de regarder trop près de la direction de prise de vue, chez VTP, quelque fût la scène: "c'est comme en bateau: jamais bout-au-vent", avait entendu Erwann pour "Au vent du large". L'explication donnée était la suivante: "la télémétrie utilise un laser à ultraviolets. On ne le voit pas et il est sans danger pour la peau, mais il pourrait abîmer la rétine". En fait il s'agissait d'un laser infrarouge (pas totalement inoffensif, effectivement, quoique le danger eût été de le fixer un certain temps, et non de juste passer dedans) mais VTP avait estimé que les ultraviolets feraient plus peur. Ceci vallait pour tous les tournages: série, téléfilm ou maintenant film. Certains avaient remarqué ça sur les quelques photos de personnages dont VTP avait permis la publication dans certains magazines: on n'était jamais "regardé" par le personnage de la photo, qui semblait s'intéresser à autre chose: d'un côté ou de l'autre, généralement, parfois plus bas ou plus haut. Certes, ailleurs aussi il était d'usage d'éviter les "regards caméras", mais chez VTP on ne pouvait même pas passer dedans: il fallait regarder au dessus ou en dessous, si on devait passer d'un côté à l'autre. Le logiciel d'analyse d'image coupait le laser, s'il détectait l'alignement des yeux (quand l'iris devenait rond, à l'image au lieu d'éliptique: même système que pour le suivi de direction de regard dans certains logiciels interactifs. Un petit bout de bord d'iris suffisait pour calculer cette courbure, ainsi que la pupille si les yeux n'étaient pas trop sombres) et comptait une pénalité financière à l'acteur, pour le temps perdu. Débrancher la télémétrie laser un instant n'engendrerait pas de défaut de mise au point, mais il faudrait ensuite retourcher l'image infographiquement pour que les yeux n'aient pas l'air de regarder dedans, "pour l'assurance". S'il était plus simple de refaire la prise, on la refaisait, mais la plupart du temps la correction infographique permettait de l'éviter.
Erwann savait que l'histoire du laser était vraie, puisqu'il avait constaté que le télémètre était extrêmement précis et immédiat: il n'eût pas pu être aussi précis ni rapide avec des ultrasons, en plus du problème qu'aurait alors créé à l'utilisation de plusieurs paires de caméras: on ne savait pas émettre du son selon un faisceau aussi étroit, donc il y aurait eu des échos partout. Par contre, il n'avait pas moyen de tester la nature du faisceau, et estimait que les ultraviolets avaient une raison d'être: beaucoup de caméras vidéo captaient les infrarouges, donc auraient filmé l'impact de ce laser, contrairement à l'oeil humain. Ce n'était pas le cas de celles de VTP, du fait d'objectifs en verre (et non polycarbonate) et de capteurs adéquats.
Les caméras pouvaient suivre automatiquement un personnage non seulement en direction (pour cela, l'analyse infographique d'image suffisait) mais aussi en profondeur, pour adapter zoom ou travelling (bras porteur robotisé) selon le cas, ainsi que la prise de son quand elle n'était pas post-produite. Ceci, ajouté aux transpondeurs à radiofréquences portées par les personnages (dans un pli du col, voire dans la bouche (à condition de ne pas avoir à parler) ou clipé dans les cheveux pour une scène de plage: ce n'était pas plus grand qu'un timbre) permettait au système de se recaler automatiquement sur tout ce que faisaient réellement les acteurs, de façon à assurer un passage de relais impeccable d'un angle de prise de vue au suivant, l'autre paire de caméras étant déjà prête à reprendre la "poursuite". Grâce à l'autocadrage en temps réel, les séries télévisées de VTP ne demandaient pas à leurs acteurs autant de précision de restitution des mouvements et déplacements que les films où jouait Erwann, dans lequel lui (ou d'autres) devaient interagir avec ce qui n'existait pas et qu'ils n'avaient vu qu'à l'entraînement, avec les lunettes virtuelles. Le suivi de caméra était par contre moins exigeant pour les films, car peu de scènes étaient filmées de près, ce qui était une des grandes différences par rapport aux séries tournées à La Défense: chez VTP22, on avait bien plus de place, donc les plans larges dominaient. De ce fait il n'y avait pas à viser précisément pour avoir dans le champ les différents personnages utilisés (sauf s'ils étaient aux deux bords de l'image) lors du prochain changement de paire de caméras. Erwann n'avait joué que dans les séries "grand espaces" de VTP: "Au vent du large" et "Cap sur Mars", la première à utiliser des décors entièrement retournables, ceci en tous sens à l'intérieur d'une énorme astrolabe motorisée. Ceci permettait de ne recourir au virtuel que pour les effets flottants des moments d'apesanteur, technique boulimique pour obtenir un effet réaliste sur les personnages, surtout avec l'informatique d'alors, l'artillerie lourde nécessaire aux "Miroir du temps" n'étant pas encore à bord. Cette structure renversable et l'utilisation (limitée en nombre de secondes, mais possible, comme pour un spot publicitaire) des effets d'apesanteur (les boules tremblotantes de vodka, dans le vaisseau russe, que l'équipage tentait de recapturer avec les verres ou de boire avec une paille, était l'un des effets les plus faciles) avaient fait beaucoup pour le succès de cette série spatiale. Le système avait été initialement mis au point pour tourner des publicités, puis fini d'amortir grâce à cette série qui avait connu un succès imprévu aux Etats-Unis, au point de comporter trois "saisons" alors que seulement deux étaient initialement prévues. C'était aussi via "Cap sur Mars" que VTP s'était fait racheter (sans l'avoir souhaité) Knut. Les Américains n'y auraient jamais fait attention si la série n'était pas passée chez eux, mais une série de SF française était déjà en soi une curiosité (ça devait être la première fois qu'il y en avait une de diffusée là-bas), alors si en plus elle était techniquement bien faite et les personnages plaisants, ça méritait d'aller se renseigner d'un peu plus près. Outre Knut, VTP avait perdu la plupart de ses importations scandinaves (filles et garçons) soigneusement triées et même quelques Français jugés intéressants par telle ou telle société de production américaine, tout ce petit monde étant appâté par les revenus stratosphériques dont Hollywood avait la réputation et la perspective d'y faire un jour du cinéma, vu qu'à cette époque VTP n'en produisait pas. Aucun n'avait gagné "des fortunes" là-bas ("ne rajoutez que 30% par rapport au tarif français: mieux vaut ne pas leur donner trop vite de mauvaises habitudes"), beaucoup n'avaient pas convaincu hors du système VTP mais pour autant, VTP n'en avait récupéré qu'une petite partie, peut-être parce que les autres n'osaient pas revenir (alors qu'ils eussent été repris) après être trop joyeusement partis. Parmi les onze qui avaient pu faire carrière là-bas, certains (surtout certaines: il y avait quatre Suédoises et trois Danoises) avaient été rachetés à leur première société de production par une autre qui avait proposé un contrat s'éloignant plus de la rémunération française.
Aucun jeune Américain ne tenta l'expérience inverse: on disait, à Hollywood, qu'être acteur chez VTP rapportait moins que d'être d'être livreur de pizzas chez eux. L'histoire du laser à ultraviolets dans les caméras eût suffi à dissuader ceux qui auraient pu être tenté de financer des vacances en Europe par cette activité, d'autant plus que le recrutement était extrêmement difficile, leur avait raconté les autres.
Entretemps, VTP avait réussi à vendre là-bas deux saisons de "Au vent du large", série navale dynamique (prises de vue), innovante et bon marché (ce troisième paramètre ayant été le plus important), déjà exportée dans une quarantaine de pays donc déjà disponible en version anglophone. La conversion du 1250 lignes 25 images/seconde en 525 lignes 30 images/seconde ne tombait pas juste, contrairement à vers le Pal/Sécam d'orgine, mais ça "matait" moins l'image que 625->525 lignes, l'inverse étant bien sûr encore pire. Le problème d'insertion d'images supplémentaires existait déjà pour le passage du cinéma (24 images/seconde) vers le NTSC (30), et un peu vers le Pal/Sécam (25).
Le marché américain ne représenterait jamais un débouché majeur pour les oeuvres de VTP (ça correspondait à peu près au marché hollandais, en volume, pour les oeuvres qui y avaient été exportées) mais représentait un test intéressant: d'habitude, ce pays ne nous achetait absolument rien, en matière de production télévisée, à part (rarement, mais c'était déjà arrivé) les droits d'adaptation de telle ou telle oeuvre en vue d'un "remake" local.
Le basculement des charges sociales vers la TVA avait divisé par deux le coût de main d'oeuvre français, tout en presque doublant le prix des oeuvres importées, celles-ci étant jusqu'alors totalement exonérées de charges sociales, contrairement aux nôtres: la taxation étant enfin devenue la même quelque fût l'origine de l'oeuvre (pas besoin de protectionnisme: juste la fin de "l'importationnisme" socio-fiscal ayant sévi jusqu'alors) l'hégémonie américaine sur les écrans français était moindre qu'avant: il n'était plus rentable, pour une chaîne, d'acheter n'importe quoi là-bas pour boucher les trous d'une grille. Même le troisième choix devait maintenant pouvoir générer une audiance suffisante pour que la publicité en paie les droits: ceci avait chassé de nos écrans leur "daube", et non les séries américaines qui y faisait déjà une bonne audiance. Les séries sud-américaines voire indiennes commençaient à reprendre le rôle de bouche-trous: elles étaient tellement peu chères qu'elle le restaient malgré la TVA sociale. VTP en avait aussi profité, ses séries de base tournées au kilomètre mais avec beaucoup d'effets de décors (y compris naturel: préfilmés selon les mêmes travellings), mouvements de caméras (automatiques, donc aucun surcoût par rapport à du fixe) et d'animations secondaires d'arrière-plans étant maintenant aussi bon marché (parfois même plus) que les plus mauvais sitcoms américains, grâce à l'abolition des charges sociales. La part de salaire n'excédant pas le Smic était déductible avant calcul de la TVA, ce qui avantageait les oeuvres ayant beaucoup d'acteurs peu payés plutôt que quelques stars au prix fort. VTP avait développé des sociétés de production sur le même principe en Italie (VTPI) et en Irlande (VTPIRL), cette dernière faisant aussi les doublages pour tous les pays anglophones, Australie et Etats-Unis inclus.
C'était de la HF italienne (au point de vue rythme et ton) de certains grands téléfilms de ce pays que VTP s'était inspiré pour la sienne, et non de la HF américaine, parfois trop pesante, quoique pas toujours: "Willow" avait beaucoup plu, chez VTP. Le premier grand téléfilm de HF française de VTP, "Castel mortel", avait permis de tester les techniques nécessaire, certains acteurs (chacun dans un rôle limité: pas tous les oeufs dans le même panier), dont Erwann, et l'audience obtenue lors des diffusions par des chaînes de télévision de divers pays: concept et méthodes validées, d'où le passage au format cinéma pour 1998.
Le réseau américain ayant déjà acheté plusieurs fois du VTP (avec doublage irlandais) avait aussi passé "Castel mortel", malgré le contrat de diffusion n'y autorisant que deux coupures publicitaires: une par heure écoulée, le téléfilm en durant trois. VTP savait qu'à la télévision, un peu de publicité ne nuisait pas: pause pipi ou brossage des dents, sortir fermer les volets, etc, surtout dans les pays où les gens étaient habitués à en avoir souvent, mais il n'était pas question d'accepter un mitraillage à l'américaine aboutissant à un tapis roulant de publicité interrompu de temps en temps par des bribes sporadiques de téléfilm.
A La Défense, Atte eut un logement de fonction au quizième étage. On les plaçait de façon à moins encombrer les ascenseurs, selon l'endroit où ils travailleraient. Il n'y avait de logements qu'à certains étages: BFR avait jugé plus simple de réaffecter des étages entiers d'ex-bureaux sous forme de logements, autour de locaux de stockage situés plus au centre, autour d'ascenseurs, de façon à ce que les logements ne soient pas de longs "tiroirs" avec un petit bout de façade. Outre les espaces de stockage pour l'entreprise, chaque logement disposait d'un débarras sans fenêtre, où l'on pouvait facilement ranger un vélo depuis le palier des ascenseurs, par exemple. Trois ascenseurs avaient un panneau de piste cyclable, les neuf autres le panneau "interdit aux vélos", pour éviter d'avoir des traces de pneus (surtout quand il pleuvait dehors) à nettoyer dans tous les ascenseurs. La dalle de la Défense était un endroit intéressant à parcourir en vélo (ça roulait très bien), sauf par pluie ou grand vent.
Les vélos avaient accès à bien plus d'espaces urbains qu'autrefois, en particulier toutes les rues à sens unique permettant matériellement d'y tracer "une voie et demie" étaient à "un sens et demi": retour par piste cyclable. Si un cycliste était verbalisé à contresens dans une rue n'ayant pas ce marquage mais ayant la largeur pour l'avoir, c'était la municipalité qui payait l'amende (dix fois son montant, sinon ça n'aurait pas eu assez d'impact), pour voirie non conforme à la loi.
Ceci, comme l'incitation financière au télétravail, avait poursuivi le mouvement de baisse de la facture pétrolière française, comme le voulait l'ELR. Aucun gouvernement antérieur n'avait obtenu de baisses significatives de cette consommation sans l'aide d'un bon gros choc pétrolier.
Parmi les grands perdants du nouveau système, les notaires: tous ces actes pouvaient désormais être faits et enregistrés en préfecture pour une somme minime. Un notaire ne pouvait pas retarder la transmission d'un dossier à une préfecture. Il n'y avait plus de monopole de droit ni de fait des dockers dans les ports: les grèves avaient vite été court-circuitées par l'intervention des commandos de l'armée puisqu'il s'agissait "d'une entrave grave à la circulation des marchandises ou des personnes". Tous les "mandataires de liquidation" liés aux tribunaux de commerce avaient disparu (fonctionnellement). Les honoraires des médecins (en particulier les radiologues, mais aussi des généralistes, dans une moindre mesure) avaient été réduits, car désormais dépendants du type d'acte. Le secteur 2 (honoraires libres) était supprimé, en particulier pour les spécialistes. Le "numérus clausus" l'avait déjà été, permettant à plus de candidats de s'installer comme médecins. Nombre d'actes autrefois réservés aux médecins (par exemple les vaccinations) étaient désormais du domaine des "infirmières spécialisées", spécialisation acquise la plupart du temps en quatre mois de formation, ce qui leur permettait de gagner plus tout en revenant bien moins cher à la Sécurité Sociale et aux patients que des médecins là où de longues études étaient parfaitement inutiles. Idem pour les renouvellements de prescriptions ne supposant qu'un contrôle de routine de l'état de santé. Les remboursements de médicaments se faisaient désormais uniquement sur la base du générique le moins cher quand il existait, quelque fût le médicament réellement acheté. Ce fut donc (et pour la première fois) le "lobby pharmaco-médical" qui fut appauvri par ces mesures d'économies, et non le patient. Ceci parce que ce lobby n'aurait (et n'avait) déjà pas voté pour l'ELR: pourquoi prendre des gants?
Atte découvrit ainsi une France bien plus calme (lois sur le bruit sévères, et surtout: sévèrement appliquées, par désaffection de la répression routière de la vitesse au profit des "nuisances urbaines et tabagiques") et plus propre (à chaque récidive, l'amende pour crotte de chien était doublée. Sans limite. L'identité du contrevenant était envoyé par Minilog sans fil au "centre des incivilités volontaires" qui calculait l'amende selon le nombre de contraventions de même nature déjà dressées à ce contrevenant. L'analyse des crottes permettait de pister les "crotteurs anonymes" qui de ce fait ne l'étaient plus) que ce qu'il lui en avait été dit. Ce n'était pas aussi calme et propre qu'un petit bled finlandais loin de tout centre urbain, donc il ne le remarqua pas: La Défense, pour un Finlandais semi-rural, ça restait un grouillement humain dans une forêt de béton, de verre et d'acier. Il vit des chiens équipés de couches-culottes (pas blanches: de la couleur du chien, à peu près. Parfois déguisées en prolongement de manteaux), comportant un compartiment lavable, les produits jetables étant très lourdement taxés depuis l'ELR.
Il apprit que certains vétérinaires français proposaient la pose d'un "anticrotte électronique": un tout petit dispositif qui brouillait les nerfs commandant la pression sanguine dans les sphincters et empêchant le chien de d'agir dessus. En cas de pression excessive, le dispositif se mettait à sonner, pour prévenir le maître, puis finissait par s'ouvrir pour éviter de causer des dégâts aux reins ou à l'intestin, mais ca donnait une autonomie importante. Le maître pouvait télécommander le dispositif, lorsque le chien était à un endroit où il pouvait faire. Un dispositif analogue empêchait les aboiements en empêchant les cordes vocales (muscles) de recevoir le signal les tendant: en tentant d'aboyer, le chien faisait une sorte de souffle brusque produisant peu de son. Le dispositif pouvait être programmé pour permettre quelques aboiements (modérés) de jour mais pas de nuit. L'intérêt du dispositif était qu'au lieu de laisser le chien aboyer et de le punir par une odeur le gênant ou un choc électrique, il empêchait techniquement le son de l'aboiement.
Grâce à la généralisation de ces dispositifs fiables, peu coûteux et non traumatisants pour l'animal, ainsi que l'obligation légale de disposer d'un jardin suffisant pour avoir un nouveau chien (mais pas pour garder l'ancien, sinon cela aurait provoqué une vague d'abandons) fit que les verbalisations d'incivilités sonores finirent par porter plus sur les cris de bébés (obligation d'insonoriser efficacement (murs, plafond, sol, huisseries) la chambre du bébé non respectée ou fenêtre laissée ouverte) que sur les aboiements de chiens.
L'une des réformes constitutionnelles les plus importantes était que désormais les procédures à accomplir pour obtenir l'autorisation de faire un enfant devaient être plus difficiles que celles pour en adopter un, or il y avait beaucoup d'enfants adoptables, en particulier ceux dont les parents avaient perdu définitivement la garde pour récidive d'empoisonnement tabagique ou maltraitance orthondotique. La garde, mais pas la responsabilité financière: ils devaient continuer à payer un "malus" de Sécurité Sociale pour couvrir l'augmentation de risque qu'ils avaient infligée délibérément à leurs enfants. Le "parcours du combattant" infligé jusqu'alors à des gens sains et bien intentionnés avant une adoption s'en était trouvé nettement raccourci, alors qu'il fallait prouver bien plus de compétences et de garanties (en particulier la qualité du cadre de vie) pour obtenir l'agrément de procréation. Passer outre exposait à perdre la garde (procéation en fraude) tout en devant financer l'enfant pendant vingt ans. De petites allocations familiales (non rentables: juste une diminution des frais) avaient été rétablies uniquement pour les enfants adoptés, dans la limite de deux. On n'en confiait pas plus de deux par famille, priorité étant donnée aux demandeurs n'en ayant pas. La France était le premier pays d'Europe à soumettre la procréation au passage d'une sorte de permis, en plus de la recherche de tares génétiques, ceci au titre du nouveau droit de recours contre les parents, tant par l'enfant que la Sécurité Sociale, pour toutes les tares génétiques qui auraient été détéctables lors de sa conception. Ceci sans limite de temps, car certaines maladies génétiques très graves comme la chorée de Huntington qui se déclenchait généralement dans la quarantaine, étaient des bombes à retardement génétiques "que les parents posaient dans leurs enfants". Or beaucoup étaient détectables avant conception, puis en début de grossesse pour d'autres. "Faire un enfant n'est pas un droit. C'est une responsabilité". Le dépistage génétique était payant et obligatoire, pour pouvoir déposer une demande d'agrément de procréation. Il était inutile pour l'adoption.
Raison pour laquelle il avait fallu attendre, pour l'ELR, d'avoir aussi la majorité au Sénat pour retirer aux instances européennes certains pouvoirs sur la France et modifier la constitution. On parla d'eugénisme et l'ELR ne le nia pas, s'appuya sur l'exemple suédois "jusque dans les années 60" et rappela que ça faisait partie du droit à la santé des futurs nés au même titre que les vaccinations, sauf qu'il n'y aurait pas à les refaire, puisque c'était acquis, du moment que des deux parents seraient issus de ce tri. D'autre part, il n'y avait aucun critère racial: uniquement des problèmes de santé déjà considérés comme tels dans les nomenclatures de la Sécurité Sociale (sans toutefois donner lieu à avortement thérapeutique, jusqu'alors) avant l'arrivée au pouvoir de l'ELR, pour montrer qu'il s'agissait de critères objectifs non choisis par le nouveau régime. L'eugénisme protecteur, selon l'ELR, était la version génétique de la vaccination. Ni plus, ni moins. Outre un objectif de santé publique évident, cette mesure allait faire chuter un peu plus la natalité. L'ELR aurait souhaité une natalité zéro pendant plusieurs années, mais avait estimé que l'eugénisme, sans tout arrêter, fournirait des économies considérables à la Sécurité Sociale tout en étant justifié, vis à vis du public, par le droit à l'égalité des chances (ou au moins à éviter les handicaps évitables) à la naissance, donc le droit de naître sans les tares scientifiquement éradicables au moment de sa conception. La procréation artificielle n'étant pas interdite (juste non financée par la Sécu tout en étant surveillée par elle pour éviter les charlatans), nul couple n'était prisonnier de ses gênes: à condition d'avoir passé les examens mentaux et sociaux, ils pouvaient adopter un embryon, si la mère souhaitait mener elle-même la grossesse. Si seul le père pouvait porter génétiquement tort au futur né, un don de sperme d'un donneur sain suffisait. Le choix du sexe était permis (et le test pris en charge) pour être sûr d'avoir un enfant de sexe différent du premier, quand on avait l'agrément pour en faire un second. Pas pour les autres demandes (sexe du premier enfant, ou en vouloir deux du même sexe...): là, ça restait joué à pile ou face, même si certaines méthodes alimentaires étaient réputées lester plus un côté de la pièce que l'autre. Permettre aux gens ayant reçu deux agréments de procréation d'être sûrs d'avoir un garçon et une fille ou une fille et un garçon contribuait à diminuer le souhait de troisième enfant, voire plus: "réessayer jusqu'à avoir le sexe souhaité". Avec un de chaque, cette motivation-là disparaissait. De plus, les statisticiens consultés par l'ELR confirmaient que les garçons ayant eu une soeur (d'âge pas trop éloigné), et réciproquement seraient moins "sexuels" qu'en ayant été élevés dans une fratrie monosexuelle car l'autre sexe aurait été banalisé dès le début (bain ensemble, jeu du "docteur" ou du "vétérinaire", etc).
Ceci conduisit Atte à passer d'autres tests que ceux de VTP: il devint l'un des rares donneurs finlandais (et ayant tout à fait l'air de l'être, en plus d'avoir satisfait à tous les dépistages) d'une de ces nouvelles banques de spermes "sur catalogue" françaises. Ca restait anonyme et à rémunération plafonnée (à défaut d'être gratuit comme autrefois), mais on pouvait choisir selon les caractéristiques du donneur, désormais, le plus légalement du monde. L'ADN était enregistré dans une base de données pour éviter toute action ultérieure en paternité: le donneur d'une bande de sperme était dégagé de toute obligation future, la responsabilité de contrôle du don incombant entièrement à la société le stockant. Si une nouvelle technique de dépistage apparaissait, l'ADN des donneurs devait y être comparé pour élimer du stock les porteurs de bogues nouvellement détectables. La responsabilité génétique de la banque était fonction des techniques connues depuis au moins vingt jours avant la vente de l'échantillon à la cliente. Toutefois, pendant la grossesse, la patiente devait être prévenue par la banque si un nouveau risque avait été découvert. Ceci ne signifiait pas que le spermatozoïde fécondant le portait, mais qu'il fallait faire une amniosynthèse pour s'en assurer. Les banques de sperme devaient y veiller, sinon la Sécurité Sociale pouvait leur facturer la totalité des soins (souvent à vie) qui découleraient de ce problème héréditaire (et non congénital), en plus du versement d'une pension à l'enfant qui en serait victime. D'où l'exigence de constitution d'une forte caution financière (biens immobiliers: le cours s'étant déjà effondré comme un soufflé, annulant près de trente ans de spéculation, il ne chuterait guère plus et remonterait un peu d'avoir trop chuté) pour pouvoir créer une banque de sperme.
Atte, dans la cabine de don, choisit la truie artificielle: le réceptacle souple doublant la cavité animée (massante, vibrante: nombreux programmes posssibles) était ôté et stérilisé à chaque fois (servant à transporter ensuite le préservatif contenant l'échantillon). Cette truie dodue et soyeuse au toucher se trémoussait, frissonnait, gloussait et émettait d'autres petits bruits intéressant selon ce que son partenaire humain lui faisait. "Quoi de mieux qu'une truie pour inciter à faire des cochonneries?" avait suggéré l'un des directeurs de la banque en passant commande de ce gadget japonais d'un réalisme (sauf l'odeur: elle sentait la pâte d'amande...) et d'un confort d'utilisation étonnants. "En plus comme c'est du faux, les donneurs savent que ce n'est pas de la zoophilie pour de vrai". Il y avait d'autres animaux artificiels, dont une hippopotame naine plus fessue et joufflue à souhait, et une grosse oie qui avait d'abord tenté Atte (il pensait à Niels Holgerson, mais Niels Holgerson ne faisait pas ça avec l'oie qui le transportait...) avant de palper la truie et d'y faire son don en s'amusant bien. Il n'avait encore jamais fait ça avec un être vivant: la truie artificielle n'était pas loin d'être vivante, de sensations, mais elle restait une machine: c'était moins intimidant. Ces "mécanimaux" japonais étaient déjà en service dans certaines banques de sperme hollandaises, entre autres. Il se nettoya (une sorte de bidet-lavabo conçu exprès pour ça) et remit son échantillon, qui fut testé génétiquement (pour vérifier qu'il fût bien de lui). Une fois le test correct, il recevrait l'autre modié de la rémunération: lui, on lui avait promis deux fois 600 francs, ce qui était le plafond. La banque de sperme commercialisait aussi des animaux artificiels "pénétrables" à cavité animée identiques à ceux-ci. Ca se vendait bien, malgré un prix élevé (celui d'un scooter...). Atte faillit acheter un exemplaire de la truie, mais pensa au transport et se dit que ça devait aussi pouvoir se trouver en Finlande (où la TVA était moins "coup de bambou" qu'en France depuis l'ELR) ou dans un pays voisin, puisque c'était japonais donc destiné au monde entier, à part les pays musulmans, pour la truie.
Atte était loin d'envisager famille et enfants (en tout cas "pas maintenant"), mais l'idée qu'une jeune femme inconnue, à des milliers de kilomètres de chez lui, allait choisir exprès d'en avoir un à partir de ses chromosomes l'intéressait. Sans chercher à connaître le résultat, qui ne serait pas si finlandais que ça si la mère n'apportait pas ce qu'il fallait. La banque de sperme en avertissait les clientes: "la moitié sera de vous, donc ne vous attendez pas à avoir un enfant ressemblant au donneur si vous ne lui ressemblez pas vous-même. Ca peut juste dévier le résultat vers cette direction, en particulier pour la taille". Un tableau rappelant les lois de Mendel et les probabilités d'obtenir ceci ou cela dans la descendance selon le patrimoine (visible et caché) des parents évitait de se faire trop d'illusions, et donc à la banque du sperme d'être critiquée pour avoir donné des illusions à la cliente.
La banque avait constaté une prépondérance massive de demandes de personnages plutôt "nordiques", et quasi-unanime pour les yeux bleus, verts ou gris. Les autres couleurs d'yeux étaient peu choisies, parmi les donneurs européens, le marron clair ("noisette", "mastic" ou "moutarde"...) n'étant demandé à ce jour par personne. D'où la rémunération des donneurs en fonction de l'offre et de la demande. Le choix du géniteur (quand il y avait le choix, contrairement à la vie en vrai) était donc différent, statistiquement, du choix de l'amant. Comme géniteur, elles voulaient surtout du clair, et presque toutes des yeux verts ou bleus, même en sachant que si elles ne les avaient pas ça n'avait que zéro ou une chance sur deux (une en cas "d'héritage caché") de se voir chez leur enfant. A la génération suivante (quand les enfants conçus via ces dons se reproduiraient à leur tour) ça commencerait à se voir, statistiquement (comme l'hypothèse d'Antti d'un Stéphane issu du manque de patriotisme de ses deux grands-mères pendant l'Occupation). Par contre, si la mère avait déjà une de ces caractéristiques, comme elles étaient récessives (il fallait avoir la paire pour l'afficher) ça marcherait à tous les coups. De telles banques existaient depuis longtemps aux Etats-Unis, où les critères étaient assez voisins, même si la demande de donneurs aux yeux verts était plus élevée en France. Etait-ce parce que nous étions le pays le plus félinisé d'Europe? (nombre de chats par rapport à la population humaine).
L'essort spectaculaire de l'économie française suite aux réformes économiques et sociales avait permis de négocier l'Euro à six francs, lors de la fixation de son cours (en attendant l'émission de monnaie palpable). La France aurait obtenu moins d'euros sans ces réformes. Le cours du mark était redevenu très proche de trois francs, ce qui expliquait ce cours du franc en euros. Le plafond de don du sperme était donc de 200 euros, en comptabilité européenne.
Atte pris le RER (la carte orange hedbo lui ayant été offerte par VTP, bien qu'il n'en eût pas besoin pour rentrer "chez lui": l'ascenseur de la tour suffisait) puis le métro et visita Paris. Il n'y était jamais venu, donc bien qu'on lui eût dit, en Finlande, que Rome, c'était bien mieux, il n'était pas à portée de carte orange de Rome donc visita et camescopa abondamment Paris, hors de ses heures de travail chez VTP (répétitions pour jouer dans "Devine qui vient dîner ce soir", puis "Machines à tuer", nouvelle série bête et méchante (avec du kung-fu et des robots) lancée par VTP pour cet été). Pas d'accès au troisème étage de la tour Eiffel. Stéphane lui avait dit qu'il n'avait jamais pu le visiter non plus, à croire qu'il y avait des installations secrètes en haut...
Il ne vit pas les étrons sur les trottoirs qu'avaient remarqués Gunnilla et Pernilla: le doublement de l'amende à chaque récidive et la vidéosurveillance (qui facilitait le suivi et l'interpelation des pollueurs) avaient là aussi fait leur oeuvre. Il visita le XIIIème et constata qu'il y avait réellement beaucoup de Chinois et de restaurants chinois: ce qui lui en avait été dit n'était pas exagéré. Il prit aussi l'autobus (pour voir) et constata qu'il serait allé plus vite en vélo. Les Champs-Elysées à pieds, c'était long, en échange de quoi il y avait plein de concessionnaires automobiles y compris de marques rares (Jaguar, Ferrari...).
Il fit quelque chose que Stéphane n'avait jamais fait, mais qu'il (Atte) avait vu faire dans des films: s'installer à une terrasse de café avec un "capuccino" (Atte digérait bien le café, lui, même à la crème) et regarder les gens passer.
Toutefois aucune fille ne l'aborda: ça ne marchait donc pas comme dans les films, même quand on était un jeune Finlandais estimé "zéro défaut" par la machine laser de VTP et les tests de la banque de sperme. Il vit toutefois (en visant avec le verre plat de sa montre "de plongée") que des deux filles de la table situé deux cases plus loin le regardaient souvent. Il leur fit un petit signe de la main, sans savoir si c'était ou non l'usage. L'une d'elle lui fit signe du doigt qu'il pouvait venir. Il s'attabla (emportant sa tasse et sa soucoupe). L'une était une fausse blonde (châtain clair en vrai, d'après les sourcils) avec trop de rouge à lèvre (dommage, sinon elle eût été d'une banalité acceptable pour ce pays), l'autre une vraie rousse. Il leur parla en français, elle lui répondirent dans une langue inconnue qui avait des parentées avec l'allemand, mais en plus pâteux, et qui n'était pas une langue nordique non plus (sinon, à partir du suédois, il aurait extrait certains mots). Du hollandais. Il était tombé sur des Hollandaises: à quoi bon venir à Paris pour trouver des Hollandaises? Mais alors autant se moquer un peu d'elles: vu qu'elles ne parlaient pas français, il lui suffisait de ne pas parler finnois pour les mener en bateau. Certes, Atte savait qu'il y avait peu de Français comme lui (d'où l'intérêt qu'il avait aussitôt suscité à la bande de sperme), mais Stéphane prouvait que l'on pouvait en trouver. Dans une grande ville comme Paris (deux millions d'habitants, avait-il lu, sans compter la banlieue), il devait y en avoir plusieurs centaines. Il s'amusa à parler en sous-titrant avec les mains, pour faire plus latin, tout en estimant qu'il apprenait à jouer un rôle: ça pourrait être utile chez VTP. C'était parce que Stéphane parlait avec les mains que le père d'Atte était sûr qu'il n'était pas du Nord, ou au moins qu'il avait vécu longtemps en Europe latine. Il dit qu'il s'appellait François, prénom comportant le son "an" qui lui avait posé quelques difficultés dans ses premières leçons, en novembre, mais que maintenant il savait dire sans ralentir ni laisser entendre de "n" suiveur. Dans sa méthode, c'était sous-titré par ã, pour rappeler qu'il ne fallait pas dire le "n". Le son "z" (inusité en finnois) ne lui avait posé aucun problème car il l'avait déjà appris en allemand. Il leur parla en allemand un peu plus "bancal" qu'il n'aurait pu le faire, pour donner l'impression qu'il était français et faisait un effort pour leur parler allemand. Elles parlaient aussi cette langue.
Moyennant l'installation du matériel adéquat dans une petite pièce disponible à Rennes, VTP continua à faire étudier à Stéphane, via les lunettes à immersion virtuelle et le système à retour d'effort, son futur rôle du futur film d'action prévu pour septembre. Il n'avait fait qu'un petit peu d'escrime, jadis, comme beaucoup de jeunes Français. VTP estimait qu'il fallait un entraînement quotidien (deux fois un quart d'heure, avec entretemps observation externe de ce que devrait faire le personnage virtuel, à imiter ensuite "de l'intérieur") pendant plusieurs mois l'amènerait à un niveau suffisant pour être crédible, naturel et même élégant, divertissant dans un film de combat à l'épée (ou avec diverses autres armes) contre des créatures virtuelles. Le but n'était pas (mais alors pas du tout) d'en faire un escrimeur capable de participer à un tournois, mais juste d'en donner l'illusion dans les scènes où il savait d'avance ce que ferait l'autre et ce qu'il aurait à faire.
En effet, le film, pour des raisons évidentes de budget et de temps de réalisation, utiliserait moins de créatures électro-hydro-mécaniques (uniquement quand un personnage devrait monter dessus ou prendre appuis contre, dans un mouvement) que prévu et même celles-ci seraient réhabillées par infographie ensuite: les acteurs auraient souvent affaire à des formes matérielles dotées de quadrillages de couleurs vives aidant à la synchronisation entre le réel et le virtuel. Idem pour les formes touchables (escaliers, etc) du décor, qui deviendraient bien plus délirantes en infographie. Les personnages seraient eux aussi virtuels (ce qui simplifiait tout) chaque fois que le type de prises de vue ne permettrait pas au spectateur de s'en rendre compte, ce qui n'imposait du réel que pour les autres cas: vu de moins loin ou avec moins de déplacements, moins d'effets d'éclairages bizarres, de fumée, etc.
Pour cela, Erwann d'Ambert (puisque c'était un entraînement confié à l'acteur) devait s'habituer à combattre des ennemis qui n'existaient pas, mais comme s'ils étaient dans son studio. Une estrade et un escalier antidérapants, eux aussi repliables, lui furent apportées pour permettre de jouer autre chose que des scènes sur du plat. Certes, il n'y avait pas la hauteur de plafond pour se suspendre à un lustre (même simplifié) ou sauter d'un peu haut, mais ça donnait déjà de nombreuses possibilités. De plus, pour les scènes où il était sensé se suspendre à une corde, une chaîne ou une autre chose pendante pour effectuer un mouvement de balancier à travers un espace, il y avait un rail, au plafond, d'où dépassait une longueur variable de corde ou de chaîne selon le cas. Ceci (par variation de la longueur au cours de la course) simulait la trajectoire de l'extrémité d'une corde fixée beaucoup plus haut, puisque le point de fixation avançait en même temps. La longueur maxi était limitée, mais ça permettait de simuler le début, puis dans une "deuxième prise" la fin du mouvement de balancier. Avec les lunettes virtuelles, et en faisant la pénombre dans le studio, Erwann voyait un espace bien plus vaste, où il se passait des tas de choses, avec des précipices de part et d'autre de ce sur quoi il allait se déplacer. Saisissant. Il voyait bien plus de choses que le spectateur n'en verrait, car il pouvait regarder partout, au point d'avoir un petit effet de vertige, vers le haut ou le bas. Stéphane était peu sujet au vertige, mais tout de même un peu quand on le mettait dans une situation simulant un équilibre précaire au dessus de précipices stéréoscopiques. Quand il devait marcher sur une poutre pouvant rouler sur elle-même, au dessus du précipice, il la posait (elle était fournie, habituellement rangée contre un mur) sur deux supports à rouleaux dans des glissières allant du sol au plafond. Il ne pouvait pas s'y pendre (au dessus du vide) dans cette configuration car il n'y avait que 40cm entre la poutre et le sol. Pour les scènes où il s'y rattrapperait en tombant, les coulisseaux électriques la soulevaient en fonction de la position de son corps: le point le plus bas de Stéphane (quelqu'il fût) restait à proximité du sol (fait d'une sorte de tatamis, au cas où...) tout en veillant à ce que son point le plus haut ne heurte jamais le plafond. Des ventilateurs, aux quatre angles supérieurs, pouvaient créer une sensation augmentant l'impression d'être dehors exposé au vent, en plus de l'immersion virtuelle.
C'était amusant (VTP le savait et estimait très probable que Stéphane acceptât le rôle rien que pour ça), et il le fit sérieusement: une fois les scéances du jour correctement répétées (avec des rappels périodiques), il pouvait utiliser la simulation en mode jeu, qui ne l'enfermait pas dans un scénario immuable. Quand il répétait le rôle, il avait l'impression d'être dans le film "l'invention de Maurel": c'était à lui de s'adapater à un monde qui l'ignorait, de s'y synchroniser à l'auriculaire près: le bilan lui montrait ensuite (par détection de sa posture réelle) les différences avec la simulation, et si elles étaient gênantes ou non pour le tournages: certaines imprécisions ne l'étaient pas, quand il ne s'agissait pas de parties du corps entrant en interaction (dans le film) avec d'autres éléments.
En réalité, le tournage utiliserait un mode mixte: les éléments mobiles (monstres, machines, blocs de roches dévalants, etc) aurait un comportement adaptatif (dans certaines limites: celles du scénario, donc bien moins que dans le mode "jeu") à celui des personnages, pour éviter d'avoir besoin de jouer au millimètre près et au vingt-cinquième de seconde près. L'entraînement n'offrait pas cette souplesse, de façon à imposer de rester au plus près des "rails" du scénario.
BFR ne s'était pas opposé à l'utilisation de son superviseur pour la Finlande dans un film, à condition que cela ne prît pas sur le temps de travail et ne le fatiguât pas trop. VTP avait précisé que Stéphane avait besoin de faire de l'exercice pour ne pas grossir là-bas et que cet entraînement allait tout simplement s'y substituer: "au moins, ce sera utile à autre chose qu'à lutter contre la couenne". De plus un peu de fatigue physique ne serait pas un problème puisqu'il n'avait pas de travaux de force à faire chez BFRSF: il pouvait utiliser des équipes de costauds locaux pour ça. Ca lui changerait les idées, le soir, ce qui ne serait pas plus mal. Stéphane avait accepté car il avait beaucoup aimé le clip "Atlantide", dans lequel il n'avait pas eu l'occasion de jouer (même juste pour "faire du nombre" sous la chute finale des blocs) puisqu'il était au Canada à ce moment. D'autre part il n'excluait pas qu'il pût lui arriver quelque chose en Finlande: ce serait une façon de laisser de lui un souvenir plus intéressant que les quelques séries où il avait joué, et que ce dont aurait l'air son corps dans un tiroir d'une morgue finlandaise, au cas où. On lui dit que son personnage s'appelerait Rolvar, mais que le rôle de celui-ci dépendrait de ce dont il se montrerait capable aux entraînements: "sinon on peut tricher en virtuel, c'est déjà prévu pour toutes les scènes de pas trop près". L'idée de réutiliser Erwann dans ce film venait de son rôle (bref mais actif et jugé réussi) dans le téléfilm d'héroïc fantaisy "Castel mortel", début décembre 1997, bien que trop jeune et pas assez grand, aurait-on jugé dans un "casting" classique pour un tel rôle. Il "fonctionnait" bien à l'écran, ceci faisant oublier cela.
VTP avait plusieurs acteurs possibles pour ce rôle: il y avait aussi Niels et Torbjörn Hultgren (un Suédois proche du modèle "Kare"). Stéphane avait été leur premier Emilianien "nordique" mais il n'était plus le seul, chez VTP, depuis les castings dano-suédois de l'époque de Småprat et quelques autres par la suite, donc ce ne serait pas ça qui déciderait de l'ampleur du rôle qui lui serait confié. Il devrait faire mieux, à l'entraînement, que ses concurrents scandinaves, qui, eux, étaient sur place à plein temps. Toutefois, ils étaient pris par bien d'autres tournages, dans leurs séries, et empruntés fréquemment par des téléfilms, alors que Stéphane pourrait travailler exclusivement les scènes du projet tarsinien. Il ne savait pas que Tarsini avait dit à VTP: "je préférerais Erwann d'Ambert, mais à condition qu'il soit bon". Ceci en partie parce que Niels, personnage de "boysband" (et parallèlement acteur, tout comme Zhao) était quelque peu "grillé", côté image, du point de vue de Tarsini. Torbjörn était moins connu du grand public mais risquait de glacer le rôle et d'induire l'effet "à vaincre sans péril on triomphe sans gloire", même s'il lui arrivait des choses. Atte, Erwann ou Niels ne produiraient pas cet effet: ils lui semblaient crédibles aussi bien en vainqueurs qu'en simples fourmis balayées par les évènements. Atte manquait d'expérience, restaient donc Erwann et Niels.
Le film, grâce à cette kyrielle d'astuces, couterait environ vingt fois moins que la même chose faite aux Etats-Unis, et pas uniquement parce que les acteurs "maison" coûtaient bien moins cher à l'heure tout en faisant moins d'heures, virtualisés chaque fois qu'ils ne seraient pas assez bien observables par le public. On jouait sur la profondeur de champ pour "dévirtualiser" certaines scènes: l'infographie donnait habituellement des images "anormalement nettes jusqu'au fond", alors en appliquant aux cours de la synthèses des éléments de l'image un degré de flou proportionnel à l'éloignement simulant une caméra un peu myope, on adoucissait progressivement les arrière-plans d'une façon bien plus naturelle, en particulier pour certaines scènes d'action. VTP ne le ferait pas tout le temps. Ca simulerait la variation de diaphragme nécessaire avec une caméra classique pour permettre les prises de vues rapides sans créer de flou au premier plan (obturation très rapide, donc moins de lumière, donc ouverture nécessaire, donc perte de profondeur de champ). Le but était que le public ne sache jamais ce qui était réel, virtuel, ou "réel réhabillé en virtuel" (les éléments robotisés formant obstacles matériels ou support mais ayant un aspect bien plus simple, pour limiter les coûts, qu'ils ne l'auraient à l'écran, idem pour des accessoires métalliques ornant en virtuel les acteurs réels).
Le film disposerait des moyens de calculs de Tarsini, en plus de ceux de BFR. Tarsini (et son équipe) avaient développé quantité de fonctions d'un bon rendement qualité/temps d'exécution pour simuler non seulement les constructions (vieillissement "réaliste" inclus) mais aussi la végétation des paysages et divers effets atmosphériques: la pluie tarsinienne rebondissant sur les flaques en cours de formation n'avait rien de "dessin animé", grâce à la gestion proportionnelle du flou et des effets de diffractions causées par la nébulisation de l'eau autour des gouttes. Certes, le logiciel ne simulait pas toutes les gouttes (là aussi, il fallait tricher, sous peine de mettre quelques siècles à le faire, à moins que d'ici là la puissance des ordinateurs ait tellement augmenté que l'on pût s'offrir de vraies gouttes partout et le calcul des effets de lumière (lancer de rayon) à travers tout ceci) de même que celui des végétaux ne simulait pas toutes les feuilles, mais ça trompait bien son monde par rapport à de la vraie pluie (avec des bourrasques, etc) filmée sur le même genre de matériaux et de végétaux. Eblouissements, "scintillement gras-mouillé", tout y était. Dans le simulateur d'entraînement, Erwann devait se contenter d'un rendu moins réaliste, car il fallait le lui fournir en temps réel sur un "serveur" plus raisonnable (AK147T7G: 128 coprocesseurs) que les monstres à plusieurs millions de coprocesseurs utilisés par Tarsini et VTP. Un serveur indentique serait installé en Finlande, un peu avant son retour, tandis que ce studio servirait de logement et de salle d'entraînement à un autre futur acteur du film.
L'utilisation de personnages réels (VTP aurait pu tout faire en virtuel, même de près, quitte à ce que ça se voie et quitte à y conscacrer plus de temps de calcul) visait tout simplement à ne pas réserver le film aux fanas du "tout virtuel". Ceux-ci y trouveraient leur compte car il y aurait une prépondérance de pixels calculés, sur l'écran, par rapport aux pixels filmés, et les personnages de VTP avaient été choisis pour être proches de leur simulation virtuelle, comme d'habitude (merci l'émilianomètre). En reprenant Erwann d'Ambert (et bien d'autres) qui avaient eu des fans perso dans leurs prestations télévisées antérieures, VTP captait cet autre public. Un troisième public (le plus vaste) n'accorderait que peu d'importance à l'utilisation de personnages réels ou virtuel pourvu que l'action et la qualité des images prissent le pas sur cette notion. De plus ce serait tourné en 3D, assez facilement car on n'aurait qu'à filmer les personnages et les "éléments d'intéraction matérielle" environnants ainsi. Tout le reste était du gâteau en infographie, où l'on pouvait simuler des paires de caméras à entraxe variable (selon les besoins de la scène) n'importe où, y compris des travelings impossible à réaliser avec du matériel réel (pas la place de le faire passer là incliné ainsi...). L'inconvénient était de doubler le temps de calcul. L'avantage était de péréniser le film quand tout le monde diffuserait du relief, y compris la télévision (ou l'infovision qui l'aurait probablement remplacée).
VTP vendrait aussi le jeu vidéo, avec en option un fauteuil animé pour les véhicules, et un système de suivi de cible (costume à repères, caméras à situer dans les angles de la pièce) pour jouer chez soi. Avec une qualité d'image dépendant de la machine utilisée (dans un AK48 ce serait déjà bien meilleur que sur une console de jeu, malgré le surcoût de la stéréoscopie pour les lunettes). Il y aurait aussi une version écran, etc.
Cette démarche n'était pas nouvelle (film + jeu + éventuellement série télévisée ou dessin animé) mais ne s'était pas encore généralisée en 1998. VTP prenait le train en marche "avec des coûts dans lesquels Hollywood n'aurait même pas réussi à tourner les trois minutes du clip Atlantide", estimaient les gens de VTP.
D'autres que Stéphane s'entraînaient à son rôle (ainsi qu'à d'autres), car ils disposaient de plus d'heures par jour pour cela que lui (ils n'étaient pas télésuperviseur ni assistant-ingénieur système chez BFR en même temps). VTP devait pouvoir remplacer tout acteur indisponible (accident d'avion au retour de Stéphane en septembre, par exemple: impossible de jouer ça avec une fracture ou même une foulure sévère), comme toujours dans ses productions. Or là, on ne pourrait pas changer le scénario, car nombre d'images virtuelles étaient déjà en cours de calcul, les personnages s'y insérant plus tard, en dehors des parties de l'image trop directement dépendantes de leur comportement (la part adapative du logiciel). Le brouillon du film (réalisme virtuel moindre, mais permettant de tout voir et situer, y compris les ambiances d'éclairage de tout ce qui s'y trouvait) était déjà fait, avec des "VTP virtuels" comme acteurs (sans chercher non plus à les rendre trop réalistes: c'était juste une évaluation du rendu à l'écran du scénario, des mouvements de tout le monde (y compris des caméras), du montage, des effets sonores, etc.
Stéphane ne l'avait pas vu: on ne lui montrait que les portions où il devrait jouer pour de vrai, soit 22 minutes sur les 120 du film, alors que le public aurait l'impression de l'y voir la moitié du temps, sans compter les plans où sa simulation serait présente mais remarquée par trop peu de spectateurs pour que cela comptât comme "présence à l'écran", selon VTP.
L'autre intérêt de ce procédé de tournage était que l'on ne tournerait rien qui ne soit ensuite gardé en montage (sauf si c'était mal joué): le montage était déjà fait, et seuls les acteurs réels pourraient commettre des erreurs dans les portions tournées en vrai. Encore que l'on pût garder les portions de l'image où un autre était "bon" si elles ne se recouvraient pas...
Un film virtuel se dépréciait aussi vite que les machines qui l'avaient calculé, mais Tarsini y avait pensé: plutôt que de faire tourner pendant dix ans les ordinateurs actuels pour obtenir un réalisme encore plus poussé, autant se contenter de relancer le logiciel (le même, mais en autorisant plus de détails, par exemple pour les végétaux et l'eau) dans dix ans sur des machines cent fois plus rapides (Tarsini n'avait jamais cru à la "loi de Moore": presque vraie pour la taille des mémoires, elle était lourdement surestimée pour les processeurs, car les vitesses des mémoires augmentaient trop lentement, or ils en étaient entièremen tributaires, pour les grandes masses de données) ce qui ne prendrait donc que cinq semaines. Le film était régénérable en mieux, au fil des progrès de l'informatique, sans nouveau travail humain: Tarsini avait mis tout ce qu'il souhaitait dans son scénario de modélisation, y compris tout ce qui n'était pas informatiquement raisonnable en 1998 mais le serait forcément un jour. Quant aux séquences tournées avec les acteurs humains, puisqu'elles n'utilisaient qu'eux (tout le reste étant resynthétisé, y compris une partie de leur équipement) elles resserviraient sans faire de nouveau appel à eux. Le contrat le prévoyait, ce qui d'ailleurs leur rapporterait un peu d'argent puisqu'ils étaient tous en participation: si le film était resynthétisé en beaucoup plus "prenant" pour 2008, il serait rediffusé, donc générerait des recettes donc des retours en participation pour ceux qui avaient joué.
La seule limite était l'immersion totale: la possibilité future pour les spectateurs d'un film de l'avoir tout autour d'eux, avec des lunettes virtuelles, par exemple (en ne générant à un instant donné que la direction observée, et même en ne "fouillant" le réalisme que là où l'image s'imprimerait sur la partie la plus détaillée de la rétine: inutile de faire de la haute résolution ailleurs, à cet instant de direction du regard: ce serait de la confiture pour les cochons) car alors il faudrait virtualiser totalement les personnages aussi, puisqu'on ne les aurait pas en stock sous tous les angles imaginables pour chaque image (chronologiquement) du film.
Toutefois, quand la puissance informatique permettrait de faire des films "visitables" en pleine définition (pas juste comme les jeux vidéo actuels), elle permettrait aussi de rendre les clônes virtuels des personnages indiscernables des vrais donc le problème ne se poserait plus. Ce serait bien plus facile. Tarsini estimait que dans moins de dix ans c'en serait fini des acteurs réels, sans demander des temps de calculs dissuasifs vis-à-vis des délais de sortie d'un film. Films et jeux vidéo finiraient pas fusionner, car on pourrait visiter un film (comme dans "l'invention de Maurel", l'effet tactile en moins. Quoique, dans dix ans, avec une combinaison à retours tactiles de partout...), sans perte de qualité d'image.
Même si ce n'était finalement pas lui qui était pris pour le film, car il se doutait que les notions de "titulaire" et de "remplaçant" étaient permutables selon qui se débrouillerait le mieux à l'entraînement virtuel, l'expérience l'intéressait. Stéphane aurait imaginé un autre film: "l'usine fantôme", inquiétant à souhait. Il suffisait de reprendre l'histoire récente de BFR, en supprimant les parties "routinières", donner des causes un peu plus mystérieuses aux décès, avec les bogues fantômes revenant venger le système désactivé en éliminant un par un les ingénieurs systèmes, ou une créature dans le lac, ou dans des fondations de "permafrost" sous l'usine dégelées petit à petit par le système géothermique jusqu'à en libérer ce qui aurait dû y rester congelé à jamais, sur fond de vieilles légendes finlandaises. Vers la fin, la dalle de mauvais béton (il n'y avait même pas à exagérer) se lézarderait, engloutissant dans cette boue décongelée les machines auréolées de court-circuits et de fuites brutales de vapeur avec les ouvriers dans un mélange des nauffrages du "Titanic" (mais terreste) et de l'Atlantide. BFRSF n'avait pas été dessinée par Saverio Tarsini (trop jeune, en 1962. Il était en cinquième), mais dans le film, ça pourrait être le cas, pourqu'il mît ses moyens de réalité virtuelle à la disposition du projet.
On ne l'avait pas fait revenir en Bretagne juste pour ça: les travaux sur des systèmes informatiques à degré variable de répatition et de parallélisme (dans le serveur, dans le réseau, ou un peu des deux) prenaient le reste du temps. Stéphane apprit beaucoup, ce faisant: ce qu'il avait découvert sur le tas avec les akistes de BFRSF était ici bien plus "laboratoire", en essayant plus de solutions mais dans des situations moins hétérogènes que celles de BFRSF, faute d'avoir le temps de faire travailler l'équipe sur un ensemble aussi complexe et bancal. Il fallait pouvoir essayer plus de systèmes, donc ne pas avoir trop d'installations de conceptions totalement différentes à gérer: pour ce type d'expérience, il y avait déjà les vraies usines, à commencer par BFRSF.
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L'un des évènements géopolitiques du moment était la révolution centrafricaine: un groupe de Centrafricains revenus de France (où il avaient vécu plusieurs années avec leurs parents) avaient réussi, par la ruse et une contrebande d'armes venue d'Europe de l'Est, à s'emparer du pouvoir et réduire en esclavage les anciens potentats locaux ainsi que tous les "socio-traîtres" au service du pillage du pays par des multinationales. Le canibalisme avait été officialisé, avec primes pour quiconque tuerait une femme enceinte: le nouveau régime avait estimé que son économie de serait viable qu'avec une natalité zéro, en plus de la destruction d'un gros tiers de la population et de la mise en esclavage des "nuisibles". On n'avait de droits civiques dans ce pays, désormais, qu'en se faisant stériliser, en plus de ne pas avoir eu d'enfants. De plus, quiconque abattait un arbre sans autorisation gouvernementale était mis en esclavage et sa famille (femme et enfants, s'il y avait lieu) supprimée pour recel de bois volé: le nouveau gouvernement voulait protéger le massif forrestier centrafricain, sans lequel le climat se désertifierait: c'étaient les arbres qui attiraient la pluie. On ne cuisinerait plus qu'au "petit bois", ou de préférence au four solaire: une coupole parabolique en tôle, avec des bouts de miroirs collés dedans.
La stérilisation donnait accès à l'eau courante, à l'électricité, à du logement social, etc. La "République Malthusienne Centrafricaine" savait que même dans trente ans, il n'y aurait jamais de problème de main d'oeuvre, toute l'Afrique grouillant de bras inutiles, en plus des bouches inutiles. Les enfants agressifs ou ayant de mauvais résultats scolaires étaient servis comme viande aux autres par les cuisiniers des établissements. La viande humaine devint vite la source de protéïnes "riches" la plus consommée sur place, contrairement à l'époque de Bokassa où elle était réservée à une élite. Deux centrales nucléaires furent construites (par des techniciens ukraniens: une version améliorée du système gaz-graphite de Tchernobyl) pour tirer parti des gisement d'uranium nationaux. L'avantage des réacteurs gaz-graphite (utilisés aussi en France avant "l'affaire" ayant donné aux Américains la main-mise sur toutes les centrales suivantes) était d'utiliser de l'uranium non-enrichi, beaucoup moins dangereux à manipuler et évitant une étape extrêmement coûteuse. D'autre part, un réacteur gaz-graphite pouvait être chargé et déchargé en marche, tube par tube, à tout moment, ce qui était un moyen intéressant d'y récupérer du plutonium de qualité militaire. C'était une des raisons pour lesquelles les Occidentaux n'exportaient pas ce type de réacteur, l'autre étant de garder les clients captifs des procédés d'enrichissement indispensables pour préparer le combustible des réacteurs à eau légère pressurisé. De plus, ceux-ni nécessitaient un arrêt complet pour accéder au combustible transmuté: c'était très voyant, alors qu'il suffisait de quelques minutes pour sortir et remplacer une colonne de combustible d'un réacteur gaz-graphique sans interrompre la production électrique.
En échange de la construction du réacteur, l'Ukraine obtenait un contrat d'approvisionnement en minerai d'uranium: la République Malthusienne Centrafricaine payait en nature. Tout le matériel nécessaire avait été transporté en grand secret sous d'autres identifications et nationalités. L'autre activité industrielle en cours d'installation était le lancement de fusées, ce pays étant proche de l'Equateur et disposant de main d'oeuvre à coûts imbattables, ainsi que d'électricité (l'une des centrales venait de démarrer). La RMC (rien à voir avec la station de radio...) augmenta nettement le prix de vente du minerai d'uranium, grâce à l'arrestation et à la mise en esclavage dans ces mines des responsables du pillage à prix cassé par les multinationales étrangères. Sachant que l'uranium ne durerait pas éternellement, la RMC avait aussi un projet de centrale géothermique, mais cet investissement n'était pas considéré comme urgent: le "cosmoport" avait priorité.
L'autre activité en cours de développement était le tourisme, avec des villages climatisés et surtout la dégustation de toutes sortes de préparation à base de viande humaine, authentifiée, si on le souhaitait, par la découpe du corps devant les clients, comme le poisson dans les restaurant japonais. On servait surtout des femmes et des enfants, mais aussi des hommes ayant commis des délits et n'ayant pas donné satisfaction comme esclaves. Les os étaient nettoyés et utilisés pour faire des souvenirs vendus aux touristes. On pouvait même acheter des sacs, gants et autres accessoires de mode en peau humaine traitée.

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