vendredi 10 avril 2009

chapitre N-48

Gunnilla accepta qu'Aymrald tente l'opération, aidé par elles deux. Il n'y aurait pas à sortir le moteur: juste ôter le carter, le problème étant de pouvoir aller sous la voiture sans en ressortir comme un oiseau mazouté. Dans un magasin Norauto, Aymrald acheta la revue technique de l'Audi 100 (il avait déjà lue celle de Thierry, mais ne s'en souvenait pas par coeur, car ils n'avaient pas fait de changement de coussinet) puis quelques outils (aux frais des Suédoises, qui auraient intérêt à les garder à bord: une bielle coulée, ça pouvait récidiver...) après avoir étudié la RTA dans le magasin. Il acheta aussi deux crics hydrauliques "bouteille", une paire de chandelles (ça aussi, ça ferait partie du kit à garder à bord pour le trajet retour) un bleu de travail, un bonnet "à la Cousteau" dans une superette (ce qui, doublé d'un sac de caisse d'hypermarché, fournissait une protection suffisante contre l'huile) et trouva de vieux draps dans une déchetterie. Achat des coussinets de rechange dans une casse, pour seulement 50F car le casseur n'aurait certainement pas pris la peine de les extraire du moteur de même type, lui aussi cassé, qui en avait encore trois paires de bons. Travail sous l'Audi près d'un ancien coron abandonné (quelques vitres cassés, mais la toiture était encore en bon état) comme on en rencontrait périodiquement le long de la N17. En utilisant les deux crics hydrauliques, les chandelles, des briques trouvées sur place posées à plat et des morceaux de bois pour ne pas poser le dessous directement sur les briques, l'avant fut soulevé assez (et plus vite que ça n'avait été le cas pour celle de Thierry, faute d'équipement adéquat) pour travailler dessous sans avoir les bras trop pliés. C'était bien la seconde bielle qui avait chauffé. Le jeu n'était pas perceptible à l'arrêt, mais l'aspect métallisé de l'huile, au lieu d'être bêtement noire, montrait que les dégâts ne se limitaient pas à un bruit anormal. En tapant sur le chapeau de bielle avec une clef, le son n'était pas le même (moins sourd) que pour la troisième. Déboulonnage du chapeau de bielle. Les coussinets "cuits" virent plus facilement qu'il ne le craignait. Remplacement, remontage. Contrôle au "diapason": le son semblait le même qu'à côté. Aymrald n'avait pas pensé à acheter une clef dynamométrique donc avait serré les boulons du chapeau "suffisamment": de toute façon le problème risquait de récidiver que le serrage fût "professionnel" ou "amateur", et serrer un peu plus ne pouvait pas nuire si jamais le maneton s'était légèrement ovalisé sous le pilonnement. Remise du carter, des bidons d'huile neuve (on n'allait pas remettre celle pleine de limaille), redescente de la voiture: trois pour manier les cales, les chandelles et les crics, ça ne prit pas trop de temps. Ce fut Ayrmald qui redémarra le moteur, en écoutant. Accélérations à vide: rien de bizarre. On remit tous les outils dans un des vieux draps récupérés comme chiffons, puis dans un des sacs à vêtements qui en avait été délesté en bourrant un peu plus les autres. Aymrald ne s'était qu'un petit peu sali les mains: même son bleu tout neuf était peu taché (juste un peu les manches). Gunilla avaient réussi à plus se salir que lui (mains et avant-bras) rien qu'en lui passant les outils tandis que Pernilla était chargée de filmer les travaux au camescope: vaincre le "syndrôme de la seconde bielle du 1588 de l'Audi 100" intéresserait certainement les autres élèves de l'école. Le troisième accumulateur du camescope avait baissé les bras avant la remise en route: il n'y avait qu'une partie du "délevage" de l'Audi sur la K7. Aymrald chercha ensuite dans sa sachoche vidéo l'adaptateur pour prise allume-cigare mais il s'en était servi à bord de la 305 pour économiser les accus donc il avait dû rester enfiché dedans et couler avec.
Roulage prudent. Puis un peu plus rapide, en accélérant à fond en cinquième en côte pour obliger le moteur à fournir de maximum de couple. Pas de "ronronnement de la mort". Jusqu'à quand? Les Suédoises estimèrent qu'il vallait mieux qu'il conduisît, parce qu'il ménagerait mieux le moteur en détectant plus tôt le retour du problème et que l'on était dans son pays donc qu'il risquait moins de se tromper de direction (en particulier avec tous les ronds-points) qu'elles: tout kilomètre inutile évité devenait important. Le trajet se fit sans reprendre l'autoroute: autant ne pas rouler trop vite tant que le moteur était "en observation", Ayrmald prenant de l'élan dans les descentes pour ne pas avoir à trop appuyer dans les côtes, quitte à finir certaines d'entre elles en troisième histoire de ne pas demander trop de couple au moteur. Au détriment de la moyenne et de la consommation, mais plus de tours avec des explosions moins fortes semblait moins risqué que moins de tours en appuyant à fond.
Quand Aymrald s'engagea dans l'A86 (gratuite à cet endroit) pour éviter Paris, et en sortit à Rueil, les Suédoises finirent par comprendre qu'il n'était pas passé par Paris et lui demandèrent de faire demi-tour dès que possible car elles avaient prévu de visiter. Il dit qu'il croyait qu'elles voulaient aller à Bordeaux: ce chemin plus court et permettant une conduite plus régulière économisait le moteur, en plus de faire gagner du temps.
Mais il fallut repasser par Paris.
Aymrald avait averti qu'il était très difficile de stationner à Paris, mais Gunnilla lui dit qu'elle avait appris que le stationnement était gratuit en août dans beaucoup de rues. Aymrald l'ignorait. Après tout, c'était leur voiture, c'était elles qui auraient l'amende, mais s'il fallait aller la chercher à la fourrière ça allait faire perdre beaucoup de temps.
Ils stationnèrent rue de Monceau, près du parc, où il y avait effectivement des places et aucun ticket d'horodateur sur les pare-brise. Le quartier semblait calme et bourgeois. Très bourgeois. On pouvait certainement y laisser une vieille Audi 100 immatriculé en Suède sans trop de risque de la retrouver béante et sur quatre parpaings. Aymrald pensait qu'il n'y aurait pas de place avenue des Champs Elysées, où ils se rendirent tous trois à pieds, en évitant les crottes de chiens. Sur les Champs, Gunilla et Pernilla purent même voir à l'oeuvre une des motocrottes vertes de la Propreté de Paris. Gunilla dit que la ville ferait mieux de mettre des amendes aux gens dont les chiens faisaient ça que de payer des motards pour aller ramasser à leur place. Aymrald était d'accord, mais dit qu'il n'y avait pas assez de policiers pour contrôler tout le monde donc qu'il faudrait quand même envoyer les motocrottes.
Elles voulaient "faire les boutiques". Même pour des Suédoises (en Suède, tout était cher) ça leur sembla très cher. Aymrald leur dit que si elles voulaient de la mode parisienne moins chère, elles n'avaient qu'à aller à Auchan, à La Défense. Il y était allé plusieurs fois pendant ses deux semaines chez VTP: la tour VTP donnait sur la dalle. Les Suédoises voulurent monter à la Tour Eiffel (Gunilla avait un camescope), ce qui les obligea à faire la queue, de plus, comme d'habitude, le troisième étage était inaccessible pour cause de "travaux". Les six ou sept fois où la famille de Stéphane (Stéphane puisqu'en famille) était venue à Paris, c'était déjà comme ça. Les Suédoises voulurent aussi visiter Notre Dame de Paris (à cause d'un des films tirés du roman), et les catacombes. Ca, ça les intéressait beaucoup. Bien plus que le Louvre. Aymrald avait entendu parler des catacombes mais n'avait jamais eu l'occasion d'y aller. Pourquoi pas?
Après avoir vu les entassements "artistiques" d'ossements et des dédales où l'on imaginait facilement un film d'horreur à la moindre coupure d'électricité, les Suédoises eurent faim. Aymrald eut une idée: il devait y avoir aussi des possibilités de stationnement dans le XIIIème, et ce fut donc un restaurant chinois (pas cher, en plus: 47F le menu, et pas un menu "de régime"). Pernilla dit qu'elle avait déjà mangé chinois à Stockholm mais que c'était différent ici. Aymrald se demanda si les restaurants chinois suédois avaient "suédisé" leurs recettes: bonjour le massacre...
Ensuite, constatant qu'il avait gardé dans sa ceinture antipickpocket, outre l'argent et le papier, le passe à télédétection du parking souterrain de VTP à La Défense (dont il ne s'était jamais servi), leur dit qu'il les emmenait à un endroit qui pourrait les intéresser. Il conduisit sagement l'Audi jusqu'à l'entrée, espérant que VTP n'avait pas annulé le numéro de série de ce rectangle de plastique à transpondeur. La porte s'ouvrit, il conduisit la voiture à un des emplacements "visiteurs" libres: il y en avait beaucoup, à cause des congés d'été. Ascenseur, en compagnie de ses deux Suédoises, et sensation chez VTP en débarquant ainsi accompagné. Certes, l'une des deux était myope, mais elles étaient indiscutablement suédoises. Aymrald avait réussi (sans y être pour beaucoup, mais il ne détailla pas le "comment") bien plus qu'un voyage en Suède: revenir avec des "produits du pays", ce que jusqu'alors un seul élève de l'école (l'an dernier) avait réussi. Et encore: la Suédoise qu'il avait pu ramener dans sa Visa fatiguée aurait eu besoin d'un bon régime et de talonnettes. De plus elle n'était pas aussi blonde que les deux "authentiques" qui accompagnaient Aymrald. Blonde, plutôt que "châtain doré", mais pas "blonde nordique": ce n'était pas la même chose.
Après la visite chez VTP, qui vallut à Aymrald la considération qu'il espérait, les Suédoises (auquelles des rôles dans des pubs et des séries avaient été proposés, soit maintenant, soit à l'occasion de leur retour) acceptèrent le détour par la Bretagne Nord: ça rallongeait nettement, pour Bordeaux, mais il y avait un hébergement familial gratuit avec ravitaillement idem en échange, et puis la mer: ce serait déjà une plage française, même si ce n'étaient pas celles de la côte bordelaise dont une amie leur avait parlé: la mer serait moins chaude, mais déjà bien plus que la Baltique.
Le moteur ne faisait aucun bruit inquiétant donc Aymrald repassa le volant à Pernilla, qui put conduire comme tout le monde (donc à un peu plus de 100 compteur hors agglomération) sur la N12, tandis qu'il se reposait à l'arrière (de la partie de mécanique, à la suite de laquelle il aurait préféré faire une sieste que conduire, mais elles ne voulaient pas s'arrêter pour ça) contre Gunilla, en ayant réorganisé le fourbi un peu autrement. Aymrald s'endormit et refit le cauchemard du nauffrage, mais en plus réaliste: c'était dans le break 305. La porte de proue était béante et la voiture glissait vers la mer (qui n'était pas encore entrée dans le bateau). Aymrald passait la marche arrière mais c'était inefficace, les pneus patinant sans retenir la voiture en raison des autres, derrière, qui étaient elles aussi en train de descendre, pare-choc contre pare-choc. Lorsque les roues passèrent le bord, il sentit le choc du châssis tombant sur le sol du navire et le moteur s'emballer, roues dans le vide... ou plutôt dans l'eau. Puis plus rien: la 305 plongeait. Il se réveilla avant que la vague vert-noir ne s'abatte contre le pare-brise. L'Audi 100 était immobile, l'avant levé. Etrange, puisque dans son rêve la pente était dans l'autre sens. Pas d'obstacle apparent, mais une flaque de sang sur le pare-brise. Pas de bruit de moteur et il n'y avait personne au volant: Pernilla était sortie voir ce qui se passait, Gunilla venait d'ouvrir sa porte pour sortir à son tour, d'où l'air frais venant sur Aymrald.
Ce qui se passait, c'était un broyat de "cubi" en plastique sous la voiture, dans une mare de vin de bas de gamme: la roue avant droite ne touchait plus le sol, ce qui expliquait le choc et le bruit d'emballement de moteur du rêve d'Aymrald. Spectaculaire: il y avait des "cubi" partout, certains intacts, d'autres écrasés ou fracturés. La route ruisselait de vin que l'herbe du bas côté ne suffisait pas à boire.
Un peu en arrière de l'Audi, un fourgon Daily Iveco était "garé" sur l'herbe du bas-côté, arrachée derrière lui en longues traces de freinage.
Pernilla suivait ce fourgon qui lui avait donc caché l'accident, et au moment où il avait bifurqué sur cette "bande d'arrêt d'urgence" improvisée, elle s'était retrouvée roulant droit vers le tas de cubitainers sur une route inondée et avait freiné sans parvenir à l'éviter, les quatre pneus glissant dans le vin sans ralentissement suffisant. Les premiers cubi avait bourré sous l'avant (du fait du manque d'adhérence, l'Audi plongeait moins qu'en freinage d'urgence sur le sec) au point de le soulever et d'aider à monter sur le tas, l'écrasant et le poussant sur une dizaine de mètres.
Sur la voie centrale (portion à trois voies), un semi-remorque couché en avait perdu de nombreuses palettes suite à une collision avec une R9 qui n'avait pas respecté une priorité. C'était sur une partie de ce chargement (le film plastique les maintenant sur leur palette n'ayant pas résité à la chute) que l'Audi venait de s'échouer. Les cubi écrasés sous le châssis formaient un magma qu'aucun des trois voyageurs de savait comment extraire. Police-secours arrivait, ainsi que les gendarmes. L'Audi obstruant la seule voie encore praticable (à condition d'en ôter les cubi épars et une des palettes, un peu plus loin), le Trafic de la gendarmerie arrivé derrière la fit reculer au moyen d'une chaîne, jusqu'à restituer par l'avant tous les cubis écrasés, tandis qu'un gendarme au volant la guidait: il y avait une roue avant au sol, quand il y en eût deux il la redémarra et la rangea sur le côté. Puis avec une sorte de chasse-neige fixé au Trafic (Aymrald n'avait jamais vu faire ça) ils poussèrent les marchandises gênantes hors de la voie tandis que leurs collègues secouristes brancardaient la conductrice très âgée de la R9 vers leur propre fourgon.
Le camionneur avait fait ce qu'il avait pu: il avait redressé la trajectoire pour ne pas se retrouver sur la troisième voie, une voiture (l'Audi) arrivant en face, mais la double embardée ainsi effectuée avait fait verser la remorque et la cabine tractrice avec.
D'autres véhicules d'intervention arrivaient par l'autre bout, profitant du dégagement de la voie, dont un camion-grue chargé de relever l'ensemble routier pour finir de dégager la N12.
Les trois voyageurs souhaitaient rester pour filmer le relevage (les accus ayant été rechargés chez VTP), qui n'avait pas encore commencé, mais les gendarmes après avoir pris le témoignage de Pernilla (les deux autres passagers de l'Audi dormaient lors de l'accident) avec Aymrald pour aider à traduire, et leur avoir rempli un constat pour l'assurance (le pare-choc et la tôle dessous étaient cabossés) leur demandèrent de repartir, car il y avait déjà bien trop de véhicules sur place.
Usine marémotrice de la Rance, Mont St Michel (payant, mais méritant une visite camescopée, après être venu de si loin), avec la mention à la craie de l'heure à laquelle la mer recouvrirait le parking, Centrale Dinard, qui l'été n'était qu'un vaisseau fantôme où quelques chercheurs utilisaient les installations pour des expériences, mais ceci après s'être d'abord reposés chez Aymrald. Une petite maison bretonne sans prétention, mais bien traditionnelle avec ses murs en pierres de granit apparentes (des crétins y avaient jadis mis un enduit blanc, ses parents l'avait fait décaper entièrement) et son toit d'ardoises équipé de deux "chiens assis" (rajout des années 60). Les Suédoises s'étaient amusées du terme, Aymrald leur disant qu'il y avait aussi des "gendarmes couchés" mais qu'ils leur en montrerait plus tard. Ses parents n'étaient pas là: ils étaient partis en vacances en Irlande (pour voir) quand il avait annoncé qu'il allait en Suède, ce qui expliquait qu'ils n'aient pas pu être joints lors de l'accident d'Aymrald. Rentré (involontairement) plus tôt que prévu, il disposait de la maison tranquillement. Il leur montra le coupé-break 480 d'un des habitants de la rue: un petit morceau de Suède exporté en pleine Bretagne. Les quelques meubles en kit achetés par les Dambert n'étaient pas de l'Ikéa mais leur équivalent Lidl, encore moins cher, mais fait avec du vrai bois (pas de l'agglo) et plus facile à monter. ce qu'Aymrald ne précisa pas, disant juste que c'était allemand et non suédois.
Gunnilla lui dit que les architectes français sous-estimaient la résistance du bois, à voir les énormes poutres en chêne (peu espacées, en plus) constituant le plafond là où on se fût contenté en Suède de tasseaux plus modestes. Idem pour l'escalier: ces marches-là auraient pu supporter un éléphant, à ceci près qu'il n'aurait pas disposé de la largeur pour passer. De plus on y avait collé au début du siècle du carrelage à petits carreaux rouge brique: pour les rendre plus glissantes? La porte: grosses planches en chêne, renforcé de cinq gros fers à clous carrés. Il aurait fallu un bélier sur roues pour en venir à bout. Les volets à renfort en "Z" étaient moins épais mais robustes eux aussi. Aymrald expliqua que les maisons modernes n'étaient pas ainsi: l'empierrage n'était qu'un décor "juste épais comme ça" collé sur des murs tout à fait ordinaires, que les portes récentes pouvaient avoir cet aspect ("finition rustique") mais pas cette épaisseur, et que les grosses poutres du plafond, ça se vendait en polystyrène moulé et peint pour faire illusion chez les gens qui avaient un plafond "tout nu". Il montra une maison dans la rue qu'il avait visitée et qui était entièrement "customisée" de cette façon pour paraître multicentenaire alors qu'elle avait moins de vingt ans, "avec une poignée de porte en fer forgé d'inspiration plus espagnole que bretonne mais les visiteurs n'y connaissaient rien non plus". Comble du "total look", la porte à voûte arrondie... que peu de vraies maisons bretonnes avaient. Et le menhir en béton creux dans le jardin, la fausse margelle de faux vieux puits condamné, le barbecue-cheminée "pour sanglier entier", en granit massif, lui (contrairement aux murs). C'était habité par une fausse blonde à faux seins (là, Aymrald chargeait un peu la barque: il ne savait pas si les seins étaient naturels) portant probablement de faux bijoux.
Gunnilla s'amusa à imaginer de fausses poutres bretonnes au plafond de l'appartement de ses parents à Stockholm, avec un adhésif imprimé simulant les planches entre elles.
Aymrald n'avait jamais ramené de filles à la maison, mais on ne le lui avait jamais interdit non plus: ce sujet n'avait jamais été évoqué, car ses parents pensaient (comme lui) que ce serait "plus tard" (bien plus tard). Bien qu'Aymrald ne fût pas "pressé" sur ce point, pour les parents (et pas que les siens) c'était toujours mieux "plus tard". Ce n'était que vers les trente ans des enfants que certaines mères (pas toutes) se demandaient pourquoi "toujours pas", après avoir si longtemps espéré que ce ne soit que "plus tard". Sa tante mentionnerait peut-être les Suédoises, ce qui amuserait peut-être son père et n'inquiéterait pas trop sa mère, puisque par définition, les Suédoises ne restaient pas, or tout le monde savait que rien n'était pire pour les études que d'avoir une "relation" pendant celles-ci. Pour l'instant, il se classait comme "hétérovirtuel", la sortie du virtuel n'étant qu'une option qu'à ce jour il n'envisageait pas: il se sentait bien avec une Suédoise, mais "paisiblement" bien.
Comme il ne fallait pas faire confiance à 100% à des gens que l'on ne connaissait pas (même des Suédoises), Aymrald ne ressortit rien de ce qui avait été mis en sécurité dans le coffre escamotable sous la grille d'eau du garage: ce qu'il y avait dans la maison pouvait être dérobé sans consituter une grosse perte, tout en étant suffisant pour y habiter: le matériel de cuisine y était. Il mit les deux Suédoises dans la chambre de son père qui en l'absence de celui-ci ne contenait rien d'intéressant, mais dont le lit était plus grand. Chaque chambre "de parent" avait un lit de 140, ce qui donnait penser qu'il leur arrivait encore de faire chambre commune (chez l'un ou chez l'autre), via la porte de communication évitant de passer par le couloir pour cela. Aymrald vérifia que la porte était verrouillée côté "maman" (il fallait que des deux déverouillent chacun pour pouvoir l'ouvrir), neutralisa le verrouillage électronique de la porte paternelle (on lui avait laissé le code, vu qu'il n'y avait rien de valeur ni de secret dedans, en l'absence de ses parents) et montra aux Suédoises qu'elles pouvaient soit dormir ensemble là, soit l'autre dans le salon. Restait à vérifier que le canapé "clic-clac" (que Stéphane, qui n'utilisait pas "Aymrald" à l'époque, n'avait vu déplié que le jour de son achat, treize ans plus tôt, pour vérifier que ça marchait) n'eût pas ses articulations soudées par la rouille. Les soeurs suédoises préférèrent dormir ensemble dans la chambre parternelle.
Aymrald avait estimé que même si par hasard ses parents rentraient plus tôt et que son père apprenait que son lit était rempli de Suédoises, il ne trouverait pas ça trop dérangeant...
Ils restèrent finalement à la maison deux nuits, en allant à la plage le jour avec l'Audi (la BX était dans le garage mais Aymrald ne savait pas où ils avaient mis les clefs. Son père pouvait les avoir emportées instinctivement, ayant aussi toujours la carte grise avec son permis de conduire), puis ce fut, le 9 août, le voyage vers Bordeaux où des camarades des Suédoises les attendaient.
Une fille et deux garçons. Astrid, Suédoise "comme une Suédoise", 1m82, quelque chose d'irréel et d'aérien dans le dessin de la bouche, bonnets B, cheveux en deux tresses "paysanne russe". Avec elle, deux vrais Suédois: plus d'1m90, bâtis comme des vainqueurs de Roland Garros et aussi bavards que des champions d'échecs soviétiques. Certes, Sigur, le plus grand des deux, de style "surfeur", avait une dentition un peu "lapin" (mais pas autant que certains "modèles de série" de Centrale Dinard). L'autre (Kalle, coiffure "palmier") non, et avait l'air encore moins vivant que son camarade. Eetu en devenait presque "convivial", par comparaison, d'autant qu'Aymrald pouvait en juger via sa mémoire des photos. C'étaient le frère et le cousin germain d'Astrid, la troisième Suédoise de la bande ainsi reconstituée (et aux dents "zéro défaut").
Pas besoin d'être bon en calcul mental pour voir que tout ceci n'allait pas tenir dans l'Audi 100, à moins de mettre Aymrald dans le coffre, mais l'arrière était déjà bourré de trucs jusqu'au toit. En fait, si: les deux grands à l'avant, Ayrmald et les trois Suédoises à l'arrière, avec des bagages mous sur les genoux (dont les sacs à dos des deux Suédois). Même ainsi, tout ne rentrait pas. L'Audi 100 première génération étant une voiture à gouttières classiques, contrairement aux Renault de la même époque, il fut facile de trouver des barres de toit bon marché et un bout de grillage pour réaliser un énorme "rouleau de printemps" (les bagages dans un grand plastique transparent d'emballage, le grillage autour) avec l'excédent de bagages (les trois autres voyageaient chargés comme des mules (sac à dos plus sac à roulettes genre "caddie de golf"), et sans véhicule: ils étaient venus en train) et arrimer solidement le tout avec des sangles à cliquets: le grillage avait l'avantage de ne pas glisser. Ca n'aurait pas pu rentrer dans un de ces "coffres de toit" dont les pays germaniques semblaient friands. Aymrald était le moins chargé (juste sa saccoche vidéo et une petite besace avec quelques sous-vêtements, un pyjama (vêtements repris à la maison), brosse à dents...), "grâce" au nauffrage du ferry. Aymrald pouvait garder ses chaussettes plusieurs jours: il avait le privilège de ne pas transpirer des pieds, sans se rendre compte que ce fût rare. Cela lui aurait interdit de pratiquer la "marche sur le feu", puisque c'étaient les danses intensives visant à faire transpirer le plus possible les pieds pour y coller une couche de poussière et de cendres comme isolant qui rendait cela possible. Seul solution, s'il n'y avait pas d'eau disponible: se pisser un peu sur le dessous des pieds avant la cérémonie. La transpiration des pieds avait donc pu être utile historiquement pour marcher sur des sols extrêmement chauds, contrairement à celle du corps, qui déshydratait donc épuisait "pour rien" (perdre seulement 2% de son eau c'était perdre 20% de sa force): le chameau ne transpirait pas, prouvant que c'était inutile même lors d'efforts prolongés en plein soleil africain. D'ailleurs alors que peu d'animaux transpiraient du corps, beaucoup pouvaient transpirer des coussinets des pattes, probablement pour la même raison. Le chameau, lui, était isolé du sol par ses sabots. Aymrald avait supposé que la transpiration avait été éradiquée génétiquement des populations des pays froids, car transpirer à l'effort (par exemple en coupant du bois) mouillait les vêtements (que l'on ne pouvait pas faire sècher, si l'on n'était pas près de chez soi avec un grand feu dans la cheminée... or pour faire un grand feu il fallait couper beaucoup de bois) et provoquait une congestion pulmonaire. Idem pour les risques d'engelures en cas de chaussettes mouillées. Aymrald supposait que la sélection naturelle avait éliminé cette tare génétique chez les "vrais" Finlandais (et surtout les Inuits, peuple d'origine asiatique donc transpirant déjà moins que les Blancs) pour leur éviter de mourrir de froid après un effort loin de la maison l'hiver. En échange de quoi un Finlandais ne pouvait pas pratiquer la marche sur le feu: on ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre...
Aymrald se trompait: certes, les Finlandais transpiraient bien moins que les "Européens moyens" et n'avaient généralement pas de transpiration "émotionnelle" car il y avait effectivement eu une part de sélection par l'hiver dans ce domaine, mais la plupart finissaient tout de même par transpirer s'ils allaient au sauna.
Ils purent ainsi libérer toute la banquette arrière et s'y installer un peu mieux.
Gunnilla et Aymrald firent de nombreuses recommandations à Sigur, au volant, concernant la nécessité de ménager le moteur: ce genre de problème avait tendance à récidiver.
On demanda là aussi à Aymrald s'il était d'origine suédoise (vu qu'il le parlait sans difficultés et qu'il pouvait en avoir l'air), il réexpliqua que non, mais qu'il avait un ancètre finlandais "du côté de son père": inutile de préciser plus. Ces Suédois ne lui ressemblaient pas: ils faisaient plus "prussiens" que lui, et ce n'était pas que la différence d'âge. Il n'avait jamais vu de Finlandais à part Eetu (et encore: seulement en photo, et pas prise de près) ou des pilotes à la télévision, donc il n'était pas sûr de ressembler plus à un Finlandais qu'à un Suédois, d'autant qu'il avait aussi été fait avec autre chose, si sa mère n'avait pas volé un bébé dans une maternité finlandaise ou si Eetu n'était pas venu avec une copine l'ayant abandonné sur place neuf mois plus tard. En Suède il avait vu quelques garçons qui lui ressemblaient bien plus que Kalle (le "trop Aryen pour être vivant") ou Sigur (le "lapin suédois", même si cette dénomination était exagérée: c'était surtout par comparaison avec les cinq autres passagers). Les lunettes d'Inga et de Gunnilla, les dents de Sigur: la Suède commençait à se laisser aller. Ils n'auraient pas dû abandonner l'eugénisme. Tout comme il n'y avait pas un modèle unique de Suédoises, bien que presque toutes usinées dans les mêmes matières premières, il n'y avait pas de modèle unique de Suédois. Aymrald pouvait évoquer un de ces modèles, même si ce n'était pas le plus fabriqué sur place, à ce qu'il avait pu voir. Par contre, les personnages moins blonds vu à Stockholm, il avait supposé que c'étaient des touristes (des Russes alcooliques, par exemple).
Il était le seul à bord de l'Audi à être en dessous de 1m80: Astrid aussi le dépassait. Mais il était le plus jeune: sa taille était loin d'être défintive, d'ailleurs il l'avait déjà dit à Gunilla et Pernilla quand elles s'étaient amusé l'une puis l'autre à se mettre contre lui et de poser le plateau à pique-nique en plastique rouge sur leurs têtes: ça penchait toujours vers lui.
Après cinq jours (quatre nuits de camping: Astrid avait pris Aymrald dans sa tente, "comme un petit frère", disant aux deux autres qu'elles l'avaient bien assez eu avec elles) toute la bande décida de rentrer via la Bretagne Nord. Aymrald avait dit qu'il n'y aurait pas possibilité de mettre tout le monde dans la maison (il ne voulait pas ouvrir la chambre maternelle, d'une part, le grenier, d'autre part: son domaine privé, contrairement à sa chambre qui ne lui servait que de chambre), mais que comme il faisait beau on pourrait mettre une ou deux tentes dans le jardin, ou alors chez sa tante si elle acceptait. Il lui téléphona d'une cabine à Bordeaux, elle dit qu'elle prenait les deux garçons suédois.... Les cousines (qui avaient un an et demi et trois ans de plus qu'Aymrald) aillaient pouvoir se rincer l'oeil.
On fit ainsi: les filles chez Aymrald, les garçons chez tante Anne-Marie où Aymrald récupéra Dolmen, qu'il n'avait pas repris lors de leur passage précédent car dans sa famille on croyait qu'il était déconseillé de déménager et redéménager un chat pour une période de moins de cinq jours, sauf nécessité.
Pernilla passait les reprendre le matin avec l'Audi pour emmener tout le monde à la plage, sauf Aymrald qui utilisait sa Trielec pour diminuer l'entassement à bord de l'Audi (malgré le débarquement des bagages dans les deux maisons) et être indépendant dans ses horaires de déplacement. De plus, malgré ses recommandations sur le cancer de la peau (lui, enfant, on ne l'avait jamais emmené sur la plage entre 11h30 et 16h30, de mai à septembre), Suédois et Suédoises lézardaient "comme des steaks" sur la plage. Certes, il y avait souvent un petit vent frais (trompeur), en Bretagne Nord, mais le soleil n'en étant pas moins cancérigène. D'ailleurs c'était encore pire en Suède, où le "plein cagnard" durait plus d'heures par jour, l'été, et avec une couche d'ozone moindre à mesure que l'on se rapprochait des pôles.
Sur la plage de Rolbaka (si célèbre à Centrale Dinard) où il n'avait toujours pas eu l'occasion d'aller (c'était l'une des destinations prévues par Thierry, puisqu'on y trouvait "les plus suédoises des Suédoises", selon ce qu'avaient raconté les autres, et qu'en plus il y avait un gros déficit de Suédois sur place donc des opportunités pour les touristes) les vidéo projetées à Centrale Dinard avaient montré ces "tapis de steaks" avec des coups de soleil "écrevisse" et même des cloques le soir. Les Suédoises avaient un côté suicidaire, vis à vis du soleil. Les Européens du Sud s'en méfiaient bien plus, au point que parmi les gens exposés sur les plages de la Costa Brava en milieu de journée, il y avait très peu d'Espagnols.
Peine perdue: l'Audi restait stationnée en bord de mer (toutes glaces baissées, tout de même) par une météo à ne pas mettre un chameau dehors, son contenu répandu sur le sable retournant de temps à autre dans l'eau pour se rafraîchir. Même à travers un parasol et une chemise d'été, on pouvait attrapper des coups de soleil. La tante Anne-Marie avait insisté pour que Gunilla embarque deux parasols, en plus des planches, sur les barres de toit. Les Suédoises les avaient plantés et déployés, mais ne se mettaient souvent que la tête à l'ombre dessous. Les garçons faisaient de la planche à voile (Aymrald leur avait prêté la sienne et tante Anne-Marie une autre) torse nu en plein milieu de journée solaire. Incroyable, surtout dans les années 90 ou personne n'était censé ignorer le problème, ni croire que les crêmes solaires avaient l'effet indiqué sur leur emballage: celui-ci ne concernait que des essais en laboratoire avec un tartinage à la truelle.
Aymrald les accompagnaient le matin au volant de sa désobligeante électrique, repartant avant onze heures, et venait les retrouver vers 17 ou 18 heures.
Astrid critiqua la salle de bain, pourtant en bon état, car elle n'avait ni douche massante multijet ni rien de ce genre. Le camping bordelais non plus, mais c'était un camping, pas une maison... Gunnilla répondit que par contre, les WC séparés c'était beaucoup plus hygiénique que dans la salle de bain. L'appartement de leurs parents avait ce défaut de conception fréquent (et pas seulement en Suède: ces "économies de bout de chandelles" sévissaient aussi chez nombre de promoteurs français). D'autant plus hygiénique que le dessus de la chasse d'eau de ceux des Dambert était un mini-lavabo commandé au pied (de même que le savon liquide), l'eau ainsi consommée étant réutilisée dans la chasse. C'était Geneviève qui avait insisté pour que Loïc installe ceci huit ans plus tôt, après qu'elle l'ait vu et apprécié chez d'autres gens. Le lavabo de la salle de bain avait lui aussi une commande par pédale, et ne délivrait que de l'eau froide. Seule la douche de la baignoire disposait d'un mitigeur. Le bidet d'origine avait été ôté pour permettre de caser la machine à laver tout en récupérant l'arrivée et l'évacuation d'eau prévues pour cette relique, moyennant une petite estrade en parpaings pour permettre de faire monter une "crosse" en PVC de l'ancienne évacuation vers l'arrière de la machine.
Ils firent beaucoup de cuisine, à la maison (à quatre) ou chez tante Anne-Marie, à neuf (avec les Suédois, la tante et les deux cousines). Aymrald appliqua le soir sur leur trois dos rôtis beaucoup de la crême après-solaire qu'elles avaient dû aller acheter en plus à la pharmacie du coin. Ses cousines en firent autant sur les deux garçons, encore plus brûlés (même derrière les genoux, où c'était particulièrement douloureux) car l'eau faisait loupe. Seul Kalle avait aussi la nuque brûlée, prouvant que le style "surfeur" de son cousin avait sa raison d'être pour cette pratique.
Puis le 19 août l'Audi repartit vers la Suède avec quatre des candidats au mélanome, en laissant d'assez bons souvenirs de vacances de part et d'autre. Restaient sur place Dolmen, Aymrald et Pernilla qui comptait bien tenter sa chance dans la série télévisée de VTP, les gens de VTP ayant dit qu'elles pourrait y avoir un rôle pour quelques épisodes. Gunnilla aussi, mais elle n'avait plus de vacances (elle travaillait dans un magasin de chaussures, ce qui expliquait le nombre de paires encombrant l'Audi). Pernilla avait calculé que ce que lui verserait VTP pairerait largement le train, voire l'avion, et puis elle avait toujours rêvé de faire du cinéma. Ce n'était qu'une petite série télévisée, mais tournée en "extérieurs mers" (contrairement aux sitcoms que réalisait jusqu'alors VTP), et comme ça serait diffusé dans divers pays (y compris peut-être la Suède) ça pouvait aider à la faire connaître comme jeune actrice très suédoise. Comme Aymrald y jouerait aussi, elle ne se sentirait pas perdue et ce ne serait certainement pas une fausse production aboutissant à une forme de "traite des Blanches": elle s'était toujours méfiée des soit-disant castings pour mannequins. BFR-VTP avait une tour de 44 étages à son nom (lumineux tout en haut), dans un quartier d'affaires très connu en région parisienne, donc ça ne pouvait pas être une de ces officines prêtes à déménager ailleurs une fois leurs forfaits commis.
Pernilla, seule, accepta fort bien de respecter les horaires recommandés par Aymrald pour le risque solaire. C'était donc "pour ne pas avoir l'air" devant les quatre autres, ou par simple mimétisme national, qu'elle avait fait comme eux. Un peu moins, toutefois: elle se mettait souvent entièrement sous le parasol. Ca ne suffisait pas, mais ça limitait un peu les dégâts. En compagnie du seul Aymrald, elle suivait le comportement de celui-ci. Pernilla était-elle donc une "suiveuse"? Aymrald ne se posa pas cette question: il était juste rassuré pour elle qu'elle fût devenue plus raisonnable. Ou alors les coups de soleils étaient devenus tellement cuisants qu'ils avaient pu la ramener à la raison... Mais ça ne semblait pas avoir suffi pour les quatre autres, malgré des brûlures un peu plus sévères. Aymrald, lui, n'avait qu'un hâle discret de bon aloi, sans avoir pris le moindre coup de soleil. Pernilla expliqua qu'elle et Gunilla croyaient que le soleil était surtout dangereux pour les gens qui avaient des taches de son (ce qui était vrai, même s'ils étaient noirs de cheveux) mais ça ne signifiait pas que les blondes sans taches de son fussent protégées des UV, loin de là: c'était juste "moins pire" que pour les rousses...
Aymrald devinait maintenant pourquoi il avait vu si peu de Suédoises plus âgées: si elles faisaient déjà ça dans les décénies précédentes, elles n'étaient plus montrables aux touristes.
Pour lui, il "manquait une case" (voire plusieurs) à ces peuples du Nord: l'inconscience solaire (alors que le soleil d'été était encore plus dangereux sous leur lattitude qu'en France, vu la durée quotidienne de plein jour et la moindre couche d'ozone), les pratiques alimentaires (aussi mauvaises sur la langue que dans les artères), le sauna (surtout avec des artères déjà bouchées à la crème sucrée) et l'usage "tout ou rien" des boissons alcoolisées: un Nordique était sobre ou complètement défoncé (surtout les jeunes), à ce qu'Aymrald avait pu en apprendre. On ne voyait pas, au sortir des bars français, des trottoirs, bancs et pelouses jonchés de jeunes ivre-morts. Il pouvait y en avoir quelques-uns, mais ça ne "jonchait" pas les alentours. La France avait ses propres travers mortels (trop de fumeurs, trop de chauffards...), mais tout de même.
Il ne dit rien de tel à Pernilla: Aymrald n'éprouvait pas le besoin d'exposer ses théories sociales ou politiques quand on ne l'y invitait pas explicitement. De plus Pernilla ayant spontanément changé de comportement solaire, inutile de lui faire la leçon: Aymrald n'avait rien d'un "donneur de leçons". Préférer se taire que dire du "de quoi je me mèle" dans une bonne intention pouvait passer pour une forme de lâcheté, mais "mieux vaut fermer sa gueule que de dire ce qu'on aurait pu ne pas dire" lui avait toujours réussi, socialement, alors c'était imprimé pour de bon dans son comportement. Autant il ne se serait jamais laissé enfumer (quitte à faire usage des arts martiaux pour neutraliser l'agresseur s'il n'y avait aucun autre moyen), autant il n'aurait que très légèrement déconseillé à Pernilla de boire, s'il y avait eu lieu.
Chez VTP, à la base nautique artificielle (mini-yacht-club) créée pour ce tournage (avec l'autorisation municipale: ça ferait venir du tourisme en plus, une fois "vu à la télé"), les maquilleuses trouvèrent qu'elle avait la peau abîmée. Mais la réalisatrice trouva que ce n'était pas plus mal pour faire "conséquence de la pratique intensive de la voile l'été par une Suédoise". On ne tournait pas en plein soleil: VTP ne voulait pas endommager la peau de pêche de ses personnages (qui devaient pouvoir resservir dans les autres séries). Le bonzage était à l'autobronzant, les coups de soleil et les nez pelés l'étaient par maquillage (Aymrald, par exemple). De plus tourner le matin ou le soir donnait une lumière beaucoup plus esthétique, télégénique, que l'arrosage massif d'en haut. Le milieu de journée était consacré à répéter en studio les prochaines scènes (le hangar pouvait contenir des bateaux) et faire la sieste pour ceux qui le souhaitait car on allait tourner assez tard, jusqu'au soleil couchant. Il s'agissait de petits trimarans hydroptères (mais hydroptères passifs: pas d'asservissement hydroélectronique à milliers de micro-corrections par seconde) mis au point par Centrale Dinard en 1993 et fabriqué par un chantier local. BFR avait déjà sponsorisé une compétition "monotype" utilisant ce modèle, et l'utilisait désormais pour sa série télévisée, avec la crédibilité acquise par son utilisation dans de vraies compétitions.
Outre l'intérêt esthétique du mode hydroptère sur un dériveur léger (biplace), il y avait les chavirages, les enfournements-culbutes, les décollages-cabrages-retombées en arrière et autres figures spectaculaires en cas d'erreur de pilotage, car outre les voiles, il fallait aussi piloter ce qui était sous l'eau, surtout par mer un peu creuse.
De plus il n'était pas nécessaire de sècher les personnages entre deux prises (contrairement à "Devine qui vient dîner ce soir") car il était normal d'être déjà mouillé dans une telle activité.
Pernilla dit que Sigur (le "surfeur") aurait certainement adoré: dommage qu'il dût repartir avant.
Il y avait de l'humour (généré par la navigation, et quelques lâchers de bômes rencontrant une tête levée au mauvais moment, bômes molles, bien sûr: le bruiteur cognait avec un maillet en bois sur un tube en aluminium) mais aussi des drames. Aymrald (rebaptisé Arttu) et Pernilla (rebaptisée Vilma), l'équipage finnois (et pas suédois, pour changer), étaient victimes d'un sabotage conduisant à leur mort emberlificotés dans les cordages de leur navire retourné, d'où une enquête policière, et un bon moyen de ne pas avoir besoin de ces deux-là au delà du dixième épisode. Comme ce n'étaient pas les rôles principaux, VTP avait eu le temps de leur faire tourner, en compagnie des autres, les portions d'épisodes où il seraient, bien que six seulement aient été tournés "pour de bon" pendant ces deux demaines. VTP offrit le billet d'avion pour Stockholm à Pernilla, pour l'encourrager à revenir jouer d'autres petits rôles l'été prochain si elle en avait l'occasion, et en lui recommandant d'être très prudente avec le soleil.
Aymrald avait trouvé le tournage intéressant et ce nouveau rôle annexe allait corriger le ridicule de sa prestation précédente auprès des camarades de Centrale Dinard qui auraient eu l'occasion de voir les deux.
Apprendre à jouer avec la méthode VTP consistait à mimer dans les moindres détails le personnage virtuel conçu et animé (jusqu'aux expressions) pour le rôle, sans le caricaturer. Ceci permettait de s'entraîner hors tournage pour les parties que l'on avait à tourner. Aux studios, une combinaison équipées de repères permettait au système de repérer la gestuelle de ceux qui s'entraînaient ainsi et de leur indiquer en temps réel (par les lunettes de réalité virtuelle) ce qui ne correspondait pas, avec un nouveau couleur correspondant au taux d'erreur de chaque partie du corps. De plus ce qu'il avait à faire dans "Au vent du large" n'était pas difficile.
Retour à Centrale Dinard après un été bien rempli et deux cassettes d'un voyage en Suède qui, grâce à un nauffrage, deux accidents de la route, une opération de bielle coulée à carter ouvert (et réussie, en plus: Pernilla avait appris que le moteur avait fait le retour, Gunilla restant sage sur autoroute allemande puisque c'était probablement les périodes à tombeau ouvert qui avaient révélé le problème, à l'aller), ceci dans un retour accompagné de deux Suédoises (d'accord: une à lunettes, mais suédoise quand même), eût le premier prix cette année. Au lieu d'une voiture (le break 305) trois étaient mentionnées, dont deux Audi 100 ce qui contribua à l'hilarité générale, celle de Thierry étant déjà un "personnage" de l'école. S'être échouées en voiture sur des cubi dans une mare de vin allait amplifier ce que les Suédoises pensaient de nous, estimait-on. On demanda plus de "précisions" à Aymrald, qui répondit "ma vie privée ne regarde qu'elles et moi", en insistant sur le "elleZémoi" du pluriel. Dans le magazine de l'école avait été publié un avertissement d'aspect sérieux, presque "publication judicaire":
Avis à tous les possesseurs d'Audi 100: si vous tenez à votre voiture, n'invitez jamais Aymrald à bord, même pour dormir à l'arrière.
Médisance, estima Aymrald: l'auteur oubliait de mentionner qu'il en avait réparée une qui sans lui n'aurait même pas atteint Paris.
Il fit sa troisième année en "automatismes industriels", une option de second rang (mais pas une des options "poubelles" pour derniers de classement).
Pendant les grosses grèves de l'automne 1995 il vit aux infos qu'ils y avait eu des piquets de grêves pris en otages par le "GAC" (Groupe d'Action Citoyenne), dans des gares, des postes d'aiguillages et des centres de tri de la Poste, pour forcer la reprise du travail, ainsi que des attaques au lance-roquette contre les locaux des grands syndicats à l'origine des grêves. Ces tirs explosifs avaient toutefois lieu aux heures de faible fréquentation et étaient brièvement précédés du tir de projectiles à gaz irritant (mais non incapacitant), comme pour donner le temps aux occupants de s'enfuir à condition qu'ils le fissent vite. Certains analystes supposaient que c'était le GAC qui avait enlevé depuis plus d'un an un grand nombre de retraités d'EDF et de la SNCF, en visant les plus grosses retraites (souvent supérieures au million de francs par an, chez EDF), les comptes ayant été débités vers l'étranger, ce qui pouvait avoir servi à acheter de grandes quantités d'armes dans l'ancien bloc de l'Est. Le travail avait repris les jours suivants dans les transports publics et le courrier après 685 morts et quelques milliers de blessés parmi les grévistes. Certains conducteurs de trains racontèrent qu'on leur avait introduit à coup de massette quelque chose dans le rectum qui leur faisait des douleurs atroces s'ils n'obéïssaient pas, en leur disant "si suite à une manoeuvre incorrecte, n'importe laquelle, le train s'arrête hors des arrêts prévus, l'intron se réenchlenchera jusqu'à ce qu'il reparte".
Certaines attaques s'étaient faites par armes à feu, d'autres par chiens d'attaque, et des "exécutions isolées" de meneurs syndicaux avaient utilisé des fléchettes toxiques, probablement tirées par une arme à air comprimé. Le gouvernement ne retira donc pas son projet de réforme des retraites du secteur public (des menaces terroristes pesaient peut-être aussi sur les ministres (certains avaient-ils été "intronisés" à leur tour?) s'ils le retiraient, supposa-t-on aussi, ceci malgré l'énorme risque de résurgence de dossiers compromettants de la part des syndicats si cette réforme se faisait) et des grêves spodariques se poursuivirent, généralement brèves car il y avait eu de nouvelles représailles du GAC quand elles duraient. Au cours de l'année 1996 des dossiers sulfureux firent surface "venus de nulle part" dans le bureau de divers juges, surtout ceux ayant la réputation de souhaiter se "faire" un ministre, un haut-fonctionnaire ou un député.
Ceci fit peu de remous en Bretagne Nord: c'était surtout en région parisienne que les actions contre les grèves dans les transports publics avaient été les plus rapides et spectaculaires. On ne savait toujours pas qui constituait le "GAC": des groupuscules d'extrême-droite plus ou moins poujadistes, supposait-on généralement, mais bien organisés: ils profitaient des consigne de non-intervention des forces de l'ordre contre les piquets de grêve pour s'infiltrer dans ces "zones de non-droit" temporaires et y agir très rapidement. L'usage d'engins télécommandés avait aussi été observé. De plus, on n'avait constaté aucune "bavure" au sens que seuls des piquets de grêve et responsables syndicaux avaient été touchés: le GAC était donc bien renseigné. Deux bénéficiaires en apparence: le premier était l'Etat, malgré le risque de résurgence de dossiers brûlants (sur les attributions de marchés publics, en particulier, et les consignes de non-inspection du travail sur ces chantiers-là) détenus au fil du temps par les syndicats, bien placés pour les avoir collectés. Toutefois les leaders syndicaux risquaient gros, eux aussi, en raison de décénies de détournements de fonds des comités d'entreprises de grandes entreprises du secteur public. Si l'Etat s'était abstenu jusqu'alors de déposer plainte, c'était visiblement en raison des "affaires" dans lequels nombre d'hommes politiques de la nouvelle comme de l'ancienne majorité avaient trempé: l'équilibre de la terreur judiciaire avait jusqu'alors évité aux uns comme aux autres d'abattre de telles cartes en public.
L'autre bénéficiaire le plus évident était le "simple citoyen", excèdé de ces grèves faites pour défendre et amplifier des avantages dont il ne bénéfierait jamais, lui. Toutefois, jusqu'à présent, grâce à une distribution pléthorique de tranquilisants, euphorisants et anxiolithiques en tous genres, remboursés par la Sécurité Sociale, le peuple ordinaire n'avait pas réagi activement, ce qui faisait dire "si le Prozac avait existé en 1968, il ne se serait rien passé, et en 1789 non plus".
Il y avait aussi les partis extrémistes que la chute du château de cartes politico-syndical jusqu'alors au pouvoir (l'alternance ne jouant qu'entre formations de natures voisines) pouvaient faire apparaître comme "l'ayant toujours dit" et aptes à reprendre les choses en main, pour le meilleur et pour le pire.
Cela faisait aussi l'affaire des syndicats "brimés", ceux autres que les cinq déclarés automatiquement "représentatifs" y compris là où il avaient peu voire pas d'adhérents.
Stéphane ne discuta pas de ça, répondant parfois quelque chose comme: "on ne connaît pas tous les dossiers qu'ils ont les uns sur les autres, ni ce que les juges vont pouvoir en faire, alors il me semble trop tôt pour dire si ça apportera du mieux ou du moins bien".
Il rempila chez BFR, pour le stage du 1er avril à fin juin, cette fois-ci dans l'usine de Rennes et non dans un des bureaux, quoiqu'il eût aussi un bureau pour les simulations informatiques. Il était revenu de "bien au delà d'Aymrald" à une variante moins scolaire de sa version de base, style qu'il appela "Stéphane 2", qu'il coiffait "2/3 1/3" mais qui lui revenait peu à peu devant les yeux. Il fit quelques essais de gels coiffants (il n'avait pas confiance dans ces produits: partaient-ils réellement au brossage sans arracher ni laisser des résidus graisseux?) pour voir s'il pourrait obtenir un autre effet. Après quelques essais discrets sur des mèches derrière, lui montrant que ça se nettoyait assez bien, il alla jusqu'à se faire des piques partant droit devant, mais n'allait que rarement le faire: il préférait pouvoir se fourrer la main sous les cheveux, quand personne ne l'observait, or ces produits ne s'y prêtaient pas. C'était cette sensation d'abondance fraîche, soyeuse et réconfortante qui lui plaisait, surtout avant de s'endormir, d'aussi loin qu'il s'en souvînt. Il était secrètement fier de ses lames d'or clair, surtout depuis qu'il savait que ça venait de son ancètre finlandais. On le repérait de loin et on le regardait, donc il avait bien moins droit à l'erreur que ceux que l'on ne regardait pas, avait-il fini par découvrir. Il trouvait qu'il avait plus d'allure en plus long mais se sentait plus lui-même coiffé "moyen" revenant souvent devant le regard, même si l'effet était plus enfantin. Il ne s'était rendu compte de ça qu'au cours de ses années de Centrale Lille.
Il imaginait qu'en Finlande personne ne l'aurait remarqué: pour voir qu'il avait les yeux verts et non bleus comme les Finlandais, il fallait le voir de face et d'assez près. D'autant plus que vite vues, ces deux couleurs faisaient le même effet: "lumière froide". Une fois, Laurie, une fille de l'école (1m71, châtain clair, lunettes, nattes) lui avait dit "c'est dommage de ne pas savoir s'habiller, quand on est si beau". Rien de plus. Toutefois, il regarda un peu plus ce que les autres garçons bien faits mettaient. Souvent rien de remarquable non plus: du n'importe quoi pour n'importe qui, qui faisait moins n'importe quoi pour n'importe qui sur eux. Dans les écoles d'ingénieurs, la "sape" avait peu d'adeptes (y compris chez les filles). Il aurait aimé s'habiller tout en noir mais n'osait pas. Jamais de blanc ni de teintes pastel: "fadasse" et salissant. Il prenait ce qu'il y avait en promo, du moment que ce ne fut ni clair ni entièrement sombre, souvent avec des motifs.
Il savait qu'il y avait quelques erreurs à éviter: pas de tons plus clairs en bas qu'en haut, par exemple, mais dans ce qui pourrait apporter un "plus" par rapport à la banalité convenant à tout le monde, il ne savait pas. On passait vite du "juste divertissant" au "ridicule" ou "il se prend pour qui, lui?". Ce fut après avoir vu sur un garçon d'origine asiatique une chemise un peu structurée à grosses rayures "footballeur" noires et rouges qu'il se dit que lui aussi pourrait mettre ça (mais dans un contraste moins japonais) car il avait en version finlandaise la simplicité synthétique des Asiatiques: il supposait qu'il y avait dû y avoir des croisements lointains avec les Lapons.
Il trouva: vert wagon et vert prairie, avec rayures de 5cm de large sur le torse, et de 3cm le long des manches. 73F, ce qui était plus cher que ce qu'il espérait, mais fin mars n'était pas une période de soldes. Le pantalon de toile d'été "chocolat sans lait" pouvait aller avec tout, y compris avec ça. Vert et marron étaient des couleurs souvent juxtaposées dans la nature: les feuilles et le tronc, par exemple, donc il s'était dit que ça irait. Se regardant dans la glace de l'armoire ainsi, il se montra du doigt et dit "fashion victime", mais après tout son stage il l'avait déjà: ce n'était pas comme s'il allait à un entretien. Il n'avait pas encore son mètre 80 (il manquait 6mm) mais ainsi restylé tout le monde penserait qu'il l'avait (les bandes verticales y contribuaient), sans tricher avec des semelles.
Il vit chez BFR qu'il y avait des stagiaires au style carrément bizarre, voire inquiétant (piercings...). Lui n'était que légèrement divertissant, habilllé ainsi. Il se dit qu'il pouvait continuer.
Catherine de VTP qui tournait toujours sa série (Adeline ne faisait que des sitcoms) et savait qu'Aymrald reviendrait en stage chez BFR (ayant réservé l'année précédente, car en 1995-1996 il devenait plus difficile de trouver des stages que dans les années 80), passa le voir. VTP le réutilisa tel que (coiffure juste rééquilibrée ça et là) comme nouveau personnage, puisque "Arttu" était mort noyé depuis septembre dernier.
Cette fois il serait allemand: Rudolf (mais pas avec la chemise "foot": avec un pull jackard, vu que c'était en avril et tourné en "extérieur mer"). Seul le public ayant suivi la série depuis le début se souviendrait de "Arttu", ce qui d'ailleurs pourrait l'amuser et lui faire essayer de deviner sa prochaine apparition, avec quel autre style et quelle autre nationalité. Il y avait un autre Allemand, Friedrich, qui lui ressemblait vaguement (merci l'Emilianomètre), plus grand et d'un blond plus jaune. Friedrich avait déjà joué dedans sous son propre prénom avec une coupe "Jeunesses Hitlériennes" et venait de la faire refaire en version rainurée à la tondeuse tout autour (sabot oblique étroit) formant un réseau de lignes sur les côtés se rejoignant en V emboités derrière, style qui fut appelé "Friedrich 2". Erwann trouva ce style intéressant et même élégant, avec l'effet filant des sillons, surtout quand Friedrich remettait dessus (donc "dans le sens de la marche") ce qu'il avait gardé devant, mais n'envisageait pas de l'imiter. Rudolf était le petit frère plus jeune et plus discret de Friedrich, venu le rejoindre pour former équipage avec lui sur un des mini-trimarans hydroptères.
Erwann fut "prêté" à VTP deux jours par semaine (tout en continuant le samedi indépendamment de BFR) par BFR pendant tout le stage, puis l'été après qu'il eût été embauché pour de bon à l'usine de Rennes: "Au vent du large" était un peu mieux payé à l'heure qu'ingénieur débutant. A croire que BFR l'avait repris comme stagiaire puis embauché à la demande de VTP: la société de production se doutait que ce garçon raisonnable n'aurait pas pris le risque de refuser un emploi d'ingénieur ailleurs pour jouer dans une série, mais si on lui proposait de faire les deux, en temps partagé... Ce qui fut fait. Aymrald participa à des opérations de télécontrôle d'installations, plus pour lui montrer comment ça fonctionnait et parce que ça permettait aussi de le faire venir moins souvent à Rennes, cette opération pouvant se faire depuis la base nautique.
Cette série étant tournée à partir de la base nautique près de Dinard, Aymrald put souvent rentrer chez lui, et cette fois il en parla un peu: il s'agissait de préparation de petits trimarans (il y avait aussi des catamarans) hydroptères et de régates effectués avec, donc c'était "très technique", en plus du fait qu'il était ingénieur "pour de bon" chez BFR. Il pensait que devenir "acteur" aurait inquiété et déçu ses parents (à moins de tourner dans des hyper-productions doublées en 26 langues, peut-être), et partageait aussi cet avis, mais si c'était un "à côté" tout en étant réellement ingénieur, il supposait qu'ils considèreraient ça comme lui. Cette série nautique n'était pas "bêtifiante", supposait-il que sa famille aussi penserait. Nombre de questions techniques furent effectivement posées, en particulier si ces mini-hydroptères seraient commercialisés. Il indiqua que oui: c'était une des façons de rentabiliser la série. Puisqu'il fallait en construire une vingtaine, autant industrialiser pour en construire beaucoup plus.
Son rôle était annexe, dans la série. Il avait peu de texte à dire (avec l'accent allemand) et bien plus de gestes à effectuer: un rôle pratique, et non relationnel. Il n'y avait donc pas d'importance qu'il y fût vu par des proches ou non.
Quand le style "Friedrich 2" se fut émoussé par repousse, Friedrich fit faire "Friedrich 3", version "intégrale" avec dessus en brosse rainuré comme une table de fraiseuse (ce fut l'image que ça évoqua aussitôt à Erwann), jusque derrière, les lignes latérales venant se brancher dedans en biais comme des aiguillages au lieu de former les V emboités de la version précédente. Ca évoquait en version teutonne et par sculpture drue l'effet "doriphone" obtenu par mini-tressages en sillons chez certains Noirs. Erwann trouvait que c'était encore plus infographique que la version précédente, et se demanda ce qu'il ferait la prochaine fois: un quadrillage comme sur une grenade? Il ne lui poserait pas la question.
A la déception de VTP, Erwann (prénom utilisé depuis le début chez eux) ne participa pas au projet de "boysband" rôdé au début de l'été 1996. Cinq personnages différents. Le plus doué vocalement était Alceste, sorte de Playmobil glouton châtain clair aux yeux vert pâle. La présence d'Alceste montrait qu'il n'était pas indispensable d'exhiber des "tablettes de chocolat" pour faire partie de ce groupe, contrairement à certains concurrents: c'était plus décontracté, et plus décomplexant vis-à-vis de la nourriture. Il y avait aussi Zhao, l'Emilianien chinois de la pub fromagère "minibleu". Erwann n'ayant pas été intéressé, ce furent Gunnilla et Astrid qui leur expédièrent de Suède des photos de leurs copains, ex-camarades de classe, copains de copains et membres de sa famille. VTP étudia ainsi 119 jeunes Suédois (elles s'étaient amusées à faire "tout un casting", ce qui avait aussi dû divertir les garçons), en convoqua six (voyage payé), en garda un, le 8 juillet: Knut Hellström, qui était celui qui ressemblait le plus à Aymrald (mais en un peu plus grand et avec moins d'options "stéphanoises"), aux yeux bleu, coiffé "surfeur synthétique" et utilisé tel que dans le groupe: il devrait rester ainsi tant que le groupe ne serait pas autorisé à changer d'image.
"Rudolf", lui, n'avait pas de style imposé par VTP: il était libre sur ce point, de même que Friedich avait lui-même choisi de se faire restyler "Friedrich 2" puis "Friedrich 3" qui suscita quelques imitations, l'effet de contraste soulignant mieux le dessin dans des cheveux moins clairs. C'était une des grosses différences entre cette série tournée en extérieur et les sitcoms où les personnages devaient rester tels qu'il avaient été "storyboardés". Dans "Au vent du large", on pouvait même être mal coiffé: cette année (et uniquement pour cette série) VTP n'avait pas recruté que de l'infroissable "même mouillé d'embruns puis sèché au vent". Il y en avait, dont Aymrald, mais le style "paquet d'algues sur leur rocher à marée basse", impensable dans les séries habituelles de VTP (pour cause de substitutions infographiques), était accepté dans celle-ci. Y compris pour les filles, qui n'étaient pas toutes des "poupées synthétiques" à la VTP. On continuait à n'accepter ni teintures ni tatouage ni piercing, car ce n'était pas le "genre" de la série, mais à part ça, il y avait bien plus de liberté que dans les sitcoms. Une série réaliste? Uniquement par rapport aux autres productions maison, car tous les autres critères VTP s'appliquaient aussi à "Au vent du large": nez, dents, proportions, qualité de peau, etc.
Aymrald travailla donc à temps partiel comme ingénieur (embauché comme prévu à l'issue de son stage) aux arômes artificiels, agents de textures, techniques de contrôle de qualité et "d'autocorrélation" informatiques des résultats des panels de dégustation "en aveugle", tout en jouant dans "Au vent du large". Il avait entendu dire qu'on l'enverrait dans un pays froid cet hiver: il avait appris que BFR avait une usine en Finlande, mais n'osait pas encore y croire, tout en continuant à étudier quotidiennement et sérieusement le finnois, y compris informatique, alimentaire et industriel.
Le groupe Bifidus avait créé entièrement pour faire vendre des produits BFR comme les yaourts "Superfidus" dont les packs de 16 contenaient un "deux-titres karaokable" offert (contrairement aux packs de 8): il y en avait 54 différents, en comptant les reprises en italien, en russe, en japonais et même en suédois pour certains titres. Cela décomplexait les garçons qui y "jouaient" (plus qu'ils n'y chantait: tout était truqué... comme chez les vrais) car ce groupe ne prétendait pas être autre chose qu'une opération publicitaire. Ils le faisaient sérieusement, vis-à-vis des fans éventuelles (même un groupe publicitaire pouvait en engendrer, et ce fut le cas), mais en sachant qu'ils n'y feraient pas carrière.
Aymrald trouvait intéressant que l'on eût créé ce groupe, car par contraste cela crédibilisait les acteurs de "Au vent du large": d'une certaine façon, Knut, avec son sourire d'une oreille à l'autre, ses tenues de patineur artistique (la couturière des Bifidus y était allée "à fond", encore plus que celle d'Octane, le premier "boysband" français qui avait été lancé à huit, à l'inverse du "faux viril" de certains autres groupes: plus de fantaisie et jamais de moulant chez Bifidus) et les textes plus que débiles des chansons qu'il interprêtait avec ses quatre acolytes, servait de faire-valoir à Aymrald au rôle plus sobre et plus professionnel dans sa série nautique.
Les Bifidus gagnaient plus que les "Au vent du large" (dont ils interpêtaient le générique, sur certains de leurs CD promo. Plutôt bien, d'ailleurs: le son n'était pas ridicule, lui) mais en faisant bien plus d'heures qu'eux, surtout en cette période de démarrage du groupe. Plus que les acteurs d'Au vent du large mais moins que dans les boysbands concurrents: ils étaient associés au bénéfices, or pour le moment l'opération n'était pas rentable. Elle le serait en fonction de l'augmentation des ventes des produits associés à l'opération: outre les lots incorportant un CD promo, il y avait des "points Bifidus" à découper sur divers emballages pour avoir des réductions sur le futur album "Rayon frais" de Bifidus (un "20 titres", pour là aussi en donner plus et pour moins cher que les concurrents). Seuls les produits payants contenaient des images des personnages du groupe dans leur dépliant: les pochettes fines des CD promo ne portaient que le logo du groupe et les textes des chansons sous un rappel visuel du produit "vecteur" ou d'une publicité télévisée.
La stagégie de VTP fut considérée comme déloyale par le "milieu" des variatés, car les Bifidus entraient dans les familles par la porte du frigo. C'était oublier que justement, à cause de ça, le groupe devait être capable de plaire directement au son (pas d'image sur les CD promo) à un public plus vaste que juste les "minettes" qui étaient son coeur de cible théorique, avec comme but de les pousser à mettre dans le chariot maternel les produits comportant des points Bifidus. Les mélodies étaient donc moins "deux ponts ridides sur des ressorts à lames" que ce dont se contentaient la plupart de leurs concurrents, les arrangements plus riches (parfois trop: les cerises écrasaient le gâteau, mais ça plaisait), le travail vocal moins "kakaoké entre copains". Ce qui n'était pas difficile vu l'offre concurrente française.
Autre atout: la reprise par Bifidus de tous les génériques des séries télévisées et jeux produits par VTP, retravaillés et enrichis à cette occasion par le "vrai" groupe: Millénium, qui ne faisait ni scène ni télévision. On disait même que c'était l'imitateur-chanteur de Millénium, Adrien, qui faisait tour à tour les cinq voix des Bifidus pour leurs albums studio. On disait qu'il couvrait plus de quatre octaves, ayant comme certains des imitateurs les plus polyvalents des cordes vocales asymétriques: au cours de sa croissance il avait acquis les graves sans perdre les aïgus, là était le truc.

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