vendredi 10 avril 2009

chapitre N-22

Mardi 2 janvier 2001, on ne parlait que de cet attentat, en Finlande, quand Stéphane y revint. Le tunnel avait déjà été remis en service, avec du temps perdu par des contrôles de bagages bien plus sévères à chaque entrée. Il n'avait pas encore été revendiqué de façon crédible, même si les revendications mal informées (celles se basant sur des informations fausses délibérément glissées dans le rapport donné aux médias) pullulaient, y compris d'un groupuscule de "salmoniculteurs en colère" protestant contre le Saumonix, alors que ni le train (italien), ni le tunnel (réalisation suédo-finno-danoise) n'étaient de fabrication française: seule la centrale géothermique alimentant le tout l'était, or ce n'était pas elle qui avait été visée. Il y avait des fondamentalistes islamiques, des isolationnistes finlandais, des pêcheurs baltes... Ceux qui avaient le mobile le plus évident étaients les opérateurs de ferrys, qui ne pouvaient désormais compter que sur le transport des véhicules (le train sous la Baltique n'en prenait pas, par sécurité) et la vente d'alcool hors taxes à bord pour concurrencer le tunnel, qui était bien plus rapide tout en étant moins cher. Il n'était plus aussi rapide maintenant, du fait des fouilles de bagages, mais le restait bien plus que les navires.
Pour ces congés courts, il n'avait pas été remplacé sur place. Ce fut chez Timo qu'il passa récupérer Gorak, boule de ronronnements: les chats finlandais ne semblaient pas avoir un comportement différent de celui des chats français, d'après ce qu'il avait pu voir avec Surimi, Tutka, Gorak et Shéhérazade. Peut-être parce qu'ils n'avaient pas à réfléchir à toutes ces déclinaisons avant de pouvoir miauler ou ronronner.
Stéphane vit "Objectif Suède", un film (et non téléfilm) sous le label "Olécru" dans lequel deux élèves-ingénieurs tentaient un voyage en Suède à bord d'une R25 GTD rafistolée. Contrairement à ce qui se passait dans Kergatoëc, ils y parvenaient, malgré quelques pannes. Deux Emilianiens, l'un brun cuivré, avec taches de son (décalcomanies...) et lunettes, l'autre aux cheveux noirs "lèche-lunettes" et un peu au dessus de son poids (autant qu'Alceste à ses débuts). Ils cherchaient la plage de Rolbaka, dans la reconstitution de laquelle (un reportage en Suède avait permis d'engranger des décors naturels correspondant aux mouvements de caméras prévus pour le tournage en studio, selon la méthode fréquemment utilisée par VTP, ici chez VTPSF pour avoir plein de "Nordiques" sous la main) il y avait encore plus de blondes optimales que sur la vraie, VTPSF en ayant beaucoup et VTP ayant engendré par ordinateur toutes celles qui ne seraient pas vues de trop près.
Ils rencontraient quantité de Suédoises et presque jamais de Suédois, sauf vieux ou (les rares jeunes) complètement saouls, avachis sur des bancs, sur l'herbe ou le sable. La première paire de Suédoises qu'ils avaient l'occasion de prendre en stop était lesbienne: elles s'enlaçaient à l'arrière de la R25 pendant la suite du trajet jusqu'à Rolbaka. Il y avait des Volvo partout, une minorité de Saab et quelques voitures non-suédoises. Les Suédoises gobaient des harengs crus ou le cuisinaient à la crême sucrée. Lors d'une scène chaude à l'intérieur d'une "sommarstuga", les pilotis de celle-ci, rongés par l'eau et le sel, s'effondraient d'un coup: la maisonnette de bois partait à la dérive sur la mer comme un radeau (mais avec 40cm d'eau dessus du plancher, en raison du poids de ce qui était au dessus), les deux garçons et les quatre Suédoises escaladaient le mobilier Ikea (une armoire se disloquait) pour essayer de rester hors d'eau, la maison s'enfonçant d'un côté ou de l'autre selon leurs déplacements à l'intérieur, avant de finir percutée et disloquée par un ferry, qui les repêchait tous les six. Ce n'était qu'une des nombreuses péripéties (souvent spectaculaires, tout en évitant de donner dans l'invraissemblable: juste du "qui n'arrive qu'une fois dans une vie") dans cette comédie d'aventures qui n'était pas un reportage fidèle sur la Suède mais la perception qu'en avaient les élèves-ingénieurs français, surtout ceux qui n'avaient pas réussi à y aller et écoutaient les récits merveilleux des autres. Les deux voyageurs trouvaient une Suède correspondant à ces récits, mais où rien ne se déroulait comme prévu. Il y avait bien plus de post-production infographique dans ce film que le spectateur n'en avait l'impression, de façon à vider les paysages suédois de leur population réelle (heureusement peu dense) et y remettre celle du film, ayant exactement la répartition d'apparences et de comportements définis par le scénario. D'autres parties avaient été filmées en Finlande l'été dernier, là où il n'y aurait rien de reconnaissable, quitte à synthétiser une signalisation suédoise lorsqu'il y en avait une finlandaise.
Outre un scénario divertissant (ayant été vérifié comme tel en remplaçant, dans le brouillon virtuel rapide, les Suédoises par des Françaises anonymes, pour voir si l'intérêt de l'histoire y survivait) le film grouillait de Suédoises "comme on en rêvait", dont un pourcentage non négligeable en "topless" sur la plage: ceci allait faire venir beaucoup de garçons (et d'hommes mûrs aussi) dans les salles, savait VTP, bien que le film restât "tous publics". Les scènes chaudes étant filmées très sobrement "à la VTP": préservatif, puis ombres chinoises, par exemple. Dans la "sommarstuga" c'étaient les mouvements de la maisonnette sur ses pilotis qui suggéraient la chose, ainsi que le tangage de certains objets sur la table ou dans la cuisine. Les deux voyageurs français faisaient très souvent cuire des nouilles (sur un mini-réchaud, puis dans les cuisines là où il étaient reçus), car ils en avaient emporté de nombreux paquets à bord, ainsi que des boites de petits pois et des boites de thon, ayant entendu dire que tout était très cher en Suède "sauf les bananes".
Un nouveau système "infovisuel" lui fut remis pour pouvoir s'entraîner à l'utiliser et commencer à prendre connaissance de sa mission.
C'était l'AK 60, évolution sous forme de "holster" de l'AK50, avec un système graphique binoculaire puissant, relié à des lunettes de réalité virtuelle d'une précision et d'une légèreté laissant supposer une origine militaire: pilotes de chasse devant opérer par visibilité zéro? Et surtout, une version poids plume du suivi de direction de regard, placé aux angles des lunettes, par réflexion tangentielle sur la cornée. Le système était autoconfigurant: il suffisait à Stéphane de suivre d'un oeil puis de l'autre un point lumineux créé virtuellement un mètre en avant de lui (la face interne des verres semi-réfléchissants étant calculée pour) pour que le système sache ensuite où regardait chaque oeil, et donc aussi la distance de visée, par télémétrie (là où les deux directions se rencontraient) tout en ignorant les micro-mouvements involontaires.
L'autre particularité existait déjà dans le modèle d'entraînement virtuel (plus lourd) qu'il utilisait avec le simulateur de combat et d'acrobaties: la "centrale à inertie" repérant la direction de la tête ("ce que vise le nez", expliquait la notice), ce qui, en ajoutant la direction de regard, permettait au logiciel de savoir dans quelle direction du décor il regardait. Ce système (en plus encombrant) servait déjà en publicité pour savoir ce qu'un public-test regardait (même involontairement) dans une affiche ou pendant un spot publicitaire.
Le nouveau système portable russe descendait à 320 grammes et ne ressemblait plus à un masque de plongée, mais plutôt à des lunettes de ski légères, non fermées en haut et en bas.
L'une des applications que découvrit Stéphane fut la "vision à rayons X": regarder une machine réelle et voir ses entrailles en même temps, en pouvant choisir tel ou tel niveau de profondeur et privilégier tel ou tel type d'organes (électriques, hydrauliques, pneumatiques, mécaniques...) en diminuant le contraste de simulation des autres. Le système était assez stable pour ne pas se décaler en cas de mouvement rapide. Même en claquant des dents l'image restait stable, car les lunettes avaient aussi des caméras en bout de branche et détectaient (comme l'anti-vibration des camescopes) le bougé incohérent (contrairement à un déplacement réel où tous les décalages se faisaient dans le même sens) de ce qui était visé. Ce n'était pas infaillible, mais dans la pratique, pour visiter à pieds ou sur un véhicule une installation et regarder dedans sans l'ouvrir, ça marchait.
La vision directe n'était pas modifiée par les lunettes: la courbure externe étant la même que la courbure interne, il n'y avait aucun effet optique, dans le modèle fourni à Stéphane. Si l'utilisateur était myope, la face externe était plus plate que la face interne, comme pour les lunettes ordinaire. Le système était conçu pour ajouter le réel dans le virtuel (ça avait déjà été fait ailleurs, mais chez AK le dispositif était devenu raisonnablement léger, compact et pas hors de prix: deux fois celui de l'ordinateur).
Outre l'exploration virtuelle dans du matériel réel (à condition que le modèle fût à jour, contrairement au mode d'emploi des anciens groupes électrogènes) il y avait la vision virtuelle de ce qui n'existait pas encore et qu'il faudrait installer. Le système pouvait aussi fournir des images prises d'un autre endroit de l'usine, ou depuis un autre porteur de cet équipement (intérêt militaire évident: voir grâce à un satellite ou un autre soldat ce qu'il y avait derrière une coline, un bâtiment, etc).
Stéphane équipé ainsi put se voir sans miroir grâce aux paires de caméras d'un des plateaux de tournage non utilisé à ce moment, en s'y connectant. Il obtenait une vision qui eût nécessité plusieurs miroirs, dont certains concaves pour fournir l'agrandissement. Equipé ainsi, il avait l'air de jouer dans un film de science-fiction.
En mettant un cache noir mat sur les lunettes (pour supprimer la vision réelle) il pouvait aussi visiter de l'intérieur, comme s'il avait eu la taille d'une bactérie, le nouveau processus de synthèse et remplissage de fibres de colagène pour la "chair artificielle", qui allait désormais servir à faire des fausses rillettes (les beaux morceaux fibreux, le reste étant plus facile à simuler sans recourir à cela) intitulées "Rilettes" car puisqu'il y en avait déjà de porc, d'oie et de thon, cette appelation n'était pas liée à la nature des ingrédients. Ce produit (déjà en test à Rennes) utilisait les nouvelles molécules simulant un goût gras, une fois incorporées dans un produit contenant de l'eau. Autre nouveauté pour 2001: la fausse entrecôte déjà grillée (ou donnant l'illusion de l'être), qu'il suffisait de passer aux micro-ondes 90 secondes (pour une part ordinaire dans un four de 750W nets) pour avoir l'impression de venir de la retirer du grill, goût de surface grillée (juste un peu) inclus. En plus d'être une bonne imitation à chaud, c'était meilleur froid que de la viande de boeuf cuite mais froide.
Lancement des frites lyophilisées: les molécules imitant les lipides supportaient ce procédé et permettait d'avoir un produit bien plus sec à l'ensachage, car l'huile réelle, elle, ne pouvait pas se lyophiliser, là où le produit de BFR remplaçait gustativement, complèté de 23 parts d'eau, 24 fois son volume d'huile. La difficulté avait été de mettre au point un procédé de cuisson sans huile produisant le goût de la pomme de terre frite une fois réimpregné du faux lipide BFR. Cela se faisait à sec, en combinant microondes et infrarouges (ceux-ci servant à dorer la surface). Le résultat était techniquement plus simple pour simuler des pommes dauphines, car elles étaient étaient préparées à partir d'un mélange de purée, et non d'un morceau de pomme de terre découpé: les additifs gustatifs pouvaient donc y être incorporés directement. L'un des avantages du faux lipide était que ça ne graissait presque pas les doigts, tout en ayant le goût d'huile.
Le procédé pour simuler les frites s'avérant coûteux, ce furent des bâtonnets de purée compressée et solidifiée façon frites que BFR se mit à produire "au kilomètre", les additifs étant injectés au fil de la progression dans des tubes carrés qui fournissaient aussi la chaleur de cuisson, grâce à un bain d'huile (pour l'uniformité de la température tout autour de chaque tube) dans lequel ils baignaient, sans contact entre l'huile et l'intérieur des tubes. Le laboratoire des moules avait mis au point un traitement de surface interne des tubes qui évitait tout blocage (la purée additivée n'étant pas huilée) tout en n'étant pas sujet à usure lors du transit de cette matière: en effet, elle se rétractait légèrment en fin de cuisson, donc ne frottait plus contre les parois (ou seulement par son poids) une fois sa surface durcie par cette cuisson. Le procédé avait été amélioré par redéposition de fécule de pomme de terre en surface, au début du processus, permettant d'obtenir une "peau" plus rigide que ne l'eût été celle de la purée recompressée cuite. L'ajout de quelques "fils artificiels" (la version pleine et plus fine des fibres artificielles, donc bien plus facile et rapide à produire) achevaient d'armer la frite, qui cèderait sous la dent sans être trop fragile entre les doigts. La pomme de terre restait l'ingédient le moins cher pour simuler un produit à base de pommes de terre, donc constituait encore 94% de la frite (fécule incluse).
Chez VTPSF il revit "Traction" en finnois: le film connaissait un beau succès en France mais ne s'exportait pas aussi bien que du "tout terrain" comme "Les miroirs du temps" ou "Sartilvar": le sujet était lié à un pays, même si l'histoire et surtout les scènes d'action pouvaient intéresser bien au delà. L'Odyssée et l'Iliade s'appuyaient sur des mythes mondialement connus, de même que "Drakkars et dragons": bien que localisés géographiquement, ces films pouvaient marcher partout, ce qui était effectivement le cas, surtout pour le troisième dans lequel VTP avait encore plus "mis le paquet" côté moyens techniques et dont on ne connaissait pas d'avance le scénario. "Traction" ne s'exportait pas aussi bien que les "porte-avions" tarsiniens, mais les résultats d'exportations laissaient tout de même rêveur le cinéma français ordinaire: ce grand film de gangsters plein de poursuites en voitures et de tirs en pleine tête marchait au moins aussi bien à l'international que les bons films américains du même genre, et ceci sans aucun acteur mondialement connu à bord.
Ce phénomène généralisé par Kerfilm (faire de grands succès sans utiliser de star, et surtout sans cachets "d'acteurs connus") avait induit une révision fortement à la baisse des cachets des acteurs français les plus chers, et le système de la "participation" s'était répandu depuis la disparition du système d'avance sur recettes: c'étaient désormais les grands acteurs qui faisaient l'avance de leur cachet en attendant les bénéfices... S'il y en avait. La profession en voulait surtout à Lucien Venant, l'ayant déjà menacé d'être tondu à la Libération: "que les acteurs et réalisateurs des séries de VTP soient réutilisés dans leurs films à leur tarif, on ne peut pas le leur reprocher, mais qu'une valeur montante du cinéma français ait choisi d'aller faire tous ses films dans le système VTP pour tourner dix fois moins cher, c'est une trahison bassement opportuniste". Au point qu'il se murmurait qu'il n'était pas impossible qu'un film signé Kerfilm obtînt un jour un César ("objectivement, certains le mériteraient") mais qu'en aucun cas un "Kerfilm" auquel aurait participé Lucien Venant n'aurait la moindre nomination. Venant savait que sans cela, un film comme "Viande urbaine" aurait eu un voire plusieurs prix. Le "métier" ne lui pardonnerait jamais d'avoir parlé du "niagara de merdes molles encore et toujours situés dans cette gauche caviard judéo-intello-parisienne qui prend des taxis et qui bavarde en fumant au lit", ce qui l'avait aussitôt fait accuser d'antisémitisme, or même si cela avait été le cas ce n'était plus un délit d'opinion en France depuis l'été 1997. En fait même en ôtant "judéo" la profession ne l'aurait pas mieux digéré, voire encore moins, car les "goys" se seraient sentis visés aussi. Ce qui était certain, c'était que les "merdes molles" avaient encore moins de public qu'avant au point que même les producteurs "judéo-intello-parisiens" n'osaient plus les financer. Il se tournait toujours des films, mais avec plus de scénario et moins de "minutes molles", sans nécessairement faire un film d'action: un film de "tension" pouvait être réalisé sans moyens techniques importants, si l'équipe savait créer une ambiance capable de tenir le spectateur accroché. Idem pour les comédies, difficiles à écrire et à jouer, mais pas à réaliser, du point de vue technique. VTP ne produisait pas de films de ce genre pour le cinéma (estimant que ça ne méritait pas le grand écran, en matière d' "impact d'image") mais en réalisait plusieurs dizaines par an pour la télévision, en plus de tous ceux faisant partie de séries. La télévision s'avérait d'ailleurs moins vtp-phobe que le milieu cinématographique: VTP avait obtenu trois prix pour la tétralogie "Niebelungen", qui, de fait, n'avait été privée de cinéma (dès sa conception) que parce que cette oeuvre était bien trop longue pour l'utilisation en salle, et que, réduite à deux films de trois heures (ce qui eût été techniquement et scénaristiquement possible) elle aurait imposé deux scéances payantes, car contrairement aux "porte-avions" de Kerfilm (y compris avec suite), le spectateur savait qu'il lui manquerait la moitié de l'oeuvre.
Le 7 janvier (puis le 10) ce fut "Cave canem" qui sortit en salles. Ce n'était pas un grand film rafraîchissant et entraînant comme "Drakkars et dragons", mais une futurologie sinistre dans laquelle le chien retrouvait son instinct naturel de mangeur d'hommes.
Le 9 janvier 2001, la mission spatiale de ravitaillement franco-russe destinée à arriver en juillet 2002 avait été lancée de Kourou.
Stéphane avait une nouvelle mission: directeur de stage d'un stagiaire français envoyé ici ("comme punition?" se demanda Stéphane) pour être ultérieurement son remplaçant, Audry ne souhaitant pas continuer.
C'était un autre Alsacien, mais qui ne ressemblait pas du tout à Audry, à part être aussi blond que lui, voire plus: tendance albinos, plus "platine" que "or clair". Il avait 23 ans, s'appelait Eric Fischer, mesurait 1m94 tout déguingandé, genre étudiant trop vite monté en graine, avec des lunettes survolées et par endroit lèchées par un nuage de cheveux vaporeux: fins et flous, mais nombreux. Il avait des traits un peu trop grands pour son visage (qui était fin sans être frêle), d'où des effets de tension ou de plissé de peau devenant caricaturaux selon les expressions, en particulier autour de la bouche. Eric n'était pas "beau" mais n'évoquait pas non plus le laid: juste quelque chose d'étrange manquant de confort, de fermeté, et surtout de cette froideur finlandaise si répandue ici. Audry, dans son genre, était un "beau gaillard", alors qu'Eric était un grand dadais sans vigueur, qui, en France, avait probablement pour atout d'aspect d'être blond aux yeux bleus (gris-bleu? Stéphane ne chercha pas à l'examiner), notion devenue invisible en Finlande. Son niveau de finnois était meilleur que celui acquis par Audry: c'était certainement la raison de son envoi ici.
Stéphane lui proposa de tout visiter alentours, avec la Trielec, lui montra (sans y aller) les deux piscines géothermiques, la salle de cinéma stéréoscopique accessible gratuitement aux employés de BFRSF et VTPSF, le lac (comme c'était en janvier et qu'Eric semblait maigre, Stéphane lui déconseilla d'imiter sans grandes précautions les villageois qui faisaient trempette dans la piscine glaciaire qu'ils y avaient découpée), et le terrain de rinnepallo, en lui expliquant rapidement les particularités de ce jeu.
E- on croirait une farce genre Intervilles, surtout avec le dé.
S- c'est un vrai sport régional qui s'est développé à partir de 1992, donc ce n'est pas une vieille tradition locale, mais il pourrait en devenir une. C'est moins violent et plus amusant que le rugby.
E- sans crampons, on doit tomber tout le temps.
S- tout l'art est d'arriver à ce que les défenseurs tombent avant.
E- combien de temps met-on à aller en Suède, maintenant qu'il y a le tunnel?
S- en train, deux à trois heures selon les correspondances: il faut d'abord aller jusqu'à Turku, puis passer par les contrôles de sécurité: moins on a de bagages, plus c'est rapide. Le tunnel sous la Baltique est parcouru en 46 minutes.
Eric avait été doté du même équipement de vision virtuelle à suivi de regard, ce qui leur permettait de communiquer à distance dans l'usine en s'envoyant des bouts d'image réelle ou virtuelle pour économiser les mots. Il n'allait que rarement au cinéma, comme la plupart des gens, et s'intéressait surtout aux voitures: il avait donc vu "Christine", "Traction" et "Objectif dunes" (où Erwann n'était pas vu souvent, le film s'intéressant surtout aux voitures), puis récemment "Les miroirs du temps" à la télévision. Stéphane lui sembla plus petit et plus jeune qu'Erwann: ça pouvait venir de la façon de filmer, et il avait entendu dire que les acteurs semblaient souvent moins grands vus en vrai qu'au cinéma, et comme tout le monde, avait tendance à fixer la norme à sa propre hauteur. Un air de famille avec Hillevi de Småprat, groupe dont il était fan, surtout de leurs deux albums ressemblant le plus à du ABBA. Il chercha ensuite s'il pouvait trouver des sosies des Småprat dans l'usine. Pas par la coiffure, en tout cas: aucune fille de l'usine n'avait les cheveux longs, en ce moment, contrairement à quelques garçons: certains plus que Stéphane. Etrange, "mais la Finlande ne ressemble à aucun autre pays, pas même la Suède", l'avait-on averti, en ajoutant "de plus, Juustomeijeri est encore plus finlandais qu'Helsinki ou Tempere". Le pourcentage de filles était faible: il s'attendait à en trouver bien plus, dans l'industrie alimentaire.
La première fois où il avait appris, chez VTP, qu'il aurait à travailler avec Stéphane Dambert il aurait préféré avoir affaire à quelqu'un d'autre, mais finalement, s'était dit que ce n'était pas plus mal: un personnage connu pouvait comprendre qu'il intimidait autrui, donc ne serait pas surpris qu'il fût réservé en sa présence, et il n'y aurait qu'à appliquer avec lui les recommandations faites par BFR au sujet des Finlandais: ne pas parler sans nécessité pratique, utiliser le style impersonnel plutôt que "vous". Il avait toutefois posé la question pour le tunnel, bien que Dambert (intérieurement il ne le désignerait qu'ainsi) n'en eût pas parlé directement, contrairement au "rinnepallo." Il comptait bien visiter la Suède, les week-ends, d'autant plus que le tunnel aboutissait non loin de la ville universitaire d'Uupsalla: quantité de Suédoises, donc sur ce très grand nombre il y en aurait peut-être une souhaitant pratiquer la conversation en français. Il savait qu'ici (ou en Suède) le fait d'être blond aux yeux bleus (ce qui était valorisant, en France) ne signifiait rien, et que, ces paramètres oubliés, il ne lui restait que sa taille comme "plus", le reste ne présentant pas d'intérêt voire (sur certains points) étant nettement en dessous de la moyenne, en particulier ses bras trop fins. Il n'était pas venu ici dans l'espoir de rencontrer une Suédoise (quoique, si l'occasion s'en présentait...) mais pour s'évader d'un contexte familial négatif: un frère cadet et une soeur aînée s'étaient suicidés, de même que leur père puis leur mère. Ca ne s'était pas fait collectivement, mais au fil de ces trois dernières année, pendant ses études d'ingénieur à Centrale Lyon. Ses parents qui étaient viticulteurs avaient laissé plus de dettes que d'actif: il était heureusement possible de refuser une telle succession. Il avait décidé d'apprendre le finnois (langue réputée grammaticalement épouvantable) pour se changer les idées: se bourrer la tête de radicaux de déclinaisons irréguliers (or la plupart l'étaient) évitait de broyer directement du noir. Il avait fait son stage de dernière année (avril, mai, juin 2000) chez BFRD (il avait un excellent niveau en allemand, qui lui avait vallu un 19 au bac) puis avait été embauché chez BFR (à Rennes) où voyant "finnois: lu un peu" dans son CV il avait eu pour mission de l'apprendre intensivement, en vue de remplacer Audry qui ne souhaitait pas continuer l'expérience finlandaise: il disait qu'il s'y ennuyait comme un rat mort et ne s'étonnait pas qu'il y eut de tant de suicides en juin à Juustomeijeri. Pour Audry, les Finlandais espéraient trop de cette belle saison, et, voyant qu'elle ne nettoyait pas leurs préoccupations (pour certains) estimaient inutile de vivre un an de plus. Eric n'avait en rien été informé de cela: tout en travaillant à Rennes sur les nouvelles industrialisations, il avait eu à étudier l'historique des modifications de BFRSF. Les rapports de Stéphane Dambert étaient sobres mais détaillés, accompagnés (il s'agissait de rapports sur supports numériques) de nombreuses vidéo (réelles) et schémas (virtuelles) de ce qui avait été fait et de ce qui restait à faire. Pas de doute: c'était quelqu'un de sérieux et d'efficace dans son travail. Il se doutait que tout serait totalement sérieux (même hors travail), chez BFRSF: il n'y aurait qu'à suivre les instructions, sans émettre d'avis personnel, et tout se déroulerait comme prévu par BFR. Il fut très attentif à tout ce que faisait Dambert dans l'usine, sachant qu'il aurait à reprendre cette fonction seul, en juin. Il évitait de le déranger par des questions sur ce qui n'était que compréhension (et non exécution immédiate): il les notait dans son calepin électronique (monopoignée, qui servait aussi de mouchard de finnois, affichant les réponses dans les lunettes virtuelles, en surimpression semblant flotter dans la vision réelle), puis, lors d'une pause où lors de vérifications simples laissant le temps de penser à autre chose, il les lui transmettait. Stéphane y répondait en y associant des extraits (sélectionnés par le regard) de certaines simulations, d'autant plus qu'Eric veillait à ne pas poser trop de questions. Stéphane devinait que pour lui, tout ceci était nouveau et peut-être passionnant: il ne travaillait chez BFR que depuis six mois, où il avait une tâche "de base", comme tout nouvel ingénieur, après avoir fait un stage chez BFRD qui avait probablement été intéressant.
Nelli chercha à qui d'autre de l'usine Eric pouvait ressembler. Elle trouva: Jaakko (et non Jarkko) Joutila (prononcer "yâkko yo-outila"). Jaakko était aussi grand, aussi myope, un peu moins déguigandé, avait des cheveux plus lisses, d'un blond moins cavernicole, mais un nez légèrement bossu, contrairement à celui d'Eric, et des mains un peu noueuses. A par ça, ce n'était que deux variantes d'un même thème, que Nelli jugeait sans intérêt. Audry était un Kim en moins primitif (et plus jeune), Stéphane un Atte "plus", quoique plus sage d'attitude, Eric un autre Jaakko, avec ceci en moins, cela en plus. Fischer, ça faisait allemand, et non français, comme nom, comme celui d'Audry. Stéphane Dambert était le seul des trois à avoir un patronyme français et des yeux verts, de ce très beau vert des yeux des chats (aidé par infographie en cas de besoin) photographiés sur les boites de nourriture. Elle savait qu'il venait de l'Ouest de son pays, et non de l'Est comme les deux autres. Il y avait donc des Alsaciens fins et des Alsaciens monoblocs, supposa-t-elle. Le premier critère de beauté virile (celui gravé dans l'instinct des femmes depuis la nuit des temps) étant la puissance de la mâchoire, Audry-le-bouledogue-anglais vallait bien plus qu'Eric-le-lévrier. Stéphane était du bon côté de la moyenne, sans faire partie des molosses: ce n'était pas ce paramètre qu'elle avait remarqué en premier chez lui. A partir du moment où la mâchoire était suffisante (sans avoir besoin d'être impressionnante) elle regardait aussi les autres paramètres.
Eric avait lu et entendu bien des choses sur les erreurs à éviter avec une fille: d'abord, jamais de regard insistant, même si avec des lunettes c'était beaucoup moins agressif que les yeux nus. Ensuite, ne jamais faire un geste conduisant à la toucher, tout en espérant qu'elle finît par tenter un contact. Prendre une attitude ressemblant globablement à la sienne mais n'ayant surtout pas l'air de la mimer geste pour geste, car c'eût été perçu comme de la moquerie. Il fallait pouvoir laisser supposer qu'une simple camaraderie serait possible et qu'il n'y aurait rien d'autre -même pas la proposition d'autre chose- si la fille n'était pas demandeuse: "surtout les Nordiques: elles préfèrent décider seules". En fait: ne rien faire ni dire qui eût semblé incongru si Nelli avait été un garçon, tout en étant prêt à accepter de sa part ce qu'il ne souhaitait que d'une fille. Eric trouva un dérivatif: il y avait une grosse théière sphérique en inox sur la table. Vide. Il la prit entre ses mains, la potela, la carressa diversement, lentement, comme s'il s'agissait de gestes machinaux en bavardant. Le métal, d'abord froid, tiédit peu à peu au contact des mains: il reconnaissait thermiquement les parties qu'il avait déjà les plus touchées. L'objet lui semblait se laisser apprivoiser, même si en tant qu'ingénieur il savait que ce n'était qu'une histoire de conduction et d'inertie thermique. Nelli pouvait ainsi, si elle le souhaitait, s'imaginer à la place de la théïère, ou n'y accorder aucune importance.
Nelli- si on faisait du thé?
Nelli lui demanda (une fois l'eau bouillante versée) si l'opération de la myopie était dangereuse ou douloureuse: elle savait qu'en France c'était remboursé (en échange de l'inscription dans le fichier des tares génétiques, pour qu'il n'y eût pas dissimulation de tare transmissible en cas de rencontre pour reproduction) mais Eric était toujours précédé et lesté de verres paraissant pouvoir arrêter des balles de Kalashnikov. Eric prépara son texte avec le mouchard, puis:
Eric- ça peut dans certains cas avoir des suites tellement douloureuses qu'il n'y a comme solution que de devenir drogué à la morphine ou de se suicider. C'est un risque, ça dépend du taux d'inervation. Les gens qui ne supportent pas les lentilles doivent éviter l'opération. De plus il est dangereux de tenter d'opérer des myopies plus fortes que "moins cinq".
Eric ne lui dit pas que c'était ce qui était arrivé à sa soeur aînée, dont la coquetterie avait abouti à une souffrance post-opératoire telle (et semblant partie pour durer à vie) qu'elle était allée se faire supprimer.
L'accès facile au suicide en France était à l'origine d'une désinhibition vis-à-vis de la chirurgie esthétique: "après tout, en cas de ratage, je pourrais toujours me suicider ou obtenir l'euthanasie si je n'en suis plus capable seul, alors autant tenter ça avant".
En janvier 2001, VTPSF tournait un grand film de guerre futuriste (futur proche) dérivé de la série "Commando 22", ce qui n'était pas ruineux (tout était déjà rôdé et amorti pour la série) tout en permettant à la Finlande (car c'étaient un scénario et une réalisation locales, tournée en finnois, bien que produits par une filiale de VTP) de présenter un gros film d'action "à l'Américaine" sur le marché international, après "Drakkars et dragons" qui était considéré comme franco-finnois car avec scénario, réalisation et production VTP, tourné en Finlande, en finnois avec beaucoup de Finlandais... Sauf dans les rôles principaux où l'on remprochait quelque peu à la production française d'avoir préféré ses Suédois et Danois maison, sous prétexte qu'ils avaient plus d'entraînement aux scènes d'action.
Le thème de la bataille pour les tests de résistance immunitaire génétique et pour des cultures de traitements restait le "fil rouge" de ce film, justifiant que les Russes n'utilisent pas d'armes de destruction massive et doivent s'engager dans de la guérilla urbaine pour tenter de s'en emparer. VTPSF avait extrait de la série les idées rendant le mieux à l'écran, soutenant l'intensité et les renversements de situations. Même procédé que pour extraire "Sartilvar" de la longue série Kirot, sauf que cette fois on gardait le même décor et à peu près la même distribution. Contrairement à une série télévisée dans laquelle on avait tout le temps de présenter les personnages un par un, de suivre leur recrutement, etc, ici on était immédiatement dans le bain, quatre hélicoptères Kamov 50 "Black Shark" surgissant de derrière les immeubles dans le soleil couchant avec la musique d'Alexandre Nievsky. Dans la série, il fallait "en garder sous le coude" pour les nombreux épisodes suivants. Ici, il fallait tout faire rentrer dans trois heures générique final inclus, donc en fait 2h58. Format 16/9, beaucoup plus de temps de traitement infographique par minute de film, alors que dans la série pour avoir les épisodes assez vite on n'avait pas pu raffiner autant. Ceci permettait plus de vues de survol en hélicoptères du faux Tempere ravagé, plans très gloutons en synthèse réaliste, d'autant plus que comme d'habitude chez VTP(SF) on n'abusait pas de la fumée et des flammes pour cacher à peu de frais un décor simplifié. Les hélicoptères préféraient voler bas entre les constructions pour être repérés le plus tard possible, de sorte que dans ce cas il n'y avait pas à synthétiser tout le paysage urbain, mais juste quelques perspectives "balayantes" entre les constructions propres. Ceci parce que c'était aussi filmé du point de vue russe (environ 1/4 du temps), ce qui n'était pas le cas dans la série télévisée où l'on n'avaient de vue d'en haut qu'en montant dans les constructions, or ce n'était pas une ville de gratte-ciels.
Les gens qui connaissaient la série (achevée fin 2000 et qui n'était pas encore entièrement diffusée. Elle le serait avant la sortie en salle du film) découvriraient une réalisation plus "puissante", plus ouverte (grâce à la puissance de synthèse mise en jeu pour "seulement" 2h58 à l'image) et qui n'était pas un résumé de la série: c'en était une variante, avec une fin différente. Restait à trouver un titre, ce qui n'était pas encore fait, mais VTPSF en aurait le temps pendant les phases "lourdes" de post-production courant mars. Atte (revenu en Finlande pour ce tournage, ainsi que des rôles provisoires dans plusieurs séries dont "Lobosibirsk") y avait un petit rôle de pillard-charognard découpant des cadavres pour revendre de la charcuterie (préparée par ses acolytes) aux troupes russes, clin d'oeil à son grand rôle international dans "Viande urbaine". VTPSF tournait avec ses propres moyens techniques (à part l'infographique "lourde" sous-traitée chez VTP, en pré et post-production), ses scénaristes (ceux de la série), ses réalisateurs (qui avaient pu les uns comme les autres faire ce qu'ils n'avaient pas eu les moyens de faire dans la série, ou avaient dû diluer sur N épisodes pour ne pas brûler trop vite le stock d'idées et de nouveaux effets visuels) et ses acteurs "locaux": seul Atte était un habitué de chez VTP et il n'avait pas un des rôles principaux. Le scénario en image virtuelles simplifiées avait été mis au point et maintes fois modifié pendant le tournage de la série. Il y avait une crainte, chez VTPSF: que VTP reprît à son compte, avec ses propres acteurs, le concept pour en faire un concentré optimisé spectaculaire "débarassé" de l'ambiance trop finlandaise (surtout les acteurs) pour être plus facile à exporter, comme ça avait été le cas pour Sartivlar après Noitankeinot. Certains avaient répondu que l'attaque et l'occupation par l'Armée Rouge en France ne serait pas crédible: "ils ont l'arme atomique, eux, donc il n'y aurait aucun survivant", donc que "Commando 22" n'y serait pas transposé. Oui, mais dans un autre pays?
Audry avait été envoyé au Québec, chez BFRQ, où les nouvelles machines étaient arrivées par containers sur bateaux quelques jours avant le spécialiste envoyé par BFR. Il n'y avait pas que l'argument du coût, mais aussi celui de la diététique, sur un marché où le surpoids sévissait massivement. La déprime liée à la dépression économique avait conduit à beaucoup d'Américains à se réfugier dans la nourriture, et de préférence dans la "malbouffe". Il y avait un marché potentiel énorme pour remplacer ceci par quelque chose qui y ressemblât (hamburgers, pizzas...) mais qui soit à la fois moins cher et plus diététique. Ce fut le hamburger que BFRQ se vit désigner comme objectif. La production serait d'abord écoulée sur le marché canadien, puis quand la pleine capacité serait atteinte, il y aurait exportation aux Etats-Unis, ce qui était bien plus facile depuis le Canada que depuis l'Europe, pour raison de protectionnisme règlementaire. De plus, le produit ne contiendrait aucune chair animale, tout en en donnant l'illusion, ce qui simplifierait les formalités sanitaires. Les hamburgers seraient destinés à être mis au micro-onde deux minutes (pour un four de 900W restitués), leur composition étant étudiée, de plus, pour conserver du croustillant au pain (BFRQ ne lancerait la version non croustillante qu'en cas d'insuccès de la première, que BFR estimait avoir un pouvoir de conquête de marché plus élevé), la "viande" à point, les légumes (création à base de protéïne végétale), avec divers saveurs et simulation de condiments. Il y en aurait de diverses tailles, avec des indications de cuisson différentes.
Chez BFRQ ce fut l'escalope de dinde qui fut obtenue la première reprenant le générateur de matrices de fibres "à farcir" du canard artificiel, elle semblait déjà avoir été passée à la poële, alors qu'il suffisait de la mettre une à deux minutes (selon la puissance du four) au micro-onde pour l'obtenir chaude et rissolante (mais sans gras superflu) à souhait. On pouvait aussi la manger froide (c'était déjà "cuit", de toute façon), le goût étant meilleur que de la vraie dinde froide. Une variante de cette production était conçue pour passer vite à la poële (anti-adhésive recommandée) recto-verso, sans dégager d'odeur de friture mais juste du résultat en assiette d'une telle cuisson.
Stéphane devait s'entraîner pour "0016: l'alliage désentropique" (où Igor revenait encore, cette fois acheté par l'organisation de Zhao pour le retourner contre la mafia de l'Est, qu'il n'hésitait pas à trahir pour un bon paquet de yens) et "Troglodia 2", tout en continuant à travailler des scènes d'action du "Crépuscule de Rome" dont le scénario était maintenant définitif, les ordinateurs continuant de présynthétiser tout ce qui ne serait pas en interaction avec les personnages réels. VTP avait envoyé des robots porteurs de caméras faire des relevés tridimensionnels de l'intérieur de l'usine Renault de l'île Seguin, fermée et à l'abandon. Ce bâtiment immense serait l'un des lieux de tournage de "Cyberlander". Ne sachant pas s'ils auraient l'autorisation d'y tourner des scènes en vrai, les gens de VTP commençaient, sans avoir demandé la moindre autorisation, par cet espionnage télécommandé. Si l'usine pouvait être reconstituée en virtuel, sans avoir l'air neuve, il ne serait pas nécessaire d'aller y tourner pour de vrai.
En allant à la piscine fraîche aux heures creuses, Stéphane pouvait continuer l'entraînement avec la monopalme. Il avait acheté, pour quand ça deviendrait nécessaire, un bonnet de bain ressemblant à un casque à pointe. La pointe, creuse et molle, faisait illusion tant qu'on ne la touchait pas. Il avait déjà vu sur une tête dans l'eau le modèle "Lobosibirsk" à cervelle apparente, le gauffrage accentuant l'impression de relief dû à l'ombrage des circonvolutions. Pour le moment il n'en avait pas encore besoin dans la piscine fraîche, surtout aux heures matinales où il s'y rendait. Il y rencontra Leo, équipé du même jeu de palmes. Après la piscine, ils discutèrent de la mission de ravitaillement vers Mars pendant un bon quart d'heure.
Rentré à la maison, Stéphane regarda (avec les lunettes virtuelles, pour bénéficier l'équivalent d'une stéréoscopie grand écran) un épisode enregistré de Lobosibirsk, allongé sur le "lit de sieste" avec Gorak blotti contre lui.
En février, Stéphane fut envoyé en Allemagne avec Oskari. Pour raisons diplomatiques (vis à vis des ouvriers comme des clients) BFR avait décidé d'implanter certaines des nouvelles productions de chair synthétique dans ces deux pays aussi, au lieu d'ajouter tous ces équipements uniquement chez BFR44. Oskari bénéficait du même équipement virtuel, ayant donné très vite satisfaction avec, dans les tests, comme Stéphane s'y attendait. L'allemand était la langue étrangère dans laquelle Oskari se débrouillait correctement, à part le suédois dont la grammaire était bien plus accessible. Hors des horaires de travail, Oskari joua avec lui à quantité de jeux vidéo à immersion totale via cet équipement. Il était redoutable dans tous les jeux de tir et de pilotage, et faute de simulateur-capteur de mouvements Stéphane ne pouvait pas prendre sa revanche aux jeux d'épée, hache, sabre laser ou tronçonneuse, car quand il s'agissait de le faire rien qu'avec le regard et quelques boutons, ce mordu de jeux vidéo y était bien plus à l'aise. Ce fut avec le jeu de tir virtuel en site réel que Stéphane retrouva un léger avantage, le système analysant le terrain, puis y suivant les déplacements physiques réels des joueurs, qui continuaient à avoir la vision réelle (contraitement aux jeux "hors site" où l'on utilisait le cache). La mitraillette (ou fusil laser, ou arbalète, peu importe), accessoire AK acheté par Stéphane et Oskari en complément, avait ses propres capteurs d'orientation et aussi le repérage gonio du transpondeur fixé sur l'autre joueur: il fallait viser en vrai, et en compensant la déviation verticale du tir (effet parabolique), surtout quand le jeu y virtualisait (sur l'objet réellement tenu) une arbalète ou un lance-grenade.
Ils purent ainsi faire des jeux de traque et d'assaut dans un terrain mouvementé et partiellement arboré proche de l'usine, Stéphane y ayant l'avantage en agilité et en accélérations, tandis que l'efficacité d'Oskari dans les jeux de tirs compensait en partie cela. Bien que souple et léger, Oskari n'avait pas la même aisance de déplacement, n'étant pas sportif, en dehors des escaliers des coursives de l'usine pour aller parfois vérifier certains faisceaux et borniers électrique quand Mika n'était pas là pour le faire. L'un et l'autre trouvèrent cette version plus amusante que les jeux "de fauteuil" totalement simulés: "il faudrait au moins que le siège soit sur verrins asservis", avait dit Stéphane.
Le personnel technique de BFRD fut d'une efficacité toute germanique dans l'exécution des instructions d'installation qu'ils leur donnèrent et montrèrent sous forme d'extraits télétransmis vers les divers écrans servant de manuels de maintenance à proximité des travaux.
Oskari alla souvent jouer au bowling, ou à la patinoire, localement, et aussi à Münich. Il semblait beaucoup apprécier l'Allemagne et les Allemandes ne semblaient pas l'ignorer, dont une certaine Katrina, jeune fille d'un blond-roux flamboyant (plus roux que blond, même) lèchant les épaules, aux yeux vert clair, avec un air sympathique.
La production de fausse entrecôte démarra mardi matin, peu après celle du Saumonix car il y avait assez de personnel "réquisitionnable" dans cette usine pour avoir mené les deux installations simultanément.
Le blanc de dinde synthétique démarra jeudi matin, mais Oskari n'avait pas le moral à participer à joie de ses camarades de travail: Katrina l'avait "plaqué", apprit Stéphane qui ne l'avait pas rencontré la veille après le travail et qui trouva un dérivatif: il utilisa les photos et vidéo numériques de Katrina qu'Oskari avait faites, et grâce au logiciel de modelage de personnages issu de chez VTP synthétisa une Katrina suffisamment crédible, qui apparut dans les lunettes virtuelles d'Oskari à la place de lui (Stéphane) dans le jeu de simuation de tir, où le paysage réel (donc l'adversaire réel) n'étaient qu'en filigramme de fond (moyennant un filte assombrissant), la synthèse réhabillant tout ça (par exemple pour qu'un tank imaginaire, mais vu bien "matériel" surgisse de derrière une levée de terre). Oskari s'avéra bien plus résistant à la fatigue quand il traquait et tentait de descendre "Katrina" que quand ce n'était que Stéphane.
Mais une fois rentré, Oskari se remit à broyer du noir.
S- il doit y avoir ici plein d'autres Katrina qui pourraient s'intéresser à toi, mais à condition que tu ais l'air détendu et souriant du vrai Oskari. Si tu fait une mine d'élève puni, ça ne marchera pas. Allez, souris! C'est un de tes atouts principaux, le sourire oskarien.
O- quand je ne le fais pas exprès.
S- alors je peux te chatouiller
Ce qu'il fit aussitôt. Il trouvait Oskari amusant, et puisqu'il avait l'occasion de s'amuser avec, autant essayer ça pour lui redonner une attitude plus "oskarienne". Stéphane n'avait jamais eu de petit frère pour faire des batailles de polochons ou jouer à chat. Ils étaient encore jeunes et il n'avait aucune intention de finir le séjour avec un Oskari dépressif. Il l'attrappa, l'immobilisa diversement (sans brutalité), le re-chatouilla, le laissa s'échapper, le traqua dans l'appartement, le ré-immobilisa, le re-chatouilla jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus de rire, au point que sans le toucher, dire "guili-guili" suffisait à le refaire rire, puis le laissa reprendre son souffle.
Puis il mirent chacun leur équipement, Stéphane rentrant dans son studio pour pouvoir jouer allongé dans son lit (faire du jeu vidéo au lit, sans être assis sur le lit devant un écran, était pour lui un délice "décadence romaine" qu'il appréciait) et firent une bataille spatiale: Stéphane fit de son mieux mais savait qu'Oskari était meilleur donc qu'il gagnerait. Ils pouvaient paramétrer le jeu pour diminuer légèrement la maniabilité ou la cadence de tir d'un des vaisseaux, pour rééquibrer, et trouvèrent un règlage dans lequel Stéphane ne perdait plus tout les combats, mais environ 50%: gagner trop facilement n'était pas le but d'Oskari, car ce n'était pas ainsi qu'il progresserait: mieux vallait alors jouer contre le logiciel, qui, lui, pouvait adapter sa difficulté à ce qu'il réussissait à faire. Combattre contre un joueur réel restait plus satisfaisant, même pour un virtualophile comme Oskari: le logiciel ne serait jamais déçu de perdre, lui, et, de plus, Oskari savait que le programme aurait pu l'écraser facilement: il faisait exprès de ne pas piloter ni tirer plus précisement qu'un joueur humain. Il passèrent ensuite aux avions de la guerre de 14-18, avec mitrailleuse synchronisée aux pales de l'hélice, dont on voyait les douilles sauter au fur à mesure, ce qui était plus consistant que la bataille spatiale, de même que les variations de régimes des moteurs, de temps en temps les ratés et cafouillages, de même que les claquements de l'entoilage quand les ailes commençaient à prendre du jeu à cause de tirs ayant rompu des haubans. Stéphane prévint à 22h20 Oskari qu'à partir de maintenant il devrait continuer contre le logiciel, s'il n'avait pas sommeil, car lui, il préférait maintenant dormir.
Ce fut au cours du mois de février que les naissances issues d'embryons suédois (dont certaines via des vaches porteuses) commencèrent en France. Le coût élevé, en raison des listes d'attentes, réservait cette pratique à la bourgeoisie, où à des gens moins aisés s'étant beaucoup serrés la ceinture pour cela, en plus de la TPA à payer pour tout nouvel habitant, qu'il fût "de souche" ou non. Ce coût allait baisser (tout en restant important) grâce à l'homologation de bien plus de souches bouturables, en Suède, suite à la naissance des enfants (en Suède) issus des premières implantations, qui, une fois examinés par des spécialistes, donnait le feu vert ou non pour la commercialisation d'autres boutures. Outre la France et la Hollande, il y avait la Suède elle-même, comme cliente: nombre de Suédois souhaitaient avoir un enfant (en particulier si c'était une fille) digne de la réputation de leur pays, or depuis l'abandon des lois eugénistes (dans les années 60) une partie de l'éthnie avait dégénérée: on voyait de jeunes Suédoises pas vraiment blondes, ou à lunettes, ou aux jambes un peu courtes, ainsi que des vingtenaires Suédois au front dégarni, voire de moins d'1m80 ou avec une dentition "à l'anglaise", même s'il restait beaucoup de beaux specimens comme les Småprat, Torbjörn ou Knut. "Dans vingt ans, les étudiants européens iront assouvir leurs phantasmes en France, et non en Suède, si on n'autorise pas ce commerce en interne aussi". Le gouvernement suédois pouvait difficilement justifier d'avoir autorisé l'exportation d'embryons sur catalogue sans en permettre la vente en Suède. Ca avait donc été le cas dès l'automne 2000. Initialement, le but était d'améliorer la balance commerciale, d'où priorité à l'exportation, sachant que l'offre ne pourrait fournir la demande. Beaucoup d'Américaines faisaient le voyage, malgré la chute du dollar et la débâcle du secteur des "hautes technologies" dans ce pays aussi. L'engouement de VTP pour les acteurs et actrices finlandais avait fait réfléchir ce gouvernement à une mesure similaire: exporter des embryons finnois élaborés via un eugénisme rigoureux. L'invasion de contrefaçons d'Europe de l'Est évoquée dans "0016: embryons suédois" n'avait pas encore eu lieu, mais cette nouvelle industrie avait déjà donné lieu à quelques trafics de ce genre, en particulier en Ukraine.
14 février: sept mois de géologie martienne itinérante pour Henri Bertillon. Quelques petites défaillances d'équipements scientifiques mais rien de vital. Le convoi de ravitaillement était en route. Il se fragmenterait en trois atterrisseurs, apportant chacun de quoi tenir un an: il ne serait donc pas fatal d'en perdre un lors de l'ammarsissage, mais en perdre deux réduirait l'espérance de vie du marsonaute à un an, après l'été 2002. Des cultures bactériennes censées refabriquer des protéïnes (les glucides et lipides étant bien plus simples à réobtenir par chimie classique, près électroréduction des produits de base) avaient été envoyées avec Bertillon, mais le rendement de production de ces cultures expérimentales s'était avéré insuffisant sur Mars: manque de pesanteur donc manque de pression dans le liquide nourrissier? Mettre le récipient sous pression n'avait pas résolu le problème. Ca pouvait donc être le gradiant de gravité. Le recréer par centrifugation était théoriquement possible, mais là non plus les résultats (sur de petites quantités) n'avaient pas montré de progrès.
Samedi 17 février, Oskari présenta à Stéphane Birgitta, une grande fille (1m84) châtain cuivré tressé, yeux gris clair, nez délicieusement retroussé, bouche large dont les lèvres avaient un dessin léger et élégant. Birgitta fut tout de suite attentive à la présence de Stéphane.
La semaine suivante fut consacrée à finir l'installation du Kanardix: l'Allemagne était le plus gros marché d'Europe et la croissance de l'intérêt du public (après une période de méfiance) pour les chairs synthétiques BFR faisait que les autres usines n'avaient plus de quoi exporter pour toute l'Europe. L'installation de copies des lignes de production françaises chez BFRD était donc logique et rentable.
Samedi 24 février 2001, Oskari avait "perdu" Birgitta, mais ça le dérangeait moins que pour Katrina: il estimait que ça pourrait remarcher avec une autre. Il avoua à Stéphane:
O- ici les filles sont moins difficiles qu'en Finlande. J'avais déjà un peu deviné ça la dernière fois mais j'étais trop timide, je n'avais pas osé entrer en communication.
Dimanche, Oskari avait retrouvé une autre copine allemande: Agnetta (prénom suédois, remarqua Stéphane), petite (1m62), ronde, d'un blond "jaune d'oeuf", cheveux très longs, yeux verts, et quelque chose rappelant Nelli dans l'expression. Stéphane devinait qu'Oskari pouvait facilement plaire aux filles ne cherchant pas un clône de Kare, mais qu'ensuite à être surtout le nez dans les jeux vidéo il pouvait les lasser, si elles ne partageaient pas la même passion. Or Agnetta aimait se prendre pour le Baron Rouge en virtuel, et possédait l'ancienne version (devenue moins chère, donc plus "grand public") des lunettes virtuelles AK.
BFRD reprenait aussi la production des fausses rillettes, conditionnées sans saindou (inutile, pour ce produit qui n'était pas bactériennement vulnérable: encore moins qu'un fromage à pâte cuite) comportant quelques beaux morceaux fibreux savoureux et se tartinant de façon réaliste. Ce marché friand de charcuteries de toutes sortes, d'où un surpoids fréquent, était un bon test. Si jamais les Allemands n'en achetaient pas assez, la production serait exportée dans d'autres pays, le prix de reviens étant cinq fois inférieur à celui des moins bonnes rillettes d'hypermarché, car on n'y mettait pas que de la fibre de synthèse: il y avait aussi les composantes plus pâteuses des rillettes, elles aussi mélange de protéïnes végétales et d'autres issues de cultures de levures et d'algues microscopiques poussant dans de l'eau entre des vitres. Les "pâtés" seraient encore plus faciles à simuler, de même que les saucisses. Toutefois pour les saucisses, le processus à base de poisson restait compétitif car il se contentait de bien moins d'invertissements. De plus ces investissements n'étaient même pas à faire puisque l'installation qui produisait les saucisses de porc pouvait aussi faire celles de poisson à arôme reconverti. La saucisse sèche, par contre, produite directement sous cette forme, s'avérait rentable au poids, car consommant bien plus de matière première (dans la version "animale naturelle") au kilo que la charcuterie humide.
La charcuterie marine produite par BFRD (c'était une des modifications introduites par Oskari lors de sa mission précédente) avait, outre l'argument diététique, du succès auprès des Musulmans, en particulier les Turcs vivant en Allemagne. C'était moins lourd et anti-diététique que les merguez.
Oskari resta en Allemagne jusque fin mars pour organiser les tests gustatifs, les nouveaux règlages qui en découlaient et installer une deuxième ligne de production de Saumonix, le marché la justifiant (voire bientôt une troisième). Stéphane revint en Finlande le samedi 3 mars, tandis qu'Audry faisait des industrialisations de même nature chez BFRDK.
Eric avait trouvé cette première expérience finlandaise (sans Stéphane, en février) techniquement intéressante mais psychologiquement glaciale: pays froid, habitants encore plus froids, absence totale d'humour (selon ce qu'il avait pu percevoir) et de communciation, sauf strictement fonctionnelle. De ce fait il avait travaillé "comme un Allemand", n'ayant aucune source de distraction sur le lieu de travail (les Finlandaises, il s'y était plus vite habitué qu'il ne l'aurait cru: ce n'étaient que des images virtuelles sur papier glacé), tout en jouant au jeux vidéo dans la maisonnette de fonction, après avoir vu sur grand écran chez VTPSF tout ce qu'il y avait à voir comme films stéréoscopiques "Kerfilm", avec ou sans Erwann d'Ambert. Ce fut "Drakkars et dragons" qui l'enthousiasma le plus (il n'était pas le seul), sans savoir d'avance qu'il avait été tourné en Finlande: c'était indiqué dans le générique, donc à la fin. Il n'y avait que le minimum de mentions légales, et le titre, au début, comme toujours chez VTP. Le film qui l'impressionna le plus fut "les giboyeuses": malgré son aspect fictif (par rapport à Cave Canem où les prédateurs de l'espèce humaines étaient des chiens) ce film lui avait donné un sentiment d'angoisse inexorable qui faisait qu'il ne l'oublierait pas de sitôt.
Après le travail, il continuait à s'entraîner à lire, écrire et parler finnois, sur logiciel interactif à niveau auto-adaptatif. Pour les autres usines, BFR avait divers superviseurs de travaux et remplaçants possibles.
L'une des nouveautés du groupe BFR pour 2001 était le démarrage d'une centrale géothermique en Lituanie (qui n'était pas le pays voisin de la Finlande, mais le plus au sud des trois pays baltes) accompagnée d'une usine alimentaire recyclant certaines anciennes productions de BFRD, BFRDK ou BFRSF ayant fait place à de nouveaux équipements. Nikolaï et Ville (parmi les cadres techniques) avaient rejoint Kare là-bas, ainsi qu'une quarantaine d'ouvriers finlandais de BFRSF qui avaient appris cet hiver le minimum vital de lituanien.
Restaient donc Niko, Leo, Saku, Nelli et Mika (à temps partiel, en alternance avec VTPSF) qui remplaçait Oskari à la centrale géothermique. Le remplaçant de Kare s'appelait Veeti (ne pas confondre avec Vertti), 28 ans, 1m88. Stéphane le connaissait de vue, à cause de sa coiffure "carré froissé", rare ici. Moins rare à Helsinki, mais l'usine n'était pas à Helsinki. On pouvait simuler ça statiquement, mais pas l'animer de façon réaliste. Un garçon au visage paisiblement carré et qui était un peu au dessus de son poids (ce n'était pas rare ici), tout en étant sportif, puisqu'il était foobtalleur amateur tous les week-ends dans une localité située deux lacs plus loin, où l'on pouvait maintenant aller bien plus facilement et rapidement en toute saison grâce au train de banlieue.
Stéphane continuait les industrialisations de nouvelles "chairs artificielles" avec l'équipe habituelle (comportant Elina et Kim) et des emprunts à d'autres secteurs, selon disponibilités. BFRSF avait perdu du personnel au profit de la Lituanie, mais il en restait bien assez, vu les progrès constants de l'automatisation, y compris pour la maintenance "préventive" (usure prévisible avant panne) et en partie curative (panne). Stéphane savait que l'on arriverait un jour aux usines capables non seulement de fonctionner toutes seules (c'était déjà le cas depuis longtemps) mais aussi de s'entretenir, se réparer en cas de besoin, et de se mettre à jour des nouvelles techniques toutes seules, en passant des appels d'offres à des prestataires de services pour ce que sa robotique ne saurait pas encore faire elle-même. Il faudrait aussi une collection de robots différents de sorte qu'une partie de l'équipe soit capable de réparer n'importe lequel, et qu'aucun ne soit indispensable pour constituer une telle équipe d'auto-maintenance. En pratique, on en était encore loin, terriblement loin: des petites mesquineries toutes bêtes de la réalité, par rapport à sa modélisabilité par les systèmes de perception d'un système robotisé, prendraient en défaut, ici ou là, un tel projet. Ca pourrait marcher dans de nombreux cas, mais tôt ou tard un cas imprévu (pour une cause triviale qu'un enfant de dix ans résoudrait) prendrait cette brillante équipe à l'improviste et la laisserait sans solution, car tant que ce seraient des humains qui concevraient les robots, ces humains seraient intellectuellement incapables de penser à tout: le cerveau humain n'était déjà pas capable d'envisager autant de conséquences d'un coup, aux échecs, qu'un ordinateur, alors dans un domaine bien plus complexe et flou qu'un échiquier, il fonctionnait essentiellement au "pif", en laissant d'immense impasses sans même en être conscient. Il faudrait donc au moins un superviseur humain pour venir boucher de temps à autres ces petits trous de compétences artificielles, car leurs domaines d'incompétences ne seraient pas les mêmes. La machine n'oubliait rien, travaillant sans aucun à-priori, donc commettait incomparablement moins d'erreurs et omissions que le plus génial des humains, mais "inventait" rarement là où on ne lui avait pas explicitement appris à le faire. Les travaux sur les logiciels à auto-apprentissage restaient confinés à des domaines très étroits, sans rapport avec l'immersion dans une situation réelle "générale". Leo pensait que le cerveau humain ne pourrait jamais créer d'intelligence artificielle car il n'était pas assez intelligent pour ça. Seul un système d'intelligence artificielle en eût été capable, ce qui était le problème de la poule et de l'oeuf, "à moins que ça se fasse tout seul suite à un bogue dans un programme qui n'était pas spécialement prévu pour ça. C'est bien comme ça que l'évolution a fini par nous différencier des primates ordinaires: des petits bogues ça et là, presque tous perdants, mais sur le très grand nombre d'individus pendant des millions d'années, il y en a aussi eu de positifs et ceux-ci, légèrement plus malins, ont pu supplanter les autres".
"Résistance virale" sortit urbi et orbi, en 22 langues, le 21 mars 2001. Tout en faisant un score "rentable" (parce que réutilisant le matériel et le savoir-faire acquis au cours de la série, il n'avait pas coûté cher, malgré le spectaculaire du résultat), ce ne fut pas le succès massif escompté par VTPSF (donc aussi VTP): la série avait très bien marché en Finlande mais le thème qui évoquait plus la période soviétique que l'ère actuelle ou le futur proche avait été critiqué. Ce n'était pas avec ça que VTPSF allait battre les records de "Drakkars et dragons", même à domicile, car nombre de gens craignaient que ce ne fût qu'un "best-of" de la série télévisée (gratuite, elle).
Les amateurs de films d'action (en général) et de guerrilla urbaine (en particulier) en disaient plus de bien, car outre l'action elle-même et la façon de filmer, il y avait du matériel russe dernier cri, dont l'équipement léger de visée virtuelle (commercialisé "au civil" mais encore cher) et surtout ces hélicoptères Ka-50 "black shark" à rotors superposés que ce film mettait en oeuvre fidèlement (sauf l'armement: des mitrailleuses à canons rotatifs de part et d'autre du fuselage faisaient plus "canardeur", d'où ce choix) et fréquemment à l'écran. Certains pensaient qu'il s'agissait d'une création futuriste pour le film, mais les mieux informés confirmèrent que ça existait en vrai.
VTP finit par proposer à des chaînes de télévision "Le brodequin", tourné en juillet 1999 mais partiellement "resynthétisé" entretemps pour mettre plus en valeur l'usine de chaussures et sacs à main. "Le brodequin" avait déjà été tourné en stéréoscopie, comme toutes les productions VTP, mais manquait d'ampleur de perspectives. Les modifications faites entretemps dans la post-production (sans rejouer les scènes tournées avec personnages réels) rendait le tout plus esthétique: on comprenait mieux l'attachement des employés à cette petite entreprise, et pas uniquement pour les emplois. VTP avait apprit à rendre une usine intéressante à l'écran, avec Kergatoëc (qui n'existait pas plus que "Le brodequin"). Les moyens utilisés dans la remouture du "Brodequin" furent moins ambitieux, mais suffisaient à donner une autre allure.
Certains estimèrent que c'était une erreur: "Le brodequin" y perdait en "sordide et désespéré". VTP estimait que l'intérêt du spectateur passait en premier. Ils étaient satisfaits du titre, qui tout en étant le nom de l'usine évoquait aussi l'instrument de torture moyennageux, sauf qu'ici on broyait le moral ("destabilisation phychologique") et non les pieds. La longueur du téléfilm n'augmentait que de dix minutes, via ses prises de vues industrielles ajoutées: 2h40 au lieu de 2h30 dans la version initiale. La bataille juridique finale pour tenter de sauver la tête de Gisèle était conservée telle que.
"César et les Vénètes" sortit le 1er puis le 4 avril 2001. VTP savait que ça ne marcherait pas aussi bien que "Drakkars et dragons", le sujet étant moins connu, mais que ceux qui voulaient une nouvelle dose de batailles navales antiques à grand spectacle iraient le voir. Il y aurait des acteurs de "l'Iliade", de "l'Odyssée" et aussi de "Drakkars et dragons". Des éperonnages, des abordages, de belles batailles au glaive, à la hache, à l'arc et à la lance. Il restait encore "Le drakkar fantôme" en cours de post-production, dont la sortie n'était pas une urgence: trop près de "César et les Vénètes" cela aurait pu ôter des spectateurs à celui-ci. Certains spectateurs s'attendaient à un combat entre Vittorio (ex-Ulysse) et Erwann (ex-Harald). En fait, non: le Romain et le Vénète étaient tués séparément, lors de la derrière bataille qui était une victoire romaine. Ils ne s'étaient jamais affrontés ni même parlé, au cours du film: "trop prévisible", avait estimé VTP.
Stéphane s'était remis à nager dans le lac, avec la combinaison, accompagné par Mika équipé de même: la mode de la monopalme commençait à se répandre, son aptitude à faire travailler les abdominaux y aidant: nombre de Finlandais voulaient être montrables sur les rives ou les plages pour cet été, après les excès de l'hiver. Les publicités pour les bancs de musculation personnels et les appareils d'électrostimulation abdominale abondaient, tandis que les ventes de produits BFR sans graisses animales continuaient de progresser à un rythme élevé. Mika n'avait pas ce problème, mais avait fini par estimer que c'était un exercice plus intéressant que les pompes. Il restait peu bavard, contrairement à ses premières conversations de demi-frère: le caractère finlandais avait vite repris le dessus, tout en participant à diverses activités avec Stéphane, dont les entraînements pour certains films où VTP l'utiliserait aussi.
Erwann joua dans un film purement finlandais (de scénario aussi) intitulé "Torx", dont le personnage principal était joué par Atte, coiffé au carré avec des mèches de couleurs vives. Pas de fantaisie chez Erwann, de style simplement "HF", coiffure "yuka" pour le batteur, Mikko, joué par Jesse, un acteur vaguement karéen (juste vaguement) de VTPSF. Cela décrivait la spirale "alcool, fric et drogues" conduisant un groupe de "glitter rock" (la musique évoquait celle de Sparks et d'OMD, selon les chansons, morceaux élaborés par Millénium pour ce film, en vue de lancer l'album ensuite) à commettre des hold-up et des enlèvements. Torx était le nom du groupe, donc le chanteur Riku était quelque peu inspiré par Kurt Cobain et Michael Hutchense, tout en ayant sa propre personnalité issue du scénario.
Nelli- Atte dans un rôle d'alcoolique, ça n'a pas dû lui demander beaucoup d'efforts.
Stéphane- il ne s'est jamais drogué: VTP l'aurait détecté, via les analyses obligatoires. Le "pastis russe" lui suffisait.
Le film faisait la part belle au "tuning" (sur de gros coupés japonais comme la Nissan Skyline) et au "drift" sur lacs gelés, ce qui avait l'avantage de ne pas user les pneus. Ces scènes avaient été tournées en février, la présence des vrais acteurs étant inutile pour ces démontrations automobiles. Bricolage de roquettes guidées par le faisceau des radars routiers pour les anéantir, bidouilles électroniques et informatiques pour provoquer des alertes éloignant les forces de police du vrai lieu du braquage, le tout derrière beaucoup d'action (dont des fusillades à la Kalashnikov: l'ex-URSS et ses trafics innombrables n'étaient pas loin), de poursuites spectaculaires (répétitions pour "Groupe B"?) et de musique.
On voyait Riku (Atte) absorber toutes sortes de produits, sauf ceux à fumer. Beaucoup de maquillage pour évoquer les divers états provoqués par l'alcool et telle ou telle drogue, au fil des heures. Son frère Esko (Erwann) au synthé était aussi le compositeur du groupe (conseillé à distance par Florian du Millénium). Trois autres VTPSF étaient l'un à la basse ("Kalle", joué par Jarkko), l'autre à la guitare électrique ("Jere", joué par Jesse qui ressemblait à "Saku 1", y compris les lunettes) et le troisième à la batterie ("Mikko"). Eux et Esko consommaient bien moins de ces produits, se contentant la plupart du temps de packs de bière. Ils essayaient de temps à autre de limiter l'intoxication de leur leader, qui promettait mais ne tenait jamais, comme la plupart des drogués.
On retrouvait aussi Mika, Viljami, Leo et quelques autres dans divers rôles, dont les tueurs de la mafia russe.
C'était en raison d'une énorme escroquerie montée par leur premier producteur qu'ils devaient absolument trouver quatre cent trente mille euros (l'euro n'était pas encore en circulation au tournage mais VTPSF estimait que son film daterait moins ainsi, ensuite) en neuf jours. Ceci provoquait une escalade avec du trafic d'armes puis d'organes avec la mafia russe.
Ce film qui aurait pu être très noir (car le sujet, lui, l'était) était mené avec un tel entrain, pendant 2h50, qu'il en devenait enthousiasmant. L'ambiance, la musique, les scènes d'action et un héros nihiliste, globalement suicidaire mais sympathique.
Les Småprat étaient présentes (dans leur propre rôle) dans ce film, car le groupe était cet été en Suède, et maintenant en Finlande.
En fait c'était le "remake" d'un petit film peu connu: "Lahjottava" ("Corruptible"), tourné à petit budget en 1981 avec un côté "affreux, sales et méchants" que l'on ne retouvait que dans les comportements, pour "Torx", et non dans les prises de vues, somptueuses. Seuls ceux qui avaient vu et bien mémorisé "lahjottava" feraient le rapprochement, car le scénario avait été étendu et enrichi grâce au format de 2h50 (au lieu de 1h35 initalement, ceci avec un rythme de montage moins rapide, autrefois, en plus) et aux moyens techniques comme humains disponibles.
Erwann revit "lahjottava" (tourné vingt ans plus tôt "à compte d'auteurs" ou presque), pour comparer: il y avait déjà le braquage de banque et la poursuite en voitures: du "tuning" plus modeste (quelques ailerons, décorations et jantes spéciales) sur une R17 et une Ford Capri, à l'époque, modèles d'allure "sportive" pouvant être achetés d'occasion pour pas trop cher car sortis depuis plus de dix ans. La scène de torture jouée en 1981 au moyen d'une DS break (celle servant à transporter le matériel du groupe) que l'on avançait en position "maxi-haute" au dessus du producteur à faire parler puis que le groupe regardait descendre petit à petit, moteur coupé, était reprise telle que, avec un break CX corbillard, bien que ce ne fût pas un groupe "gothique". L'ambiance du film de 2001 était totalement différente, la musique aussi (celle du film "lahjottava" eût été difficile à vendre pour de vrai), mais les grandes lignes du scénario avaient été conservées.
VTPSF (et Millénium) savaient que l'album serait piraté, mais le lancèraient quand même, l'idée étant de le vendre en salle ou à la sortie des cinémas, à prix promotionnel (trois euros au lieu de cinq).
Ce film ne ferait pas un "grand carton" à l'international, le public intéressé étant plus étroit, mais rapporté au coût de tournage c'était une bonne opération pour VTPSF ainsi que ceux qui avaient joué dedans, sans oublier Millénium rétribué au pourcentage pour la musique, en plus des ventes possibles d'albums.
Ce tournage n'utilisait Erwann qu'environ une heure par jour (préparation des scènes incluses), ce qui lui permettait de continuer à travailler chez BFRSF, en horaires parfois décalé pour avoir le temps de jouer des scènes d'extérieur jour, même si la plupart étaient tournées les week-ends. Il avait très peu de texte, contrairement à Atte, mais de belles scènes d'action car son personnage était le meilleur tireur du groupe, tandis que Mikko était le meilleur pilote. Il avait aussi des scènes sous l'eau, comme celle pour aller placer des charges explosives sous un dancing lacustre sur pilotis, en guise de représailles. Il y avait aussi du tournge sous l'eau pour sortir des voitures passées à travers la glace du lac. La chute à travers la glace avait été filmée cet hiver, la scène vue de l'intérieur de la "Série 7" qu'ils venaient de voler à la mafia russe étant tournée en avril, dans de l'eau moins froide: une canalisation en faisait circuler de l'eau plus chaude à l'intérieur de la voiture. La glace flottante, elle, avait été sortie d'une des chambres froides de BFRSF (à -30°C) juste pour le tournage de la scène, les parties gelées plus lointaines (non touchées par les acteurs) étant virtuelles. Le choix des voitures avait été en partie guidé par la disponibilité, dans les casses, de modèles identiques pouvant faire illusion dans telle ou telle scène: la 730i censée être une 750 (V12) passée à travers la glace avait son avant défoncé, telle qu'ils l'avaient trouvée, mais pour les scènes filmées de dedans, ça n'avait aucune importance. La vue étant un peu trouble à travers l'eau, la vue externe (de côté) utilisait un avant réparé virtuellement, tandis que l'on voyait par transparence les vrais personnages à l'intérieur de la vraie voiture. Une seule 750i avait été achetée pour les séquences (sans destruction: les éraflures étaient virtuelles) l'utilisant, l'habilleté des infographistes permettant de faire croire qu'il y en avait trois: celle qu'ils avaient volée, et les deux qui les poursuivaient: les traces de chocs virtualisées, conséquence des "touchettes" lors de la poursuite, n'étaient pas les mêmes de l'une à l'autre, ainsi que les impacts de balles dans la tôle ou les vitres.
Les poursuites et le cassage simulé de voitures (sauf pour des modèles peu coûteux et facilement disponibles d'occasion, mais ce n'était pas le cas le plus fréquent) tiraient partie de l'expérience acquise par VTP lors du tournage de "Traction", de même que les fusillades.
VTPSF pratiquait des tests respiratoires et salivaires chez Atte (comme les autres) pour détecter l'alcool et d'autres substances éventuelles. Atte n'avait pas bu pendant ce tournage, tout en le simulant très bien: VTPSF s'était procuré des films pris lors de débuts de cures de désintoxication de diverses natures pour étudier le personnage. Quant au groupe de rock, il avait un conseiller inattendu: Viljami, qui avait fait partie d'un groupe (plus simple et plus sain) quelques années plus tôt.
En mai, BFRSF récupéra Oskari, restitué par BFRD. Le nouveau péplum "Kerfilm" sortit le 6 puis le 9 mai 2001. "L'empire d'Alexandre" utilisait comme acteur principal Jocelin Guillazeau, un garçon châtain doré et non blond: d'après les mosaïques, il ne l'était pas tant que ça, et ça suffisait à avoir beaucoup plus de choix parmi les Emilianiens de VTP tout en ayant un bel éclat sous certains éclairages. Les sourcils étaient un peu plus clairs, différence d'un ton que l'on aimait bien chez VTP, l'inverse (plus fréquent, surtout dans le "ni très clair ni sombre) n'étant pas souhaité. Le défaut visuel de Jocelin pour ce rôle était d'être mitraillé de taches de son: maquillage et infographie en débarassaient donc Alexandre, et pour la première fois dans un grand rôle d'un grand film, sa petite taille était un atout: il ne mesurait qu'1m58 (Alexandre encore moins, selon les historiens, mais ce serait suffisamment petit par rapport aux autres acteurs, bien plus grands que les Grecs antiques) ce qui le cantonnait jusqu'alors à des rôles d'adolescents, avec son air gamin accentué par les taches de son et ses traits bon enfant, coiffé à peu près stéphanois et qui resterait ainsi dans le film: là, VTP trichait, car d'après les mosaïques étudiées l'original était tout en boucles, mais l'infographie s'y opposait, pour pouvoir le remplacer dans les cascades, d'autant plus qu'il n'avait pas l'expérience d'Erwann d'Ambert pour en faire une bonne partie lui-même. Pour le reste, tout l'arsenal grec ayant déjà fait ses preuves dans "L'Illiade" et "l'Odyssée" resservait, plus des éléphants robotisés pour la scène avec Hannibal. Jocelin Guillazeau avait les yeux vert pâle: l'infographie les lui avait bleuïs.
Ce film avait été tourné cet hiver, entièrement dans les studios VTP22,; sur trois mois, sans se presser, par petites sessions pendant et entre d'autres projets. On y retrouvait Vittorio Cario, Romain (habillement vieilli pour faire Philippe de Macédoine) et bien d'autres habitués des péplums maison ainsi que des hordes de figurants créés par ordinateurs, comme dans plusieurs films précédents.
L'essort de l'économie russe semblait tel (il y avait encore un long chemin à parcourir, mais la vitesse de rattrappage était impressionnante) que certains pays de l'Est hésitaient maintenant entre rejoindre la vieille Europe de l'Ouest ou se réallier (librement, cette fois) à leur ancien maître.
L'industrie aéronautique russe avait connu des succès militaires mais n'avait jamais convaincu en matière d'aviation civile, après s'être mondialement ridiculisée avec le Tupolev 144 (bien qu'il fût resté en service chez Aéroflot ensuite). Or le projet de remplaçant de cet avion, ayant tiré les enseignements de toutes ses erreurs (et de l'expérience du Concorde: volant bien, mais trop gourmand pour pas assez de sièges) était en chantier. L'arrêt de l'exploitation du supersonnique franco-britannique était l'occasion de prendre le relais, une clientelle fortunée et pressée étant prête à prendre place dans un remplaçant russe à condition qu'il fût sûr. Il y avait des projets bien plus ambitieux, avec statoréacteurs pour vol stratospérique hypersonnique, mais ce fût un "super-Concorde" qui fut présenté, sous la marque Mig: les Mig étaient fiables, eux. Le Mig 260 était un supersonnique hexaréacteur conçu pour Mach 2,6 en vitesse de croisière, modifiant son centre de gravité par répartition du carburant. La voilure n'utilisait aucune articulation classique: il s'agissait d'extrémités en composites souples déformables, ce qui améliorait la finesse, la robustesse (pas de risque de glace dans des interstices: il n'y en avait aucun). La "peau" constituant l'arrière de l'extrados était capable de se gonfler par endroit pour craquer la glace, et aussi d'aspirer de l'air (tubes venant des réacteurs) pour diminuer les turbulences (moins de décollement de filets d'air). Une idée déjà expérimentée en laboratoire ça et là des les années 80, mais devenant réaliste avec les progrès de la science des matériaux.
Cet avion décollerait par catapultage, sa structure étant conçue pour encaisser l'accélération d'un tel dispositif, ce qui diminuerait la consommation et le bruit au décollage. Le Mig 260 pourrait aussi décoller par ses propres moyens en cas de besoin, en particulier pour repartir de pistes étrangères non équipées pour le catapultage d'un tel avion. Le catapultage avait déjà été généralisé sur les aéroports français, toute mise en service d'un nouvel avion (pas un nouveau modèle, mais un avion nouvellement acheté) par une compagnie française ou étrangère souhaitait utiliser ces aéroport était subbordonnée à son aptitude au catapultage, méthode qui diminuait considérablement le bruit (on poussait moins les réacteurs) en plus de réduire la consommation, le décollage étant la phase la plus vorace. Les sous-traitants d'Airbus et de Boeing avait vite proposé pour les modèles encore en production (et même quelques plus anciens) un nouveau train avant rendu apte au cataplutage: jusqu'alors, on demandait à cet élément de pouvoir encaisser du freinage (et encore: bien moins que les trains sous ailes), et non de l'accélération. Il fallait le recalculer pour cette nouvelle fonction. Le point d'ancrage était situé près de la trappe, pour diminuer l'effet de bras de levier exercé sur la commande.
Ceci remédiait au très mauvais rendement des réacteurs à petite vitesse par rapport à un système à entraînement mécanique. L'avion était ainsi amené bien plus vite à sa vitesse de décollage (mais sans décoller: volets non braqués), le câble de treuillage à grande vitesse se détachant dès que le train avant quittait le sol. Les réacteurs n'accéléraient que vers la fin de cette phase, jusqu'à pouvoir remplacer seuls la traction par câble. L'utilisation des véhicules remorqueurs (qui existaient déjà avant) était devenue systématique pour tout déplacement d'avion au sol autre que le décollage: on n'allumait pas les réacteurs pour parcourir les "taxiways", et on ne les gardait pas en fonctionnement une fois l'avion posé et sorti de la trajectoire: un remorqueur d'avion prenait aussitôt le relais. L'alimentation électrique au sol des avions était par câble pour ne pas recourir aux turbines "APU", gloutonnes et polluantes.
L'autre nouvel avion russe était totalement différent: il s'agissait d'un catamaran (ou "bipoutre" mais sans cellule centrale) fait deux fuselages complets de 280 places (construits chez Antonov) reliés par une aile centrale commune, un plan arrière commun et deux lames hydroptères inférieures servant aussi de gouvernes complémentaires en vol (de toute façon il n'eût pas été raisonnable d'essayer de les excamoter, et elles étaient utiles pour éviter des vibrations structurelles entre les deux fuselages s'ils avaient été reliés uniquement par le dessus).
Le fuselages étaient sous les ailes, et les cinq réacteurs installés sur le plan de queue commun à l'arrière (et non dessous), de façon à les abriter autant que possible de l'eau. Ce bi-fuselage de 560 places avaient aussi des roues (deux trains avant, deux trains arrière) et pour éviter d'être "un mauvais bateau et un mauvais avion", en mode hydravion, il n'avait pas une coque "navale" permanente, mais une robuste étrave gonflable sous chaque nez et ventre, qui, déconflée et plaquée, ne nuisait par à l'aérodynamique de vol tout en protégeant l'avant du fuselage (léger, de type avion) des chocs de la mer.
Les lames hydroptère permettait de sortir entièrement les fuselages de l'eau bien avant de décoller (même principe que pour les "navires à grande vitesse") d'où un décollage sans perturbation d'assiette par la houle, contrairement à un hydravion bêtement "flottant".
Ceci ouvrait le transport aérien de masse à n'importe quelle région disposant d'un lac, d'un bras de mer pas trop agîté ou d'un fleuve de largeur suffisante (et pas pleins de bateaux ni de ponts trop rapprochés). Deux structures de moindre diamètre étaient plus faciles à produire et à rigifier qu'une seule plus grosse. Ceci donnait aussi le maximum de stabilité sur l'eau (pas besoin de "pattes" sous les ailes, avec des flotteurs annexes très pénalisants aérodynamiquement). L'installation des cinq moteurs à l'arrière entre les queues contribuait à la sécurité et au silence à bord. De plus en cas de défaillance d'un ou plusieurs moteurs, la poussée restait proche de l'axe, ce qui n'était pas le cas avec des moteurs aux ailes. La structure arrière portant les moteurs pouvait pivoter (c'était l'une des autres originalités de cet avion), ce qui augmentait l'efficacité des gouvernes: dévier moins une surface plus importante (toute la largeur entre les coques) tout en orientant aussi le flux des moteurs. Pilote et copilote étaient répartis dans les deux "nez". Un conduit (trop plat pour que l'on pût parler de "couloir" permettait de passer (réservé à l'équipage) d'une coque à l'autre en cas de besoin, à plat-ventre sur un charriot à roulettes cablotracté aller-retour.
Autre argument: beaucoup plus de places "hublot" que dans un avion monofuselage. De la face interne, on voyait l'autre fuselage, mais aussi le paysage sous celui-ci et le ciel au dessus. Accessibilité améliorée aussi: on embarquait dans deux avions (siamoisés) de 280 places et non dans un de 560.
Enfin, des coffres à bagages importants étaient disposibles dans des trappes sous les pieds des passagers: on pouvait y mettre une grosse valise (il fallait utiliser un des modèles homologués par Aéroflot pour exploiter au mieux cet espace) que dans les autres avions il aurait fallu mettre en soute, dans l'inconfort (de manutention) et le danger de chute des coffres à bagages au dessus des têtes. Un terroriste éventuel voyagerait les pieds sur sa bombe (certes, il y avait des kamikazes), la "traçabilité" étant bien meilleure qu'avec un embarquement en soute, sans oublier le gain de temps considérable à l'embarquement et au débarquement. L'avion se rapprochait ainsi de la commodité du train.
Les toilettes n'étaient pas qu'à l'arrière: il y en avait aussi à mi-parcours, de part et d'autre du passage entre le compartiment avant et le compartiment arrière.
Autre argument: une fois amérri, et en mode hydroptère (où le rendement n'était pas trop mauvais, bien que pour être correct il eût fallu des hélices dans l'eau, et non des soufflantes (même de grand diamètres comme celles-ci) dans l'air, c'était juridiquement un navire, pour de nombreux pays, ce qui était moins contraignant que l'accès direct par un "avion". Moyennant un ponton spacieux (il fallait avoir la place pour les ailes) et la passerelle gonflable pouvant être déployée (tirée par câble puis gonflée) entre les coques, on pouvait débarquer des passagers dans un grand nombre de ports. Le tirant d'eau était insignifiant, la densité d'un avion étant nettement inférieure à celle d'un navire. On pouvait aussi utiliser les canots de sauvetage comme moyen de débarquer et d'embarquer des passagers: ils étaient conçus pour être facilement re-pliés et rangés après dégonflage et deux étaient munis de moteurs. Ceci pouvait être utile pour l'échange de quelques dizaines de passagers à une escale intermédiaire n'ayant pas d'infrastructure d'accostage adéquate.
Autre avantage: la possibilité d'être ravitaillé en carburant en mer par un pétrolier russe, au moindre coût et sans avoir à négocier quelqu'escale que ce fût.
L'avion était demandé par l'armée russe comme "transport de troupes universel" (et de véhicules légers) mais pour le rentabiliser il fallait exporter la version "touristique", ce qui avait donc été décidé en veillant à éliminer chaque fois que possible les inconvénients constatés dans l'utilisation d'avions classiques pour cet usage. La limitation étriquée des bagages "de cabine" était l'une des plus mal vécues. Le temps d'embarquement et de débarquement aussi (d'où l'intérêt de deux fuselage), de même qu'il y avait un souhait d'être plus près des hublots que dans un gros "monofuselage". Ensuite savoir que l'avion était conçu pour amerrir (mais pouvait aussi se poser sur roues) était rassurant. Le tout avec des coûts de production réduits (fuselage relativement classique et d'une courbe assez forte pour bien se pressuriser, beaucoup plus de pièces identiques que dans un monofuselage) et aussi des coûts d'exploitation faible. Il consommait un petit peu plus qu'un monofuselage équivalent qui aurait été équipé des mêmes moteurs (mais aurait-on pu installer raisonnablement des soufflantes d'un tel diamètre sous les ailes?) mais tout le reste revenait moins cher: il brutalisait moins ses trains d'atterrissage (car ils étaient trois fois plus courts, donc avaient moins de bras de levier de flexion à encaisser au freinage, de plus il y avait deux trains avant au lieu d'un), la conception de ses ailes était plus simple (ni moteurs, ni trains d'atterrisage) et utilisait comme le Mig 260 des bords de voilure en matière composite déformable, et non des volets rigides articulés, tout le cablage était un multiplexage optique en dix exemplaires (cinq de chaque côté) passant en des endroits différents, avec "vote à la majorité". Pas d'interférences, pas de problème de condensation, tolérance aux pannes et même aux agressions: un trou dans la structure ne couperait d'une ligne, or chacune pouvait tout commander. Système de porte étanche dans l'anneau de renfort central (entre les WC centraux) permettant d'éviter la dépressurisation de tout un fuselage en cas de perforation: on ne perdrait la pression que dans un quart de l'avion (puisqu'il y avait déjà deux fuselages). Caméras partout facilitant les manoeuvres portuaires. Il y avait même des petites hélices électriques escamotables à l'avant et à l'arrière, descendant le long des montants (rétractables eux aussi, indépendament des hélices) portant les lames hydroptères transversales. On pouvait ainsi faire pivoter l'avion sur place (pas vite, mais avec une grande précison, l'informatique gérant tout et compensant un courant (modéré) éventuel) ce qui était impossible pour un avion dépourvu de telles hélices. Ceci permettait aussi des maneouvres moins bruyantes qu'aux réacteurs: seule l'APU était nécessaire pour fournir du courant à ces moteurs. Ces hélices étaient escamotées lors de la mise en vitesse de l'avion au décollage, car elles l'auraient plus freiné qu'aidé, n'étant pas assez motorisées pour cela. Une version avec des hélices à arbre de transmission mécanique venant de deux des réacteurs avait été envisagés (en mettant ces deux-là dans les queues, et non entre elles) mais le surpoids permanent en vol d'un tel dispositif ne se justifiait pas face au gain (significatif mais ponctuel) lors de la mise en vitesse en mise hydroptère: une hélice immergée poussait bien mieux qu'un réacteur (poussant moins vite un fluide 800 fois plus lourd). Ca n'aurait eu de sens qu'en cas de vols courts avec redécollages fréquents, par exemple pour la desserte d'un chapelet d'îles.
Le bénéficie principal qu'y virent les compagnies aériennes (les commandes affluèrent: en plus c'était moins cher que n'importe quel gros porteur concurrent (et qui n'aurait pas eu autant de sièges) et ces moteurs très modernes consommaient moins par passager, malgré la traînée plus importante de deux fuselages au lieu d'un seul d'habitabilité équivalente): cet hydravion catamaran qui n'était ni un mauvais avion, ni un mauvais bateau (en mode hydroptère, il était même bon: juste trop glouton pour être exploité en tant que navire sur des distances importantes) supprimait les frais d'aéroport, tout particulièrement pour les vols touristiques vers des pays ensoleillés en bord de mer. On posait, on naviguait (vite: 60 noeuds, en hydroptère), on accostait. Formalités douanières mais comme pour un bateau. Possibilité de ravitailler plus librement. Facilité d'embarquement et débarquement vu le nombre de portes, avec l'astuce des passerelles gonflables(servaient aussi de tobogans de secours en cas de besoin, même si l'avion était plus proche du sol qu'un modèle classique à réacteurs sous ailes). En limitant les bagages au modèle s'emboitant dans le coffre (profond: le bagage s'y introduisait debout) sous pieds, pas besoin de procédure de gestion séparée des bagages: la soute servait alors pour des transports de colis et denrées périssables de valeur ne pouvant pas voyager par bateau.
Il y avait deux rails, sous le plafond de couloir des cabines, où l'on pouvait cliper la poulie au bout d'une sangle faisant partie du bagage vendu (bon marché) par le constructeur pour pouvoir le pousser ou le tirer avec soi sans effort ni encombrer le sol. Quantité d'astuces de ce genre tenaient compte du fait qu'un avion ne devait pas se préoccuper que du vol, mais aussi de la commodité d'y entrer ou d'en sortir, grand point noir de l'avion par rapport au train ou au bateau. On pouvait même emporter un petit animal (chat ou petit chien) dans ce compartiment (aéré): il existait un bagage mixte formant panier accolé à un espace "valise" pour rentabiliser l'espace.
Cet avion n'avait pas de prétention de vitesse: 900 km/h, banalement. Il y avait aussi une version utilitaire "bombardier d'eau" écopant avec ses deux coques, avec un tonnage larguable équivalent à huit "Canadair" d'un coup, le décollage étant facilité par les lames hydroptères qui permettaient de prendre plus facilement (et sans cognement de houle) de la vitesse avant de décoller.
L'industrie aéronautique russe n'imitait pas, avec ces deux offres, des avions existant: le Mig 260 remplaçait (mais autrement) le Concorde après son arrêt d'exploitation, l'Antonov 560 (commercialisé sous cette marque mais issu d'une nouvelle usine fortement robotisée, contrairement à ses concurrentes occidentales: on y produisait les avions presque comme des voitures: juste moins vite) proposait un service qu'aucun avion étranger ne proposait, et ceci à un prix très compétitif, tant à l'achat qu'à l'usage. L'Antonov 560 était plus immédiatement une menace pour les aéroports (car il ne les utilisait pas) que pour Airbus ou Boeing, même si à terme leurs ventes en pâtiraient aussi. Les deux projets n'avaient pas fait le pari du "tout composite": les matières synthétiques (issues de recherches spatiales et militaires) étaient employées là où le métal était incapable de rendre le même service: pour tout ce qui était destiné à changer de forme ou subir des chocs (partie inférieure avant des fuselages de l'Antonov 560, en particulier) sans en garder l'empreinte. Ce n'était pas une "première" en soit: le moyeu de rotor de l'hélicoptère "Ecureuil" était passé au plastique pour la même raison, réalisant en torsion ce que le précédent n'obtenait qu'avec de nombreuses articulations et pièces (donc poids et entretien) supplémentaires. Pour des éléments moins fortement brutalisés (les gouvernes d'ailes et d'empennage) cette solution était encore plus évidente, une fois que le matériau avait fait ses preuves sur d'autres prototypes (en particulier pour la souplesse par grand froid, en altitude). La dérive se courbait au lieu d'être droite avec un gouvernail rigide au bout: c'était bien plus efficace aérodynamiquement et beaucoup plus solide, pour un poids total inférieur. A l'arrêt, il fallait exercer un effort plus important pour fléchir un matériau de ce type (effet ressort) que pour faire pivoter une articulation. En vol, les efforts aérodynamiques devenaient prépondérants au point que la flexion progressive finissait par demander moins d'effort que le braquage articulé (aérodynamiquement pénalisant), pour le même service rendu, malgré la "taxe de base" pour fléchir le matériau.
En attendant de passer toutes les procédures d'homologation et certification occidentales, l'Antonov 560 était déjà en service sur Aéroflot pour desservir en tant que navire rapide (déjà homologué ainsi), pour la desserte finale, nombre de destinations touristiques. Il suffisait de ne pas survoler des pays qui ne l'avaient pas encore homologué.
La Finlande était une destination intéressant cet avion, pour desservir les villes sans aéroport: il y avait des lacs partout dont beaucoup étaient de longueur suffisante. Un exemplaire (posé sur la Baltique et ayant accosté comme navire hydroptère) était visible à Vaasa, où de nombreux curieux et des ingénieurs de Finnair étaient venu l'examiner au bout du ponton flottant installé à cet effet. Quelques traversées de démonstration en mode hydroptère (sans décoller) entre la Finlande et la Suède permirent de prendre des passagers: ce n'était pas un trajet aérien, juridiquement, mais naval... Gilets de sauvetages, canots, signaux, mât déployable (d'une des dérives) pour les pavillons: il y avait tout ce que l'on exigeait d'un navire, y compris une ancre. Certes, il consommait trop pour cet usage (tout en étant plus rapide que les navires hydroptères en service: le pilote veillait juste à ne pas décoller...), mais sachant qu'il serait ensuite facile de décoller de la Baltique, cela intéressait nombre de compagnies de charters. La maniabilité portuaire remarquable avec les quatre hélices électriques orientables (alimentées par l'APU, plus discrète que les réacteurs) était aussi un argument fort pour de futurs exploitants.
Airbus et Boeing ressortirent aussitôt des sauvegardes informatiques des simulations de projets de ce genre: les constructeurs exploraient (au moins en simulation) de nombreuses solutions originales, mais Antonov était le premier à avoir osé le faire pour de vrai, ceci à un prix attrayant. Le projet A380 était hélas trop engagé pour revenir à deux fuselages d'A340 adaptés en hydravion. C'était techniquement jouable, mais quand à le sortir assez vite (fiabilisé) et pour pas plus cher au siège que l'Antonov 560, inutile de rêver: celui-ci était proposé seulement 15% plus cher que l'A340, tout en embarquant 560 passagers au lieu de 295 et en étant apte à l'amerrissage. Chez Boeing non plus, on ne saurait pas faire ça pour ce prix-là, surtout pour un futur très proche. "Le concurrent de l'Antonov 560 ne pourrait être que chinois ou indien", annonça un économiste spécialisé dans le maché aéronautique.
Stéphane rentra en France en juin (comme chaque année) pour les tournages chez VTP22, tandis qu'Eric faisait le trajet inverse.
"0016: alliage désentropique", que Zhao abordait avec un bras et deux jambes artificiels, était plus "SF contemporaine" que les précédents puisqu'une bonne partie se déroulait dans les profondeurs abyssales où des centrales géothermiques sous-marines rechargeaient des sous-marins (à queue) conçus pour fonctionner par trois à quatre kilomètres de profondeur pour récolter les nodules polymétalliques contenant des métaux rares comme le bérylium (dans le film) et le tantale, utilisés pour des recherches en vue de réaliser de meilleurs échangeurs thermoélectriques statiques (effet Pelletier utilisé en générateur) pour les centrales géothermiques (avantage: aucune pièce mobile, puisque ça fonctionnait comme un échangeur thermique. Inconvénient: coût encore très élevé au MW installé) et surtout une recherche bien plus ambitieuse: l'alliage désentropique.
Il fallait expliquer un petit peu de mécanique quantique, dans ce film (ce qui se faisait par visite virtuelle des réseaux cristallins d'atomes, pendant que l'un des chercheurs expliquait) pour comprendre les principes des supraconducteurs (niveau d'énergie trop bas pour permettre aux électrons d'ébranler les noyaux, donc d'y gaspiller de l'énergie par échauffement) et des semi-conducteurs (électrons et "trous", permettant le passage du courant dans un sens et pas dans un autre) et montrer en quoi pouvait consister un alliage désentropique: "le second principe de la thermodynamique est contre, mais la mécanique quantique ne l'a jamais respecté". Le mouvement brownien d'un des alliages de la jonction se communiquait à ses électrons, qui, s'ils franchissaient la jonction, ne pouvaient plus revenir, ni ébrancher l'autre alliage, supraconducteur à cette température. De ce fait une partie de la chaleur de l'un était absorbée, en créant un courant, mais surtout en garantissant le maintien de la surpraconductivité sans besoin de refroidissement externe, à condition d'éviter une arrivée de chaleur rapide. La juxtaposition de plusieurs éléments de ce type, fonctionnant à diverses températures, pouvaient permettre de réaliser un alliage désentropique fonctionnant à température ambiante: comme une pile qui aurait fourni du courant rien qu'en absorbant la chaleur ambiante, ce qui était particulièrement intéressant (même si au début l'alliage était difficile à produire donc très cher) pour tout les systèmes intégrés dans l'organisme, en particulier les mémoires électroniques implantées dans les cerveaux des espions: cela nécessitait peu de courant, donc peu de ce matériaux désentropique suffirait, tout en assurant un fonctionnement à vie: tant que le corps ne serait pas froid, ça fonctionnerait.
Les cités industrielles sous-marines, les sous-marins à queue rechargés par ces centrales abyssales sans jamais avoir à faire surface (on pouvait aussi décomposer l'eau pour obtenir de l'oxygène pour les gens) rendraient très bien sur grand écran, savait VTP, avec un équivalent au ralenti de bases et vaisseaux spatiaux. C'était réellement filmé sous l'eau, mais entre dix et trente mètres de profondeur seulement, de nuit, pour simuler l'obscurité abyssale sans avoir à bâcher de grandes surfaces de la mer. Ce tournage revenait en fait moins cher que les grandes séquences dans le monde réel où il fallait soit louer les lieux, soit passer beaucoup de temps à les simuler. Outre cet enjeu (d'où espionnage et sabotage) il y avait le braconnage de nodules polymétalliques n'appartenant pas à la zone d'exclusivité économique des pays dont les opérateurs provenaient.
Tout ce qui était montré dans le film était réalisable avec les techniques du moment (juste une question de coût), à part peut-être l'alliage désentropique, mais la science n'avait rien pour dire que ce fût impossible. BFR estimait probable que de telles recherches fussent en cours ça et là en même temps que la quête des supraconducteurs à température ambiante pouvant être produits à un coût abordable. Les recherches connues à ce jour ne mentionnaient pas l'usage du bérylium, mais ce métal très rare (présent dans les émeraudes) constituait un enjeu motivant la concurrence et les conflits sous-marins dans le film.
Zhao, trop mal en point suite à un nouvel accident, réussissait à acheter l'un des hommes de main (déjà bien connu des spectateurs des opus précédents: Igor, joué par Erwann) de la mafia russe, corruptible si on y mettait le prix, pour terminer la mission à sa place en infiltrant et détruisant le complexe ennemi.
Les deux "0016" précédents avaient très bien marché dans le monde. Le troisième prenait le risque d'être un peu trop "SF", alors que "0016: embryons suédois" collait de près à l'actualité de son sujet. Ce serait aussi le dernier, prévoyait VTP.

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