vendredi 10 avril 2009

chapitre N-27


Etant arrivé samedi après-midi, il commença par passer chez Timo, comme convenu, pour récupérer Gorak: quel gros chat, quel beau chat! Il y avait là Nelli, recoiffée dans un style proche de celui de Romain dans Kergatoëc.
Nelli- toi, je suppose que c'est pour un nouveau film.
Stéphane- je n'ai pas le droit d'en parler avant la sortie.
N- bien sûr. Tu es en train de devenir une célébrité: tous les films dans lesquels tu as joué ont très bien marché, y compris ici. C'est fini, pour toi, l'illusion de passer inaperçu dans ce pays: nous nous reconnaissons mieux entre nous que tu ne le supposes. Reverrons-nous Atte?
S- au cinéma, dans deux films. Ici, je ne sais pas: VTP a beaucoup de projets pour lui.
N- va-t-il te remplacer?
S- VTP m'a encore donné des rôles à travailler, donc je ne suis pas remplacé. Ils ont maintenant l'espace et l'équipement pour produire bien plus de films, donc il leur faut plusieurs acteurs de chaque catégorie.
Le lac était bien plus acceuillant (thermiquement) en juillet. Il y rencontra (avant baignade) Leo. Stéphane s'étonna de la coïncidence, comme si Leo avait un moyen de savoir à quel moment il viendrait. Ils discutèrent des véhicules électriques en général et des systèmes d'accumulateurs en particulier, puis des conséquences de la fin de la théorie de la relativité. Stéphane n'y avait jamais accordé une grande attention: il trouvait juste qu'une théorie donnant des divisions par zéro pour une vitesse finie s'était forcément plantée quelque part (puisque l'on pouvait, en imaginant une expérience utilisant une transmission à vis sans fin, prouver que la composition des vitesses resterait neuwtonienne en toutes circonstances, car la vis ne translatait pas, elle, donc ne devrait pas être soumise aux effets longitudinaux prédits par la relativité, contrairement à l'écrou. Là était l'astuce qui mettait déjà par terre la théorie dont les "pierres légères" russes avait montré publiquement l'inexactitude) mais eût été incapable de retrouver la source de l'erreur commise par Einstein et avant lui Maxwell. Selon les Russes, c'était les mesures de la soit-disant invariance de la vitesse de la lumière dans le vide qui étaient fausses, car utilisant des unités elles-mêmes élastiques (selon celle même théorie), dans ces circonstances, donc incapables d'établir une invariance, justement. Leo aussi trouvait que c'était une excellente nouvelle, car ça permettrait des voyages à très grande vitesse dans l'espace. "Oui, mais peut-être pas avec notre matière à nous", objecta Stéphane: "les effets relativistes existent dans notre couple matière-énergie, puisque ça n'a rien à voir avec l'espace ni le temps qui sont cartésiens". Leo en convint, donc la matière non relativiste pourrait peut-être permettre de construire un engin spatial superluminique, mais pas d'y embarquer des passagers biologiques, à moins qu'il existât des extraterrestres faits de matière non relativiste. D'ailleurs pourquoi des extraterrestres biologiques? S'ils étaient si avancés que ça, ils se seraient depuis longtemps affranchis de la fragilité, de la lenteur et du coût d'entretien de la biologie au profit d'une vie technologique, dans laquelle tout pouvait être réparé, remplacé et surtout amélioré sans fin. Un être non biologique pourrait avoir d'un seul coup toute la connaissance de tous ses prédécesseurs sans avoir à l'apprendre, pourrait percevoir par les sens d'autres que lui (télépathie) et pourrait se séparer en plusieurs parties pour être présent en divers endroits (ubiquité).
Doté du même équipement que lui (y compris la monopalme) Leo s'amusa à le rattrapper et à le dépasser: plus grand, plus costaud, il lui avait suffit de bien s'entraîner à ce type de nage pour obtenir un excellent rendement, supposa Stéphane. Il semblait d'humeur plus ludique que d'habitude, après cette conversation aussi intelligente et linguistiquement formelle que les autres fois.
Stéphane ne chercha pas à le suivre: il devait rester à son propre rythme. Quand il revint au ponton, il n'y avait plus les affaires de Leo: il était donc déjà reparti. Avait-il oublié "qui veut voyager loin ménage sa monture" et ressenti de la fatigue avant?
Face à la nouvelle directrice, il fut d'une sobriété proche de l'inexistence, comme il supposait qu'un Finlandais devait l'être en pareilles circonstances. Plus, même, car "vu au cinéma" pouvait lui ôter de la crédibilité auprès de quelqu'un n'ayant pas suivi sa carrière ici. Cela lui fut d'autant plus facile que Vilokkinen avait des points communs avec sa prof de russe chez Kermanac'h: ne surtout pas sourire en présence de Vilokkinen, supposa-t-il. L'entrevue fut brève, la nouvelle directrice étant déjà au courant de ce qu'il avait fait à l'usine: BFR lui avait tout transmis. En sortant il croisa Kjell: c'était une revue rapide de tous les "cadres techniques". La centrale géothermique fonctionnait correctement (pas de nouvelle embolie) et Audry n'avait pas eu trop d'ennuis avec l'usine, juillet ayant été calme de ce point de vue. Il fit une tournée complète de vérification, comparant l'état réel de l'usine avec les rapports d'Audry (pas de surprises), ce qui lui donna aussi l'occasion de voir qui manquait: il y avait eu la vague de suicides habituelle, en juin. Il goûta aux champignons artificiels, production installée pendant l'intérim d'Audry: intéressant, de même que les bâtonnets imitant de la noix de coquille St Jacques à base d'extraits de poisson réaromatisés, avec la consistance adéquate. Un procédé inspiré du "surimi", mais dont Stéphane ne pouvait juger de la qualité d'imitation, n'ayant mangé le vrai coquillage qu'une fois, lors du mariage d'un camarade de promo de Centrale Dinard. Le "fuagra" (traduction phonétique) était disponible toute l'année, ici, à bas prix. Il n'était pas fan du vrai (de même qu'il ne comprenait pas l'intérêt du caviar, en dehors du snobisme de déguster quelque chose de très cher) donc le faux ne l'intéressa pas non plus. Les faux éclats de noix incorporés dans certains (vrais) fromage locaux étaient déjà produits à Rennes: il connaissait, et c'était convainquant, avec le goût particulier de la petite peau tigrée. Le procédé n'imitait pas la forme ni l'aspect (c'était juste blanc) mais fidèlement le goût et la consistance.
Chez VTPSF, Stéphane put continuer à travailler les simulations pour "Kerminator", VTP ayant expédié une copie de la carcasse à retour d'effort de l'intérieur de laquelle il pilotait le robot (virtuel ou réel) qui serait aussi joué par Georg. Cette carcasse en aluminium ajouré ferait aussi partie du film, puisqu'Adrien (prénom du personnage joué par Erwann dans Kerminator) s'en servirait pour tester la machinerie de son robot.
Il travaillait aussi son rôle dans "Digestion", gore à souhait avec profusion de trucages organiques: une station balnéaire attaquée par des méduses géantes (dans l'eau) et diverses bestioles mutantes pouvant se promener hors de l'eau, dont des étoiles de mers géantes projetant leur estomac à l'intérieur des véhicules qu'elles enserraient (voire des chambres d'hôtel, pour les plus grosses) pour en digérer le contenu contre les parois, comme elles le faisaient habituellement dans les oursins ou certains coquillages après les avoir ouverts de force. Erwann (utilisé avec son propre prénom) y était ostréïculteur ("de père en fils") et constatait les ravages dans son parc à huîtres: habituellement les étoiles de mer n'étaient pas capables d'ouvrir des huîtres. Toutes ouvertes et vidées, sous l'eau, sans avoir été retirées de leur support. Que s'était-il passé? D'après les traces des bras à ventouses sur les coquilles, c'étaient des étoiles de mer, et ce n'était que le début du cauchemar. Celui-ci se produisait suite à une canicule survenant deux ans après le nauffrage d'un cargo transportant des OGM. Cela commencerait donc par la tempête et le nauffrage, puis les commentaires: "encore un de ces navires-poubelles sous pavillon de complaisance, équipage philipin, armateur grec. Heureusement cette fois la cargaison est inoffensive: c'était du soja américain". Georg aurait un petit rôle dans ce film aussi: celui d'un maître-nageur se faisant tétaniser puis digérer par des méduses.
La centrale géothermique tournait depuis fin juillet sur ses 20 groupes turbo-alternateurs: la capacité thermique aurait même permis d'en ajouter deux (il y avait la place pour 24, telle que l'installation était conçue) mais BFR ne les envoya pas, préférant attendre de savoir si c'était stable. De plus la demande de courant était modérée: le surplus servait à électrolyser de l'hydrogène, du lithium (utilisé dans les accumulateurs modernes) et du magnésium.
Stéphane fut prêté à VTPSF pour participer à l'industrialisation de certains systèmes de tournages, en plus de Kare qui y était aussi acteur. VTPSF allait réutiliser dans le tournage de "Noitakeinot" ("Sortilèges") certains dispositifs mis au point pour "Sartilvar", en particulier les simulateurs équestres, pour raisons de sécurité et de temps nécessaire pour former des cavaliers à même de jouer de telles scènes sur de vrais chevaux. VTPSF tournait à présent son premier film de cinéma: de la "HF", en puisant parmi les acteurs de ses deux séries s'y prêtant. Ca s'appelait "la prisonnière des trolls" et seul l'acteur jouant le vaillant chevalier n'était pas finlandais, puisque c'était Torbjörn, qui allait ainsi avoir son premier "premier rôle" de cinéma, après avoir joué Siegfried dans la superbe télésuite "Niebelungen" diffusée cet été dans plusieurs pays, puis achetée aussi par d'autres pour l'automne. Ce choix avait induit une petite déception, pour les Finlandais: ils auraient compris que l'on utilisât Erwann, qui en plus d'une grande expérience de tels rôles parlait bien finnois et vivait plus souvent sur place qu'en France, mais "le Suédois", lui, n'avait encore jamais mis les pieds en Finlande et ne connaissait que quelques locutions de finnois du style "guide du voyageur". C'était VTP qui choisissait qui jouerait quoi, dans les rôles principaux, tout en déléguant à sa filiale finlandaise le reste de la distribution, or VTP avait décidé que Torbjörn conviendrait mieux que Kare: question d'expérience de ce type de rôles.
Retour chez VTP22 pour les tournages de septembre. L'Atlantide avait rencontré le succès espéré: du grand Kerfilm tarsinien. L'usine Kerrobotix de Kerminator grouillait de machines en tous sens, des convoyeurs se croisant les un au dessus des autres, sous le plafond comportant les rails pour un "pont marchant" (et non roulant), sorte d'araignée anguleuse se suspendant par les pattes sous des profilés métalliques pour aller treuiller ceci ou cela de façon bien plus maniable. Une fois cramponnée entre deux rails par deux paires de pattes, elle pouvait y rouler (les pattes incorporaient des roulettes motrices) tout en pouvant changer de voie (en "marche pendue") pour éviter un obstacle. De plus, il était possible d'en faire fonctionner plusieurs indépendament sous un même plafond, alors que des ponts roulants n'auraient pas pu se croiser. Ce système existait réellement chez Kermanac'h mais ne servait que dans leur usine: pour des raisons de responsabilités en cas de manoeuvre imprudente (par l'utilisateur) il n'était pas commercialisé. Tout ce qui était vu d'un peu loin était virtuel, la robotique s'y prêtant bien.
VTP réutilisa brièvement Fulbert, censé avoir fondé l'entreprise, qui avait eu une invitation pour un salon de robotique passionnant au Japon et laissait entretemps les opérations techniques aux mains de son petit-fils Adrien (Erwann), qui n'était pas censé se lancer dans la robotique humanoïde mais ressortait aussitôt le projet, avec deux ingénieurs complices, l'un joué par Zhao, l'autre par Alceste. Ainsi naissait Kerminator, Fabrice (Zhao) ayant réussi à pirater un centre de recherche japonais (par rebonds via divers serveurs dont un russe et un coréen) pour gagner du temps dans la mise au point. Adrien et Hervé (Alceste) s'occupaient surtout de la partie matérielle du projet.
Au Japon, on voyait (c'était sous-titré) des chercheurs contacter la sécurité pour signaler quelque chose d'anormal. L'agent de sécurité informatique détectait une tentative d'espionnage par les Russes via la Corée, et disait: "Opération Tupolev 144: laissez-les entrer, mais qu'ils s'emparent de cette version qui avait l'air de marcher si bien mais dans laquelle il y avait ce bogue inexpugnable qui vous avait obligé à tout refaire".
Non seulement le Kerminator échappait à leur contrôle, mais en plus il reprogrammait l'usine à leur insu pour en fabriquer d'autres, de diverses formes, les pièces correspondantes étant faussement mises au rebut (donc semblaient ne pas avoir été stockées), le système de recyclage automatique des métaux et composants, lui aussi passé sous contrôle, se chargeant d'assembler les autres dans les bacs à déchets au lieu d'en faire du tri sélectif réinjecté dans le circuit de production de l'usine. A un moment:
Adrien- il nous manque plus de 100 kg de titane: il doit y avoir un problème au recyclage des rebuts...
Celui qui était envoyé vérifier n'en revenait jamais. Une partie du film se déroulait dans l'usine, d'autres à l'extérieur, quand tel ou tel des robots allait se procurer des métaux ou des composants supplémentaires par divers moyens, donnant lieu à des scènes de type "film catastrophe". Ca ne ressemblait pas à "Mécanotron" tout en ayant comme point commun des machines se fixant seules leurs propres objectifs: un thème classique, en version bretonne et très musclée ici, grâce à Georg.
Le robot ne s'auto-réparait que par des moyens ordinaires: outillage, vol et modifications de pièces d'automobiles ou de machines diverses, dont une scène de vampirisme au détriment d'un break CX, pour refaire son niveau de LHM après voir bouché le trou de sa tête avec un boulon, le boulon dans le crâne étant une allusion aux dessins fréquents de la créature de Frankenstein en BD. Il n'était pas invulnérables aux balles de guerre mais tirait plus vite et plus précisement que les forces de l'ordre, grâce à son autocadreur infrarouge en plus des autres sens. Capacité à rester sous l'eau, voire à s'enfouir sous le sable, ce qui lui causa d'ailleurs vers la fin des problèmes d'articulations, la structure déjà fort endommagée n'étant plus étanche.
Il y avait aussi un thriller de SF: "la cinquième équation d'Otucszewsky", traque des secrets mathématiques permettant la réalisation de moteurs gravitationnels (ça se situait donc avant "Cap sur Mars") aux péripéties innombrables, tourné avec le rythme et l'ambiance d'un Jame Bond, sauf qu'il n'y avait pas de "bons" ni de "méchants" désignés, mais des envoyés de sociétés concurrentes ne reculant devant aucun coup bas pour devancer les autres. Ceci permettait à Erwann de tourner des scènes sous l'eau, avec l'équipement qu'il utilisait habituellement au lac: VTP estimait qu'il rendait bien ainsi. Un film d'aventures, poursuites et parfois meurtres qui remplissait bien ses trois heures.
Il joua Igor, un des tueurs de la mafia russe auquel était confronté l'agent 0016 (Zhao) dans "0016: Filière bulgare", film jamesbondien mâtiné de film de karaté, le héros étant censé être japonais (bien que l'acteur fût chinois) et utilisait une Nissan 300 ZX turbo 4x4 bourrée de gadgets qui proquaient parfois des interférences entre eux et des effets imprévisibles. Une vraie 300 ZX avait été achetée (neuve), dans la version japonaise: volant à droite, à l'anglaise, ce qui ne posait pas de problème pour doubler grâce à la caméra dans le rétroviseur gauche, ainsi que d'autres pouvant surgir du toit comme des antennes d'escargot, pour voir par dessus la voiture précédente, et un drône volant pouvant être envoyé pour transmettre des image de plus haut et plus en avance. Les trois autres 300 ZX étaient des copies à finition partiellement virtuelle, mûes par quatre moteurs électriques: les versions pour casser. Dans le film, on devait lui réexpédier trois fois une voiture de remplacement. VTP cassait beaucoup de voitures dans ce film, en particulier lors de la poursuite sur autoroute allemande, la plupart des voitures détruites étant virtuelles pour diminuer les frais de tournage: ça permettait à la fois de casser des modèles coûteux et récents, et de ne pas avoir à réserver une portion de route pour la cascade. La synthèse pour un film n'ayant pas à fournir les images en temps réel, contrairement à un jeu vidéo, l'effet était réaliste, surtout sur l'armada de supercalculateurs AK acquis par VTP pour les autres réalisations. La date de sortie des films dépendait des créneaux disponibles pour synthétiser de façon indétectable leurs effets spéciaux: tounages groupés, sorties étalées. Les Suédoises de VTP y jouaient les espionnes et tueuses bulgares. Dans un premier temps (en 1997) VTP avait songé faire jouer 0016 par une fille, mais Zhao avait plus d'expérience qu'elles et cela permettrait de multiplier les rôles d'action violente féminins en en faisant les "méchantes". Tous les codes habituels d'un James Bond y étaient, puisque le spectateur s'attendraient à les y trouver: voiture bourrée de gadget (ce qui semblait d'autant plus naturel de la part d'un héros japonais), poursuites avec toutes sortes de véhicules et dans de nombreux contexte, casino, yachts, scènes de plongée avec combats sous l'eau (cela faisait partie des scènes avec Igor), emprunt d'une voiture de remplacement sans avoir le temps de choisir (il s'agissait d'une Daf 33 Variomatic), beaucoup de cascades. Celles-ci étaient effectués soit en virtuel (quand ça ne se détecterait pas à l'écran), soit avec des véhicules contrôlés informatiquement pour effectuer exactement ce qui était prévu (des simulations préalables s'en assurant), ce qui avait déjà eu lieu dans quelques films américains mais était systématique chez VTP. Le thème était le trafic d'anciennes têtes de missiles nucléaires soviétiques via la Bulgarie, avec la complicité de la mafia russe dont Igor (Erwann) était un des porte-flinges (et porte-harpon, sous l'eau). Il y avait une ambiance "Mad Max" dans la poursuite du camion chargé de plutonium à travers le paysage (supposé) bulgare.
La scène sous l'eau, avec des requins, permettait une esthétique d'apesanteur spatiale, mais au ralenti, et l'ambiance à la Cousteau des fonds marins et animaux choisis. Les Bulgares avaient caché une partie de leurs vols dans l'ancien site d'essais nucléaire français (abandonné) de Fangatofa, ce qui rendait les petites traces radioactives ajoutées indétectables. Les charges nucléaires avaient été transportées à l'occasion de la livraison à un opérateur de croisières norvégien opérant en Polynésie et aux Caraïbes d'un immense paquebot neuf construit à Saint-Nazaire. VTP avait eu accès aux plans informatiques du navire, pour pouvoir le reconstituer, y compris son habillage intérieur détaillé: c'était le logiciel de Tarsini qui avait servi à faire visiter le navire aux futurs clients avant qu'il fût construit, pour choisir sur place (comme s'il y étaient, avec les lunettes à immersion virtuelle) ces aménagements intérieurs, desquels dépendaient aussi la conception d'une partie de la structure du navire, donc ses calculs de rigidité. Le navire n'était pas terminé, à l'époque du tournage. Le futur propriétaire avait estimé que le film lui ferait de la publicité. VTP avait ainsi pu filmer stéréoscopiquement, en haute définition, les travaux à Saint Nazaire, en 1998 et 1999.
Lors de ce combat sous l'eau, 0016 était blessé aux jambes et les requins (flairant le sang de loin) venaient les lui croquer. Il réussissait toutefois à tirer son dernier harpon dans le ventre d'Igor, que l'on voyait être happé à pleine gueule par le flanc puis disparaître emporté dans un nuage de sang d'où dépassait la queue frétillante du requin. Toutefois on n'avait pas assisté directement à sa mort, VTP ayant l'intention de le remettre en jeu dans le prochain: il fallait donc que le spectateur eût l'impression qu'il était mort, mais pas la preuve, à l'écran.
C'était donc avec deux prothèses neurocommandées que 0016 finissait le film. On utilisa pour cela un faux Zhao (déjà construit et fidèlement animable pour d'autres films) plutôt que d'avoir à chaque fois à substituer les jambes en infographie. Une fois réhabillé, le rôle pouvait être joué par le vrai, avec une démarche efficace mais un peu artificielle à laquelle il s'était entraîné. Ces nouvelles jambes lui donnaient des capacités intéressantes pour un agent secret, comme les amortisseurs longue course (pas d'os rigides, mais des vérins télescopiques) permettant de tomber de plusieurs étages sans le moindre dommage, des roulettes motrices sortant sous les semelles pour en faire des patins motorisés à grande vitesse, et la capacité (le genou n'étant pas limité en mouvement vers l'avant, contrairement à un vrai) à donner un coup de pied sous le menton d'un adversaire sans avoir à se jeter en arrière pour cela. On voyait la mâchoire se disloquer (séparation des mendibules inférieures) remontant sous la peau des joues de part et d'autre de celle du haut. Erwann avait un rôle très actif (débouler dans un escalier tout en continuant à tirer à la Kalasnikov, par exemple. Le truc: des marches faites d'une mousse ferme ayant l'air d'être du béton brut) mais qui n'était qu'épisodiquement présent à l'image. Sous l'eau, on le voyait utiliser la monopalme, ce qui donnait à la fois un beau mouvement d'ensemble et un rendement supérieur aux palmes classiques équipant 0016, expliquant qu'il pût facilement le rattrapper. Il n'y avait pas de corps-à-corps entre les plongeurs, ce qui évitait qu'une imprécision de l'un obligeât l'autre aussi à rejouer toute la prise: tout se faisait par projectiles ou armes blanches longues, comme la gaffe au crochet acéré avec laquelle Igor déchirait la combinaison et la peau de Zhao, aux jambes, attirant les requins.
Ce film en profitait pour démentir toutes les anneries repérées dans les films policiers ou d'espionnage classique: d'abord le "temps pour localiser un appel":
- ça n'a jamais existé, même avant l'affichage du numéro: puisque l'on était facturé immédiatement, on était identifié immédiatement, même en raccrochant aussitôt. C'est mis dans les films uniquement pour pousser les malfrats à commettre cette erreur.
Le code d'accès qui est le nom de la copine ou du chien:
- mais non: les codes sont tirés au hasard par le système, du genre 25r7fg5zt6ex8y61d4. On a moins de chance de le trouver au pif que de gagner deux fois de suite au Loto, et on ne peut pas faire en essayer toute une rafale d'un coup: si le code est entré trop vite, le système sait qu'il n'a pas été tapé à la main. Il y en a même qui tiennent compte du rytme de frappe du propriétaire.
De même, il était rappellé que la stéganographie et la plupart des cryptages un tant soit peu sérieux étaient strictement indéchiffrables, "même si chaque atome de cette planète était utilisé pour faire des ordinateurs planchant dessus jours et nuits jusqu'à ce que le soleil se transforme en géante rouge et nous grille".
La serrure qui s'ouvre en glissant une carte en plastique:
- les assureurs n'accepteraient jamais ce genre de serrure, tu penses!
La serrure ouverte par titillement avec deux instruments:
- tu perds ton temps: ça, ça ne marche que si la serrure est neuve et parfaitement graissée. Si même avec la vraie clef ça grippe et qu'il faut forcer un peu, tu n'as aucune chance de trouver. Lui, il emmene certainement ses clefs à la plage, dans une poche de short où elles ramassent du sable et du sel, alors ce n'est même pas la peine d'essayer.
Le tube défonce-porte à détonation: il déchirait localement le bois de la porte, mais ne l'ouvrait pas, pour cause de fermeture multipoints (la "trois points" était déjà obligatoire depuis longtemps dans les contrats d'assurances habitation). De plus le tube était projeté violemment en arrière, par contrecoup, d'où l'utilisation de lanières pour ne pas le tenir directement, mais dans beaucoup de films on ne montrait pas cette éjection du tube vers l'arrière: la porte, non verrouillée (et pène non engagé), s'ouvrait spontanément. De ce fait, dans le film, ils préféraient utiliser soit des verrins (trois ou cinq, selon le type de serrure, repérée au détecteur de métaux), s'ils n'étaient pas trop pressés, soit un cordon d'explosif collé tout autour (sauf en bas) à l'aide d'une grosse seringe: une de celles pour application de colle ou de joint silicone.
Les gaines d'aération laissant passer quelqu'un:
- ça n'existe que dans les films américains. Ici, soit il n'y en a pas, soit ce serait déjà trop plat pour un chat, et en plus il est strictement interdit à la construction d'en faire circuler d'un bureau à un autre, pour ne pas propager la fumée en cas d'incendie.
La tentative d'y faire circuler un mini-robot espion équipé d'une caméra se heurtait au problème des ailettes anti-turbulences, dans les coudes (comme dans ceux des grandes souffleries) formant grille infranchissable.
- à quoi ça sert, ça? Pour arrêter les rats y avait déjà les grilles d'entrée.
- ça sert à diminuer le bruit et éviter des pertes de charge, et à mon avis, ce n'est pas démontable: le coude doit être fabriqué comme ça d'origine.
La poursuite en voiture avec tamponnage par l'arrière: un bon coup de frein broyait la calandre et le radiateur du poursuivant, le pare-choc arrière soulevé par le freinage passant au dessus de l'autre: fin de la poursuite. Commentaire de 0016: "eux, ils ont vu trop de téléfilms américains".
L'électrocution en jetant un appareil électrique dans la baignoire:
- évidemment que ça ne marche pas, sinon au premier coup de foudre en mer, elle serait jonchée de poissons crevés. Il faudrait que l'électricité touche uniquement le corps, et surtout pas l'eau.
Le suicide avec un pistolet dans la bouche:
- surtout pas: 80% de risque de survivre et se casser plein de dents, à cause du recul. Ca a été inventé uniquement pour faire des économies de trucages dans de mauvais films. Bien droit au milieu du front, c'est inratable: le coup du chasseur d'éléphant.
Il y avait déjà eu "Last action heros" qui se moquait de certaines absurdités dans les films d'actions américains, y compris les numéros de téléphone commençant tous par "555". "0016: filière bulgare" étendait la liste, qui ne concernait pas que les films américains, d'ailleurs: certaines âneries s'étaient avérées contagieuses.
Le tournage qui lui prit le moins de temps, pendant les trois autres (ainsi qu'une part technique importante dans "Kerminator", en plus d'y jouer) fut "Objectif dunes", puisque l'on y verrait surtout les voitures.
Les décors naturels de ce film, cette fois, ne seraient tournés qu'ensuite, cet hiver en Afrique: ça se situait aux premiers temps du Paris-Dakar (mais cette appellation n'était pas évoquée dans le film, pour des raisons de droits), à l'époque où l'amateurisme (au bon sens du terme) dominait, se contentant de voitures de série quelque peu modifiées et non de prototypes créés avec d'énormes budgets par les grands constructeurs et disposant de camions d'assistance rapide. Il y ferait l'adversaire du héros (celui que celui-ci considérerait comme son adversaire, bien qu'il y en eût plein d'autres) et conduirait une SM. C'était celle de "Christine", repeinte en vert clair métallisé et équipée de fines grilles protégeant les verrières de phares comme Citroën l'avait équipée pour certains rallyes. De même, les roues avaient été remplacées par celles en fibre de verre elles aussi utilisées en compétition et proposées en option pour le public, mais peu choisies car moins cossues d'aspect que celles en aluminium. On réinstalla le groupe moteur-boite d'orgine pour quelques scènes de vérification des niveaux (et non de mécanique intensive: déjà vues dans Christine), avant de tourner toutes les scènes de roulage capot fermé avec les moteurs électriques.
Le choix d'une SM pour une telle épreuve était techniquement plausible, la seule victoire de cette voiture en championnat du monde des rallyes ayant eu lieu en 1971 au Maroc dans un rallye très "cassant" pour les autres concurrents: "première sortie première victoire", avait-on titré à l'époque. Ceci pouvait que l'on pouvait faire de la piste africaine avec et même gagner. Restait à voir ce qu'elle donnerait dans le sable mou, où la suspension hydraulique ne retarderait qu'un peu l'enlisement, probable à la première fausse manoeuvre vu le poids sur l'avant. Ni la SM ni Erwann ne seraient les personnages principaux: ils représentaient "l'autre", un peu comme Iceman dans Top Gun.
On verrait surtout les paysages africains et les voitures, dans ce film de 2h30: la part de tournage humain était donc brève, et pour raison de rentabilité une grande partie du tournage serait simulé: quelques scènes de course seraient tournées au Maroc et au Sénégal, peu après le vrai Dakar, pour avoir les paysages et l'ambiance lumineuse, suite à quoi tout serait "mouliné" en infographie pour en faire un film donnant l'impression d'avoir été tourné là-bas avec toutes les voitures et tout le monde. Prises de vues stéréoscopiques haute résolution caméra embarquée: ce que les équipes de reportage des vraies courses n'avaient jamais fait, puisque ce n'était destiné qu'à la télévision, à l'époque. VTP estimait que le Dakar pouvait être somptueux à l'écran si on le filmait de façon à l'être, avec des voitures d'époque (un peu de tout: il y avait vers 1979 un peu de tout, et non des modèles de rallye) ou reconstituées en virtuel, pour les scènes nécessitant de casser (à l'image) des modèles prêtés (ou loués pour une somme raisonnable) par des collectionneurs trouvant intéressant de les voir remis en situation, "en action" dans un tel film. Y compris des voitures n'ayant pas participé à ce rallye-là, mais à d'autres, de préférence en Afrique. VTP ne casserait en vrai que des modèles encore facilement disponibles... à la casse comme par exemple la R12, déguisée en "Gordini toutes options" juste pour la scène.
Le film était censé faire revivre le "vrai" Dakar des origines, juste scénarisé autrement (on ne s'amusait pas à clôner les équipages d'époque), considéré comme bien plus intéressant en tant qu'aventure mécanique et humaine que ce qu'il était devenu par la suite. De même que dans les premiers Dakar, il n'y avait pas toujours pilote et copilote: certains étaient seuls, pour stocker une roue de secours supplémentaire (ou autre chose) sur le siège passager ou pour gagner du poids, d'autres en "équipages" (ce qui était un avantage pour se sortir d'un enlisement, au lieu de devoir alternativement descendre fouiller, mettre quelque chose sous une roue puis remonter au volant réessayer).
La voiture dont on suivait le plus l'histoire était une Alpine A310 V6 "bleu Alpine" engagée par un pilote en ayant déjà constaté l'agilité "proche d'un buggy" en rallye-cross (terre voire boue). L'acteur était Jérôme, qui jouait un des enquêteurs dans "Viande urbaine": un Emilianien presque banal (mais en mieux, car peu de gens étaient reçus à l'Emilianomètre), 1m81, châtain moyen coiffé "Playmobil" (années 70...), yeux gris-bleu derrière des lunettes (pour le film). Il fallait quelqu'un d'assez "passe-partout": ni un héros ni un anti-héros, alors que "l'autre" pouvait être joué par Erwann, que l'on verrait moins souvent.
François (le personnage joué par Jérôme) avait trouvé une astuce pour diminuer le risque de crevaison: utiliser six jantes identiques, chaussées de pneus moins larges que ceux de devant d'origine, mais qui, jumelées, à l'arrière, équivalaient à des pneus plus larges que ceux d'origine, caricaturant la différence de largueur de la monte initiale. Il suffisait ainsi d'une septième roue (pas trop épaisse, donc) pouvant prendre place dans le coffre avant pour avoir théoriquement "droit" à trois crevaisons: même si la motricité en pâtissait, il n'était pas indispensable d'avoir deux pneus bien gonflés à chaque roue arrière, d'où la possibilité de faire l'échange en cas de pneu avant crevé pour avoir au moins un pneu sain à chaque roue. Le peu de poids sur l'avant justifiait ce choix. La garde au sol était augmentée "raisonnablement", pour ne pas faire travailler les transmissions trop en biais. Un système manuel permettait d'agir séparément sur les disques de freins arrière, un peu comme deux freins à main complémentaires, pour réaliser à peu de frais (sans modifier la boite) l'équivalent d'un antipatinage: il suffisait de freiner la roue qui s'emballait pour obliger l'autre à tourner aussi, mais à condition de ne pas le faire trop longtemps sous peine de détruire les plaquettes. La glace arrière servant de hayon et de capot moteur était remplacée par un plexiglas à travers lequel passait une prise d'air assez plate permettant d'aller le chercher là où il contiendrait le moins de sable: sur le toit. L'air d'admission, et non de refroidissement: dans l'A310 V6 le radiateur était déjà à l'avant. L'inconvénient principal de cette voiture était le manque de place pour l'outillage et les pièces de rechange, réduites au "minimum vital".
Six concurrents étaient principalement suivi (y compris les mains dans le camboui au bivouac), une vingtaine d'autres juste "visités". C'était parce que l'un deux avait dit "le clan des six cylindres" en voyant à un moyen l'A310, un coupé 504 V6 (voiture souvent engagée en rallye africain, mais moins adaptée au sable fluide), la SM et une BMW 30 CSL (autre "star" des années 70) parqués dans le même coin, que François se fixait pour objectif de remporter ce mini-classement, qui se résumait assez vite à lui et la SM, les deux autres voitures avouant vite leurs limites en tout-terrain. La nonchalance de Frédéric (personnage joué par Erwann) y avait aussi un peu contribué: "chaud moi? Jamais! La clim, ce n'est pas fait pour les chiens".
Equipement de série de la SM, mais s'en servir en course confisquait quelques chevaux, donc l'utilisait-il réellement? Le scénario ne le disait pas, mais la fraîcheur du personnage en fin d'étape pouvait le suggérer.
Il n'y avait aucun "coup bas": ni sabotage ni faute volontaire de conduite sur un adversaire, mais suite à une erreur de navigation de Fred dans la troisième étape, perdant du temps ensablé dans une dune, François se retrouvait devant lui pendant quelques temps, lui permettant d'y croire avant d'être inexorablement remonté et de ne plus penser qu'à calculer les temps réalisés par cet adversaire, au lieu de se concentrer purement sur la course, sans se préoccuper de qui était devant. Dans l'avant-dernière étape la chaîne de distribution primaire (ce moteur en avait trois) du V6 Maserati cassait, clouant Fred sur place, et privant François d'une "vraie" victoire (relative: ils courraient pour la sixième place): il aurait voulu arriver avant lui, le savoir derrière essayant de revenir dans les temps sans y parvenir, et non continuer la course contre des concurrents qui ne le motivaient pas autant. Se contenant désormais de ménager sa monture (le but n'était maintenant que de finir la course) et repensant en filigramme (suprimimé sur ce qu'il voyait en vrai) à la victoire d'étape obtenue par la SM (lui n'en avait eu aucune, obtenant une fois une seconde place) il manquait de concentration, brutalement rappelé à la réalité en s'échouant sur un monticule au sortir d'un virage pris trop vite. Le temps de sortir l'Alpine de là (en creusant sous le milieu du châssis avec la pelle pliante), il finissait quatorzième et non cinquième sur la plage de Dakar.
Ceci n'était qu'un "fil rouge" du scénario: il arrivait bien d'autres choses à divers concurrents, prétextes à des prises de vues à couper le souffle, avec ou sans nuage de sable. Les voitures étaient les véritables personnages du film, à l'image. Ceci expliquait que le tournage "humain" put avoir lieu avant, mais en ayant déjà les voitures concernées: Erwann avait un peu conduit la SM et surtout bricolé dedans, pour l'étape qu'il état censé terminer à petite vitesse à ras de terre (ferme, heureusement) suite à une fuite de LHM: une grosse pierre déchaussée par une roue avant en virage avait frappé un raccord sous la caisse. Autre scène tournée en vrai dès décembre (avec du vrai sable saharien, pour que ce fût raccord ensuite avec la dune, qui n'existait pas dans le studio): les manoeuvres de désensablement consistant à creuser sous la caisse (il était couvert d'une sorte de chapeau chinois en alumium, pour se protéger du soleil), un peu en avant du point d'équilibre, pour y placer les roues de secours, puis rétracter la suspension au maximum pour que l'affaissement de l'arrière (non ensablé) soulève l'avant, puis introduction d'autres pièces de rechange sous les pneus dans les trous du sable, pour se hisser dessus, retirer les roues de secours pour amasser sur sable avant de les remettre (plus haut) et recommencer les manoeuvres. De cette façon la SM sortait de son ensablement (au bout de deux cycles) et parvenait au pointage avec un retard important mais non éliminatoire. Les opérations de montée et descente (chaque fois au maximum) de la suspension lui rappelaient les manoeuvres de dégagement en "purgeant les ballast" dans les films de sous-marins en détresse.
Ce n'était pas mentionné dans le film, mais les fans de la SM, eux, se souviendraient que le compresseur de la clim était mû par une courroie venant de l'arbre d'accessoires entraîné (comme la pompe hydraulique) par la chaîne qui avait cassé.
VTP avait réussi à tourner toutes les scènes avec Erwann (qui lui aussi était fan de la SM, d'où son enthousiasme pour le rôle quand VTP lui en avait parlé) cette semaine-là, sans même l'utiliser à plein temps: il avait pu participer à la préparation mécaniques d'autres voitures (souvent à restaurer) qui seraient engagées dans des scènes filmées en vrai (quitte à rajouter le décor lointain ensuite) cet hiver.
Dans Kerminator, contrairement à ce que l'on cherchait en robotique réaliste, il ne fallait pas trop de réalisme d'animation, pour que le personnage fût considéré comme robotique. VTP estimait n'avoir ni le temps, ni les moyens, ni le savoir-faire pour réaliser un robot humanoïde réellement autonome et agile en déplacement bipède pour tout un film. Les Japonais avaient construit de tels prototypes, mais qui se déplaçaient encore avec une grande prudence (pas question de les faire jouer au football, par exemple), malgré des moyens de recherches bien plus importants (supposait VTP) mis en oeuvre pendant de nombreuses années. Toutefois, au cinéma, il était possible de tricher, en particulier avec une tige située longitudinalement à l'opposé de la caméra (des caméras, pour le tournage stéréoscopique, d'où utilisation possible uniquement pour quelque chose ayant une certaine largeur pour cacher la tige aux deux objectifs) pour tenir le robot et simplifier la marche rapide et souple. Le bon vieux truc de la tige venue du fond de la scène pour les scéances de lévitation de music-hall. De plus loin, l'image virtuelle s'en chargerait, surtout quand le robot aurait perdu une partie de son aspect humain. VTP utiliserai aussi la suspension partielle par câbles en kevlar, supprimés en infographie, etc.
Parmi les films tournés cet été, "la mémoire des glaces" fut prêt le premier, car bien qu'original et spectaculaire, il n'était pas difficile pour l'infographie: architecture de glace et de neige aux reflets parfois irisés, insectes passant eux aussi très bien en virtuel, beaucoup de plans d'ensemble, avec la vision quasi-sphérique des insectes, remplacée ici par du cylindrique déroulé et des effets montrant qu'ils pistaient par infrarouges. VTP le garda pour un peu plus tard, tandis que l'infographie planchait sur "Voyage au centre de la terre".
Kergatoëc était sorti dans les salles stéréoscopiques Kerfilm le 29 août 1999, et avait suscité divers commentaires, dont: "que faire d'un acteur de HF qui ne peut plus sauter? On lui coupe les cheveux, on lui met des lunettes et on le recycle comme jeune diplômé se retrouvant ingénieur de production d'une biscuiterie bretonne accumulant les défaillances en tous genres. On ne s'y ennuie pas, mais abstenez-vous d'allez voir ce film si vous commencez un régime".
Erwann s'étonna du "qui ne peut plus sauter": qui avait bien pu faire circuler cette rumeur? Il n'y avait eu aucun accident de tournage de ce genre chez VTP, que ce fût pour lui ou un des autres acteurs de HF.
"Le brodequin" et "Eutotoxique" étaient sortis aussi (l'un à la télévision, l'autre au cinéma) et avaient été bien acceuillis: il y avait de l'aventure et une débauche de cruauté (surtout vers la fin) dans "Eurotoxique", une atmosphère froidement malsaine dans "Le brodequin": Romain y jouait un tout autre personnage que dans "Kergatoëc", aidé en cela par le préenregistrement des attitudes par deux acteurs différents.
Il y eut une interview de Romain et d'Erwann à l'occasion de la sortie de Kergatoëc, qui vinrent avec des produits de cette marque qu'ils offrirent aux autres participants. Parmi les questions, il fut demandé à Erwann s'il ne jouerait plus de films de HF: "on a même entendu dire que vous auriez été blessé dans une cascade d'où un rôle moins acrobatique".
Erwann s'attendait à cette question, la rumeur étant même à l'origine de l'envoi en interview des deux héros du film dès que VTP en avait eu connaissante. Il avait déjà préparé la réponse:
E- les films ne sortent pas dans l'ordre où ils ont été tournés, du fait du temps de post-production pour certains effets, donc vous me reverrez plus tard dans de la HF tournée antérieurement. D'autre part, je n'ai rien de cassé, de tordu ni de déchiré -je touche du bois- [il toucha la table] comme vous le verrez dans deux films d'aventures qui ont été tourné en même temps que Kergatoëc.
R- et puis il faut bien se reposer de temps en temps de toute cette barbarie: une pause biscuits s'imposait.
- l'origine bretonne est-elle une notion importante pour chacun de vous?
R- tout le monde sait que Kerfilm est une filiale de BFR: nous n'allons pas faire semblant d'être corses.
E- je dois hélas vous avouer que je n'ai pas appris le breton. [poussant le plat vers l'intervieweuse] Voulez-vous encore une crêpe?
Contrairement à Zhao, Niels, Alceste ou les Småprat souvent réutilisés dans des productions VTP et invités dans beaucoup d'émissions, Romain n'était connu que du public des deux séries dans lesquelles il jouait. Une majorité de Français n'allant pas au cinéma (malgré la baisse du prix des places, l'habitude majoritairement prise de se contenter d'attendre le passage à la télévision semblait bien ancrée) Erwann n'avait pas été vu par la plupart des gens depuis "Cap sur Mars" et "Castel mortel", ceci bien que présent et fort actif dans la plupart des films (de cinéma) tournés à ce jour par VTP.
"La mémoire des glaces", lancé une semaine après Kergatoëc (ça ne ferait pas double-emploi) revenait à bien plus tarsinien, en version pseudo-vernienne. Ce fut ensuite "Voyage au centre de la terre", un grand classique pour toute la famille, puis "Viande urbaine", film qui fit beaucoup parler de lui. On disait que Lucien Venant avait réussi à faire tourner chez VTP un projet que l'on ne lui aurait pas laissé réaliser "tel que" ailleurs, tandis que d'autres voyaient en Atte un acteur "réellement intéressant et polyvalent, comme Eurotoxique nous l'avait déjà fait découvrir". En dehors des séries et téléfilms "courants", Atte avait joué dans trois films, chez VTP: "Peur filante", premier film "choc" par rapport à ce qu'avait fait jusqu'alors VTP, même si son rôle y était secondaire par rapport à eux de Zhao et d'Erwann. Eurotoxique dans lequel un personnage froidement administratif (mais "de terrain") devenait peu à peu un tortionnaire jusqu'au-boutiste avec l'approbation probable de l'essentiel du public. Viande urbaine en dragueur canibale servant de rabatteur à un frère tueur. Le rôle d'Erwann (que l'on voyait moins souvent) était plus inquiétant, parfois jugé plus "profond", celui d'Atte plus divertissant. C'était aussi la première fois que le jeune Finlandais était vu nu (pas filmé entièrement, mais censé l'être), et ceci en compagnie d'autres hommes nus dont un le carressait dans la vapeur, puisque c'était la scène de drague du sauna parisien, après nombre d'autres plus classiques tant par le lieu que la proie.
VTP continuait de perfectionner visuellement "Sartilvar", en post-production, film gardé sous le coude (ainsi que sa suite) sachant qu'il y avait déjà "Les maîtres du fer" sur les écrans, puis une nouvelle offre de fantastique et de grande aventure cet été avec les lancements de "l'Atlantide", "La mémoire des glaces" et "Voyage au centre de la terre". Les recettes des films antérieurs finançaient de nouveaux équipements, de la puissance informatique supplémentaire et l'extension des studios.
VTP avait utilisé Erwann dans quinze films, cette année, et presque toujours dans un des rôles principaux: même s'ils n'étaient pas tous inoubliables, il n'y en avait aucun qu'il n'eût souhaité voir, même sans stéréoscopie. VTP ne produisait pas de "merdes molles pour gauche caviar judéo-intello-parisienne roulant en taxi", comme disait Lucien Venant, mais du grand cinéma populaire concurrençant les productions américaines, y compris à l'exportation. Seuls Kergatoëc, Kerminator et Digestion étaient visiblement situés en Bretagne. Viande urbaine était situé à Paris et en banlieue proche, les décors ayant été préfilmés (système VTP: identité des mouvements de caméras avec ceux du plateau, grâce à la robotique de précision et un logiciel rattrappant les petits décalages éventuels) pour éviter d'avoir à tourner sur place, donc bloquer des rues, etc, ce qui était difficile à obtenir et coûteux pour ceux qui pouvaient l'obtenir. L'infographie ôtait des prises de vues réelles tout ce qui ne servait pas au film, quite à devoir reconstruire des bouts de façades derrière des véhicules, comme cela avait été fait après les prises de vues suisses pour Eurotoxique. Le logiciel d'extraction et "cicatrisation" de bâtiments venait de chez Tarsini. Il ne "devinait" pas toujours ce qu'il devait y avoir réellement derrière l'obstacle, mais comme le spectateur ne le verrait pas non plus, il suffisait que ce fût plausible à l'image. L'autre solution était de placer quelque chose devant: on pouvait souvent garder les voitures stationnées en changeant en post-traitement les plaques d'immatriculations pouvant être lues. Filmer plusieurs fois de la même façon un endroit comportant de la circulation (et non du stationnement) permettait d'avoir de quoi vider totalement celle-ci, par exemple place de l'Etoile: rien n'était continuellement caché par des voitures, donc tout pouvait être récupéré en faisant le nombre de passes nécessaires. Si les caméras étaient fixes pour ce plan, c'était encore plus facile: on était sûr d'avoir toute partie libre d'obstacle au moins une fois en quelques secondes de tournage. Les piétons disparaissaient de la même façon. Ceci permettait aux infographistes de VTP d'y remettre tout ce qu'ils voulaient, sans avoir à relever puis générer infographiquement des décors aussi compliqués et surtout connus, donc ne permettant pas l'improvisation, contrairement à la cité futuriste de "Peur filante" où à l'aciérie médiévale des "maîtres du fer", décor compliqué et crasseux mais pouvant être créé automatiquement sous n'importe quel angle par combinaison de fonctions de formes: la tuyauterie y avait poussée toute seule (comme dans certains économiseurs d'écrans, mais en moins fouilli, tout de même), de même que certains convoyeurs, escaliers et coursives: Tarsini n'avait pas eu à choisir lui-même l'emplacement et le modèle de chaque élément.
Reconstituer Rome (prévu, pour "le crépuscule de Rome") aux temps de la décadence et des invasions barbares laissait bien plus de liberté que Paris, car seul les monuments ayant survécu étaient des "figures imposées": tout le reste était libre, du moment que ça eût l'air cohérent. Même le tracé des rues était en grande partie libre.
Juste après le tournage ce fut avec Stéphane (dubitatif) qu'Atte fit une "tournée" dans Paris. Ils rencontrèrent ensuite des gens qu'ils avaient déjà rencontrés la dernière fois. Stéphane sur le moment ne pensa à rien: cette tournée était divertissante, mais ce fut un Atte ivre-mort qu'il dut soutenir pour le ramener en RER à la Défense où il vomit copieusement. Son "alter égo finnois" se lançait-il dans un programme d'autodesctruction? Il buvait "à la finlandaise" mais dans un pays où l'alcool était bien moins cher que là-bas. Atte avait consommé des "pastis russes": avec de la vodka à la place de l'eau. Stéphane n'avait pris que du Perrier: même pour rentrer par les transports publics, il fallait mieux que l'un des deux ait encore les yeux en face des trous. Atte avoua qu'il lui était déjà arrivé de boire au point de se retrouver à Boissy St Léger (ou un autre terminus lointain d'une autre ligne de RER) en s'étant trompé de correspondance puis endormi sur son siège. Il avait eu une amende car sa Carte Orange (son "permis de boire", disait-il) n'avait pas assez de zones pour ça. Atte dit qu'ils devraient améliorer le système, pour que le ticket sonne quand on sortait des zones permises: ça ferait gagner du temps. L'alcoolisme des jeunes Finlandais était déjà un gros problème, avait appris Stéphane, malgré le prix dissuasif de la moindre bière digne de ce nom là-bas. Aux tarifs français, avec le nombre de points de vente et des horaires bien plus souples, ça devenait désastreux. Atte était en voie de battre Timo, en moyenne de grammes dans le sang par semaine. Sa seule discipline était de ne le faire que le vendredi soir et le samedi soir (jusqu'à très tôt dimanche) et pas à d'autres moments, de façon à arriver frais et lucide au travail. Il n'avait pas ("pas encore", aurait dit Evita) touché à la drogue mais à ces doses l'alcool en deviendrait une, s'il continuait.
Atte avait réussi à ne pas boire pendant les tournages de juillet, car il fallait être serein pour pouvoir jouer le robot, puis son "mauvais sisu" comme on disait dans son pays s'était vengé: août et septembre, où il ne jouait que dans des séries, avait été l'occasion d'un rattrappage éthylique. Stéphane ne lui revit plus l'air sobre et frais qu'il avait en juillet, et moins encore la maîtrise de soi. Flavia lui avait dit que c'était déjà arrivé et qu'aidée un autre elle avait dû le traîner en demi-coma sous la douche pour le réveiller avec de l'eau glacée dans le dos: l'autre garçon avait dit "il est finlandais, il doit avoir l'habitude" et ça avait marché. VTP avait dit à Stéphane: "si jamais tu dois le porter à moitié pour le ramener chez lui, reste dormir dans la salle d'entraînement, au lieu de rentrer dans ton studio. Il faut que l'on sache s'il planque des bouteilles quelque part et s'il reboit le matin".
Stéphane n'avait eu aucune difficulté à répartir des coussins (il y en avait partout chez Atte: comme sous une tente d'émir) pour dormir dans la salle d'entraînement attenante à son studio, après l'avoir échoué sur son lit en sous-vêtements et en position latérale de sécurité pour qu'il ne se noie pas en vomissant pendant son sommeil, avait-il craint, puis remis la couette dessus.
7h06: réveillé le premier (de qui n'était pas un exploit dans l'état où était Atte) il sortit Atte du lit à sept heures, le dimanche, le soutin mal réveillé jusque devant une des grandes glaces du coin "entraînement au combat" du studio. Puis il le laissa s'assoir mollement dans son fauteuil inclinable, devant l'air "matin d'après-défonce" qu'il avait. Atte ne réagit pas: il était trop épuisé pour cela.
Stéphane remarqua qu'il portait un pyjama à carreaux: il s'était donc réveillé (boire beaucoup devait donner envie d'uriner avant le matin), s'était changé et réendormi. En réalité il n'avait pas fait que ça: après l'avoir laissé sur cette chaise, face au miroir (mais, tout mou, il ne regardait que ses genoux, quand il n'était pas soutenu) il avait découvert des bouteilles vides, près du lit, qu'il n'avait pas vues hier soir: elle étaient dans le passage alors qu'il n'y avait rien. Il avait donc rebu en pleine nuit, après la première tranche de sommeil. Ca devenait suicidaire, estima Stéphane. C'était ça qui l'avait fait prévenir Flavia avant même de tirer Atte du lit: il fallait être deux pour le porter sous la douche, supposait-il (Atte n'était pas gros, mais il était lourd).
Atte- [voix pâteuse et zig-zagante] tu es gentil. Evita m'aurait mis des claques aller-retour jusqu'à ce que je tienne debout tout seul.
Stéphane- je ne serais plus là, ensuite. Il faudra que tu te gères tout seul.
Il ne se rendait pas compte qu'Atte ne savait pas le faire: on avait toujours tout décidé à sa place, dans sa famille, à l'usine pour chez VTP. Stéphane utilisa la cafetière électrique d'Atte (il n'en buvait pas, mais savait comment préparer un café correct: pas trop d'eau, et trouvait l'odeur sympathique) et en servit des tasses à Atte jusqu'à l'arrivée de Flavia.
Celle-ci vint à 7h17 (elle était elle aussi logée dans la tour BFR/VTP) et sembla enchantée que ce fût Stéphane qui lui ouvrit la porte. Au moyen d'un dessus de lit aspect satin imprimé de toutes sortes d'insectes façon "planches de sciences naturelles", il avait "bâché" Atte qui s'était réendormi dans son fauteuil inclinable.
Flavia- curieux: d'habitude Atte ne se lève pas avant midi, le dimanche.
Elle voyait que les stores à lamelles pendantes avaient été tirés contre le mur du fond.
Stéphane- il y a un gros problème avec Atte.
F- oui, il boit trop. Tout le monde le sait, mais à la boite il fait bien ce qu'il a à faire et il n'arrive pas soûl les jours de tournage. Rien à dire.
S [montant le "zombie", puis les bouteilles vides près du lit] et se relever en pleine nuit pour reboire, tu trouves ça normal? La défonce hedbomadaire, à cet âge, imagines ce que ce sera dans cinq ans.
F- mais que puis-je faire?
S- aide-le, comme tu m'avais raconté.
Il lui raconta la récouverte de la récidive nocturne.
F- je ne savais pas que c'était à ce point.
S- moi non plus, avant cette fois. Maintenant tu le sais.
F- que pouvons-nous faire?
S- je pense qu'il faut le réexpédier en Finlande. Chez son père, pour retrouver le contexte où il ne buvait pas.
F- comment? On ne peut pas le faire expulser: il est entré légalement d'un autre pays de l'Union Européenne avec un contrat de travail légal chez VTP. VTP ne le virera que s'il fait rater des tournages, et un tribunal ne l'explusera que s'il commet des délits.
S- je voulais juste dire qu'en Finlande ce ne serait pas arrivé. Il s'est trop vite adapté aux plus mauvais côtés de la vie parisienne.
F- n'exagère pas: je ne crois pas qu'il prenne de drogue ni ne participe a des partouzes sans préservatif.
S- l'alcoolisme intensif suffit pour s'auto-détruire, même quand on ne conduit pas. Le risque de prendre des drogues existe si un jour il se met à boire d'autres soirs que vendredi ou samedi, et se procure des stimulants pour arriver quand même à faire illusion chez VTP le lendemain matin. Il faut le remettre sur les rails avant qu'il n'en arrive là. Quant aux partouzes sans préservatif, quand on a bu à ne plus tenir debout on peut faire des tas de choses dont on ne se souvient même plus le matin. Il jour il se réveillera avec des marques de piqûre dans le bras sans savoir d'où ça vient.
F- Atte n'est pas drogué
S- certains des gens qu'il fréquente le sont: je l'ai remarqué, alors que je ne suis pas un bon détective dans ce domaine. On en ferait n'importe quoi, quand il est dans cet état. Y compris lui prélever des organes.
Atte finit par réémerger en les entendant bavarder. Flavia dégaina son appareil numérique et le photographia, puis l'ayant rangé lui dit:
F- tu devrais avoir honte: si tes fans te voyaient ainsi. D'ailleurs si tu recommences je donne ces images à quelqu'un qui les mettra sur un site internet.
S- en France c'est illégal sans le consentement du sujet de la photo.
F- mais peut-être pas en Finlande, et moins encore en Russie. On met tout ce que l'on veut, sur les sites russes.
Flavia, après avoir utilisé la menace, vint cajoler Atte pour voir s'il serait plus coopératif ainsi. Il le fut, et même trop du goût de Flavia, qui dit à Stéphane:
F- as-tu essayé de lui faire une douche froide?
S- je t'attendais pour ça.
F- en Finlande les gens se baignent dans des lacs gelés, donc ça ne pourra pas lui faire de mal. Aide-moi en prenant les pieds...
Stéphane vida le distributeur de glaçons du "frigo américain" d'Atte (en réalité de fabrication coréenne) pour en remplir un seau à champagne, qu'il alla placer près de la douche. Il souleva Atte par le torse, Flavia prenant les chevilles, et ils le remorquèrent jusqu'à la douche. Elle lui ôta juste sa veste, le pencha à travers la porte coulissante (Stéphane le ceinturant pour l'empêcher d'y basculer: inutile de lui faire une bosse à coup de carrelage), et après l'avoir penché un peu plus lui fit couler de l'eau froide des reins à la nuque, à pleine puissance: ce parcours devait donner la sensation de froid maximale, surtout en n'ayant pas "prévenu" l'organisme par mouillage du reste. Atte se débattit mais tel qu'était placé Stéphane il ne pouvait pas l'atteindre, d'autant moins que Flavia continuait de lui appuyer sur la tête pour garantir que l'eau froide aille dans le bon sens sur le dos. Puis arrêt de l'eau froide et coulis de glaçons, maintenus à fondre sur le dos avec une serviette, pour qu'ils ne partent pas. Stéphane le tira ensuite en arrière (il risquait de se blesser aux mains ou aux coudes en gesticulant là-dedans) et le plaqua au sol, ce qui obligea Atte à mettre les mains contre le sol pour amortir. Il s'éjecta loin de sa "proie" après avoir fait signe à Flavia de reculer aussi. Ils l'attendirent dans le séjour avec les grands coussins du canapé et le tabassèrent (sans risque, mais ça réveillait...) intensivement quand il les rejoignit. Atte rit aussi et récupérant le troisième coussin-dossier participa intensivement à la scène d'action. Toutefois il tomba et Stéphane dut le dévier dans sa chute en le poussant pourqu'il ne se blesse pas contre le bureau. Puis, une fois assis:
Atte- [en français parce que Flavia ne comprenait pas le finnois] si j'ai droit à quelque chose d'aussi marrant à chaque fois, je vais me soûler tous les soirs.
Flavia- tu seras viré, ça te déprimera, tu boiras, et quand tu auras épuisé en pastis-vodka l'argent qu'il te restera, tu finiras épave, SDF. Alors Evita viendra t'embarquer pour te ramener là-bas et te rééduquer. D'après ce que tu m'en avais dit, ce ne sera pas de la tarte, sois-en sûr.
La phrase de Flavia était intraduisible en finnois, nota Stéphane: du futur partout. Celui-ci ne disait rien et regardait par les fenêtres, entre les lames verticales du store, les gens que les escalators de la station de RER emportaient sous terre ou débarquaient sur le parvis: il y en avait peu car c'était un dimanche matin.
Flavia- c'est drôle: tu as pris la pose du penseur de Rodin.
Puis:
S- j'espère que VTP pensera comme nous: il faudrait qu'il retourne en Finlande. Au moins un mois, pour des vacances, pour lui remettre la pendule à l'heure. C'est à cause de l'alcool que l'on peut acheter trop facilement partout ici. Là-bas, il ne pourra plus faire ça aussi facilement. [se tournant vers Atte] On va demander à VTP de t'envoyer en Finlande.
Atte- il fait trop froid.
Stéphane- octobre, ce n'est pas encore blanc et gelé partout: je m'en souviens.
Stéphane et Flavia en parlèrent chez VTP. Ce n'était pas "dénoncer" Atte: c'était lui éviter un nauffrage total. VTP avait dû apprendre avant cela qu'il buvait trop: il y avait des oreilles partout, y compris autour de ce qu'avait pu dire Flavia à un moment ou un autre.
Flavia- il vaut mieux que tu sois là pour l'accompagner: c'est ce que VTP a dit. Tu le leur as amené, c'est à toi de le réacheminer dans son pays.
La "refinlandisation" par réimmersion dans son contexte d'origine fonctionnerait-elle? VTP avait accepté de l'envoyer là-bas, où il ferait par télétravail des adapatations en finnois de ce qu'il avait déjà tourné à La Défense. Stéphane devait l'acceuillir dans la salle d'entraînement, puisqu'il en aurait l'usage pour ne pas perdre la main pour la suite des tournages. Il fallait d'abord le ramener dans sa famille, pour essayer de réenchencher le contexte initial. Atte fut donc escorté par Stéphane jusqu'à l'avion, puis dans le train, puis chez M. Ruusuvaara, informé préalablement de cela.
Son père les acceuillit: il était content de retrouver son fils, d'autant plus que Stéphane ne lui avait pas détaillé la situation. Il avait juste expliqué qu'il fallait l'empêcher de reboire, car il en allait de sa santé mentale encore plus que physique. Il dit qu'Atte avait fréquenté hors de son travail des Parisiens qui l'amusaient probablement mais lui avaient donné l'habitude de trop boire et que c'était pour cela que VTP tenait à l'éloigner temporairement de telles fréquentations tout en lui confiant un travail de doublage qu'il pouvait réussir à distance.
Antti Ruusuvaara ne sembla pas faire "tout un plat" de cette histoire d'alcool: était-ce une fatalité finlandaise? Pourtant, il y en avait qui ne buvaient pas à l'excès. Stéphane estimait avoir remis Atte en de bonnes mains. Comme souvent, il estimait ne pas pouvoir être utile directement mais au moins pouvoir chercher quelqu'un qui le serait, d'où l'idée de ramener Atte chez son père dès qu'il avait constaté le problème.
La rentrée scolaire française d'octobre 1999 (septembre étant réservé aux remises à niveau de mauvais élèves) se traduisit par une nouvelle baisse du nombre d'élèves scolarisés du primaire et du secondaire (succès du téléenseignement au moins partiel par le Minilog) et surtout dans le "supérieur", du fait de l'arrêt de financement des études non techniques et non scientifiques, considérées par l'ELR comme "culture et loisirs" donc payantes et ne donnant pas lieu à des bourses d'études. Certaines universités s'étaient transformées en grandes écoles en instaurant un concours d'entrée puis beaucoup de TD et TP, d'autres, désaffectées, avaient été reconverties en logements, le téléenseignement étant devenu massivement la norme dans le supérieur (même pour tout ce qui ne nécessitait ni atelier ni labo, en écoles d'ingénieurs) pour économiser des transports et des locaux. La France économisait massivement sur ses coûts scolaires tout en améliorant considérablement le rapport formation/temps des élèves.
Au Salon de Francfort fut présentée une nouvelle Volga (et non Lada), la Volta 2000, qui n'avait rien à voir avec les grandes berlines désuettes du paysage ex-soviétique. C'était une urbaine ressemblant à une Espace (troisième génération: phares fins) miniature, un style simple, net (donc élégant par rapport au lourdeurs pataudes et bizarreries en vogue en cette fin de siècle) et très habitable (mais pas de troisième rangée de sièges, vu l'échelle réduite de l'ensemble). Structure en aluminium, moteur deux cylindres à plat refroidi par air (en alu lui aussi), en fait un moteur de moto (490cm3), disposé contre le train avant (comme dans une 2CV), cylindres éliptiques, deux grosses soupapes à commande électromagnétique, alimentation essence/alcool/GPL/gaz de ville à paramétrage automatique. Boite automatique à cinq vitesses et relai électrique entre vitesses, supprimant embrayage et synchroniseurs. Un moteur électrique pour chaque roue arrière, un en sortie de boite, à l'avant, en fait un alternateur à haut rendement utilisé en moteur autosynchrone aux moments où on en avait besoin ainsi. 890kg accumulateurs inclus, grâce à la légèreté de la structure, pour une autonomie électrique de 140km à 70 km/h de moyenne routière. Contairement à des "hybrides" comme la Prius, qui étaient des voitures essentiellement thermiques avec un appoint électrique de courte durée, la Volta 2000 était une voiture essentiellement électrique avec un moteur à explosion d'appoint pour continuer une fois les accus épuisés, et les recharger en roulant, avec une puissance nette aux roues (ISO) de 24 à 28 kW (32 à 38 ch) selon le carburant utilisé. Le constructeur russe ne s'était pas préoccupé d'obtenir cinq étoiles aux crash-test Euro-Encap, sachant que l'essentiel des clients ne s'intéressaient pas à la sécurité passive, et la Volta 2000 ne comportait aucun airbag: le tableau de bord rembourré, les ceintures en X à prétensionneurs automatiques, le volant absorbeur (s'enfonçant profondément sous impact) et les montants de portières eux aussi à boudins (vers l'intérieur) permettaient d'obtenir quatre étoiles, ce qui était excellent pour une voiture légère sans airbags. Les roues avant loin de l'habitacle y contribuaient aussi. Volga n'avait pas mis un diesel pour réduire encore le poids et surtout pouvoir rouler au gaz. Le rendement d'un moteur diesel était intrinsèquement meilleur mais comme la plupart des clients rechargeraient les accus chez eux et n'utiliseraient le moteur à combustible que pour les grands trajets, ce n'était pas la priorité: l'économie venait surtout réduction de la cylindrée, grâce à la légèreté de l'ensemble. Il n'y avait rien de mystérieux à savoir faire à peine plus lourd qu'une R4 (du fait de l'électrification), avec une habitabilité comparable, 38 ans plus tard, avec de l'aluminium et de l'optimisation de structure par logiciels. En cas de besoin ponctuel d'accélération, les trois moteurs électriques (celui de l'avant et les deux de l'arrière) pouvaient ajouter 25 kW ce qui doublait le couple disponible, tout en l'appliquant aux quatre roues (14 kW à l'arrière) au lieu de tout mettre sur l'avant.
La Volta 2000 était équipée de série du système de navigation SPS (appelé ainsi sur le marché français) et de la téléphonie gratuite par satellite Lioubioutchaï 2, permettant d'être informé en temps réel des conditions de circulation locales (entre autres). L'ensemble du câblage était par fibres optiques (pas d'interférences, aucune sensibilité à l'humidité, débit massif), complèté par deux "rails" positifs apportant le courant (50V) un peu partout, sauf aux moteurs qui disposaient de leurs propre réseau électrique. Le réseau électrique était donc d'une trivialité et d'une robustesse remarquable, les dessertes et le rôle de disjoncteurs étant confié aux relais électroniques à optocoupleurs numériques situés un peu partout, et permettant un diagnostic centralisé des pannes, avec test automatique de disparition de court-circuit (conductances parasites) pour réenclenchement automatique quand c'était possible. Les "faisceaux électriques" (or la Volta n'en avait pas: juste deux rails positifs communs, et un réseau logique en maillage rendondant optique, provenant directement des ordinateurs AK) étaient sources de nombreuses pannes dans les voitures récentes, leur suppression dans la Volta 2000 était un gage de fiabilité, en plus d'une économie formidable de main d'oeuvre (ou de complexité de robotisation) au montage, quitte à multiplier les composants opto-électro-numériques répartiteurs.
La présence d'un réservoir de carburant liquide (alcool ou essence) ou le stockage de gaz dans les longerons tubulaires de la structure centrale (astuce évitant l'encombrement et le surpoids d'un réservoir séparé, en rentabilisant ces renforts) permettait d'alimenter un chauffage (quand le moteur thermique ne tournait pas) pour ne pas gâcher d'autonomie électrique dans cet usage.
La Volta 2000 n'était pas encore industrialisée à cadences commerciales, et diverses mises au point restaient nécessaires. Les Russes la présentaient en avant-première pour créer un attentisme chez les acheteurs de voitures économiques au profit de cette nouvelle offre à un prix étonnant: celui d'une Fiat Panda de base.
Quelques exemplaires purent être essayés par les journalistes automobiles présents, en commençant par les Allemands. La Volta 2000 semblait silencieuse (même en mode thermique, malgré le refroidissement par air: ça ne faisait ni le bruit d'une 2CV ni celui d'une Coccinelle, contrairement à ce que l'on aurait pu craindre. Radiateur d'huile et ventilateur à pales thermo-orientables: là était l'astuce), souple à conduire en ville, facile à garer, et douce de suspension (trop, du goût des essayeurs allemands à tendance sportive). Elle était équipée de pneus anti-affaissement avec entretoise bloque-talons sur jantes à bord démontable, inspiré du système Roulaplat de Kermanac'h dans les années 30, ce qui permettait d'utiliser des pneus ordinaires de diverses marques, rassurant le client sur son réapprovisionnement futur. La suspension souple permettait un bon confort malgré un gonflage ferme, d'où une économie d'énergie de roulement. La voiture disposait de quatre roues motrices en mode mixte ou tout électrique, ce qui était intéressant sur neige, idée évidente pour les Russes et qui semblait intéresser la clientelle suisse, en association avec la possibilité d'utiliser la voiture en tout-électrique rechargeable sur secteur tant que l'on n'avait pas besoin d'aller trop loin. Ce serait le cas dans une utilisation "domicile-travail", le moteur termique servant pour aller plus loin en week-end ou en vacances, telle était l'utilisation supposée pour la plupart des clients potentiels.
En revenant en Finlande samedi 2 octobre 1999, et après avoir déposé Atte chez son père, Stéphane put voir en stéréoscopie chez VTPSF "La prisonnière des trolls", qui était déjà prêt, tourné en août et post-produit en septembre, l'infographie étant sous-traitée chez VTP, VTPSF n'ayant sur place que ce qui était nécessaire à ses séries télévisées. Il resta scruter le générique final pour vérifier s'il y avait bien Kare, Leo et Mika, et non des "VTPSF" leur ressemblant, parmi les personnages satellites. S'ils avaient utilisé des pseudonymes pour le patronyme, les prénoms ne suffiraient pas, l'un comme l'autre étant fréquents sur place.
Timo lui proposa d'aller tester la piscine géothermique: "la fraîche: j'ai du gras à perdre".
Inutile de déplacer Gorak sans prendre le temps de rester avec: mieux vallait ne le reprendre chez Timo après le retour de la piscine.
Il s'y rendirent. Stéphane ne prit pas les palmes, supposant qu'un samedi après-midi il y aurait du monde donc que ce ne serait pas autorisé. Nelli avait dit que la limite pour le bonnet était 40cm dans la piscine à 18°C donc que même Kare pouvait y aller sans. Elle préférait la chaude, même si (selon Timo qui avait une belle surcharge pondérale) elle s'était arrondie donc aurait perdu plus de calories à l'heure dans la fraîche.
En sortant des cabines et en se rendant au bord du bassin, il vit qu'effectivement seul le pédiluve était chloré, l'eau de la piscine ne l'étant pas, la filtration combinant centrifugation (pour les impuretés séparables), ultraviolets durs (à travers un film d'eau large et peu épais) et ultrasons. Très agréable.
Cent mètres de bassin, c'était beaucoup, sous la verrière de style tarsino-vernien: elle rappelait celle des grandes gares parisiennes du XIXème siècle. Nager dans de l'eau à 18° lui sembla trop facile, à ceci près que sans les palmes il se sentait comme un cycliste dont la chaîne ne voudrait plus quitter le petit plateau, l'obligeant à mouliner au lieu d'enrouler amplement. Il se renseignerait donc en sortant pour voir s'il était permis d'utiliser des palmes, même petites: aux heures creuses, cela devait être possible. De plus, même ce samedi en fin d'après-midi, il n'y avait pas grand monde au décamètre carré, dans cette piscine, à croire que les courrageux étaient au lac et les frileux dans l'autre. Timo flottait bien mais ne lui semblait pas nager efficacement: malgré l'absence de palmes, il l'avait distancé sans avoir l'impression de faire un effort inhabituel. Il n'était déjà pas facile d'identifier les Finlandais, et moins encore quand il n'y avait qu'un bout de tête mouillée qui sortait de l'eau, mais s'il n'avaient pas changé de trajectoire, cela devait être lui. Il verrait bien au retour, si lui aussi faisait toute la longueur.
Au bout, sous une sorte de "lanterne" de verre rehaussant la verrière, il y avait un grand plongeoir: 5, 10 et 15 mètres. Le bassin devait donc être plus profond à cet endroit, supposa-t-il.
C'était le cas, de plus le dallage probablement translucide du fond était éclairé par transparence, ce qui permettait aux plongeurs de très bien voir, en contrejour, s'il y avait quelqu'un dans la zone d'impact dont le fond était éclairé en orange, le reste étant bleu. Un détecteur de présence (à ultrasons, venant du fond) allumait un feu rouge, plus haut (pour les plongeurs) s'il y détectait un corps pas assez profond.
La piscine géothermique était gratuite pour les employés de BFRSF et VTPSF, au moyen de leur badge, toutefois à certaines heures (comme en ce moment) s'il y avait trop de monde dans une des piscines priorité était donnée aux baigneurs payants, estimant que ceux de l'entreprise pouvaient venir à d'autres moments. Cela ne se produisait que pour la piscine chaude, l'autre n'étant jamais bondée, donc se prêtant bien aux plongeons: le feu ne restait pas rouge longtemps, les Finlandais ayant la discipline de quitter aussi vite que possible la zone d'impact et de ne pas la traverser en venant d'une autre partie du bassin. Les plongeoirs était décalés tranversalement: inutile de se préoccuper de ce qui se passait pour le 5m ou le 15m si on plongeait du 10m, ce qui était déjà une hauteur impressionnante, estima Stéphane, surtout vu du ras de l'eau. Il ne comptait pas essayer, même du 5m, sans avoir d'abord bricolé un simulateur de plongeon efficace, avec sangles à rappel élastique de chaque côté d'un harnais: ceci lui permettrait d'apprendre à arriver bien droit dans l'eau, sans claque sur le ventre ni le dos, avant tout essai réel.
Au retour il croisa Timo, lequel lui conseilla de faire demi-tour pour voir Kare plonger. Ca pouvait être lui, effectivement. Kare plongeait du dix mètres, et presque droit. Presque, car il y avait tout de même une grosse gerbe d'eau soit dorsale soit ventrale, au lieu d'une plus discrète de part et d'autre. Kare venait donc d'arriver, sinon Stéphane l'eût vu quand il examinait les plongeoirs en passant à côté de la zone d'impact. Kare remontait au plongeoir. C'était la première fois que Stéphane le voyait en caleçon de bain: il n'avait vu qu'Ari et Leo ainsi, parmi les Karéens. Kare ne vallait peut-être pas Ari (difficile à comparer: c'était déjà de la mémoire ancienne, ça, et dans un autre contexte: l'Emilianomètre local) mais vallait bien Leo, d'allure comme de musculature. Nouveau plongeon, pas parfait non plus, mais Stéphane n'était pas qualifié pour critiquer. Timo non plus: maintenant que Stéphane nageait moins vite, occupé à observer les plongeons, Timo restait à sa hauteur.
T- j'aimerais savoir faire ça.
S- dix mètres de chute, ça fait un demi de gt² égale dix, donc t² égale deux, donc dix fois racine de deux mètres par seconde. 51 km/h: c'est proche de la vitesse des crash-tests. Sans la protection des bras, il faudrait mettre un casque pointu, pour ne pas se faire cogner les vertèbres cervicales au moment de l'impact. Je suppose que l'eau ne peut pas fracturer le crâne, mais elle le tasse brutalement sur ce qu'il y a dessous. Si jamais on regarde l'eau en tombant, on a la tête un peu en arrière, et crac!
Ceci fit prendre conscience à Stéphane que les scènes de films avec plongeon du haut d'une falaise de vingt ou trente mètres étaient utopiques: les cervicales ne pourraient résister à un impact si violent qu'il chasserait d'abord les bras, au premier contact.
Stéphane réaccélera un peu, pour se réchauffer: dans la "fraîche" il fallait rester actif. Si on voulait juste faire trempette, il fallait aller dans l'autre. La température de l'air, au dessus, était de l'ordre de 25°C, ce qui évitait d'avoir la tête frigorifiée (vent froid, dehors) une fois mouillée, ou d'être saisi par une langue de froid tout autour du corps une fois sorti de l'eau. Quelques ex-baigneurs étaient assis dans les gradins (chauffés) à regarder les plongeons.
Il y allèrent, ensuite, pour voir plonger Kaspéri. C'était un garçon très mince, voire maigre, d'environ 1m85, portant un bonnet représentant une toile d'araignée. Stéphane le vit monter au 15m et plonger d'abord droit, impeccable, puis recommencer aussitôt (le temps de rejoindre le bord et remonter) en faisant une pirouette en avant pendant la chute. Ils eurent ainsi droit à huit sauts de Kaspéri, de plus en plus élaborés. Stéphane estimait que Kaspéri, à condition de maintenir une posture ferme et une orientation précise à l'impact, avait un avantage sur Kare: il était bien plus léger, donc cognait moins violemment l'eau: son corps appuyait moins fort sur ses vertèbres cervicales. Il fallait un maintien précis des bras et des mains jointes, la tête dépassant le moins possible vers l'avant ou l'arrière, pour pénétrer l'eau sans dommage à une telle vitesse: plus de 17 m/s, 62 km/h. Il n'y avait pourtant pas d'avertissement à l'entrée sur les risques inhérents au plongeoir de quinze mètres.
Stéphane s'aperçu que Kare était venu les rejoindre pour assister au cinq derniers sauts de Kasperi: on suivait mieux d'ici, vu de côté, que quand on était dans la piscine.
Timo- [à Kare, quand Kasperi se mit à nager tranquillement sans remonter au plongeoir] quand te verrons-nous faire cela?
Kare- difficile et dangereux: je n'ai vu personne d'autre que lui le faire ici, à ce jour. En juin, il s'était blessé: on ne l'avait pas revu de tout l'été.
Ensuite, Stéphane récupéra Gorak chez Timo et revint à la maison avec. Il regarda la télévision allongé sur le "lit de sieste" (déguisé en canapé) du séjour, Gorak ronronnant contre lui. Il se sentait bien, au point d'avoir l'illusion d'être lui-même un chat. Toutefois, contrairement à celui-ci, il ne passa pas la nuit dehors à chasser: il se coucha tôt.
Dimanche matin, il ne fit pas la grasse matinée: il arriva à la piscine géothermique à 6h30 et montra les palmes (mains et pieds. Celles des pieds étaient de taille moyenne, et non de grandes palmes de plongeurs, souples à bords arrondis) au réceptionniste. Il lui dit qu'à cette heure-là c'était effectivement possible, et lui demanda de les passer dans un tunnel de rinçage, puisqu'elles pouvaient avoir servi dans le lac.
Il put ainsi faire quatre kilomètres (vingt aller-retours) sans effort excessif, dosant celui-ci pour ne pas avoir froid. Ca lui permettait de nager bien plus longtemps que dans le lac, avec cette eau moins froide et l'air dont la température semblait neutre, au dessus. Il rêvait à tout un tas de choses, en nageant de cette façon: même mouvement du tronc et des jambes qu'à la monopalme, mais plus rapide car ayant moins d'eau à déplacer. Excellent pour garder un ventre photogénique, savait-il. Cette eau non chlorée n'agressait pas la peau: la sienne n'étant pas grasse, il y était sensible, en cas d'immersion prolongée. Ni sel, ni chlore, et très peu de monde dans le bassin (surtout au début): parfait.
Après cette longue scéance "vide-cerveau", dont il sortit honnêtement fatigué (assez pour ne pas souhaiter continuer, tout en étant encore capable de faire deux kilomètres s'il l'avait fallu) ce fut du farniente avec Gorak.
La piscine avait fait des expériences d'éclairage: quand un côté était éclairé en bleu et l'autre en orange, les gens trouvaient l'eau plus chaude du côté orange.
Après cette sieste féline, il mangea puis alla voir les tournages chez VTPSF. Il découvrit cette série située dans un centre hospitalier universitaire psychiâtrique et neurologique secret implanté en pleine forêt sibérienne (où rôdaient les tigres blancs, à l'affut d'une évasion éventuelle), ceci vers la fin de la période soviétique: la série commençait par l'explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl. Jarkko Tarkkaniemi était une des nouvelles recrues de VTPSF, qui ressemblait beaucoup à Brad Pitt (en version 22 ans) sauf que Jarkko était réellement aussi blond qu'il en avait l'air et plus large de torse que l'original. Coiffé dans le style "Damien" (Atte) de cet été et porteur de lunettes fines, il jouait Yvan, un des assistants du professeur Igor Trepanaïev. Ce dernier ressemblait vaguement à l'ancien directeur allemand Schumacher, y compris l'air d'avoir longtemps bu, mais avec des cheveux blancs. VTPSF avait entraîné Jarkko à imiter les expressions typiques de l'acteur américain, relevées dans ses films pour créer un modèle virtuel animé d'expressions: au début, Jarkko n'était ressemblant que de traits, maintenant il l'était aussi en fonctionnement. VTPSF alla même plus loin dans la version anglophone: le faire doubler par Adrien imitant l'original. L'essentiel de l'immense citée-hôpital était virtuel, seul quelques couloirs, escaliers, ascenseurs et salles d'opérations, réhabillées diversement selon les besoin, étant réels. La série utilisait des Emilianiens finlandais ainsi que des personnages moins émilianiens ayant souvent déjà servi dans "kaupunginrottat, maarottat" ("Rats des villes, rats de champs"), série connaissant un succès énorme en Finlande depuis son lancement. Les scénaristes étaietnt finlandais, tout comme ceux de "Paattynyt fuuturi", alors que "Noitakeinot" était de conception française, ayant servi de banc d'essai pour Sartilvar, Niebelungen (qui y avait emprunté des acteurs) et d'autres HF, tout en y recyclant ensuite le matériel de trucage provisoirement non utilisé chez VTP22. La série Aquavit à base de Vikings alcooliques avait été arrêtée, VTP estimant avoir épuisé le sujet et pouvant facilement recycler ces personnages dans la série de HF locale, qui comportait plus de mystère et moins de spectaculaire que les films de HF de VTP, pour raison de vitesse de tournage et de budget par heure nette produite. "La prisonnière des trolls" était le premier film de cinéma tourné (en finnois, bien sûr) par VTPSF. Fallait-il le considérer comme un super-Noitakeinot, ou comme un Sartilvar quatre cylindres? Sartilvar n'étant pas encore sorti, le film n'y fut pas comparé et offrait un impact visuel inhabituel pour un film finlandais: du cinéma "à l'américaine" mais en finnois et tourné sur place, même si la totalité du storyboard venait de chez VTP. La forteresse à prendre d'assaut (il n'y en avait qu'une, contrairement à Sartilvar) était un pur produit tarsinien, sans imiter l'une des constructions déjà vue chez Kerfilm. L'ambiance n'était pas typiquement finlandaise: quelque part en Europe du Nord (Russie incluse), ou l'hiver en Allemagne, peut-être. Le deuxième film (il y avait déjà eu une quinzaine de téléfilms {ne faisant pas partie d'une série}, surtout policiers) était de conception locale: "Plum pudding". Il illustrait les malheurs d'un petit garçon finlandais se retrouvant dans un collège anglais, ses parents ayant dû s'installer dans ce pays pour raison professionnelle. La question avait été: "dans quel pays aucun élève finlandais ne souhaiterait faire sa scolarité?" le système français avait été mauvais, mais même dans son ancienne forme il n'inquiétait pas autant que d'être élève au Japon ou en Angleterre. Ce fut l'Angleterre qui fut choisie: plus près, et où l'origine étrangère d'un petit Finlandais était moins immédiatement perceptible qu'au Japon. Les Anglais mis en scène dissuadaient quiconque d'aller y séjourner, entre alcoolisme, holliganisme, pédophilie (avec la complicité silencieuse de la direction), racket, drogue, combats de chiens, logements insalubres et hors de prix, transports ferroviaires défectueux, météo continuellement plusieuse et nourriture infecte (même pour des Finlandais). "On peut y aller à fond", avait dit l'un des scénaristes locaux, "si on exagère, ils penseront juste que VTP nous l'avait demandé".
Cela commençait par un résumé très rapide de la situation: "mon père avait trouvé du travail en Allemagne mais le bureau d'études a été délocalisé en Inde, alors il a fallu chercher ailleurs".
Changement de train à Paris pour l'Eurostar. Le petit Kim disait alors "pourquoi ne reste-t-on pas ici? On dit qu'en Angleterre il pleut tout le temps". Son père:
- parce qu'en France non plus il n'y a pas d'emplois: c'est pour ça que nous devons aller en Angleterre. De plus tu ne comprendrais rien, en classe: il faut un pays où l'on parle allemand ou anglais.
Sa mère:
- ici il n'y a que des mendiants, des pickpockets et des alcooliques. Les autres doivent être des touristes.
Après (image brève) avoir filé à plus de 300 km/h (Kim surveillait de temps en temps l'afficheur, au dessus de la porte au bout du wagon) sous un soleil radieux avant le tunnel sous la Manche (jusque quelques petits nuages sympathiques dans le ciel), l'Eurostar (plan suivant) se traînait à 80 km/h sur des voies anglaises grinçantes et mal dressées, le tout sous une pluie tenace, dans une lumière grise qui ne produisait aucune ombre. Une minute (de film) plus tard, le premier bogie de la motrice de tête déraillait, un rail s'étant légèrement écarté de ses traverses vermoulues puis en ayant été éjecté par le boggie formant loquet d'ouverture à glissière, une fois tombé entre les rails et cahotant sur les traverses, d'où trois boggies déraillés, au total, avant immobilisation. Déraillement sans dommage ni blessés mais causant plusieurs heures de retard car pour réparer (ou plutôt rafistoler) la voie, il fallait soulever la motrice ainsi que le premier élément, donc faire venir de grandes grues. L'une d'elles s'avérait ne pas fonctionner, ce qui obligeait à procéder en deux fois: le premier élément n'était pas séparable simplement des suivants, mais il pouvait l'être de la motrice, tandis que les ouvriers vidaient plus de bouteilles de bière qu'ils ne serraient d'écrous tout en engageant des paris sur la probabilité de panne de l'autre grue.
La pluie et le brouillard omniprésents (l'une précédant ou suivant l'autre, ainsi que des petites bruines durables en plein brouillard) permettaient des économies de tournage: il n'était pas nécessaire de synthétiser nettement des portions de Londres ni de sa banlieue, seuls les bâtiments les plus proches étant repérables (pas trop précisément, ce qui économisait de la résolution de calcul), et encore: pas toujours.

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