vendredi 10 avril 2009

chapitre N-20


Stéphane pensait que l'on finirait par moins l'utiliser car le public se lasserait de le voir trop de fois réemployé dans du "légendique", de la violence urbaine ou de la SF. Il avait déjà songé à ce qui se produirait si un accident le rendait inapte aux films d'action. Soit VTP ne l'utiliserait plus du tout, soit en trichant, pour ces scènes, soit avec un robot à son image, soit en l'équipant d'orthèses motrices déguisées en éléments d'armure médiévale ou futuriste. Un handicap physique ne gênerait probablement pas pour ses fonctions de superviseur: avec les lunettes à visée virtuelle, même un tétraplégique aurait pu faire beaucoup de choses, et en ajoutant quelques électrodes aux bons endroits dans le cerveau, des commandes supplémentaires seraient disponibles. Toutefois, ça lui ôterait une raison de vivre: la tendresse de Gorak ne suffirait pas à lui donner envie de jouer le reste du scénario jusqu'au bout: au bout, il y avait Huntington, alors s'il n'était plus possible de vivre agréablement les années l'en séparant, et si servir de cobaye à quelques expériences de neuroélectronique ne lui apportait rien d'exploitable, autant arrêter.
Cave Canem fit bien plus parler de lui que VTPSF ne s'y attendait, estimant (malgré des trucages remarquables, en particulier les faux chiens destructibles animés comme des vrais) que c'était un "petit" film. Le chien, prédateur ancestral de l'homme et qui ne demandait qu'à s'y remettre: une grande partie du public était de cet avis.
Le succès des "chairs artificielles" des diverses usines BFRSF continuait à s'amplifier: cela avait fait chuter de 38% la consommation de produits carnés en Europe (poisson inclus), en allègeant fortement la facture pour les clients, tout en leur apportant des bénéfices artériels et digestifs importants. Les taxes très lourdes sur les élevages concentrationnaires (taxe proportionnelles à l'inverse de la surface nette utilisable disponible en moyenne annuelle par animal) avaient déjà ruiné ceux-ci, car cela dépassait pour eux la baisse de charges sociales, laquelle restait bénéficiaire pour les élevages en plein air ou en abri de taille suffisante par animal. Ces taxes s'appliquaient aussi aux produits importés: l'indication de la provenance (lieux d'élevage, d'abattage et de transformation finale) rendait la production traçable, donc inspectable et taxable, dans les autres pays. Si l'inspection était refusée, la taxe la plus élevée constatée à ce jour était appliquée d'office au produit. Ceci avait fait disparaître les "poulets en batterie" des rayons volailles, de même que la viande de boeuf en "stabulation" coûtait maintenant plus cher que le boeuf en plein air, dont le coût avait fortement baissé par chute des charges sociales: la TVA sur les produits alimentaires de base (c'est à dire sans sel ni sucre ni gras ajoutés) n'avait pas augmenté, donc la baisse des charges sociales avait fortement baissé le prix des ces aliments. L'arrivée depuis le début de l'année (fin 2000, en fait, mais uniquement pour des produits "de luxe", au début) des chairs artificielles, obtenues par cultures de micro-algues, levures, etc, et le procédé de strucuration fibreuse à consistance règlage créé par BFR, avait chassé viandes et poissons (sauf quand on voulait servir un poisson "comme tel" à table: truite aux amandes, etc) de la liste de course et de l'assiette du peuple de base.
Il y avait des pour et des contre. Il y avait des "intellectuellement contre" même parmi des gens qui en achetaient: ce n'était pas cher et le goût était satisfaisant (bien plus qu'un produit carné réel "courant": ça n'imitait que du haut de gamme, car puisque ce n'était qu'une question de règlage des machines ceci ne revenait pas plus cher que d'imiter de la "semelle de cantine") mais ils estimaient que ce n'était pas une bonne de chose de mettre toute l'alimentation carnée en dépendance d'une seule entreprise, même si les tests effectués par des organismes indépendants confirmaient que le produit était bon pour la santé.
L'information avait vite circulé (dès 2000) que c'était Stéphane Dambert (allias Erwann d'Ambert) qui installait les machines. Qu'il travaillât chez BFR était déjà connu de ceux qui s'intéressaient à sa carrière, et qu'il participât activement à cette révolution alimentaire n'étonnait pas de la part de cet amateur de SF. BFR avait fait une nouvelle publicité:
- nous avons donc demandé son avis à un expert en viande:
avant de voir un chat arriver et dévorer le "Kanardix".
Ceci vallut à BFR beaucoup d'hostilité de la part des éleveurs (bovins, porcins, ou de volailles), ainsi que des pêcheurs: BFR avait non seulement diminué ses achats de poissons (ainsi que de viande de porc pour la charcuterie), sans les cesser (car il y avait toujours les gens voulant du "vrai" saucisson sec ou de vraies rillettes, alors on n'allait pas se priver de ce marché) mais aussi et surtout diminué leurs autres débouchés, la "chair artificielle" s'y susbsitutant en partie chez le consommateur final.
L'épais blindage des parties d'usines impliquées dans ces productions n'était pas là que pour limiter le risque d'espionnage ou d'empoisonnement. BFR craignait la destruction de l'outillage par des commandos musclés du "lobby des éleveurs".
L'ELR voyant d'un très bon oeil la baisse des nuisances environnementales de l'élevage et de la surpèche: "grâce à la baisse de consommation, les stocks vont pouvoir se reconstituer et le prix du poisson de mer baisser, car aujourd'hui il est de moins en moins rentable d'envoyer un bateau faire de plus en plus de jours de mer pour remplir de moins en moins ses cales, conséquence de la surpêche". De plus ces productions artificielles diminuaient le coût du "panier de la ménagère", donc augmentaient l'indice de satisfaction publique, et diminueraient ensuite les coûts médicaux liés à l'abus de la vraie viande (le poisson ne semblait pas nuire, lui) ou de la volaille de bas de gamme, plus grasse que protéïnée.
Le ministère de l'argiculture et de la santé estimait publiquement souhaitable la disparition de l'élevage carné, vu par les spécialistes de l'ELR (mais aussi beaucoup d'écologistes indépendants) comme une pratique gaspillant énormément de ressources (en créant beaucoup de déficit comercial via l'importation des "tourteaux de soja"), causant beaucoup de pollution et respectant très rarement les conditions de vie des animaux. "Il serait souhaitable de renoncer à la viande, et, en matière de pêche, de ne jamais dépasser le surplus de renouvellement des bancs de poissons, or en ce moment il n'y a aucun surplus, donc la pêche devrait cesser en attendant la reconstitution des stocks".
L'ELR soulignait la contribution très importante à l'effet de serre du méthane des animaux d'élevage intensif. 58% d'élevages en moins, en France (du fait de la fiscalité anti-contrentrationnaire ayant commencé à les rendre non rentables bien avant le lancement de la chair artificielle), c'était "un bénéfice écologique dont on ne pouvait que se réjouir", rappelait l'ELR, tout comme la dénatalité et la baisse de circulation dûe au développement du télétravail et téléenseignement.
BFR prenait des airs de "zaïbatsu" pouvant rendre cette entreprise inquiétante: grâce à un excellent rendement d'automatisation, elle s'était emparée de la moitié du marché de l'électricité en Europe, la géothermie permettant d'obtenir des puissances énormes à un coût d'exploitation imbattable (inférieur même à celui d'un barrage, en plus d'une production non-saisonnière), et il en était de même pour la "chair artificielle": 54% de la consommation de "viandes" (réeles ou virtuelles) sortait de ses usines réparties dans divers pays. 54% et non 38%, car les chairs artificielles avaient souvent conduit les gens qui mangeaient moins de produits carnés, ou aucun (par conviction (végétariens), par soucis de santé ou à cause du prix) à manger plus de "chairs artificielles". C'était aussi le plus gros producteur de lithium du monde, grâce à son électricité géothermique à prix imbattable, utilisée ainsi pendant les périodes où la demande du réseau baissait.
D'autres entreprises (en particulier des compagnies pétrolières, car il ne s'agissait surtout de savoir forer sur plusieurs kilomètres, bien qu'à un diamètre bien plus élevé que pour le pétrole, de façon à obtenir un débit rentable) s'y étaient mises aussi, mais à des coûts plus élevé au MW net installé, pour le moment. C'était toutefois rentable pour elles, la demande de lithium dépassant toujours l'offre.
La bonne tenue de l'économie française, avec balance commerciale positive, baisse de la facture énérgétique, fin de la crise du logement pas réémigration et dénatalité (ayant causé l'effondrement du marché de l'immobilier), baisse de la consommation au profit de l'épargne (dissuader l'accès au crédit, défiscaliser toute épargne durable), baisse du coût de base de la vie, baisse des dépenses de transport (grâce au télétravail et au téléenseignement, bien plus utilisés qu'avant), de santé (moins de naissances, plus de suicides et d'auto-euthanasies) et de scolarité (parallèlement à une hausse du niveau d'instruction des enfants dans les comparaisons internationales) intéressait beaucoup de monde, à l'étranger. Aux Etats-Unis, on faisait peu de cas de l'abolition des privilèges dans le secteur public car ils n'avaient jamais eu cette ampleur chez eux, au point qu'il était plus facile, là-bas, de gagner de l'argent dans le privé, mais l'inversion brutale de la politique familiale française, jusqu'alors hypernataliste "à la Causescu", disaient certains, pour devenir antinataliste "à la chinoise ou presque", en donnant aux gens sans enfants un complément de revenus et une meilleure couverture sociale tout en supprimant tout ce qui favorisait jusqu'alors le cumul famille+travail, semblait expliquer une grande partie des progrès économiques français, accélérés par l'émigration et une vague de suicides spectaculaire, concernant aussi des touristes venus exprès pour ça faute de service public de suicide sûr et confortable chez eux. L'engouement d'une partie des jeunes pour l'implantation de dispositifs anti-hormonaux modérant ou retardant (à vie, si on le souhaitait) la puberté avait aussi fait débat dans la société américaine.
Un mouvement "stop kidding" s'était constitué, exigeant des mesures antinatalistes énergiques aux Etats-Unis pour diminuer la consommation, la pollution, le déficitif commercial, le surcoût de l'immobiliser, le chômage (qui augmentait depuis l'effondrement du marché des hautes technologies grand public, devenu russe, au moins pour toute l'exportation) et la violence, attribuée par ces mouvements à l'augmentation de la population. Les plus radicaux proposaient l'interdiction totale des naissances sous peine de mort (de la mère) et certains étaient passés à l'acte: il n'y avait jamais eu autant de femmes enceintes tuées ou éventrées par balle. Les attaques au lance-roquettes contre des maternités ainsi que des usines de couches jetables, de biberons ou de lait matérnisé étaient également un phénomène inconnu à ce jour. L'un des thèmes du film "Peur filante" (diffusé dans quelques salles ici) devenait réalité aux Etats-Unis, et avec bien plus de moyens, même si rapporté à la population totale ça restait marginal: il y avait eu (et il y avait encore) des mouvements violents anti-avortements, il y avait maintenant des mouvements violents anti-naissances, prônant la stérilisation générale et des mesures de "deshommisation" (y compris des déjà-nés) pour diminuer la pression humaine sur la planète et aussi sur l'économie.
Les Etats-Unis bénéciaient pourtant d'une faible densité de population, bien au delà des perspectives antinatalistes les plus optimistes (de l'ELR) d'ici cinquante ans.
Le passage à l'acte des antinatalistes violents américains était facilité par le fait que les armes circulaient librement, dans ce pays, et ceci depuis si longtemps que la plupart n'étaient pas recensées. Bien que n'ayant tué que 0,4% des femmes enceintes, en 2001, ces mouvements avaient un impact considérable dans l'opinion: les femmes enceintes n'osaient plus se montrer dans les rues ni les lieux publics. Le taux d'avortement avait augmenté de 9%.
Le "moral du consommateur" américain avait aussi été mis à mal par la destruction de nombreux chasseurs F16 et hélicoptères d'assaut Apache en Palestine, les résistants palestiniens semblant dotés de missiles anti-aériens légers mais précis, ignorant tous les systèmes de leurres, d'autant plus que plusieurs petits missiles (deux à quatre) étaient tirés simultanément de positions différentes vers la cible. Que ce matériel (pas récent de conception, certes, même si les Israëliens les avaient entretemps dotés de nouveaux dispositifs) fût si facilement abattu par un homme seul armé d'un lance-roquette allait rendre son exportation dans le monde plus difficile: c'était déjà cher, alors si en plus c'était vulnérable...
Certains se demandaient s'ils n'étaient pas tout simplement renseignés par satellites: ce qui était furtif vu d'en bas (nombre de drônes avaient aussi été abattus par des projectiles plus modestes) ou de face l'était rarement vu d'au dessus, or seule la Russie disposait d'un "maillage défilant continu" de satellites permettant d'en avoir toujours au moins trois en état de surveiller un point du globe. Certes, les "Lioubioutchaï" n'étaient probablement pas tous équipés d'optiques de qualité militaire: ça aurait pris du poids et de la puissance au détriment des capacités de transmissions de données civiles, mais les pertes très importantes de l'armée de l'air israëlienne depuis cette année pouvaient être lié à l'accès des résistants palestiniens au guidage par satellites. Il ne s'agissait plus d'attentats contre des civils, mais d'actes de riposte militaire en bonne et dûe forme, ce que l'occupant n'avait encore jamais eu à affronter, en trente-quatre ans d'occupation. On pouvait penser que ces aéronefs avaient été abattus par surprise, ne s'attendant pas à un tel progrès de l'armement anti-aérien palestinien. C'était tiré de n'importe où, et surtout sans radar au sol. Certains tirs avaient même eu lieu depuis le sol israëlien, en particulier ceux ayant détruit des avions militaires au sol. Il fallait avoir suivi (par satellites?) le retour des missions aériennes (peut-être les quelques-unes volontairement épargnées, commençait-on à supposer à Tel Aviv) pour savoir où frapper, avant que les avions ne fussent mis à l'abri, détruire aussi les radars, des ateliers d'entretien (ceux qui n'étaient pas enterrés assez profond), des stocks de carburants, etc.
Les centrales électriques et les grosses stations de transformation avaient elles aussi été frappées, de même que la marine militaire (on supposait l'utilisation de nageurs de combat utilisant des recycleurs d'air: un sous-marin, même petit, et même à queue, eût été détecté, dans ces eaux-là). En un an, les pertes militaires israëliennes dépassaient en masse et en valeur (et non en nombre de tués) toutes celles connues depuis la création de cet Etat. C'étaient les moyens lourds qui étaient visés, en particulier ceux de suprémacie aérienne et maritime.
Les résistants palestiniens des "FPI" (Forces Palestiniennes de l'Intérieur, en français, sous-titré en arabe) revendiquaient aussi la destruction d'un sous-marin nucléaire d'origine américaine de la classe "Dolphin" quittant sa base d'entretien secrète, photos sous-marines avant/après à l'appui. Ces sous-marins ne gênaient pas directement les Palestiniens: bombarder nucléairement les territoires occupés eût été un suicide collectif, vu la proximité du lieu. Il s'agissait donc d'une destruction (si elle était confirmée) visant à montrer qu'aucun système d'arme ne leur était inconnu ni inaccessible. La destruction des centrales électriques, des raffineries, des radars, des "noeuds" ferroviaires et de certains ponts rappelait les techniques de mise hors d'état économique utilisées en Yougoslavie. Les frappes contre les blindés (chars et bulldozers géants) n'avaient commencé que bien après les pertes massives de l'armée de l'air, comme si ayant moins à craindre du ciel, les résistants s'enhardissaient contre les moyens militaires lourds terrestres. Des colonnies se retrouvèrent isolées, les attaques étant systématiques sur les routes y menant. Les FPI semblaient ignorer les véhicules qui en sortaient, mais détruire chaque fois que possible ceux qui s'y rendaient, y compris transports de marchandises et de personnes. Le FPI considérait les colons comme des troupes d'occupation et devant donc être détruits comme tels: "par contre, nous ne vous empêcherons pas d'évacuer ces colonnies". Des avions civils israëliens (et d'autres compagnies, en particulier américaines) s'apprêtant à voler vers Israël avaient été détruits ça et là dans le monde dans leurs aéroports de départ. Il n'y avait pas eu d'attentats contre ceux qui s'envolaient d'Israël. Cette situation fut vite appelée "le siège": plus de carburant, plus d'électricité (les militaires en avaient toujours, par des réacteurs souterrains, mais ils n'étaient pas conçus pour alimenter le reste du pays), grande difficulté de transport ferroviaire, aérien et même routier (ponts). Les attaques suivantes firent disparaître les "check points" par lesquelles l'occupant décidait de la circulation ou non de l'occupé. Les blindés stationnés à ces points de passage avaient été détruits, parfois par des voitures piégées identifiées comme celles de colons: le FPI avait dû les filmer et les imiter (plaques, macarons, etc) sur des modèles courants identiques, ou peut-être les voler après avoir éliminé leurs propriétaires. Tout en n'annonçant pas qu'il laissait tomber les colons, c'était dans les fait ce que semblait avoir décidé le gouvernement israëlien: depuis la mi-juillet, il ne risquait plus ni avion, ni hélicoptère, ni blindé dans les territoires occupés: le matériel détruit n'y avait pas été remplacé, et certains bataillons avaient même été discrètement retirés, ne laissant que des leurres et des véhicules sans valeur (anciens blindés trop chers à réparer, etc) pour donner l'illusion d'une présence. Seuls quelques drônes circulaient encore de temps à autres. L'absence de cibles militaires de valeur diminuait la probabilité d'envoi de commandos (se cachant généralement sous le sable ou la terre) du FPI contre ces petits engins, d'autant plus qu'ils étaient incapables de ravitailler une colonnie. Trop de camions tentant de s'y rendre avaient eu leur moteur ou leurs essieux détruits par des tirs n'ayant pas pour but principal de tuer, mais surtout d'immobiliser, loin de toute possibilité de réparation des dégâts ou de transfert de la cargaison vers un autre véhicule. Seule une petite partie de la cargaison pouvait être transportée à pieds. Parmi les colons sortant en voiture, seuls ceux ayant fait demi-tour après s'être arrêté près d'un de ces camions étaient pris pour cibles. Le message était clair et ces tentatives de ravitaillement se raférièrent, tandis que la circulation dans le sens "évacuation" continuait. Le FPI sachant qu'en donnant la priorité aux frappes contre les moyens militaires lourds et les "organes vitaux" de l'économie de l'occupant il aurait pour lui une majorité nette de l'opinion internationale. Après la destruction des blindés, vingt-six conducteurs de bulldozers géants israëliens avaient été forcés, par un système de torture à distance fixé à leurs organes génitaux, de détruire avec leurs engins les travaux par lesquels l'occupant détournait l'eau du territoire de l'occupé, arrachant les conduites et comblant les canaux. On comprenait alors pourquoi les FPI n'avaient pas lancé de roquettes sur ces énormes engins ni gaspillé d'explosifs à détruire ce réseau hydrographique. Le conducteur risquait la torture aussi si on bulldozer tombait en panne, quelqu'en fût la raison, le niveau carburant ayant été vérifié avant. Pourquoi ne pas piloter ces bulldozers eux-mêmes? Pour dissuader une frappe militaire israëlienne (eux aussi avaient des missiles guidés de très loin) contre ces travaux de "reconquête de l'eau".
Les plantations de pamplemousses et autres allaient bientôt disparaître du sol israëlien, désormais sec. Que pouvaient détruire les Israëliens en Palestine? Rien qui valût le coût de fabrication ou d'achat de leurs missiles, puisque l'aviation (pouvant frapper de plus près donc avec des armes moins chères) ne s'y risquait plus, de même que les blindés. C'était l'avantage d'être un peuple déjà pauvre et saccagé: ne plus offrir de cibles rentables à l'adversaire, alors que beaucoup de choses importantes et chères à remplacer pouvaient encore être détruites en Israël. Certaines installations étaient souterraines (en prévision d'une attaque sirienne ou autre) mais il y avait bien assez de "bonnes cibles" en surface. Le port d'Haïfa, jonché de navires coulés (mines posées par des nageurs de combat? C'était plus valorisant... et moins risqué de qu'aller se faire sauter dans un bar avec une ceinture d'explosifs), était inutilisable. Les émetteurs de télévision israëliens (cibles faciles: le missile n'avait qu'à se guider sur la fréquence émise) ayant été abattus, restaient donc les trois "petites" chaînes privées (ex-petites, puisque maintenant de grande audiance locale) passant par le réseau... russe, les Russes louant des canaux de diffusion satellitaires à n'importe qui. Les Palestiniens en avaient un aussi.
L'Etat israëlien conservait du matériel militaire lourd à l'abri, car continuer à l'engager en pure perte contre les FPI (trop difficiles à trouver, alors qu'eux voyaient tout de suite ces blindés ou aéronefs) aurait affaibli ce pays contre ses voisins les plus hostiles. Les Palestiniens n'étaient le péril le plus important: il suffirait de revenir aux frontières de 1966 pour les calmer, or se maintenir au delà se mettait à coûter si cher que le ministère des finances exigeait déjà un retrait "de fait", sans l'annoncer: ne pas "rendre" officiellement les territoires mais cesser simplement de les occuper et de les exploiter, pour concentrer les moyens militaires à la défense du territoire historique et à la lutte contre les infiltrations terroristes, car, ça, ça existait encore. Le FPI condamnait officiellement les attentats "gratuits" contre des civils sur le territoire israëlien, disant que ça ne servait à rien militairement et que ça diminuait le soutien international à la résistance. Les autres groupements palestiniens voyaient d'un mauvais oeil la victoire du FPI, mouvement qui les méprisait pour leur inefficacité et prévoyait l'instauration d'une république strictement laïque: "la religion a semé la mort de part et d'autre sur ces terres: elle ne doit désormais plus jamais interférer avec le pouvoir. Un islam modéré, sans endoctrinement précoce des enfants et sans circoncision avant la majorité légale sera autorisé, de même que les versions pacifiques des autres religions, qui elles non plus ne pourront être imposées à des enfants par leurs parents". La question du judaïsme fut posée (à la télévision palestinienne par satellites russes): "certains répondraient qu'il y a déjà un Etat exprès pour eux, mais des Musulmans y habitent aussi, et il faut réaliser qu'il y a bien moins de différences entre l'islam et le judaïsme qu'avec les autres religions. La nourriture "kasher" convient aux règles "halal", par exemple. La religion n'a été qu'un prétexte pour nous voler nos terres. L'important est de les reprendre, et non de savoir qui croit ou non en dieu et selon quel rite".
La question se posait donc pour BFR: installer une usine en Palestine ou pas, et surtout, quand? L'entreprise avait dans ses sites français quelques ingénieurs d'origine palestinienne qui auraient pu organiser l'installation de l'outillage, mais l'occupation n'était pas encore officiellement finie -juste sérieusement mise en échec- donc bien que le projet fût étudié avec le plus grand sérieux (fabriquer quoi, et en quelles quantités?) aucune décision engageant des frais importants n'avait encore été prise. BFR estimait que l'usine devait être suffisamment enterrée, pour la mettre à l'abri des tirs de missiles israëliens, mais cela augmenterait le temps et les frais d'installation. Restait aussi à savoir s'il y avait quelque part l'opportunité de faire un bon forage géothermique: l'entreprise n'avait pas d'information sur les gradiants thermiques de la géologie de cette région.
Les revers militaires israëliens étaient eux aussi un coup au moral des Américains, diplomatiquement (et militairement) très liés à ce pays, d'autant plus que c'était le matériel volant américain qui avait été anéanti par des armes portatives mise à la disposition du FPI peut-être par la Russie, ce dont on n'avait pas la preuve: l'étude des débris des missiles montrait qu'ils étaient d'un modèle inédit. Le lancement de l'Antonov 560, lui, était un coup dur à la fois pour Airbus (fallait-il abandonner le projet A380? Plus de sièges, certes, mais bien plus cher au siège que ce concurrent russe, qui, de plus, se passait totalement d'aéroports (la mer là où elle n'était pas trop agitée, un lac ou un canal sans obstacles latéraux convenaient), là où le futur gros porteur européen aurait besoin des pistes les plus longues et larges disponibles, donc ne pourrait déjà pas se poser dans tous les aéroports) que pour Boeing, car l'hydravion catamaran russe était déjà produit et commercialisé, contrairement au projet européen, donc lui prenait déjà des clients. De plus, moyennant un léger surcoût et un peu de charge utile ainsi que de volume de soute en moins (pour ajouter les trains courts escamotables), une variante de l'Antonov 560 pouvait se poser aussi bien sur piste que sur l'eau.
La Russie fabriquait 73% des ordinateurs vendus dans le monde et 94% des téléphones mobiles (les réseaux terrestres payants ayant peu à peu jeté l'éponge, faute de clients, certains les ayant rendus gratuits, financés par des coupures publicitaires pendant les conversations...), ainsi que de plus en plus d'autres appareils électroniques numériques (camescopes sans cassette, entre autres), avait mis par terre la théorie de la relativité générale avec ses échantillons de météorite à coëfficient de gravité inférieur (vérifiés par des chercheurs de nombreux pays), avait mis le premier homme sur Mars (même s'il était coupé en deux et sans prévoir de retour) et avait étouffé l'essort d'internet grâce à un système gratuit, plus fiable et beaucoup plus simple à utiliser. Les Chinois ne prêtaient aux Américains qu'avec des taux d'intérêts de plus en plus élevés, et plus jamais en dollars: les créances chinoises précédentes en ayant déjà été victimes, l'usage de cette monnaie était désormais bani des échanges internationaux de la Chine, qui basait ses transaction sur un"panier" de monnaies du reste du monde ne comportant pas le dollar, d'où une inflation forte: ces dernières années aux Etats-Unis, le pétrole devenait très cher ainsi que toutes les matières premières importées. Les produits manufacturés importés étaient plus chers aussi, ce qui aurait pu soulager l'industrie américaine, mais à qui vendre de gros 4x4 à moteur V8, même moins chers que leurs homologues japonais, quand le prix de l'essence à la pompe s'envolait? On disait que cela faisait déjà longtemps que l'économie américaine courrait au dessus du vide, comme les personnages de dessins animés, et elle venait de regarder vers le bas.
BFR continuait à ne pas souhaiter installer d'usine aux Etats-Unis, marché qu'ils estimaient depuis toujours trop dangereux, avec des règlements versatiles et leur application "à la tête du client" encore plus: ça ne vallait pas mieux que la Chine ou la Russie, côté insécurité d'investissement industriel. Ce fut une entreprise allemande qui après avoir déjà réussi huit paires de forages géothermiques multikilométriques en Europe tenta l'aventure de forer une centrale géothermique en Californie (se doutant qu'avec la faille sismique le gradient thermique serait favorable) mais en se faisait payer au comptant, en euros (pas en dollars) tous les dix mètres de forage réalisés, puis, prévoyait le contrat, pour chaque équipement ajouté et testé. Après avoir foré 385m du premier puits y eut des accidents (trois blessés), les syndicats firent condamner le constructeur allemand (alors que c'étaient les ouvriers qui n'avaient pas respecté les consignes de sécurité) qui préféra abandonner le projet et ne plus y remettre les pieds, après avoir toutefois été payé pour la profondeur atteinte juste avant l'accident. Une entreprise américaine reprit les travaux (avec son propre matériel, qui ne correspondait pas à ce diamètre) et n'eut aucun procès, bien qu'il y eût de nouveau des accidents dont un mortel.
Pendant ce temps, l'armée chinoise connaissait des déboires et pertes de matériel lourd importantes au Tibet: les résistants tibétains semblaient disposer eux aussi de nouvelles armes légères apte à la destruction de blindés (et d'aéronefs, avec d'autres missiles portatifs) d'une précision redoutable.
Stéphane hésita à répondre à Leo (qui participait à certains tournages chez VTP) sur ces sujets: il y avait une composante politique et il savait que pour ne pas se fâcher avec les gens c'était un sujet à éviter. Il préféra ne pas émettre d'opinion et évoquer la chute du dollar. Ca, ce n'était que de l'économie. Leo lui raconta qu'il pensait aller aux Etats-Unis parce que la vie était beaucoup moins chère là-bas qu'ici (c'était déjà vrai par rapport à la Finlande, et (en euros) ça l'était même par rapport à la plupart des pays d'Europe, maintenant) et qu'il aurait aimé voir si c'était comme dans les films et les séries télévisées. Stéphane, lui, ne souhaitait pas y aller: "on peut se faire tirer dessus n'importe où sans aucune raison, là-bas, par un drogué ou un ivrogne qui a lui aussi une arme", mais il comprenait que par curiosité Leo souhaitât aller voir comment c'était "en vrai".
La météo n'avait aucune importance pour le tournage dans la version totalement virtuelle de Rome, virtuelle mais crédible dans son degré de désordre et même de crasse de "ville qui vit en vrai", d'où l'énorme consommation de puissance infographique.
"Le crépuscule de Rome" offrait trois heures de capture et ventes d'esclaves, combats de gladiateurs entre eux (Jarkko avait fini par bien se débrouiller tant en simulation qu'en essais sans les lunettes virtuelles) et contre les "mécanimaux", courses de chars (Kim), spectacles de combats de galère (les historiens confirmaient que le Colisée pouvait aussi faire piscine pour de tels spectacles), orgies, gaspillages en tous genre par les "Patriciens" décadents, puis dans la dernière heure l'arrivée des barbares, parmi lesquels Erwann ("Sigbert") qui faisait ce qu'il avait si bien appris à faire dans ce genre de films, sauf que cette fois c'était en grande partie à cheval. Il portait parfois un casque à pointe précédé d'une sorte de fourche à cinq longues dents protégeant le visage, pouvant être relevée en visière pour servir d'arme lors d'un coup de tête (la pointe, elle, servait pour foncer tête baissée). Les scènes d'attaque à cheval utilisaient des chevaux mécaniques pour certains plans trop dangereux à tourner avec de vrais chevaux, en plus de la nécessité d'un mouvement exact de chaque membre de l'animal par rapport à l'impact: cette technique déjà rôdée avec succès dans "Drakkars et Dragons" était utilisée à plus grande échelle ici, car bien plus de ces chevaux mécaniques réalistes avaient été construits. Le public supposait un trucage lorsque l'on animait des monstres, mais pour un animal "réel" (comme les chiens de "Cave canem") le doute subsistait, sur le moment. On retrouvait, parmi les envahisseurs, Torbjörn, Niels, Kare, Leo, Mika, et Viljami, ces deux derniers surtout "pour faire nombre", dans des rôles plus faciles.
Mika fut logé à la maison, comme Stéphane: non seulement c'était son demi-frère, mais Geneviève n'y voyait aucun inconvénient, loin de là. Viljami fut acceuilli aussi, et installé dans une partie du grenier. Cet Attéen ressemblait lui aussi à Stéphane et Mika, constata Geneviève, tout en ne leur étant pas apparenté.
Il y avait ensuite dans Rome de l'escalade de baricades de charriots, de ruines en flammes, poursuites et combats dans les escaliers de palais: la rencontre de l'héroïc fantaisy et du péplum, au moment où certains gladiateurs se retrouvaient à devoir le combattre, avec le handicap de n'avoir été entraînés qu'aux combats de gladiateurs et non à la vraie guerre pour barbares. Jarkko était pourfendu par la lame d'acier en V reliant les deux lances fixées de part et d'autre du cheval de Sigbert, dispositif conçu pour mieux fendre la foule (au sens propre). Leur rencontre ne durait ainsi qu'une fraction de seconde. Il y avait 47 minutes de combats (à l'écran. C'était censé durer deux jours, dans le scénario) dans des circonstances fort variées (Sigbert y perdait nombre d'armes, puis son cheval, était blessé au bras gauche puis au flanc droit par des flèches mais utilisait une poudre de plantes sèchées (on avait vu sa mère la préparer, avant l'attaque) pour stopper le sang et calmer la douleur) pour que le commando de Sigbert réussît à pénétrer dans Rome puis dans le monument (presque terminé) de Dallabert. Il y avait quelques gags inattendus dans un tel contexte comme le choc sous une voûte "romane" à cause de la pointe du casque, lors d'une chevauchée dans une ruelle, le faisant tomber de cheval et rendant cet accessoire inutilisable, un autre cheval de son équipe l'ayant piétiné. Plus tard c'était le "fend foule" qui se brisait contre une roue de charriot située juste derrière un soldat romain (dernière victime de ce dispositif). La plupart des "gadgets" équipant Sigbert et sa monture étaient détruits dans diverses circonstances, non sans avoir antérieurement causé morts et mutilations sur son passage, de même qu'il manquait déjà beaucoup d'écailles métalliques de son armure conçue ainsi au moment de la scène de l'effondrement.
Parmi les diverses histoires de certains personnages, racontées à travers tout ceci, il y avait la rivalité (remontant à leurs études d'architecture, où Massinius avait échoué à un concours) entre deux architectes romains, Massinius et Dallabère, réussissant à faire tenter à l'empereur et aux plus riches citoyens des constructions plus audacieuses que sûres, avec des histoire de vol de secrets, de constructions "dallabérisées" (selon Massinius) c'est à dire ne tenant debout que par des astuces volées à l'assistant de Massinius par les espions de Dallabère. Gondemar, assistant joué par Kim (de l'équipe d'industrialisation des "chairs artificielles", barbare (père de Sigbert) capturé lors d'un ancien raid, devenu esclave, gladiateur, aurige puis suite à une blessure le rendant boiteux, assistant de l'architecte non retenu pour la "pyramide aérienne", la construction la plus audacieuse du moment, marché emporté par Dallabère.
Sigbert ne rencontrait pas son père, tué quelques minutes (du film) avant par un autre envahisseur, mais finissait par se trouver face à Massinius dans cet édifice. Il le sommait de lui révéler où était le trésor. Massinius indiquait un emplacement dans une crypte. Sigbert, méfiant, lui demandait de fouiller à sa place, et ce faisant Massinius (tout en faisant tomber quelques pièces de monnaie de sa poche en fouillant dans le sable, pour faire croire qu'elles en provenaient) ouvrait la "décharge" d'une des sablières servant à équiliber mutuellement les immenses colonnes de l'édifice, astuce que lui avait volé Dallabert pour compenser l'étude trop hâtive du sol sous les fondations. Bien avant cette scène, on avait vu Sigbert décapiter Dallabère d'un revers d'épée franque (à deux mains, donc) en acier (et non de glaive en bronze).
Sigbert périssait écrasé comme un insecte sur le dallage luxeux du palais, sous un enorme linteau tombé de tout en haut pendant l'effondrement en torsion de toute la colonnade portant la pyramide, ainsi que ses camarades.
Il y avait une référence à la fin du clip "Atlantide", dans cet effondrement, quelques clins d'oeil à "Astérix et Cléopatre" dans ce personnage d'architecte (mais en plus sérieux d'attitude), ainsi qu'à Samson déboitant les colonnes du temple, sauf que Massinius le faisait par sa connaissance du point faible de conception de l'édifice de son concurrent, et non par la force. La même chose étant arrivé à une de ses autres créations, plus petite, au début du film, d'où l'installation des sablières de mise à niveau pour éviter cela avant que la totalité du dessus ne fût posé et bloquât ce qui le portait. Les accidents abondaient sur ses chantiers, en grande partie dû à l'abus par les ouvriers du vin cuit dans des vases de plomb.
Sigbert et ses compagnons n'étaient pas que rapides, agiles et dotés d'armes redoutables: ils faisaient preuve de bien des ruses pour envahir Rome avant les autres hordes, comme les grands miroirs en cuivre argenté soigneusement polis, orientés par des aides restés en arrière, pour éblouïr les archers romains et les empêcher de viser au moment de l'assaut. Son père avait échoué antérieurement dans une telle tentative en se cachant dans de grandes barriques de vin volées en traversant la Gaule, vers le début du film. Pleines, en respirant à travers une branche de sureau vidée de sa moëlle. La poursuite de la décadence avait rendu l'attaque par la horde de Sigbert moins difficile. Ce n'était qu'une partie du pillage général de Rome par les hordes barbares, détruisant une grande partie de la ville (virtuelle) reconstitué sur d'énormes ordinateurs par Tarsini, y compris les simulations de destructions, réalisées avant le tournage avec acteurs réels. On ignorait le lien de filiation entre Gondemar et Sigbert pendant l'essentiel du film, même si l'on pouvait reconnaître le style des étriers, harnachements de chevaux et pièces d'armures déjà vus au début, ainsi que l'origine visiblement finlandaise des personnages utilisés. Les Francs venant de Lituanie, supposait-on, "on n'en n'était pas loin".
Tout ceci dû être tourné dans une superbe reconstitution virtuelle (vieillie -mais pas trop- et encrassée ça et là pour ne pas faire virtuelle) de Rome qu'aucun des acteurs ne pouvait voir, bien qu'en ayant tout vu une synthèse simplifiée (type "jeu vidéo") dans leurs lunettes de réalité virtuelle pendant les entrainements. Pour le vrai tournage, sans cet équipement, des décors simplifiés leur rappelaient les emplacements, les volumes et tonalités générales de ce qu'il y aurait autour une fois le vrai fusionné en stéréoscopie à la synthèse.
Il aurait un rôle plus important dans "L'île ingénieuse", tourné en même temps, situé en 1868, d'où l'ambiance julesvernienne au départ, avec un dirigeable à vapeur et des personnages ayant le style de ceux de ce genre de romans, évoquant entre eux (c'étaient des scientifiques) les théories de Darwin et de Galton, ce dernier prônant la réintroduction d'une sélection forte dans l'espèce humaine (comme pour l'élevage animal) pour remédier au disgénisme dû à l'éloignement de la sélection naturelle, théorie suivie par plusieurs pays, à cette époque et pas la suite, bien avant le nazisme. En 1868, la guerre de 1870 n'avait pas encore eu lieu, Gramme n'avait pas encore inventé le collecteur donc on ne disposait pas encore de moteur (ou générateur) électrique rotatifs, à part les dérivés de la "roue de Barlow" inventée en 1928, d'un très mauvais rendement mais illustrant le principe général: déplacer du cuivre parcouru d'un courant entre deux aimants. Il existait quelques moteurs électriques, mais à pistons: un vilebrequin et des bielles reliées à des bobines coulissant autour de barreaux magnétiques, actionnées tour à tour dans un sens et l'autre à la façon d'une machine à vapeur.
Dans le petit archipel volcanique où leur dirigeable emportée par une tempête finissait par s'échouer (sur les arbres, donc sans trop de casse, mais faute de pouvoir se procurer de l'hydrogène, aucun espoir de repartir par ce moyen), ils étaient capturés par des "indigènes" d'origine nordique (descendants lointains des Vikings s'étant eux aussi retrouvé jadis (en 852) sur cette île suite à une énorme tempête les ayant emporté au sud-est, fortement est, ce qui était inhabituel par rapport au régime de vents dominants) qui avaient fondé une société fortement sélective et eugéniste par nécessité de survie sur place: ils avaient remarqué qu'au cours de la dérive en mer, ce n'étaient pas les plus "faibles" d'apparence mais ceux qui transpiraient le plus en pleine chaleur qui étaient morts les premiers (c'était la déshydratation qui tuait le plus vite, et non l'hyperthermie, comme le "savaient" les chameaux), par manque d'eau potable (boire de l'eau de mer n'apportait qu'un répis de courte durée, avant d'aggraver l'état de l'assoiffé), idem sur l'île, avant d'avoir trouvé (dix-huit jours plus tard) le lac dans le cratère de l'ancien volcan: se gaver (sous l'effet d'une soif intense) de fruits inconnus donnait la courante et faisait reperdre plus de liquide que l'on en avait absorbé. Mieux vallait récupérer la rosée, la nuit, le long des parois de récipient ou de boucliers, ou extraire de l'eau de la chair des poissons: bien moins salée que la mer.
Ce n'était qu'un des nombreux critères de sélection: dans un système clos imposant une consanguinité importante, il était indispensable de trier les descendants pour n'autoriser la reproduction que de ceux exempts de tares, comme ils l'avaient constaté au fil des recroisements dans la descendance de la chatte ("des forêts norvégiennes") enceinte qui était à bord du navire (plus grand qu'un "drakkar"). Une fois les sujets défectueux écartés de la reproduction (problème se raréfiant de génération en génération, grâce à ce tri, d'autant plus que les géniteurs n'ayant pas eu de descendants défectueux étaient utilisés en priorité), la lignée consanguine devenait au contraire beaucoup plus sûre que la roulette russe que constituaient les apports extérieurs inconnus. Les premiers nauffragés comportaient six femmes et vingt hommes, donc la lignée de départ était moins étroite que celle des chats. Ce qui avait détaré et fiabilisé la lignée féline l'avait aussi fait (bien plus lentement) pour les lignées humaines, avec une sélection exigeante. Outre les chats (tous de même souche), quelques souris, passagères clandestines, s'étaient elles aussi adaptées à l'écosystème local: les oiseaux et les reptiles locaux les avaient ajoutées à leur menu quotidien, mais certaines avaient sû se cacher pour survivre à ces prédateurs, en plus (plus tard: ils croissaient et multipliaient moins vite que les souris) des chats. Ceux-ci préféraient rester dans l'habitat humain ou à proximité que de s'aventurer dans une jungle humide qui leur convenait moins. Il ne semblait pas exister de rats. Outre les souris, ils mangeaient quelques petits lézards, oiseaux et certains insectes, parmi ceux ayant échappé aux oiseaux et aux reptiles en s'introduisant dans le village. Le plus gros mamifère de l'île était un cochon sauvage nain (10 à 15 kg adulte) importé d'une autre île, à quatre jours de voile au sud, où les Vikings avaient fait du troc avec des populations locales (ce qui avait permis d'élever ce petit porc robuste et peu exigeant), île disparue vers l'an 1000 dans une explosion volcanique. Les prochaines îles habitées étaient trop loin: ceux qui avaient tenté d'y aller (en se basant sur ce qu'avaient dit les habitants de la précédente) n'étaient jamais revenus: leurs anciens compatriotes ne savaient s'ils avait péri en mer sans rien trouver, s'ils avaient préféré s'y établir ou s'ils n'avaient pas pu retrouver l'île de départ lorsqu'ils avaient tenté le retour, malgré la connaissance de la boussole, découverte une cinquantaine d'année après leur nauffrage initial: le groupe de trois îles étant d'origine volcanique (la troisième fumant encore et ne semblant pas encore avoir de végétation) on y trouvait divers minerais, donc la magnétite. En s'amusant avec ces étranges cailloux, la propriété d'auto-orientation d'une aiguille (posée sur un objet flottant léger) magnétisée à leur contact durable avait été constatée (pas tout de suite: il avait fallu jouer avec cela pendant un demi-siècle pour faire cette découverte, malgré l'abondance de ces oxydes magnétiques) et mise à profit d'abord pour s'orienter dans la forêt (toujours avec une petite rondelle de bois flottant dans un récipient), en pensant que c'était quelque chose dans l'île elle-même qui avait cet effet (ce qui était d'ailleurs le cas: l'aiguille déviait parfois en raison d'une accumulation locale affleurante d'oxyde magnétique) puis en constatant que quand on s'en éloignait en bateau, la boussole devenait plus stable. Il y avait donc un effet local dûe au sol de ces îles, et un effet plus général qui restait constant même quand le soleil se déplaçait. Ce qui était une mauvaise nouvelle: si l'aiguille avait continué à être attirée par les îles, même au loin, les navigateurs eussent été sûrs de les retrouver, même en les ayant perdues de vue depuis longtemps. Là, on savait juste dans quelle direction générale on allait, mais sans savoir si on n'y était pas encore ou si on les avait déjà dépassées par la droite ou par la gauche. En ces temps anciens, les navigateurs de tous pays veillaient à ne jamais perdre longtemps de vue des repères fixes (côtiers ou récifs identifiables). La navigation en haute mer restait aléatoire. Les nauffragés supposaient que l'Europe était quelque part au nord-ouest, mais il n'en étaient pas sûrs. S'ils étaient partis vent arrière aux vents dominants (d'ouest), ils auraient fini par atteindre soit l'Europe, soit l'Afrique (aucun risque de passer plus au sud), mais il s'écoula longtemps avant la première tentative de ce genre. Les îliens n'eurent jamais de nouvelles des vingt-six marins qui étaient partis sur le navire qu'ils avaient construit. D'autres navires furent construit, et eux non plus ne revinrent jamais: leur équipage était-il mort en mer sans trouver terre, ou sous l'effet d'une tempête, avait-il trouvé une terre inconnue ne se continuant pas vers l'Europe, ou avait-il retrouvé un rivage pouvant ensuite être suivi jusqu'en Europe? Nul ne le savait. Ce qu'ils savaient, c'était qu'il serait difficile de se rendre d'Europe vers leur île, car c'était dans le mauvais sens (en général) par rapport au vent, et qu'en plus, trouver une île en plein océan supposait de passer à faible distance d'elle (pour qu'elle ne fût pas derrière l'horizon vu du bateau), sans savoir où la chercher. Des recherches en mathématiques, géométrie, optique (ils savaient faire du verre et même des miroirs, en particulier pour cuire les aliments au soleil sans dépenser de bois pour cela) et astronomie furent menés pendant des siècles pour tenter de trouver un moyen de se repérer, en plus des indications de la boussole. Le moment où l'on obtenait midi (l'ombre la plus courte d'un bâton, mais aussi l'alignement avec l'aiguille d'une boussole: ça, ils l'avaient vite remarqué) changeait si l'on suivait le sens du soleil (vers l'ouest) où si on allait à sa rencontre (vers l'est). L'imprécision des diverses horloges (à eau, à sable, à rouages avec régulateur centrifuge...) et du repérage précis de l'instant de midi n'aurait pas permis à des navigateurs de retrouver la longitude de leur île par ce moyen (pas assez précis pour ne pas risquer passer à côté hors de portée de vue y compris des fumeroles de la troisième île) mais pour savoir si on allait vers l'Europe ou dans l'autre sens, c'était suffisant. Quand à la lattitude, elle dépendait de la date dans l'année et de la longueur de l'ombre d'un bâton planté droit (vérifié au fil à plomb). Pas besoin d'horloge pour cela. Les îliens étaient encore loin d'avoir inventé le sextant mais les principes de base y étaient. Il ne manquait que la précision du matériel, en particulier celle de l'horloge sur un jour complet. Ces recherches firent faire des progrès considérables non seulement aux mathématiques locales, mais aussi aux machines à calculer: très vite, il était apparu qu'il fallait des moyens plus rapides et surtout plus sûrs que le calcul humain pour obtenir vite des valeurs après avoir fait des mesures. Toutes sortes d'abaques coulissants ou pivotants (mais faute de connaître les logarithmes, ils n'inventèrent pas la règle à calcul) et de variante de bouliers, classiques, cylindriques, hélicoïdaux et même toriques, avec système de retenues automatiques, furent essayés, ce qui devint une passion nationale, l'objet de concours, de spectacles et de récompenses. Des machines à calculer à engrenages, à glissières, bascules et "gâchettes" furent dérivées des travaux entrepris pour perfectionner l'horlogerie, ce qui fut l'objet d'une remise en cause spectaculaire de la façon de compter (abandon des bases 10 et 20 héritées de l'Europe) pour résoudre le problème de la machine à diviser mécanique.
Pour la géométrie, l'un des premiers nauffragés connaissait un peu les travaux d'Euclide, qui furent assez vite reconstitués, ainsi que ceux de Thalès, Pythagore, etc, utiles aux fabriquants d'appareils et de machines en particulier les treuils et les éoliennes (tambours à aubes, puis de plus en plus perfectionnées, jusqu'au "carroussel de voiles") très utilisés sur place, faute de force de travail animale: ni les chats ni les cochons nains ne pouvaient être de la moindre utilité dans ce domaine, et les tentatives de domestication des gros reptiles avaient échoué: on avait vite constaté qu'ils étaient commestibles (et leur peau intéressante comme matériau) mais pas serviables. Le cochon nain fournissait du poil dur (brosses, y compris à dents), un cuir souple et confortable, une chair savoureuse et un caractère facile (tout en étant joueur, si on lui en donnait l'occasion. Certains servaient d'animaux de compagnie), qui, ajouté à son régime omnivore, facilitait son élevage. Diverses races avaient peu à peu été dérivées par sélection: des plus petits à pelage plus doux, comme animaux de compagnie, des plus gros et plus gras (mais on ne put dépasser 20kg) pour la viande et la peau.
Des travaux de géométrie ils déduisirent vite les lois de l'optique géométrique (à base de miroirs, y compris concaves. Les lentilles furent théorisées plus tard), en se disant que la lumière (ou la vision) rebondissaient sur les surfaces brillantes exactement comme une balle contre un mur (ce qui était exact. Mieux, même: il n'y avait ni les frottements ni le poids...). Il suffisait alors de faire des dessins pour inventer le miroir parabolique (sans savoir qu'il s'agissait d'une parabole: ce ne fut constaté que plus tard, en cherchant les propriétés arithmétiques des mesures de cette courbe) et bricoler des fours solaires: un tel usage ne demandait pas une "focalisation" précise: une parabole orientable (carcasse en bois, réflecteur en métal poli) grossière, facétisée, suffisait, la poterie passée au noir de fumée n'étant pas minuscule: du moment que la lumière réfléchie finissait contre elle, ça contribuait à la chauffer. Le fan d'Euclide avait aussi entendu parler des miroirs d'Archimède: prétendre incendier une flotte ainsi était probablement exagéré (il eût fallu énormément de grands miroirs et une précision de visée difficilement imaginable à l'époque) mais les Perses pouvaient avoir été gravement éblouis et avoir perdu la battaille pour cette raison, l'ennemi pouvant s'approcher et incendier les navires plus classiquement par des projectiles enflammés. Ce qui était sûr, c'était qu'en l'absence de nuages obstructifs, un four d'environ 1m50 de diamètre pouvait faire bouillir le contenu d'une poterie, si on l'orientait correctement. Ceci entousiasma les îliens pour ces recherches, fournissant des apprentis et des disciples à ceux qui les avaient menées.
Parallèlement, la métallurgie se développait: elle était utile pour les mécanisme (même si l'on pouvait en construire une partie avec du bois dur ou de l'os), les outils et les miroirs.
Ils avaient construit de grands fours sur "l'île bouillante", avec de grands outils opérés à distance (transmissions mécaniques) depuis un opérateur dans un scaphandre refroidi par une circulation d'eau de mer pompée d'une zone fraîche depuis un bateau. En emprisonnant certaines zones très chaudes sous une voûte (déposée pierre à pierre sur un tas de sable soutiré ensuite), il devenait possible d'y cuire des poteries et de grandes quantités de briques (ainsi que de tuiles), la chaleur augmentant fortement au lieu de se dissiper directement dans l'air par convection naturelle. Les essais avaient permis de règler le taux de fuite d'air du four pour cuire les briques, amenées crues sur une glissère, avec une pince très longue, et reprises plus tard. Des fours de même type furent utilisés pour cuire à l'étouffé du bois pour obtenir un charbon de bois bien plus homogène que par les méthodes nécessitant de brûler une bonne partie du bois pour l'obtenir. Charbon de bois nécessaire à la sidérurgie antique. Très tôt, à cause de la violence des tempêtes, les îliens avaient compris qu'il ne fallait pas couper les arbres du bord de l'île: la fôret était source de protéïnes, via les insectes (capturés au filet devant un feu, la nuit: plusieurs espèces s'étaient avérées commestibles et deux étaient même jugées plus agréables au goût que le poisson), les oiseaux et les reptiles qu'elle hébergeait. On prenait donc des arbres par l'intérieur, en évitant de faire de trop grandes clairières sinon la violence du vent empêchait d'y faire des cultures (trop sèchées par le vent et le soleil) et la violence des pluies (en saison pluvieuse) arrachait le sol. Autour d'une clairière plus petite, la forêt formait un paravent efficace et limitait le risque de coulée de terre. Etant peu nombreux initialement, ils avaient eu le temps de constater les conséquences de ces premières erreurs avant d'avoir perdu une part significative de la ressource: sur une surface aussi restreinte, le risque de pertes irréversible avait vite été compris. La construction en pierre volcanique (murs de base, pour éloigner le reste du sol) et en terre, mélangée de branchages pour former des sortes d'igloo en forme d'obus (et non de dômes: l'obus tenait mieux que l'hémisphère et que le cône. Quiconque avait fait un dôme en sable mouillé d'une certaine taille, à la plage, en vidant ensuite par la porte le sable sec qui le "gonflait", l'avait constaté) avait vite remplacé la construction en bois, trop vulnérable aux tempêtes et trop facilement détruite par les insectes locaux. Les constructions ogivales en terre sèchée étaient lourdes, isolantes (inertie thermique jour/nuit), imputrescibles et offraient peu de prise au vent, de sorte que les vents les plus puissants ne les endommageaient pas... sauf chute d'un arbre dessus. Il suffisait de les recouvrir de grandes feuilles avant la saison des pluies pour éviter leur ramollissement. Plus tard (cuisson de la glaise sur l'autre île) la brique cuite était venue renforcer la terre crue et la tuile "romaine" (facile à faire et à mettre en place) la protéger des grosses pluies. La poterie cuite à température très stable permit aussi d'améliorer les aqueducs, grâce à des tuyaux fermés versant les uns dans les autres et s'altérant moins que les versions initiales à base de bambous décloisonnés. Les tuiles étaient légèrement troncôniques pour mieux suivre la courbure des édifices, avec des tuiles "de transition" lorsqu'il était temps d'en enjamber deux d'un coup (du rang précédent) pour éviter de les faire trop fines. Ceci rendait le travail de préparation des tuilles moins monotones (un symbole était tamponné dans la glaise avant sèchage, pour les identifier sans avoir à les re-mesurer) et ce système rentait une toiture ogivale en tuiles romaines beaucoup plus stable qu'au moyen de demi-cylindres identiques. Le cerclage des murs, par des cordages circulaires tressés noyés dans la terre lors de leur confection, évitait aussi aux ogives de grande tailles d'écarter leur circonférence. Une forme végétale de "chaînage", qui apportait une résitance suppémentaire à l'édifice. Les "médidiens", eux, étaient déjà faits des branchages courbés destinés à être englués de terre par les deux faces pour les isoler des insectes.
L'autre technique conservait la construction en bois, mais dans les arbres, en choisissant un réseau de branches déjà disposées d'une façon favorisant l'installation d'un plancher et laissant de l'espace habitable au dessus de lui. Si en plus ça composait la structure d'un toit cônique concave (récupération d'eau par le centre), c'était encore mieux. Une telle cabane finissait par être détruite par les insectes et la pourriture, mais fournissait pendant quelques années un abri loin du sol et abrité du vent si on le réalisait en pleine forêt. C'était aussi un moyen très pratique de se procurer des insectes (il restait ensuite à trier les commestibles et relâcher ceux qui ne l'étaient pas: "ça nourrit les oiseaux", or ils chassaient aussi les oiseaux, à l'arc): allumer une lampe (à huile ou saindou) dans une telle cabane, derrière un filet fin tendu à l'entrée, garantissait de faire une bonne récolte à la tombée du jour.
De grands alambics avaient eux aussi étaient installés sur les côtes de l'île bouillante, en choissant l'emplacement pour évaporer l'alcool et non l'eau (en fait un peu d'eau aussi, mais minoritairement), la tuyauterie plongeant ensuite dans la mer pour consenser les vapeurs d'alcool obtenues. L'alcool servait de désinfectant, de combustible pour les lampes et certains autres dispositifs, et accessoirement de boisson, toutefois ils s'étaient rendus compte que l'alcool de bois (plus facilement disponible ici, par fermentation de la sciure) était toxique, contrairement aux alcool de fruits, plus coûteux (parce que les fruits étaient moins abondants que le bois) mais bien meilleur au goût, en plus d'être moins nocifs.
L'agriculture céréalière n'avait jamais donné de bons résultats sur cette île: les sols s'y prêtaient mal, de même que le caractère trop saisonnier des précipitations, de plus de nombreux ravageurs s'y attaquaient. Ni le blé ni l'épautre (qu'ils avaient initialement dans des sacs dans leurs navires) n'avait pu devenir une ressource rentable à cultiver sur l'île, par rapport à d'autres sources de nourritures. Les "prégénéticiens" (car ils ne connaissaient pas l'ADN, mais juste l'équivalent des lois de Mendel, que tout observateur attentif et patient des croisements finissait tôt ou tard par découvrir, à partir de la version plus rudimentaire "les chiens ne font pas des chats") avaient donc sélectionné, par pollénisation manuelle, diverses variétés d'arbres fruitiers locaux, légumes et racines commestibles, en tenant compte aussi, dans le choix des descendants à faire se reproduire, du taux d'attaque par les insectes locaux. D'autres voies de recherches avaient utilisé des filets (nombre de plantes s'étaient avérées filables, dont une variété proche du chanvre) pour non seulement protéger les récoltes (fruits ou légumes) des insectes ravageurs, mais en plus capturer ceux-ci (attiré par ces plantes) pour les manger: ça fournissait de la "viande" en plus des fruits et légumes. Ce qui ne semblaient pas convenir à l'alimentation humaine pouvait resservir comme appâts pour la pêche, ou (une fois qu'ils eurent troqué cette espèce avec une île entretemps disparue) nourrir les cochons nains. Les filets étaient ôtés en période de pollénisation, pour que les insectes utiles puissent l'effectuer.
Certaines ressources minérales étaient vite devenues coûteuses d'accès: le gisement de cuivre (métal facile à travailler, résistant bien au feux et ne s'oxydant que superficiellement) s'enfonçait dans l'eau, entre leur île et la "bouillante". Il fallut donc trouver moyen de travailler sous l'eau, en utilisant des coques inversées et lestées pour cela, ravitaillées en air par une noria de pots libérant leur air sous le bord de la cloche. N'ayant pas d'ennemi à combattre et pas de problème de surpopulation (l'eugénisme limitait le nombre de reproducteurs, de plus il y avait périodiquement une partie de la population qui partait en bateau, comptant sur des nouvelles découvertes en calcul, en gréement et en astronomie pour retrouver l'Europe) ce peuple fit des progrès techniques et scientifiques spectaculaires, mais différents de ceux du monde qu'ils avaient quitté. Ils ne firent pas certaines découvertes, mais inventèrent par exemple les roulements à rouleaux (le droit et le cônique), les trains épicyloïdaux et l'usinage de précision avant l'an 1000, ainsi que d'excellentes horloges et des machines à calculer mécaniques qui seraient vite devenues de véritables ordinateurs s'ils avaient découvert l'électromagnétisme. En version mécanique, les machines à opérations multiples et reports de résultats devenaient vite d'un encombrement et d'une complexité de réalisation dissuasifs: comme les horloges astronomiques. Les découvertes avaient été moins nombreuses en chimie car certaines ressources n'existaient pas sur l'île. Leur connaissances botaniques et zoologiques étaient elles aussi limitées à ce qu'ils pouvaient étudier sur place. La construction navale fit des progrès spectaculaires mais hélas souvent (en partie) perdus car les inventeurs prenaient généralement la mer avec, sans avoir tout noté et dessiné explicitement, certaines idées qui leur semblaient évidentes (et nécessaires à l'amélioration qu'ils avaient apportée) ne n'étant pas forcément pour leurs apprentis, ou alors ceux-ci faisaient partie du voyage (cas fréquent). Les autres avaient appris quelque chose, mais pas tout, et souvent de travers.
Comme dans le reste du monde, il y eut beaucoup d'essai de machines volantes, non sans succès: de même que le gouvernail de queue leur avait semblé évident par imitation de la queue du poisson (au début, il en avait exactement la forme: une au bout de chaque coque, pour les multicoques, qui étaient le type d'embarcation le plus fréquent: vu chez les habitants de l'île disparue, avec des atouts évidents: bonne stabilité, bonne résistance à la dérive, faible tirant d'eau) c'était l'observation des longues périodes planées sans mouvement d'ailes chez les grands oiseaux marins qui leur avaient assez vite permis de réussir des planeurs (armature en bambou, entoillage en peau de porc affinée) qui se pilotaient en déplaçant le poids du corps sous le fuselage. Les courants ascendants générés par l'île bouillante (très chaude, elle leur servait aussi de marais salant accéléré: toute cuvette rocheuse remplie d'eau de mer devenait vite un tas de sel sec, hors périodes de pluies, sel qui ne restait en place que si on avait pris la protection de bâtir un mur autour pour l'abriter du vent) favorisèrent cette expérimentation: en se faisant catapulter du sommet (ancien volcan) de leur île, au moyen d'une énorme arbalète, les pilotes d'essai (après des essais plus modestes faits au dessus de l'eau, pour limiter les risques) étaient parvenus à atteindre l'île chaude, à y reprendre de l'altitude en tournant au dessus (se déporter latéralement pour virer) et à revenir non pas d'où il étaient partis, mais sur l'eau d'une plage de l'île de départ, ce que les expérimentateurs de vol humain de la fin du moyen-âge auraient déjà considéré comme un exploit hors de portée. Ce courant chaud ascendant donna à plus d'un l'idée de la montgolfière, ou plutôt de la "métuse thermique" (une sorte parachute porté par la montée d'air chaud), mais il n'avaient pas de matériau assez léger et résistant pour en fabriquer une. La réussite de certaines spirales ascendantes avec les planeurs, une fois optimisés, venait de ce qu'un planeur, par sa vitesse de glissement, générait une portance qui n'existait pas pour un parachute, de sorte qu'il pouvait arriver à tomber moins vite dans la colonne ascendante que celle-ci ne montait. Certains ajoutèrent à leur prototype une longue faire de rames (entoilées) actionnées aux pieds, avançant à plat et revenant en pelles (un quart de tour sur elles-mêmes au moment de l'inversion sur mouvement), en vue d'augmenter humainement la vitesse du planeur et de rester en l'air plus longtemps, mais le gain de portance ainsi ajouté ne compensait pas le poids ajouté par ce dispositif: il eût fallu l'actionner bien plus vite que ne pouvaient le faire de bonnes jambes humaines pour pouvoir "soutenir" un vol avec.
L'intérêt de l'idée était d'avoir déjà séparé la portance et la propulsion (contrairement aux oiseaux), après avoir constaté la fragilité excessive (ou le poids excessif, quand elles ne cassaient pas) des ailes battantes de tous types essayées jusqu'alors, avec aussi peu de résultats que dans le reste du monde. Les ingénieurs de l'île avaient compris qu'à partir d'une certaine taille, il ne fallait plus battre des ailes: celles des insectes battaient plus vite que les yeux ne pouvaient les voir, celles des petits oiseaux encore très vite, celles des oiseaux "moyens" plus lentement, et celles des plus grands oiseaux rarement. Un planeur capable de porter quelqu'un avait des ailes immenses par rapport à celle des plus grands oiseaux, donc elles ne devaient pas battre du tout, avaient-ils supposé (ce qui fut vrai, des siècles plus tard, pour les avions). Il fallait donc ajouter des nageoires (d'où les rames entoilées) pour donner de la vitesse au planeur. L'hélice n'avait pas encore été inventée sur l'île, contrairement à la roue à aubes et à l'éolienne à voiles tournant autour d'un arbre vertical, qui avaient été pensées et réalisées très vite, puis améliorées progressivement. Une roue à aube, c'était l'idée d'utiliser une roue garnie de "pelles" de rame, donc assez évidente, tandis que l'éolienne, elle, était comme plusieurs petits navires tournant sous diverses "allures" (par rapport au vent, au cours du cycle) autour d'une colonne motrice.
La vis, elle, avait été comprise puis fabriquée assez tôt, en observant certains coquillages, et aussi ce qui se passait pendant le tournage d'une poterie ou d'une pièce de bois quand on déplaçait l'outil sans tourner trop vite. De la vis aurait pu dériver l'hélice, mais ça n'avait pas été le cas: les roues à aubes donnaient de bons résultats (de plus, ils n'auraient pas réussi à rendre étanche un arbre traversant la coque sous l'eau: "même pas la peine d'y penser". L'arbre de la roue, lui, restait hors d'eau) et les éoliennes à voiles auto-réorientées plus encore: bien mieux qu'une éolienne à hélice, même moderne, par rapport à l'encombrement.
L'exploration sous-marine (à quelques mètre de profondeur) sous caisson lesté et ravitaillé en air (d'abord par une noria de petites poteries, puis par un tuyau fait de boyaux de porcs (pour l'étanchéïté) gainés de cuir cousu (pour la résistance au gonflage et aux frottements: un peu comme une chambre à air dans un pneu) déboucha ensuite sur des cloches de plongées plus petites et vitrées, pour l'exploration (algues commestibles, poissons...) et au scaphandre captif: cloche réduire à un haume réapprovisionné en air par le tuyau depuis un navire-pompe, ancré en surface: un mât-éolienne tournant actionnait la pompe à soufflets. Il y avait presque toujours du vent, autour de cette île, car il y avait au moins celui de la convection au ras de l'eau vers l'île bouillante, alimentant la colonne montante d'air chaud. Ca donnait bien plus de temps et de précision (surtout de vision) que la plongée en apné pour récolter des espèces commestibles, et surtout pour étudier ces fond proches. Des essais de scaphandre autonome eurent lieu dès l'an 1180 européen, en plaçant plusieurs boyaux en faisceau serré dans un tube de bambou (décloisonné et poli pour ne pas blesser les boyaux) cerclé de corde pour ne pas éclater. Faute de pouvoir compresser l'air à plusieurs dizaines de bars, avec les moyens de l'époque, cela ne permettait de rester sous l'eau ni longtemps ni profond (plus de 20 mètres, tout de même), donc l'intérêt par rapport au tuyau venu de la surface n'était pas évident. Une version courte, pourvue de deux tubes ridiges (bambous), l'un pour l'inspiration, l'autre pour l'expiration (contrairement à un tuba où l'on commençait par réinspirer l'air que l'on avait précédemment fini d'expirer, surtout si le tube était long) permit de rester longtemps sous deux mètres d'eau (au dessus de soi) sans dépendre d'un pompage de surface: il fallait fournir un effort supplémentaire (0,2 bars) pour inspirer, mais c'était faisable. Un flotteur évitait que le "schnorkel" ainsi créé ne s'incline au point d'avaler de l'eau. Il dépassait assez pour que le plongeur ne risque pas d'aller trop bas, l'effort sur le torse faisant bien sentir la profondeur atteinte. D'autre essais (avec pompage en surface) permirent de faire fonctionner une lampe à alcool sous l'eau, dans une longue bouteille de verre soufflé, l'air frais arrivant par le fond de la bouteille (découpé à chaud au cours du soufflage), à travers un gros bouchon en bois portant le réservoir d'alcool, tandis que la fumée remontait par l'autre tube, au goulot de la bouteille. Ceci permit des pêches fructueuses, la nuit, bien plus qu'avec une lampe au bord d'un bateau: il suffisait d'une toute petite lampe de ce type (alimentée par pompage) au fond d'une nasse pour la remplir, surtout en opacifiant les parois non traversables, pour guider la proie vers l'entrée. Certains supposaient que les poissons allaient comprendre le piège et l'éviter, ce à quoi l'inventeur avait répondu que non: "ceux qui ont compris l'ont compris après y être entrés, donc ils n'ont pas pu aller prévenir les autres, et même s'il y a quelques poissons intelligents, nous mangerons les poissons idiots". Ce à quoi les "prédarwiniens" locaux auraient pu objecter que l'on allait de ce fait augmenter l'intelligence des poissons (en retirant de la mer les plus naïfs de chaque génération) donc avoir plus de mal à les pêcher par la suite. Toutefois, la quantité pêchée était très faible, par rapport à l'océan alentours, donc cet effet aurait mis des millions d'années à augmenter sensiblement le QI des poissons. Crustacés et poulpes s'y laissaient aussi prendre.
De nombreuses tentatives de sous-marins avaient eu lieu, les premier étant des variantes de cloche à plongueurs (fond ouvert) en forme de coque longue retournée, munie de rames coudées (remontant former des pédales, toutes liées par une tringle de bambou pour la synchronisation) passant sous le bord inférieur de la coque. Ca marchait plutôt bien, des hublots à l'avant permettant de voir sous l'eau. Toutefois on ne pouvait plonger à plus de quelques mètres avec, l'eau remontant compresser l'air dans la coque à mesure que la profondeur augmentait, ce qui diminuait la portance... donc faisait couler plus profonds. Les expériences ayant eu lieu avec des amarres venant d'un navire de surface d'une taille suffisante, ces prototypes (et leurs équipages) n'étaient pas allés au fond, mais avaient montré que ce procédé ne permettait aucune stabilisation de profondeur: autour d'une profondeur d'équilibre instable, tout enfoncement faisait partir au fond, tout soulèvement remonter à la surface, l'air décompressé chassant de l'eau sous lui donc allègeant l'ensemble. Pour remédier à cela, il fallait pouvoir modifier la quantité d'air libre sous la coque, donc disposer d'une réserve compressée dans un tonneau (que l'on lâcherait pour remplir la coque et remonter), et d'une pompe pour l'y recompresser, quand on voudrait descendre.
L'idée du sous-marin fermé avait aussi été expérimentée, mais posait le problème du passage des rames (ou tout autre dispositif moteur): les articulations souples en cuir graissé constituaient un risque en cas de fissure du cuir. De la peau de divers poissons fut utilisée pour ces joints (non tournant: mouvement alternatif d'angle limité) d'articulations. De plus un tonneau habitable fermé subissait une pression élevée susceptible d'y causer des fuites, contrairement à la cloche ouverte dont la pression interne était identique à la pression externe.
Des tonneaux fuselés furent toutefois construits (pointus aux deux bouts: les lois de l'hydrodynamique immergée n'étaient pas encore connues, et comme un navire de surface gagnait à avoir une étrave, un navire submergé semblait devoir avoir une pointe cônique, triangulaire ou pyramidale pour mieux "fendre" l'eau), revêtus de cuir (peaux cousues puis couture collée à chaud) sur une couche de graisse, revêtement assurant une étanchéïté suffisante pour de tels essais, tout en n'étant pas chargé d'encaisser la pression: ça, c'était le travail des couples circulaire du fuselage façon tonneau (sauf que contrairement à un tonneau, il s'agissait d'empêcher l'implosion, et non l'explosion). Le sous-marin était un "à peine moins lourd que l'eau", avec un lest de pierres qui pouvait être largué de l'intérieur (en tournant d'un quart un gros taquet à joint souple) en cas d'entrée d'eau dans la coque, pour remonter vite avant de risquer un nauffrage. L'enfoncement dans l'eau se faisait en ramant (toujours au pied) non pas "pelles droites puis plates", mais inclinées dans un sens puis l'autre, ce qui revenait à godiller vers le bas, ou toute combinaison entre ce mode et l'avance horizontal, par règlage du dispositif orientant toute les rames d'une certaine façon à l'aller, d'une autre au retour. D'autre prototype décidaient de mieux imiter les poissons, en godillant au moyen d'une longue queue articulée, ce qui permettait de limiter le nombre de joints flexibles et l'angle de débattement qui leur était imposé, tout en n'ayant pas l'inconvénient de largeur des rames, gênant pour explorer certains sites sous-marins.
Le sous-marin, pour les îliens, n'avait pas été inventé comme arme de guerre (il n'y avait pas de flotte ennemie) mais comme véhicule d'exploration sous-marine ainsi que de compétitions: aller le plus profond, ou y rester le plus longtemps en parcourant la plus grande distance, ramasser des objets ou des coquillages au moyen de pinces manoeuvrées de l'intérieur (ce qui supposait deux articulations flexibles étanches: l'une pour le bras, l'autre pour pouvoir actionner la pince à son bout, voire une troisième si le bras comportait un coude avant la pince), vitesse de remontée, épreuves de manoeuvrabilités, etc.
Il y avait bien sûr le problème du renouvellement de l'air, au bout d'un certain temps, surtout avec une propulsion musculaire qui en faisait consommer plus. Le schnorkel bi-tubes, doté de soufflets de circulation forcée (actionnés eux aussi par le pédalage moteur) et d'un clapet automatique, permit de naviguer à une dizaine de mètres de profondeur, une fois solidement haubanné aux deux extrémités du sous-marin pour rester droit. La tuyauterie se continuait sous le "kiosque" vers des prises d'air réparties des deux côtés: l'air frais entrait à babord, l'air usé sortait à tribord, de façon à ce que tous les pédaleurs (en ligne) en bénéficient également, ce qui n'eût pas été le cas avec un renouvellement longtitudinal. En agissant (par une transmission à cliquets: moyen de transformer un mouvement alternatif en continu, donc d'enrouler ou dérouler sans avoir besoin d'un arbre rotatif traversant) sur les haubans du schnorkel, les sous-mariniers pouvaient le coucher en arrière (la base étant articulée avec joints) pour moins freiner le sous-marin en plongée complète. Un système téléscopique n'était pas envisageable, pour raison d'étanchéïté. Le périscope ne fut ajouté que bien plus tard, utilisant des miroirs et non des lentilles, donc ne donnant qu'une vue étroite semblant être au bout d'un tube horizontal. C'était "mieux que rien", d'autant plus qu'il était possible de faire pivoter d'en bas le miroir supérieur à l'intérieur de la "lanterne" (fixe) en verre soufflé, protégée des chocs éventuels par une grille. L'utilisation de miroirs courbes savament calculés permit de réunir en un seul dispositif (un à chaque bout) les fonctions de déviation et de concentration: il leur était plus facile de corriger légèrement les courbures d'une fine feuille de métal poli que de réusiner des lentilles jusqu'à un résultat satisfaisant.
Le repérage d'autres gisements de cuivre sous-marin (résurgences de celui découvert à terre) grâce à ces sous-marins et scaphandres captifs (plus rarement autonomes) permit de créer des engins de plongée entièrement revêtu de ce métal, tout en conservant la structure interne en bois pour l'économiser: le cuivre fin ne servait que de peau, bien plus résistante et durable que les divers cuirs (y compris de poisson) utilisés jusqu'alors, le bois (cintré à la vapeur, pour ne pas rompre la continuité des fibres) donnant sa rigidité au fuselage. Des coques de navires occidentaux furent d'ailleurs réalisées (bien plus tard) sur un principe voisin, le cuivre ayant comme avantage complémentaire d'empêcher la fixation de certains coquillages allourdissant et freinant les coques.
Pour l'exploration des fonds marins, le sous-marin autonome n'était pas indispensable: une sphère de plongée descendue sous un navire de surface aurait pu convenir, mais pour le travail au fond (repérage et remontée d'échantillons, installation d'une roue à godets pour récupérer du minerai...) il fallait échapper aux effet de la houle, alors qu'une sphère suspendue y était soumise, en plus des retards de réaction et balancements intempestifs (lents, mais amples) après arrêt ou remise en mouvement du navire.
Parmi les raisons motivant le perfectionnement des sous-marins, il y avait l'idée qu'en se guidant sur le fond, il serait possible de retrouver son chemin vers l'île après être parti explorer fort loin. L'expérience montra que le fond descendait trop vite, quand on s'éloignait de l'île, pou que ce fût envisageable. Ce n'était pas le cas entre les îles, qui émergeaient de l'eau comme des dents d'une scie ou les reliefs d'une colonne vertébrale de monstre englouti: les fonds s'enfonçaient peu (bien plus lentement que la pente générale ailleurs), de l'une à autre, formant comme les cols d'une chaîne de montagne. Un grand navire monocoque (donc profond) auraît dû bien viser pour ne pas risquer de s'y éventrer ou échouer. La construction d'un pont eût été géométriquement envisageable, mais la violence des tempêtes saisonnière eût vite emporté un viaduc de bois, tandis qu'un viaduc de pierre n'aurait pas résisté aux tremblements de terre, à moins de construire une digue pleine continue, ce qui aurait nécessité le transport d'une quantité dissuasive de grosses roches.
Certains navires quittant l'île dans l'espoir de retrouver l'Europe étaient équipés de systèmes de nasses à lampes submersibles, pour pêcher pendant les périodes de manque de vent: pour alimenter une petite lampe, le pompage manuel n'était pas épuisant. Tant que le navire avançait, il suffisait de pêcher au filet ou à la traîne.
Parmi ceux qui quittaient l'île, il y avait (surtout au début) nombre de ceux qui avaient été écartés de la reproduction pour défauts transmissibles à la descendance. On ne les avait pas chassés, mais quand un navire était prêt et semblait avoir été correctement perfectionné par rapport aux précédents, c'étaient surtout ces îliens "de second choix" (voire troisième) qui y embarquaient, en plus du constructeur. Quand le constructeur ne souhaitait pas être capitaine du navire, préférant rester sur l'île, les gens avaient des doutes quant aux qualités du bateau, le constructeur (surtout si ses aides les plus talentueux avaient eux aussi choisi de rester) estimant probablement que ce n'était qu'un brouillon et que le suivant serait plus sûr. Toutefois, il y avait assez de gens estimant le nouveau navire assez bien conçu et bien réalisé pour décider de partir avec.
Cette tendance à l'exode diminua au cours des générations: les "anciens" se souvenaient encore (par récits de leurs ancètres) de leur patrie d'origine, les suivants ne trouvaient pas tant d'inconvénients à la vie sur l'île (surtout par rapport à ce qu'ils lisaient du monde médiéval) et préféraient profiter du confort atteint par cette micro-civilisation, à l'abri des guerres, des famines (ils étaient loin de surconsommer les ressources de l'île, et ceci sans consacrer beaucoup de temps à la pêche), des épidémies...
Les croyances des Vikings s'étaient émoussées sur l'île: on imaginait mal Tor et Odin sous ce climat. D'autres petites superstitions étaient apparues, mais il s'agissait plus d' "esprits" locaux que de "dieux". Les trois îles, surtout la troisième, étaient déjà des mystères assez matériels pour ne pas avoir besoin de s'en inventer d'autres. Certains craignaient que leur propre volcan ne se réveille un jour, d'autant qu'il y avait déjà eu des séïsmes. Les petites constructions en terre en "obus" (surtout celles à structure noyée à ceintures circulaire de cordage) y avaient bien résisté, à part quelques glissements de tuiles, mais certains édifices plus audacieux en pierre taillée s'étaient partiellement disloqués. La théorie sur les volcans avait vite été qu'il y avait sous terre une sorte de puits qui avait bougé, comme sous un tapis: la première île était plus petite et plus basse parce que le vent et la mer avaient pu user son volcan éteint depuis longtemps. La grande, au centre, celle qu'ils habitaient, avait dû glisser d'au dessus du puits de chaleur plus tard. La troisième était encore dessus, et plus tard, dans très longtemps, il y aurait peut-être une quatrième île, quand la troisième serait froide et boisée, et peut-être intéressante à aller habiter surtout si la seconde commençait à s'user ou à se réenfoncer dans l'eau. Certains pensaient que la première avait été usée par dessus, d'autres par dessous: "à cause du frottement contre ce qui se déplace dessous". Cette théorie disait donc que le volcan de leur île ne pourrait pas se réallumer (il n'y avait aucune raison que ce mouvement général fît marche arrière), et que les tremblement de terre étaient justement ce que l'on sentait quand le puits se déplaçait, "comme quand on tire une table dont les pieds brouttent sur un dallage". Cette théorie des îles fabriquées par leur volcan puis usées soit par la mer, soit par le "brouttement" dessous, causa une autre crainte: que le puits perdît sa chaleur, la troisième île étant plus petite elle aussi, donc son volcan n'avait pas fait autant de matière avant de cesser de couler (ils ne l'avaient jamais vu couler: juste de la fumée, qui partait vers l'est, et beaucoup de vapeur). La quatrième île serait donc encore plus petite et ne dépasserait peut-être même pas de l'eau, pendant que leur île et la troisème s'useraient: "un jour on sera tous rassemblés au sommet avec les pieds dans l'eau, et puis l'eau jusqu'au nez, et puis gloup!". La disparition bien plus brutale de l'île du peuple (évoquant vaguement les Lapons, mais en plus fins et à peau plus sombre) auquel ils avaient troqué les premiers cochons nains contre des outils alimentait les craintes de disparition de leur propre île (et d'un seul coup, comme celle de l'autre peuplade) au lieu d'avoir des centaines voire des milliers d'années devant eux au cours d'une érosion lente. "Et elle a dû couler d'un seul coup, la nuit, sinon il y en aurait tout de même quelques-uns qui seraient montés sur leur bateaux et auraient essayé de venir ici, or on ne les a jamais revus". D'autres répondaient qu'ils avaient préféré naviguer vers d'autres îles qu'ils connaissaient, avec des gens du même peuple. Elle avait pu mettre seize jours à couler, puisque la prochaine expédition (qui n'avait pas retrouvé l'île, bien qu'ayant navigué encore deux jours en spirale sur place pour être sûr de ne pas l'avoir manquée) était partie dix-sept jours après la précédente qui était resté une journée sur place pour choisir des animaux faciles à élever et des semences à échanger contre de l'outillage que les autres n'avaient pas. Restait la possibilité que l'île aux cochons ait bougé: après tout, les choses ne semblaient pas permanentes, dans ce genre d'îles. C'était peut-être une île flottante: certaines pierres (ponce) flottaient, alors pourquoi pas une île entière? Ou encore qu'en raison d'un régime de vents et de courants différents les diverses expéditions tentant de la retrouver l'aient chacune manquée. Objection "mais alors ils auraient eu autant de risque de ne pas revenir: nos îles se voient d'un peu plus loin parce qu'il y en a trois et que la troisième fume, mais on peut se perdre, or ils ont tous fini par revenir". D'où un soupçon: les premiers avaient probabement essayé d'aller jusqu'à l'île aux cochons, puisque la dernière fois elle y était. Mais les suivants, s'ils étaient partis sans savoir exactement jusqu'où, et que malgré ça ils avaient tous pu revenir, ça laissait supposer qu'ils n'avaient peut-être pas osé trop s'éloigner de leur propre île, de peur de ne pas la retrouver non plus.
Ce fut vers 1300 (pour l'Occident) que les îliens eurent enfin une horloge (à balancier rotatif avec rappel par deux fils de torsion, ce rotor étant monté sur roulements à rouleaux côniques huilés) assez précise pour donner plusieurs jours de suite le midi solaire à quelques secondes près. La suspension à cardan et le gyroscope ayant été inventé bien avant (pour la visée de lattitude) il devenait enfin possible d'aller "un peu loin" sans risque de se perdre définitivement: on ne resterait que perdu que tant que l'état de mer ou la couverture nuageuse empêcheraient de faire les mesures. Le totalisateur flottant à aubes (inventé dès 896, sur l'île) donnait une appromation de la distance parcourue par rapport à l'eau, et si les courants restaient à peu près stable, il suffisait de corriger dans l'autre sens (ainsi que pour le cap magnétique) pour savoir grossièrement où on était. Mais pas assez précisément pour être sûr de ne pas rater l'île, d'où la nécessité d'attendre l'horloge de précision (même par grosse houle) pour tenter de s'éloigner plus.
Une telle horloge demandant beaucoup de travail (ce qui était l'unité de coût) et de métaux d'excellente qualité pour être construite, nul ne fut autorisé à l'emporter pour une tentative de retour en Europe: "vous n'en avez pas besoin pour ça: il suffit d'une boussole et de mettre cap au nord-ouest pour être sûr d'aller toucher une côte: tout au nord, c'est gelé, donc on ne risque pas de passer au dessus". En effet, il savaient maintenant à peu près où ils étaient, dans l'Atlantique, donc quel cap suivre pour aller plutôt en Europe qu'en Afrique, plus risquée car la taille de l'Afrique leur était inconnue: il y avait des terres au sud de la Méditerrannée, savait-on, mais jusqu'où? Sur les cartes médiévales, la taille de ce continent était fortement sous-estimée, en plus de l'absence des Amériques et de l'Australie. Les cartes préféraient ne pas s'étendre au delà de l'Afrique saharienne, ni trop loin dans l'Altantique, parce que personne ne savait ce qu'il y avait là-bas.
Nombreux emprunts à VTPSF pour ces personnages, en plus d'Erwann, des Småprat (Fredrika, Annika, Hillevi, Kerstin et Ellinor), ainsi que leurs doublures, et de certains des Suédois et Danois (dont Niels) recrutés à cette époque, ainsi que quelques simulacres robotiques pour ceux, censés être plus âgés, qui étaient plus difficile à virtualiser pour certaines scènes: l'automate programmable (à condition de ne pas avoir à lui faire faire certaines acrobaties, ou alors pour les rater...) pouvait être utilisé n'importe quand sans fatigue donc convenait bien à cet usage.
Les acteurs plus âgés (ou arrangés pour le sembler) et surtout moins "synthétiques" (en particulier avec les moustaches, barbes et favoris typiques des années 1860-1870 industrielles britanniques et françaises) avaient des doublures robotisées pour certaines scènes.
La synthèse rendait bien les machines de l'époque de la vapeur: navires compliqués (voiles et roues), dirigeables à vapeur (Giffard ayant fait voler le premier en 1952), outils et instruments d'époque. VTP avait d'autres projets d'adaptations de romans de Jules Verne (l'Archipel n'en était pas un, mais un "à la manière de") et rôdait dans ce tournage quantité de techniques destinées à cet usage. Toutefois, le paysage maritime et ilien, lui, disposait d'avoir à recréer "tout un univers industriel" avant d'en avoir les moyens infographiques pour tout un film.
On était dans cette ambiance au début, avec les dernières phases de construction du dirigeable conçu pour tenter la première traversée de l'Atlantique (et contre le vent, en plus), lors d'une course internationale engageant aussi des navires à voile et à vapeur (à roues à aubes: plus "typiques"). Le dirigeable compact (seulement sept personnes à bord) utilisant l'aluminium et le bambou comme matériaux de structure, l'alcool comme combustible (moins lourd à la calorie produite que le charbon) était mû par deux petites machines à vapeur (chaudière commune sous la nacelle) situées loin de part et d'autre de la nacelle, entraînant chacune une grande hélice à quatre pales ressemblant à celles de l'Avion d'Ader. La description des moteurs à vapeur aussi. Le principe était de piloter par effet différentiel: régime différent à babord et tribord, voire opposé pour virer sur place. Les moteurs et leurs hélices pouvaient aussi être braqués vers le haut ou le bas, pour monter ou descendre plus vite que par les variations de densité par réchauffage ou non du bas du ballon. Pour emporter le moins possible d'eau, le circuit était fermé, avec condenseur sous le ballon, et le choix de faire circuler le retour de vapeur basse pression dans l'enveloppe ou non, pour obtenir un effet montgolfière (en plus de l'hydrogène) permettant le règlage de l'altitude sans jeter de lest ni perdre de gaz. Une pompe à vapeur (troisième machine, petite) permettait aussi de recompresser du gaz dans les tubes d'aluminium servant à la fois d'ossature de la nacelle et de réservoir de gaz, ceci pour compenser l'allègement au cours du voyage au fil de consommation de l'alcool, tout en récupérant l'hydrogène en vue de compenser les pertes inévitable par une enveloppe et des "ballonnets" internes pas totalement imperméables à ce gaz, surtout avec les matériaux de l'époque. Le début semblait donc tiré d'un roman de Jules Verne (bien que ce ne fût pas le cas): les techniques "de pointe" de l'époque, la notion de compétition transatlantique, l'apparence (respectant toutefois la compatibilité émilianienne avec la stéréoscopie) et les dialogues des personnages, le thème des mondes inexplorés: la cartographie était encore incomplète, surtout pour les petites îles loin des continents.
Le dirigeable était un vaisseau rendant très bien en virtuel (en prenant le temps de calcul nécessaire pour qu'il n'en eût pas l'air: pas "tout propre de partout") et plus encore en stéréoscopie, avec son volume, son filet de contention portant la nacelle, les conduites de vapeur vers les machines à pistons actionnant les hélices, etc. Il fonctionnait à l'alcool parce que ce carburant était plus disponible à l'époque que les dérivés pétroliers, et ses propriétés mieux connues des chimistes. Toutefois, le discours des scientifiques à bord de l'aéronef fait allusion au problème de manque de ressource que le développement de l'aérostation motorisée pourrait engendrer, et y voyait une raison de plus de stériliser les individus mal faits, pour réduire la population mondiale de façon à laisser assez de surfaces agricoles disponibles pour produire des huiles et alcools pour les machines. Le malthusianisme était aussi une thèse en vogue chez les scientifiques de l'époque, mais cette fois l'argument était différent: nourrir trop d'humains empêcherait d'alimenter les moteurs donc serait un obstacle au progrès.
Au début, ils restaient le plus possible à bord du dirigeable (sous son enveloppe affaissée: à cette époque, ce n'étaient pas encore des "rigides", surtout pour les petits modèles), qui, perché dans les branches d'un grand arbre, semblait une situation plus sûre que descendre rencontrer des bêtes éventuellement inconnues. Les longues-vues qu'ils avaient emportées leur permettaient d'explorer un peu au delà de la forêt, en montant dans les plus hautes branches de l'arbre voisin. D'où la découverte d'étranges éoliennes "carroussels de voiles": quatre voiles portées chacune par un cadre, au bout de bras formant de grands X horizontaux, pivotant moitié moins vite que la rotation de l'ensemble, ce qui simulait, sur un tour, toutes les "allures" d'une voile de navire: de ce fait, une partie du trajet retour (à contre-vent) comportait encore des phases motrices, comme une remontée au près en tirant un bord. Henri, l'un des deux ingénieurs, se souvenait avoir vu une représentation de ce système dans un prototype de navire hollandais de 1765 censé remonter droit contre le vent (ce qui était utile sur des canaux ne permettant pas de tirer de bords), en entraînant une roue à l'aide de ce mécanisme, mais qui avait été détruit par une violente rafale de vent lors de son premier voyage d'essai. Pierre, l'autre ingénieur, bien plus jeune (et seul imberbe des six rescapés) disait que pour un moulin terrestre le poids n'était pas un problème, contrairement à un navire, donc qu'il avait suffi de construire plus solidement.
H- une telle machine suppose de l'entretien pour rester en état de marche, car pour obtenir ces mouvements épicycloïdaux des voiles y a soit un système de chaînes soit des engrenages côniques à graisser. J'en déduis que soit le peuple qui les a construites est encore ici, soit il n'est pas parti depuis longtemps.
D'où un léger espoir, au cas où il serait possible d'entraîner le générateur par l'une de ces éoliennes pour obtenir de l'électricité permettant de refabriquer de l'hydrogène par électrolyse de l'eau.
P- mais s'ils sont là et qu'ils n'acceptent pas, il y a une autre solution: l'autre île présente un volcanisme semi-actif, avec des jets de vapeur. Nous pourrions y faire fonctionner la chaudière et la turbine sans avoir besoin de combustible.
H- [à la longue-vue] je n'y aperçois ni arbres ni oiseaux: la chaleur doit être telle sur cette île que vous y seriez cuit jusqu'à la moëlle avant d'avoir pu y installer quoi que ce soit. Si ces gens avaient pu s'y rendre pour y installer des machines à vapeur, pensez bien qu'ils l'auraient fait depuis longtemps.
Suivait (avec du virtuel "mental" au dessus des personnages, puis les remplaçant) l'explication par le géologue (Fulgence) de la conformation de l'archipel: "nous sommes sur une île plus ancienne, dont le volcan est éteint et fortement érodé depuis longtemps. Le point chaud sous la croûte terrestre s'est ensuite déplacé et a percré plus loin, comme un furoncle, pour engender celle que nous voyons fumer. L'île qui est à notre sud-ouest est probablement plus ancienne encore que la nôtre: elle est plus basse et plus petite, ce qui montre que l'érosion a eu plus de temps d'y travailler".
P- nous serions donc sur un volcan?
F- un ex-volcan: son puits de lave n'est plus alimenté, puisque sa source alimente maintenant l'île nue. Dans quelques millénaires, ce nouveau volcan se tarira aussi, et du fond de l'océan un nouveau se formera, qui finira par émerger en formant une quatrième île. Entretemps, la végétation et des animaux auront colonisé la troisième.
P- les oiseaux et certains insectes, oui, mais les animaux terrestres?
F- à l'occasion d'une tempête, des troncs arrachés peuvent être rejetés sur l'île suivante avec quelques animaux réfugiés dessus. Depuis que l'espèce humaine navigue, ils peuvent aussi être apportés dans des îles par des navires, volontairement ou non. Les rats sont habiles à jouer les passagers clandestins.
Les vivres n'étant prévus (et à petite dose) que pour quelques jours (l'équipage comptait pêcher à la traîne en descendant près de l'eau), de même que l'eau (elle était récupérée lors de la condensation sur le dessus de l'enveloppe du dirigeable, la nuit, phénomène déjà constaté au cours de vols précédents et exploité (canaux fins de drainage vers la nacelle) dans celui-ci pour emporter moins de vivre et plus de combustible) il faudrait tôt ou tard se résoudre à descendre de l'arbre, donc autant le faire avant d'être affaibli, ceci en tirant partie des lianes épaisses spiralant autour du tronc. Louis, le professeur de thermodynamique, glissa et tomba de vingt mètres sur le dos: mort. Un autre (Georges, le plus âgé, aux airs de professeur avec son collier de barbe) tomba de moins haut et fut sévèrement blessé au bras droit, pansé avec les moyens du bord tout en craignant l'infection.
Ils étaient outillés pour pêcher mais non pour chasser (inutile, en mer, or tout poids inutile devait être évité, dans cette tentative de traversée). Il fallait donc se rendre vers une des côtes et y construire une embarcation pour pouvoir pêcher, en attendant d'en construire une plus grande, dotée d'un gréement conséquent (on réutiliserait la toile d'enveloppe pour faire des voiles, les renforts en aluminium pour former mâts et baumes) et de la machinerie du dirigeable: il restait encore beaucoup d'alcool (mais pas assez, selon leurs calculs, pour électrolyser à l'aide du turbogénérateur l'énorme quantité d'hydrogène nécessaire pour rengonfler, si on réussissait à réparer la déchirure), donc on devrait pouvoir s'en servir pour entraîner deux roues à aubes, plus faciles à bricoler que des hélices marines car ne posant pas le problème de l'étanchéïté: l'arbre d'une roue à aubes restait au dessus de l'eau. Ce à quoi le géographe objectait: "et avec quoi allez-vous couper du bois? Nous n'avons ni hache ni grande scie. Juste l'outillage de réparation du dirigeable".
D'où l'idée de faire plutôt une structure-cage en branches plus fines, destinée à être revêtue de la "peau" du dirigeable, à la façon d'un canoë: "si c'est étanche pour le gaz, ça le sera pour l'eau, et on peut proteger le tout des agressions extérieures par de l'écorce déroulée: ce n'est pas étanche, mais ça résistera aux dents des poissons et au frottement contre des rochers".
Ceci (préparation avant vol incluse) occupait la première demi-heure du film, suite à quoi ils étaient capturés à l'aide de gaz (projectiles se brisant et en libérant, en tenant compte du vent) par des personnages masqués comme par des masques de soudeurs, sorte de haumes avec une vitre protégée par un grillage puis mis un par un dans cinq puits creusés dans le sol, refermés chacun par un caillebotis de grosses poutres lesté d'un bloc de roche après mise en place. Impossible de communiquer entre deux: c'était trop profond pour espérer que la voix sortant d'un puits et se mêlant aux bruits ambiant de la nature pût redescendre de façon audible dans un autre.
C'était Pierre, le plus jeune, qui était le plus souvent le "narrateur" de cette partie, style convenant bien aux romans de cette époque (bien que ce ne fût pas tiré d'un roman, mais inventé directement comme scénario). Ceci évitait d'avoir recours à des dialogues pour obtenir une partie des impressions ressenties par les personnages: leur "voix off" et de l'imaginerie mentale le faisaient bien plus précisément et rapidement.
Un par un, ils étaient sortis de leur "oubliette" (du moins s'ils le voulaient: ceux qui ne souhaitaient pas monter à l'échelle laissaient passer leur tour, celle-ci étant retirée et introduite dans le puits suivant) pour passer des examens physiques et des tests comportementaux.
Le personnage Pierre, attaché (sans brutalité, mais résolument) par deux "Nordiques" sur un siège se retrouvait avoir "Parikèn" (joué par Erwann) comme examinateur, après que celui-ci l'eût échangé à un de ses compatriotes. Parikèn commença par lui donner une brosse à dents en montrant dans sa propre bouche, avec une autre, comment s'en servir: mouvement de la gencive vers la dents, et pas en longueur, et comment utiliser la poudre stockée dans un morceau de bambou. Il posait des problèmes sous forme de rébus, avec des images, en parlant dans une langue inconnue, écrite (il y avait du texte) avec un alphabet anguleux inconnu (ce n'était ni du cyrillique ni de l'hébreu, à ce qu'il lui semblait, du peu qu'il connaissait de ces écritures-là), probablement conçu pour être gravé plutôt que dessiné. Certaines séries de "mots" empilés lui semblèrent pouvoir être des nombres, sans qu'il comprît la logique de cette numération: Parikèn, après avoir fait des mesures sur lui, semblait effectuer des calculs, en utilisant de temps en temps ce qui lui sembla être une machine à calculer mécanique, pièce d'horlogerie fine, bien que les symboles apparaissant dans celle-ci fussent différents de ceux ensuite inscrits sur ce qui devait être un registre d'étude de spécimen exotique.
Pierre, en mimant la numération avec les doigts, tenta de se faire expliquer ce système. Parikèn lui montra les signes sur la machine, les retraçant dans le sol. Le chevron vers le haut, le trait horizontal, le chevron vers le bas. Il n'y en avait pas d'autre. Il dessina un chevron vers le haut, montra un doit. En le faisant suivre d'un trait, il montra trois doigts. Un triplait donc en ajoutant des "zéro", au lieu de décupler. Pour ^^, quatre doigts: 3+1. Pour ^v, deux doigts: trois moins un. Un système trinaire centré: -,0,+, ce qui permettait de ne pas se poser la question de la soustraction: on échangeait les + et les - du nombre à soustraire puis on faisait une addition. Si le résultat commençait par "v" (-) il était négatif. Simple, mais efficace. Efficace en particulier pour la multiplication: si le multiplicande comportait un "^" au rang courant, on ajoutait le multiplicateur. Si c'était un "v", on le soustrayait (ajoutait son opposé). Si c'était le trait, on ne faisait rien, et passait au rang suivant s'il y avait lieu.
La machine à calculer fonctionnait ainsi. Parikèn devait être surpris qu'un étranger comprît son fonctionnement si vite, et le laissa la manipuler, tout en la tenant d'une main, bien calée sur la table, pour être sûr qu'elle ne tombât pas. L'objet devait être difficile à construire aussi précisément sur cette île, ou datait d'avant que ce peuple ne s'y retrouvât, donc devait être rare. Le plus sidérant fut que la machine savait aussi faire les divisions. Pierre n'avait jamais entendu parler de machine à diviser mécanique automatique (où il n'y ait qu'à tourner une manivelle jusqu'à arrêt de tous les cycles d'opérations pour obtenir un reste et un quotient), et pourtant celle-ci fonctionnait, dans sa propre numération. Il suffisait de refaire la multiplication puis d'ajouter le reste pour vérifier.
Ceci fait, Parikèn s'éloigna, fouilla dans un sac en peau de bête (porc sauvage?) et en sortit plusieurs objets pris sur eux (les instruments et outils emportés du dirigeable), dont la règle à calculer circulaire appartenant à Henri, l'ingénieur thermodynamicien ayant amélioré le rendement des machines et de la turbogénératrice du dirigeable. Parikèn montra l'objet à Pierre, montra la machine à calculer. Pierre fit "oui" de la tête (ce signe semblait marcher ici aussi) puis un mouvement de vague de la main, signifiant "approximativement". Basée sur les logarithmes, la règle à calculer (linéaire ou circulaire) indiquait (dans la limite de la précision de lecture des graduations) les résultats des multiplications, des divisions, des carrés, cubes, racines carrées et cubiques, mais ne faisait ni additions ni soustractions (pour cela il eût fallu se contenter d'une échelle linéaire). Ce modèle ancien ne comportait pas de trigonométrie au dos: c'était une autre règle (coulissante) qui les fournissait.
Pierre racontait ensuite (voix off sur film en "résumé accéléré") que les groupes de trois chiffres trinaires composaient les valeurs de -13 à +13 mais aussi les lettres de leur écriture, la ponctuation permettant de savoir si ce qui suivait était un mot ou un nombre. Les neuf voyelles étaient regroupées au début: a, é, è, i, ù (u aigü) u (u grave), ou, eu. Seize consonnes et deux signes de ponctuation se partageaient les 18 autres "valeurs" disponibles. Il manquait par rapport au français les voyelles nasales mais les autres y étaient, à l'exception du "e ouvert". Tous les sons de consonnes simples étaient présents eux aussi, y compris le "j" simple qui n'était pas fréquent dans les autres langues: aja s'y prononçait souvent aya, parfois adja.
Ils furent ensuite remis en présence les uns des autres, d'abord par deux puis tous ensemble, pour échanger leurs connaissances. Chacun avait appris quelque chose de différent. Deux d'entre eux (dont Pierre) avaient une table de conversion des symboles de l'écriture locale en sons du français, ce qui leur permettrait d'apprendre à parler au moyen des illustrations sous-titrées du terme dans l'écriture locale. André, le plus âgé, avait appris que leur grammaire comportait six temps simples: le présent ouvert (présent usuel), le "présent fermé" (ou passé immédiat), le "passé ouvert" (proche de l'imparfait), le "passé fermé" (jouant le rôle de passé simple ou de plus-que-parfait, selon le contexte), le "futur ouvert" et le "futur fermé" (qui pouvait jouer le rôle de futur antérieur), sans composition à l'aide d'un auxiliaire: celui-ci n'était utilisé que pour signifier le conditionnel, dans chacun de ces six temps. On mettait l'auxiliaire au temps souhaité, derrière le participe du verbe. Il y avait un auxiliaire pour la condition, un autre pour l'action qu'elle conditionnait. Le conditionnel utilisé seul (sans condition préalable) jouait le rôle d'irréel (passé, présent ou futur). Il n'y avait pas de subjonctif, ni de conjugaison des six "personnes". L'impératif se faisait en mettant au temps souhaité un autre auxiliaire, équivalent à "il faut que", que l'on pouvait pour cette raison apparenter à une forme de subjonctif (comme quand on disait "qu'ils s'en aillent", en français, pour remplacer l'absence d'impératif de la troisième personne, au pluriel comme au singulier), mais qui ne servait que pour l'impératif. L'impératif avec les temps passés servait à exprimer des reproches ou des regrets: "il aurait fallu que", "j'aurais dû", et non un ordre, puisque c'était du passé.
Le verbe était toujours le premier mot de la phrase, suivi par son auxiliaire s'il y avait lieu (après et non avant le verbe), de l'adverbe éventuel, puis du sujet, du COD s'il y avait lieu, puis des compléments. Les adjectifs étaient toujours après les substantifs, y compris pour les nombres "bananes 15" et non "15 bananes". Il n'y avait pas de genres, ni d'accord du pluriel: c'était un nombre signifiant "plusieurs" qui l'indiquait, après le groupe nominal ("caillou gris plusieurs"). Il y avait plusieurs "plusieurs": "moins de cinq", "aux alentours de neuf", "aux alentours de 27", "aux alentours de 243", etc, en avançant ensuite deux par deux puis trois par trois dans leur système de numération trinaire.
A- c'est une grammaire simple et très régulière: les deux passés et les deux futurs se forment de la même façon pour tous les verbes, et l'ordre des mots est imposé dans la phrase. Ca serait frustrant pour les gens cherchant à y créer un style d'écriture, mais je pense que nous l'apprendrons vite, d'autant que sa prononciation est nette, bien que le vocabulaire semble d'origine suédoise ou norvégienne.
Henri- c'est parce qu'ils n'ont ni accords ni conjugaisons qu'ils sont obligés d'imposer l'ordre des mots, pour éviter les ambiguïtés. Signe de paresse intellectuelle.
Pierre- cela pourrait aussi venir du souhait de construire une machine à analyser les textes: pour qu'elle ne soit pas trop compliquée à construire et ne commette pas de contresens, les règles doivent être simples et sans exceptions.
A- en tout cas, je préfère ça, sur un plan pratique, à un dialecte dérivé du hongrois ou du japonais.
P- ou des tournures juridiques et notariales françaises. Si leurs lois respectent leur grammaire, tout le monde doit être à même de les comprendre dès la première lecture. Cela pourrait permettre de construire des machines à juger totalement impartiales.
H- la justice est une tâche trop sérieuse pour la laisser à des magistrats: je suis de ton avis.
A- votre machine à juger fera autant voire plus d'erreurs judiciaires qu'un magistrat si l'enquête est mal faite et le dossier incomplet: elle ne lira que ce qui lui sera présenté.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire