vendredi 10 avril 2009

chapitre N-44

Le chômage avait énormément diminué en France sous l'effet de la conversion des charges sociales en TVA: le bon énorme des exportations, tout particulièrement dans l'industrie rennaissante, avait vite résorbé le stock de jeunes ingénieurs au chômage (important, en pourcentage, avant l'ELR), puis de techniciens et d'ouvriers, au point que les entreprises avaient cessé, dans leurs annonces, d'exiger des "profils exact" du genre "au moins tant d'années d'expérience à tel poste, tant à tel autre, anglais, allemand, russe, chinois parlés courramment": elles étaient obligés de se remettre à prendre des gens "brut d'écoles" et à les former sur le tas. Comme autrefois, mais elles en avaient souvent perdu l'habitude et les compétences, ces dernières ayant été lessivée de l'entreprise à coup de mises en préretraites. On rappela donc (et pas au Smic) certains de ces préretraités pour former les jeunes.
Les salaires en bénéficiaient d'autant plus facilement qu'ils n'étaient plus punis de charges sociales, et que la TVA ne s'appliquait pas aux salaires (dans la limite de deux smics horaires), car ce n'était pas une "valeur ajoutée": l'entreprise avait acheté ces heures de travail, au même titre que des matières premières, donc la valeur ajoutée était ce qu'elle en tirait de plus. Ceci accéléra le dégraissage de la fonction publique, qui avait perdu la plupart de ses avantages (sauf pour ceux qui en avaient déjà peu donc pour lesquels seul le mode de calcul de la retraite avait changé): pour la première fois, des gens quittaient spontanément des postes de fonctionnaires pour aller dans l'industries ou dans les services privés utilisés par l'industrie. Selon l'ELR, la France se rapprochait du modèle allemand (et le dépasserait probablement, grâce au "tout TVA"): un gros excédent commercial (et ceci sans un gramme de protectionnisme: "on a juste arrêté de subventionner les importations"), une natalité faible, une épargne forte, peu de recours au crédit et une consommation redevenue raisonnable, au lieu de frénétique. Le pays s'enrichissait, ses habitants aussi car l'Etat s'était serré la ceinture donc consommait lui aussi moins de "Ressources Nettes de la Nation. Les entreprises pouvaient licencier sans provoquer de manifestation: il y avait de l'emploi autour. L'automatisation reprennait (ce qui fit les beaux jours d'entreprises comme Kermanac'h, au lieu de tout devoir importer d'Allemagne ou du Japon comme autrefois), et le "CNS", incitant à ne pas faire d'études inutiles ni chercher d'emploi si l'on préférait vivre de peu (la baisse du coût de la vie le facilitant) sans rien faire évitait des manques de main d'oeuvre, d'autant qu'il y avait encore "pour plus de 20 ans de demandeurs d'emplois en surnombre dans les tuyaux", la baisse de la natalité ayant ce temps de réponse. Celle-ci avait baissé les dépenses sociales, permettant de mieux financer les problèmes de santé solubles des personnes âgées. L'euthanasie avait été facilitée, sur le modèle hollandais: ce n'était pas le médecin qui piquait le demandeur de libération, mais une perfusion inoffensive dont le patient pouvait modifier le comportement pour entrer confortablement dans un sommeil sans retour. Ca évitait toute histoire de serment d'hypocrate, car laisser un scalpel sur la table pour permettre au malade de se trancher la gorge n'eût pas été légalement différent. C'était juste plus propre, plus confortable, sans risque de ratage et avec une boite noire pour savoir que la machine n'avait été déclenchée que par le patient, et pas par inadvertance: il y avait deux manoeuvres différentes à faire, la seconde uniquement après demande de confirmation de la première, et sans trop attendre. En cas de tétraplégie, ces manoeuvres pouvaient être faites avec la langue, ou le regard (suivi optique par une caméra numérique) ou autre chose, selon le cas.
Il y avait eu beaucoup d'utilisations de ce système, y compris par des malades ou infirmes jeunes: pas d'âge minimum. Du moment qu'il demandait à être achevé et montrait qu'il comprenait le fonctionnement du système, un enfant y avait droit sans l'accord de ses parents.
Tout en continuant à connaître une émigration de familles nombreuses ("de souche" ou pas), la France avait une immigration de jeunes entrepreneurs capables (et n'attendant aucune subvention: les étrangers n'avaient pas droit au CNS), de retraités aisés venant surtout d'autres pays européens mais aussi d'Afrique, en praticulier les entreprenneurs dans la récupération-réutilisation-recyclage.
La réparation d'appareils de toutes sortes était le gisement d'emploi qu'avait financé "gratuitement" l'évolution vers la "société de conversation" prônée depuis des décénies par l'ELR: tout ce qui aurait été gaspillé en déficit extérieure sous forme de réimportations de biens "non économiquement réparables" dans l'ancien système servait à réparer ces bien quand ils pouvaient l'être: "réparer une voiture japonaise, c'est éviter d'en réimporter une", avait donné comme exemple l'ELR. Or pour cela, il avait aussi fallu interdire aux importateurs de dissuader les réparations par des prix de pièces de rechange supérieur à celui de l'ensemble entièrement monté (à croire que la main d'oeuvre avait un coût négatif, dans ces pays: que les ouvriers payaient pour travailler...). Désormais, cette pratique était condamné comme vente à perte du bien assemblé. En aucun cas, il ne pouvait être vendu moins cher que la somme de ses pièces détachées. Si l'acheminement des pièces détachées avait un surcoût, et bien l'importateur devait augmenter sa marge sur le produit complet, pour l'ajuster à ce surcoût, sous peine de voir l'Etat le faire comme "taxe de vente à perte". Ceci rendit les réparations rentables dans un très grand nombre de cas, ainsi que l'obligation de suivi de pièces d'au moins cinq ans pour l'électronique, dix pour l'électoménager et vingt pour les voitures. Les constructeurs français trichaient aussi sur les pièces détachées, mais sans faire quatre voire huit fois la culbute comme nombre d'importateurs. Résultat: baisse du prix des pièces de rechange (réduction de la méga-marge) et hausse du prix des produits complets pour compenser, ce qui accentua la baisse du marché de remplacement au profit de celui de la conservation/réparation/restauration.
Le Danemark connaissait cela depuis longtemps, ce qui expliquait (via une taxe de 100% sur les voitures neuves, preuve que c'était légal en Europe, et ceci bien qu'il n'en produisît pas...) le nombre élevé de voitures de plus de vingt ans roulant en bon état dans ce pays: autant de réimportations coûteuses évitées au profit de l'emploi chez les garagistes danois, et du budget auto de ceux qui réparaient eux-mêmes.
Même motif, même récompense en France, de façon plus spectaculaire encore vu le poids des charges sociales (dissuadant de faire réparer, jusqu'alors) ainsi éradiquées.
Ceci résolvait aussi le problème des retraites: il suffisait d'ajuster la TVA (Sécu et caisses de retraites étant maintenant 100% parties de l'Etat, donc de sa fiscalité), seul impôt à ne pas pénaliser l'emploi français par rapport à l'emploi étranger, car frappant à l'identique les produits de toutes origines.
La baisse énorme de dépenses par la suppression de la branche "famille", le déremboursement des "traitements de complaisance" (psychotropes, cures thermales), l'interdiction de tout financement public des "régimes spéciaux" au delà de l'équivalent du régime général (d'où leur disparition), le plafonnement à 0,7 smic des allocations chômage, la suppression du régime des "intermittents du spectalce" et la non prise en charge financière des états de santé causés par le comportement délibérément choisi du patient avait permis de remettre moins de TVA sociale (27% de moins) qu'il n'avait supprimé de charges sociales (CSG incluse).
Quant à la "flat tax" simplifiant (tout comme l'abolition du quotient familial et de la notion de "foyer fiscal") l'IRPP, elle avait tenu sa promesse d'augementer plus la matière imposable qu'il ne le fallait pour compenser le taux unique de 20% et la franchise de 12 mois de Smic par contribuable salarié, 18 pour les non salariés (rentiers inclus). En échange de quoi les speculateurs à cours terme était tondus de près, au profit des épargnants durables, rapidement défiscalisés.
Pour les expatriés, cette franchise était portée à 30 mois de Smic: les Français ne s'expatriaient pas assez, avait toujours dit l'ELR, d'où manque de présence française dans le monde. Aymrald avait en quelque sorte "devancé l'appel", son envoi au Québec ayant eu lieu avant ces réformes.
Cinq centrales nucléaires avaient déjà été arrêtées: les plus coûteuses à maintenir en sécurité de fonctionnement. La géothermie commençait à prendre le relais, au grand bénéfice de BFR qui maîtrisait la réalisation à coûts réduits de tels forages (ainsi que l'intubation et la jonction) depuis des décénies. La géothermie "moyenne profondeur", plus simple, suffisait à faire faire d'énormes économies de gaz ou de fioul pour les chauffages urbains: les villes pouvaient vendre de la chaleur aux particuliers (via un échangeur, pour éviter des fuites ou pollutions accidentelles du circuit municipal) pour moins cher qu'en la produisant eux-mêmes avec un combustible fossile ou à l'électricité. L'été, ça pouvait servir à chauffer une piscine municipale. La loi contre les travaux gênants interdisait de réouvrir une chaussée déjà ouverte moins d'un an avant, sauf urgence manifeste et ponctuelle (fuite). Toute entreprise ou municipalité ayant l'intention d'éventrer une chaussée devait lancer un appel d'offre pour favoriser la co-utilisation de ces travaux par d'autres services enterrés (avec partage des frais, donc) ce qui diminuait à la fois les impôts locaux et les nuisances aux riverains. La suppression de tout financement public (et même par entreprises, car c'était de "l'abus de biens sociaux au profit d'une minorité") de crèches et garderies avait permis à nombre de personnes âgées à petites retraites de se faire un complément de revenu auprès des parents ne souhaitant pas ou ne pouvant momentanément pas s'occuper de leurs enfants. En cas de force majeure (maladie, accident parental) ce service était pris en charge: le but n'était pas de pénaliser les parents "de bonne foi", mais uniquement les "démissionnaires". Un autre système s'instaura: la "garde mutualiste": avant d'avoir un enfant, le ou les parents fournissaient de la garde d'enfants à d'autres membres de l'association (après examen de compétences) leur donnant droit à un service équivalent quand ils en auraient besoin. Ca existait aussi pour les animaux, en particulier en cas de vacances à l'étranger où il était souvent trop difficile de les emmener: quarantaine, moyen de transport... Certes, on prenait un petit risque, mais pas plus qu'avec une "baby sitter" ou "pet sitter" payante. L'ELR avait encourragé les systèmes d'échanges de services locaux, ainsi que "logement contre travaux", etc: tout ce qui démonaitisait de l'activité utile enrichissait la population.
La résorbtion de la crise du logement (par chute du marché, désimmigration et depuis le printemps les naissances en moins) avait été accélérée par la suppression de la "trève hivernale" et les expulsions immédiates (sans jugement: par constat d'absence de titre d'occupation ou par carence de deux mois de payement de loyer) avaient redonné confiance dans la justice aux propriétaires. Changer la serrure d'un logement sans titre d'occupation ou s'y faire envoyer du courrier administratif valait une peine de prison automatique, désormais, la première pour "cambriolage avec blocage d'accès", la seconde pour "faux et usage de faux". Ceci, joint à la baisse des loyers (par déspéculation) avait fluidifié considérablement le marché: "les locataires honnêtes cessaient de faire les frais de quelques parasites astucieux".
Le référendum avait massivement été introduit au niveau local. En particulier, le droit de véto référendaire d'initiative populaire sur la construction d'édifices publics (y compris "logements sociaux"), d'installations dévaluant le voisinage (déchetterie, incinérateur, porcherie...). Il pouvait faire obstacle à toute "déclaration d'utilité publique" pour des projets venus "d'en haut". L'Etat, la région, le département, la commune n'avaient plus de possibilités de décider ou d'accepter une autoroute ou un aéroport sans l'accord des riverains. "Il est temps d'enterrer le jacobinisme", avait promis l'ELR. Sur ce point, promesse tenue.
Ce droit de véto pouvait aussi s'appliquer aux éoliennes: bruit, nuisance touristique dans le paysage, mais rarement à la géothermie quand un bâtiment émergé de même taille n'était pas refusé: ça ne faisait pas de bruit (alternateurs dans une salle enterrée), et on pouvait même en faire dépassant peu du sol. Seul le système de refroidissement pouvait causer une nuisance de voisinage, mais ce n'était pas le cas quand on utilisait la chaleur de fin de cycle dans le réseau municipal, pour des serres, piscines, etc: ni tour, ni échauffement d'un cour d'eau. Le plus simple était de faire de la géothermie dans un site industriel existant, ou mieux encore à la place d'une centrale thermique existante (combustible classique ou nucléaire): il n'y avait alors aucun besoin d'autorisation locale, puisque ça réutilsait l'infrastructure en place. Il fallait parfois changer les turbines quand la pression et la température obtenues étaient différentes de celles du système d'origine, mais ça ne modifait pas l'emprise du bâtiment. Autre avantage: cela réutilisait le réseau de distribution d'origine: pas besoin de nouvelles lignes à haute tension.
Hélas, toutes les centrales thermiques n'étaient pas sur des sites où l'on pouvait facilement forer pour trouver des températures assurant le remplacement de ses chaudières ou de ses réacteurs nucléaires.
Quant aux éoliennes, la généralisation des colonnes à ailettes au lieu des hélices (surtout les triplales, d'un mauvais rendement puissance/prix et puissance/encombrement, "à croire qu'elles ont été conçues pour prouver que ce n'est pas rentable", disaient les ingénieurs de l'ELR) rendait leur implantation beaucoup plus facile (moins de largeur), moins bruyante, leur coût au MW moindre (pas de pivot d'arbre, pas de fragilité d'assemblage au moyeux, pas de place perdue) et leur fiabilité bien supérieure. On pouvait en mettre de grandes et peu hautes au sommet des immeubles ("camemberts à aubes") ou d'étroites et hautes depuis le sol, selon la place disponible. Ca marchait quelque fût la direction du vent, sans temps mort de réorientation. Les aubes n'étaient pas fixes: elles étaient liés diamétralement par des câbles ou des tringles, passant les uns au dessus des autres, de façon à ce que la pression rabattant les aubes revenant à contesens contribuait à ouvrir celles "motrices" de l'autre côté, et réciproquement: il y avait moins de retard à l'ouverture et à la fermeture des aubes que sans ses liaisons, de plus ça évitait les claquements, le mouvement d'ouverture et de fermeture étant progressif de part et d'autre du point neutre, au lieu de "d'un seul coup" après retard angulaire. Le "carroussel de voiles" avait un rendement théorique supérieur (aubes-cadres tournant continuement à la moitié du régime du rotor) car comme des navires les voiles "remontaient au près" sur une partie du trajet retour, mais c'était beaucoup plus lourd, cher et fragile à mettre en oeuvre... qu'une colonne à ailettes "réciproques" plus grosse fournissant la même puissance. La colonne tournante fournissait de la puissance pour des vents faibles incapables de faire tourner une hélice géante, et résistait beaucoup mieux aux tempêtes, car elle avait un gros arbre planté dans le sol (tournant, ou fixe autour duquel tournait la colonne, selon le cas) un diamètre moindre tout en offrant une surface d'appui aérodynamique supérieure: dans une hélice, les pales n'étaient efficaces que vers leur extrémité, en plus de tout le vent non capté entre elles. Les hélices à pales orientables étaient nées d'un souhait d'obtenir une fréquence fixe. L'expérience avait montré que l'on gagnait plus à accepter un régime variable (fonction du vent) à couple à peu près constant (du moins variant moins que dans une hélice à pas variable cherchant à obtenir un régime fixe) et recréer la fréquence "réseau" avec de l'électronique de puissance en aval. De plus le stockage de puissance se faisait par compression d'air, ou pompage d'eau (surtout quand on était près d'un barage existant) et dans cet usage le régime n'avait pas d'importance, le réservoir d'air comprimé ou la retenue d'eau se chargeant de lisser la production selon la demande. Il y avait des pertes dans ce stockage intermédiaire, mais moins qu'en tentant de stocker directement l'électricité, si l'on incluaît le coût énergétique de fabrication et de remplacement des accus énormes qui auraient été nécessaires pour cela, dispositifs électrochimiques vieillissant bien plus vite qu'un stockage mécanique.
Le nouveau modèle économique français (NMEF) commençait à faire des émules dans les pays voisins, vu l'avantage commercial spectaculaire que la France en tirait: la TVA sociale fit tache d'huile. Le Danemark avait commencé avant la France, mais sans aller aussi loin que l'ELR, car une part importante de l'équivalent de la Sécurité Sociale de ce pays était déjà financé par l'impôt sur le revenu et non les charges sociales, avant leur conversion en TVA sociale. L'impôt à taux fixe (ITF), traduction française de la "flat tax" (qui en France incorporait une franchise non négligeable, ce qui n'était pas tout à fait un ITF au sens originel car les revenus les plus bas ne le payaient pas) avait prouvé son caractère attractif pour les hauts revenus des pays voisins, qui parlaient de "dumping fiscal" alors que l'ELR leur répondait que "pas du tout: l'ITF rapporte plus que l'ancien IRPP", les voisins disant "parce que vous nous prenez nos meilleurs contribuables". Mais nulle convention européenne ne s'y opposait, donc ce fut imité. L'ITF français allait y reperdre une partie de ces gros contribuables étrangers, mais le désendettement déjà réalisé grâce à eux était un acquis même s'ils repartaient. Quand à la suppression de la "branche famille", c'était un progrès économique essentiellement franco-français puisque la plupart de nos voisins n'avaient déjà pas ces dépenses, "ni la marée de jeunes très coûteuse qui en résultait", admettait l'ELR, qui disait que le pays s'était débarassé d'un handicap économique que les autres n'avaient pas, donc qu'ils ne pourraient faire mieux qu'en taxant les familles nombreuses... qu'ils n'avaient déjà pas engendrées. L'imitation partielle (et pas partout) du NMEF allait en réduire les avantages, mais pas les annuler, la France "partant d'un système socio-fiscal tellement suicidaire que la simple équivalence avec nos voisins aurait déjà été un progrès fabuleux". De plus, dans d'autres pays aussi il y avait "des lobbies puissants tenant d'une main ferme une classe politique corrompue", donc à moins d'une "émergence massive de dossiers compromettants balayant cette classe politique et dépouillant les lobbies de toute complicité en haut lieu", les changements seraient difficiles.
Les économies considérables réalisées un peu partout dans l'Etat (Sécu incluse) et en particulier le remplacement du service militaire de masse par une formation compacte très qualifiée finançait très largement un nouveau porte-avions nucléaire "le nucléaire civil n'est pas rentable mais le nucléaire militaire est nécessaire", avait admit l'ELR, qui était en chantier à Saint-Nazaire, bien plus vite et pour moins cher que le premier car ayant appris de toutes ses erreurs et tergiversations comment aller droit aux solutions qui marchaient. La version corrigée des mêmes plans (nouvelles hélices, en particulier, vu les problèmes rencontrés), et non de l'inédit. Ceci simplifierait aussi la maintenance. Le nom choisi fut Kerguelen, comme nos îles australes.
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Si le "cas" Aymrald avait été étudié en détail par BFR avec le concours de VTP, ainsi que des "taupes" de la filiale canadienne, c'était parce que BFR avait un problème avec BFRSF, sa filiale finlandaise: les divers superviseurs industriels français y avaient tous rencontrés de gros problèmes (certains ayant fait jouer la clause de retour au bout de moins d'un mois), d'où la difficulté d'en retrouver. VTP avait fait bien plus de tests sur lui (comme d'autres personnages) qu'il ne le croyait, y compris la "destabilisation psychologique" sous diverses formes, y compris le rôle à Paul Emile chez BFRQ. De même, BFR l'avait étudié à ses divers stages et postes professionnels dans l'entreprise, dont la formation technique de stagiaires et la participation au dépannage d'installations. , bien qu'on ne lui eût encore jamais confié d'équipe. Parmi les bémols:
- capacité à convaincre (sans séduire): moyenne. Dépendait uniquement de la solidité des arguments objectifs qu'il avait ou non sous le pied selon la situation. Incapable de vendre quelque chose dont il n'était pas objectivement convaincu.
C'était le point le plus négatif du personnage pour la mission, selon BFR.
- honnêté intellectuelle: bonne (ce qui expliquait le point précédent)
Mensonge par omission possible pour ne pas empêcher quelqu'un de la boite d'embobiner un client, toutefois. Aymrald n'était pas un "marchand de salades" mais ne ferait pas de croche-patte à ceux-ci, chez BFR.
Et enfin:
- aptitude à être pris sur place pour un Finlandais
1) visuellement: forte. "A un quasi-sosie chez BFRSF"
2) linguistiquement: encore insuffisante, progrès possibles
3) gestuellement: non (gestuelle latine) "sauf si on lui occupe les mains autrement"
4) caractériellement: moyenne-bonne. Non stressable, mais sans froideur, contrairement à un "vrai".
Toutes ces évaluations faites au fil du temps n'étaient pas une radiographie exacte du personnage (il y avait quelques erreurs d'interprêtation des résultats), mais ce que BFR et VTP avaient cru pouvoir en déduire. Ceci expliquait son choix pour la mission. Les compétences pures n'étaient pas le problème, car BFR pourrait le télépiloter depuis Rennes pour tout ce qu'il ne saurait pas faire, en plus du système expert embarqué (dans un ordinateur portable AK) dont on allait le munir, prêt à répondre à presques toutes ses questions techniques sur l'usine. Le comité de sélection du nouveau superviseur avait encore quelques doutes sur ce choix "tout sauf sérieux": "ce n'est pas parce que les plus compétents ont échoué qu'il faut se contenter d'envoyer le plus finlandais que l'on ait dans la boite". "Pas seulement: c'est aussi le moins stressable, en plus de parler la langue, et il ne transpire pas, ce qui est un atout supplémentaire: même SDF en plein été il ferait propre et frais. Les pays nordiques sont obsédés d'hygiène et nous méprisent sur ce point".
- leur envoyer un ragdoll pour jouer au superviseur industriel en playback?
- exactement. Seul un ragdoll peut vivre là-bas sans pêter les plombs. De plus c'est une situation confortable pour lui: nous nous occuperons de tout. Absolument de tout. Il n'aura qu'à faire semblant de tenir le volant car il ne sera pas aussi seul en territoire ennemi qu'ils le croieront.
- ce n'est quand même pas la Corée du Nord
- mentalement, presque.
- il faut encore qu'il accepte. Souviens-toi que Bifidus, il avait refusé: il y a des limites à sa manoeuvrabilité.
- il avait accepté le Canada sous-payé et sans aucun avantage
- parce que nous lui avions forcé la main, au lieu de le faire exempter
- pour la Finlande, il est motivé. Sinon pourquoi aurait-il passé tant d'années à essayer d'apprendre une langue aussi difficile et qui ne sert à rien sur le reste de la planète? Ca, plus une voiture de fonction, un logement de fonction, un salaire doublé "net de net", deux aller-retours en "classe affaires" payés par an... Et la cerise sur le gâteau: l'AK50. C'est nouveau, ça vient de sortir. Seize coprocesseurs en parallèle, deux giga de mémoire, écran "cinémascope" 2048x1024, graveur DOEC, webcam sans fil, lunettes virtuelles, modem multistandard intégré: l'arme absolue. Le tout dans un pays plein de Finlandaises: il acceptera. On aurait même pu être moins généreux, mais en échange de ça on va l'écraser de travail, sur place: plus il en aura à faire, moins il pensera au reste, et en particulier à ce que les Finlandais pourraient penser de lui. On l'aidera techniquement, mais en l'engueulant comme du hareng pourri chaque fois qu'il n'aura pas tout fait impeccablement. Si c'est nous, son problème, ce ne sera pas la Finlande. Puisqu'il semble aimer ce pays, autant lui éviter d'être trop déçu.
- astucieux. Méchant, mais astucieux
- méchant... Dambert on peut taper dessus sans aucun risque, mentalement, du moment que l'on ne lui donne pas une impression d'injustice ou de trahison. Ca, il ne tolèrera pas. Mais la sévérité, les grosses critiques pour les petites insuffisances, on peut y aller. Tout en l'aidant à réussir autant qu'il faudra: il faut qu'il sache qu'on ne le laissera jamais seul face à un problème qu'il ne peut pas traiter. Ca lui rappellera qu'il a besoin de nous et lui fera mieux avaler notre dureté éventuelle.
- il ne faut pas le mettre continuellement en situation d'échec par surcharge de travail: parce que là, il ne pas craquer, votre radgoll: il va calmement s'estimer incompétent pour la mission et démissionner. C'est l'inconvénient du paramètre "honnêteté intellectuelle": il ne s'incrustera pas dans une mission qui le dépasse trop. Malgré les avantages
- je veux dire que ça va être moins cool qu'ici ou chez VTP. On lui charge la barque, mais pas au point qu'elle coule, et puis on l'aide à ramer quand il y a trop de courant contraire. Il faut que ce soit difficile mais qu'il réussisse grâce à notre aide.
- et s'il échoue? Malgré notre aide?
- ça veut dire que ça ne viendrait pas de lui, qui n'est que l'automate qui applique nos consignes, mais de BFRSF elle-même, donc qu'il faut passer à la "solution finale"
- Dambert, votre nouvelle mission est de recycler tout le personnel finlandais en saucisses.
- non: délocalisation en Lithuanie. On ne le lui dit pas, mais en mettant à jour le matériel il le rendra aussi plus facile à délocaliser, car la doc technique et le coordinateur informatique auront été mis à jour.
- il va falloir se méfier du syndrôme d'Helsinki.
- c'est quoi?
- Stochholm, mais en Finlande. Il se peut qu'il sympathise avec eux et s'oppose à la délocalisation
- non, car eux ne sympathiseront pas avec lui, et lui, il fera exactement ce que nous lui commanderons, s'il constate sur place que l'usine n'est pas viable en Finlande. Son analyse psychologique le prouve. De plus le but n'est pas de délocaliser cette usine: c'est uniquement le "plan B".
On décida que l'expérience pouvait être tentée: certes, il aurait été plus simple de l'y envoyer juste pour s'occuper des machines à saucisses (ou autres), car il restait le problème de la crédibilité face au personnel de l'usine. A 21 ans (et demi) il était trop jeune et le semblait plus encore, mais justement: ça donnerait à penser que pour être aussi jeune à un tel poste, il n'était pas n'importe qui. Que BFR ne l'envoyait pas pour son physique "imprimé jusque sur un magazine télé américain", mais au contraire malgré ça. De plus, les Finlandais ne connaissaient certainement pas les séries télévisées où il avait joué.
- la télévision suédoise a passé le pilote de "Cap sur Mars". Les Finlandais suédophones peuvent les avoir vues
- BFRSF n'est pas en Finlande suédophone. On est dans la vraie Finlande, pleine de déclinaisons abominables.
Ce fut le lundi 15 décembre qu'Aymrald fut mis au courant de la possibilité d'aller dans l'usine finlandaise de BFR, vu qu'il parlait cette langue (qu'il avait continué consciencieusement de potasser, en lisant des articles finlandais trouvés sur internet via le Minilog chez BFR. Trois ans et demi qu'il essayait de s'incruster le système de déclinaison finnois dans le cerveau et de moins confondre les longueurs de sons) et avait une expérience de l'expatriation en climat froid: la Finlande, ce n'était pas pire que le Canada, météorologiquement.
Cette fois, contrairement au Canada, il ne serait pas simple ingénieur exécutant, mais chef de projet de remise à niveau de l'équipement et des méthodes de production de l'usine finlandaise.
- et vous aurez une voiture de fonction.
Aymrald- laquelle?
- une XM. Ou une Safrane: je ne sais plus, il faudra vérifier sur place.
A- mais... il faut m'apprendre à faire tout ça. Avez-vous une méthode de formation accélérée?
- on va vous mettre au courant, si vous acceptez. Bien sûr, le salaire augmente aussi, et même déduction faite du coût de la vie plus élevé dans ce pays, votre pouvoir d'achat net sera presque doublé. Logement de fonction, voiture de fonction, deux aller-retours en avion payés par l'entreprise, et n'oubliez pas les nouveaux avantages fiscaux pour les expatriés, en plus de l'abolition des taxes sur les avantages en nature "de niveau raisonnable": on ne vous fournit pas un hôtel particulier et une Rolls avec chauffeur, mais vous n'avez rien de tout ceci ici, et vous savez que chez nous on ne monte jamais en grade dans son propre service. Il faut tirer des bords, pour progresser.
La Finlande. Enfin. Et par la grande porte: avion aux frais de la boite, super-ordinateur portable, hébergement, voiture de fonction, poste de chef de projet, salaire majoré "même par rapport au coût de la vie local", avantages fiscaux... Même sans tout ceci, la Finlande...
Aymrald entendit mentalement le refrain de "la société anonyme" d'Eddie Mitchell. Où était le piège?
Aymrald- pourquoi moi?
- même si vous ne parler pas parfaitement finnois, vous avez déjà de bonnes bases. De plus, nous voulons quelqu'un qui puisse s'intégrer sur place. Si vous ne voyez pas ce que je veux dire...
Sur l'écran, on fit défiler un "trombinoscope" de BFRSF dans lequel il avait été inséré.
A- sont-ils racistes?
- et même plus, comme tous ces peuples-là. Pour eux, les Allemands sont des Arabes.
A- vous voudriez m'envoyer comme crocodile domestique dans un marais plein de crocodiles sauvages. Mais s'ils s'en aperçoivent?
- à l'usine, ce ne sera pas un mystère: ils sauront que vous venez de chez nous et vous n'êtes pas le premier. C'est pour la vie finlandaise: on pense que vous, vous pouvez passer inaperçu dans une foule. Vous êtes même plus "Finlandais fait par ordinateur" que la moyenne des Finlandais, à part la couleur des yeux, et comme de toute façon les Finlandais parlent très peu, vous aurez le temps de bien préparer vos phrases en finnois et de les dire avec l'accent. Nous savons que vous êtes bon pour imiter les accents: VTP nous l'a dit. Et puis vous aurez ce "joker".
L'appareil ressemblait à un bloc-notes électronique. Il comportait un fil pour oreillette, et un autre pour poignée multiboutons tenant dans la main, inspirée d'un projet français des années 80 remplaçant le clavier par cette poignée sans support où l'on tapait les caractères par pression simulanée de certains boutons, ce qui permettait de n'en avoir que douze (3x4) dont huit d'usage fréquent. Plus une touche était d'usage fréquent, statistiquement, plus ou lui avait affecté une combinaison simple à actionner et mémoriser. Cela demandait de l'entraînement, mais...
- par rapport aux déclinaisons finnoises, c'est une goutte d'eau. Or cet appareil contient un logiciel, que vous connaissez déjà sur AK48 ou 49: le dictionnaire prétraducteur déclineur conjugeur de finnois.
A- tout ceci tiendrait là-dedans?
- sans problème: c'est une grosse base de données pour un cerveau humain, mais modeste pour une mémoire informatique: n'oubliez pas qu'un petit ordinateur actuel peut stocker en quelques minutes ce qu'un humain n'aurait jamais pas le temps de lire pendant une vie entière. Notre cerveau est une tête d'épingle, en mémoire réelle. Il peut résoudre des problèmes que l'informatique ne sait pas encore traiter, comme repérer du premier coup d'oeil une chaussette froissée dans un tas de linge sale ou faire les courses dans un hypermarché un samedi après-midi, mais en stockage réel, fiable, comme un annuaire, il ne contient pas grand chose, et en plus ce pas grand chose est monstrueusement lent à introduire dedans. Sinon vous connaîtriez vos déclinaisons finnoises comme sur des rails en ne les ayant lues qu'une seule fois. Ca, ce sont les machines qui savent le faire, y compris celle-ci. Vous avez l'écran tactile, classiquement, mais en plus il y a la synthèse vocale, qui peut vous dicter le résultat via l'oreillette sans avoir à regarder l'écran, ce qui est beaucoup mieux face à un interlocuteur que d'avoir le nez dans l'écran, et comme vous avez la poignée de saisie, l'appareil peut rester à plat dans une poche poitrine ou un petit hoster, tandis que votre main, dans une poche de veste, pianote discrètement ce que vous cherchez.
A- l'antisèche de rève...
- le seul moyen de faire mieux ce serait de brancher tout ça directement dans le cerveau, mais... mais je suis sûr que dans dix ans ça se fera: l'appareil aura la taille d'un gain de riz, on vous l'injectera par un petit trou discret derrière l'oreille, il ira se fixer tout seul à vos neurones linguistiques et vous n'aurez qu'à penser les mots pour connaître de l'intérieur la réponse comme si vous la connaissiez depuis toujours.
A- génial! Abolition de l'école, avec ça. Quelques modules dans la tête, et tout le monde est sorti major de l'X à quatre ans sans avoir eu besoin d'y entrer.
- c'est pour le moment un avantage réservé aux ordinateurs: chacun peut bénéficier dès sa construction de tous les acquis des autres, au lieu de devoir passer des années dans une école pour ordinateurs à n'en apprendre qu'une toute petite partie tout en en oubliant aussitôt les trois quarts. Quand l'humain saura sans apprendre, que d'intelligence et de temps disponibles pour découvrir et inventer du nouveau, au lieu de passer des années à tenter de refaire en moins bien ce que des gens plus intelligents avaient déjà fait bien avant notre naissance.
A- je veux aussi deux bras en plus: pour bricoler, il manque toujours une troisième main, et comme c'est vendu par paires, il m'en faut quatre.
- pourquoi pas six, comme la déesse indoue?
A- voilà des gens qui avaient compris ce qui manque à notre génôme. Les quatre bras, au moins, nous devrions les avoir, normalement: les insectes ont six pattes, alors pourquoi pas les mamifères?
- demandez-ça au crétin qui prétend les avoir créés, s'il existe. Bon, revenons à votre mission. Ca vous semble possible?
A- faites-moi suivre l'entraînement, pour savoir si je conviens.
- vous aurez aussi un AK50 -c'est nouveau, ça vient de sortir- avec tout le système expert qui répondra aux problèmes que vous pourriez rencontrer dans votre mission: même l'oiseau qui entre par une fenêtre dans l'usine et se fait prendre dans le cône d'aspiration de brisures de noisettes de la machine à enrober les pâtisseries chocolatées. Ca vous expliquera comment le retirer et nettoyer la machine, ou plutôt la faire nettoyer par un ouvrier compétent: n'oubliez pas que vous aurez à organiser, même s'il faudra aussi mettre la main à la pâte, ne serait-ce que pour leur montrer comment faire: l'exemple sur le tas rentre toujours mieux qu'un discours en cale sèche. On va aussi vous tuyauter sur la vie finlandaise, les erreurs éviter. Le sauna, dans le doute, évitez: on dit que c'est à cause de ça que les Finlandais vivent moins longtemps que nous, bien qu'ils aient l'air plus solidement construits: faire bouillir les artères, ça finit toujours mal... On peut vous faire faire un certificat d'un cardiologue pour que vous ayez une raison indiscutable de décliner l'invitation.
Ils apprirent intensivement à Aymrald à utiliser le logiciel d'analyse de problèmes industriels des usines BFR et de simulation des solutions possibles. La maquette virtuelle de l'usine y avait été rentrée, ainsi qu'un "trombinoscope" indiquant qui faisait quoi, depuis quand, l'âge, le nom les aptitudes professionnelles, la photo en "plan américain" de face et de profil. Le plan américain, à la taille, en montrait plus que des photos "wanted": en particulier, on pouvait estimer de profil la poitrine des filles... Le recrutement avait-il utilisé de telles photos? Tant de noms finlandais et que de Finlandais ou Finlandaises... Aymrald craignait de tout mélanger, les personnages étant trop peu différents: pas tous pareils, mais à ranger dans quatre ou cinq tiroirs par sexe. De plus il y avait des personnages androgynes, comme chez VTP: filles sportivement bâties ou garçons trop finlandaisement parfaits? Le prénom ne permettait pas toujours de le savoir: seuls ceux en "o" semblait être toujours masculins. Les finales en "i", "a" , "u" ou "e" étaient tantôt féminines, tantôt masculines, d'un prénom à l'autre.
Devoir gérer une partie de ce personnel, lui qui n'avait même pas eu l'occasion, côté "encadrement", de faire plus qu'expliquer le fonctionnement de l'appareillage du "labo" aux nouveaux.
- choisissez-en un ou deux qui semblent décidés à réussir la mission avec vous, et sous-traitez leur la gestion du reste du personnel: mieux vaut avoir des "bras droits" locaux. Au fait: il y a un Allemand, qui s'occupe le plus souvent de la production des saucisses. Vous ne serez donc pas le seul Européen à bord, et l'allemand, par rapport au finnois, ça doit vous sembler facile... Le voilà
Sur l'écran était apparu Jürgen Kreutfresser: un "brave gars", la trentaine joviale, tignasse blond-roux en bataille, taches de son, bonnes joues, yeux d'un bleu laiteux un peu globuleux. On l'imaginait mieux en culotte de peau à une "Oktoberfest" que responsable de production dans une usine finlandaise, mais s'il s'agissait des saucisses, ce n'était pas un contre-emploi. Etait-il aussi leur goûteur pour le contrôle de qualité? Un Européen: un vrai.
Pendant cette formation accélérée, Aymrald apprit aussi, hors BFR, à utiliser de plus en plus instinctivement la poignée de saisie de l'assistant traducteur déclineur conjugueur français-finnois-français: le "souffleur" (à cause de l'oreillette) comme il le surnomma. Là, on pouvait réellemement parler d'assistant personnel: indispensable. Ne surtout pas oublier de vérifier la charge de l'accu le soir pour ne pas se retrouver sans assistance linguistique le lendemain au travail. Les lunettes virtuelles étaient assez légères et transparentes: ça marchait par réflexion oblique, évitant d'avoir la machinerie en porte-à-faux devant les verres (polycarbonates) façon masque de plongé: elle était au dessus, et les images se projetaient par dessus la vue réelle, en stéréocopie puisque chaque oeil voyait la sienne. Un système qui, lorsqu'il était asservi à un capteur de position (avec des bornes dans la pièce) permettait de créer les images virtuelles correspondant à la position du décor réel observé. Ceci permettait des jeux vidéo intéressants, en particulier pour l'escrime, le tir, etc, tout en ne risquant pas de se cogner dans les vrais murs ou vrais meubles (un risque fréquent avec des lunettes à immersion virtuelle classiques quand on ne les utilisait pas assis) puisqu'on les voyait aussi. Restait au jeu à placer les passages virtuels là où il n'y avait pas d'obstacle réel: un balayage rotatif de la pièce par une paire de webcams superposées, sur un pied, permettait de modéliser ses volumes en 3D (sauf ce qui était hors de vue depuis le pied tournant) et de les prendre en compte dans la simulation. En mode non asservi à la position, joué assis, Stéphane pouvait parcourir toute l'usine (du moins tout ce qui en avait été numérisé par les équipes précédentes) en virtuel, pour s'y habituer. Les personnages avaient été modélisées "en trois coups de cuillère à pot" par VTP. Ne les ayant pas sous la main pour les mettre dans la machine à mesurer 3D, l'équipe s'était contenté de procéder à des règlages (couleurs, tailles, proportions, options diverses) à partir du stock de modèles numériques existant. Ca donnait une symbolisation approximative mais permettant de s'habituer à "à peu près qui" on allait rencontrer à telle tâche dans tel endroit.
BFR le mit face à un logiciel interactif à reconnaissance vocale (après rôdage sur le modèle vocal d'Aymrald) pour l'habituer à la conversation (longueurs des sons: la difficulté principale à l'oral, par rapport à l'écrit) et vérifier que ce qu'il disait n'induisait pas de contresens: les déclinaisons remplaçant en finnois nombre de nos prépositions, se tromper pouvait inverser le sens de la phrase, surtout pour les déplacements: "sortant de" au lieu de "entrant dans", par exemple. S'agissant d'instructions techniques à donner à des exécutants, il était impératif d'éviter de telles erreurs. Le souffleur indiquait la déclinaison correspondant au cas demandé pour le mot choisi, mais il fallait encore choisir le bon cas, ce qui était une question d'entraînement. Pour les cas positionnels, Aymrald était relativement à l'aise: les principaux "tombaient sous le sens", mais il y avait des exceptions pour certaines tournures, en plus d'innombrables exceptions radicalaires et familles de changements de radicaux suivant le type de désinence de déclinaison: un ordinateur pouvait s'y retrouver, en stockant définitivement tous les cas non "mécanisables", un cerveau humain bien moins. Au point que des Finlandais s'y fourvoyaient aussi, de temps en temps. Les enfants finnois avaient-ils tous 380 de QI pour arriver à avaler ça dans un système scolaire moins chargé et aux résultats remarquables dans les comparaisons internationales? Il leur restait donc de la place pour les autres matières malgré l'étude du finnois. Etonnant... Certes, via Kermanac'h, Ayrmald avait appris beaucoup plus que la moyenne en bien moins d'années et de jours par an, donc si Kermanac'h avait enseigné le finnois dès la maternelle, ce serait peut-être rentré aussi vite et bien que tout le reste. Dommage qu'ils n'y aient pas pensé. On lui rappela que c'était "un peuple se taisant dans deux langues", qu'il devrait éviter de parler le premier, sauf en cas de nécessité, et veiller (dans la mesure du possible) à ne pas employer plus de mots que son interlocuteur, si on lui adressait la parole, même quand il serait plus à l'aise en finnois. Que pour donner des consignes un peu longues à un employé il devrait les taper et les transmettre à Paakkinen (le directeur local) qui retransmettrait en sachant mieux que lui choisir qui saurait faire quoi. Aymrald trouva cette solution satisfaisante. De même que "chaque fois que vous n'êtes pas sûr, utilisez le système expert, et s'il ne sait pas non plus, consultez-nous: nous sommes là pour ça".
On lui apprit le tango finlandais, avec Flavia de VTP qui l'apprit aussi à cette occasion: Aymrald n'avait aucune expérience de la danse, et l'apprit comme un rôle, aidé par les mêmes techniques: projection au sol, en temps réel, des pas à faire, et sur un mur de la position du corps et des mains. VTP lui avait dit qu'il fallait mieux apprendre des usages finlandais qu'il n'aurait peut-être pas l'occasion d'expérimenter, que de ne pas les connaître du tout. Puisqu'il avait mémorisé le tango finlandais, on lui fit aussi travailler la valse (viennoise: Strauss, c'était probablement universel), toujours avec Flavia, qui, elle, connaissait déjà la valse viennoise car ayant eu à l'apprendre pour une scène de bal dans une série télévisée. Flavia demanda à VTP si les Finlandais pratiquaient aussi le rock accrobatique: ça l'aurait intéressée d'essayer avec Aymrald, car elle avait déjà vu fiaire mais n'avait jamais eu l'occasion d'y participer. VTP dit qu'Aymrald avait bien d'autres choses à apprendre, et qu'en plus, s'il tombait sur une Finlandaise qui ne connaissait pas parfaitement le scénario ou en connaissait un différent, ça pouvait être dangereux. Donc: non. On lui signala que dans les maisons finlandaises il fallait observer si les gens se déchaussaient ou non en entrant, et faire de même.
A- comme dans une mosquée?"
- ce n'est pas un rituel religieux. C'est pour avoir moins à entretenir les tapis et moquettes, quand il y en a. Il suffit d'imiter les autres, si tu es un jour invité chez des gens.
A- ce qui veut dire: toujours vérifier avant de partir qu'il n'y a pas de trou au talon d'une chaussette.
Ne pas transpirer des pieds était donc un atout social encore plus important, en Finlande, si on était invité dans un contexte "tout en chaussettes". Ceci d'autant plus que nombre de maisons finlandaises étaient trop chauffées par rapport aux habitudes françaises. Si on montrait ses chaussettes, il ne fallait pas les choisir de n'importe quelle couleur ni motif: elles devaient aller avec le reste.
On lui montra dans l'usine de Rennes ce qui correspondait le plus (mais avait déjà été modernisé) à ce qu'il rencontrerait là-bas: l'AK50 montrait à quelle partie de l'usine et quel type de problème cela correspondait, et ce qu'il faudrait faire.
Il y avait des vues extérieures, aussi: "votre résidence est dans le village, de l'autre côté de ce lac". Il y avait possibilité d'acheter aussi des fruits frais, en saison, et toute l'année des légumes surgelés, dans le magasin de l'usine destiné aux employés, donc que dans un premier temps il n'aurait pas à se préoccuper d'aller se ravitailler ailleurs: "en plus, nous sommes moins chers".
A 21 ans, se retrouver chargé d'une telle mission... mais après tout, s'il n'avait pas eu sa scolarité accélérée par Kermanac'h, il en aurait eu 24, à expérience professionnelle égale, voire 25 s'il avait fait 5/2 en prépas où n'avait pas échappé au service militaire au profit d'une expérience professionnelle canadienne qui lui vallait probablement, puisque c'était de l'expartiation, d'être choisi pour la Finlande: les raisons données par BFR n'auraient pas suffi à elles seules. Donc il devait se considérer comme égal d'un ingénieur ayant 24 ou 25 ans. Peu importait qu'il en eût 21. Il mesurait 1m826, ce qui était du bon côté de la moyenne en France mais pas en Finlande: il serait donc dans les "moyens-petits" de sa tranche d'âge, mais avait encore des centimètres à prendre: depuis qu'il avait franchi 1m80, la taille n'était plus sa préoccupation.
Toutefois il y avait repensé en révisant le trombinoscope: les 1m90 et plus semblaient fréquents, dans le personnel vingtenaire et trentenaire de l'usine. Beaucoup de vingtenaires: ne faisait-on pas carrière, chez BFRSF, ou y avait-il eu une augmentation d'effectifs importante ces dernières années?
Il avait d'abord cru que VTP lui avait fait une blague en reconnaissant Knut Hellström, rebaptisé dans cette liste "Atte Ruusuvaara" (que de u, que de a...), même s'il ne se souvenait pas l'avoir vu coiffé ainsi (il ressemblait plus à "Stéphane 1" qu'à Knut, en fait): ça avait dû être pris pendant l'expatriation canadienne. Il chercha parmi les jeunes pour voir si VTP lui en avait glissé d'autres... Il ne trouva pas d'imitation fidèle de Pernilla à bord mais Minna en était une approximation intéressante, bonnets "B+" elle aussi.
En fait Atte Ruusuvaara, 20 ans, était bien de l'usine: il le vit sur une photo de groupe dans un atelier, et à moins que VTP n'ait été l'incruster infographiquement là-dedans aussi... Et c'est alors qu'Aymrald réalisa qu'il ressemblait un peu plus à ce personnage que Knut. Ce n'était ni lui ni Knut (déjà ressemblants entre eux), mais comme un morphing des deux. On lui avait dit qu'on ne le remarquerait pas dans une foule: promesse tenue, puisqu'il y en avait au moins un dans cette usine, bien qu'elle fût loin d'être "une foule" (il y avait 585 personnes, en comptant tout, mais il n'aurait affaire qu'à une quarantaine, fonctionnellement). Même sans Atte, il ne se serait pas fait remarquer dans cette usine, à part les yeux verts: par rapport à lui, il y en avait de bien plus grands, d'un peu moins grands (mais aucun petit ou "moyen-petit"), de plus lourds, de plus fins, aux cheveux un peu moins blonds ou encore plus (incolores tendance albinos), plus longs ou plus courts, il y en avait même quelques-uns qui avaient des lunettes. Il se demanda si la Finlande avait elle aussi eu des lois eugénistes comme la Suède, mais les lunettes, au moins, c'était un bon moyen de distinguer ces personnages de "presque le même mais sans lunettes". Les filles se ressemblaient plus entre elles que les garçons, mais ça pouvait venir de ce qu'il y avait beaucoup de ces longues chevelures synthétiques qui ne contribuaient pas à les diversifier. Il y en avait des plus rondes: environ 60% étaient au dessus de leurs poids, ce qui n'avait rien d'étonnant dans une usine d'aliments. Deux avaient des lunettes. Des bonnets B, A, parfois un vrai C, mais pas tant que ça: la Finlandaise était plus une race à viande qu'une race laitière. Filles moins nombreuses et mieux choisies que la moyenne des garçons: le responsable des embauches devait être un homme. Certaines étaient belles comme une couverture du magazine Vital à ses débuts (son père les avait collectionnées). Habillées, sans le bronzage et presque toutes blondes, mais très "Vital" tout de même. Il n'y avait pas 100% de blondes dans l'usine, mais beaucoup. Beaucoup beaucoup. On comptait plus vite les "pas assez bondes": un petit 15%, blondes cendrées et "châtain doré" incluses.
Formation accélérée. Coiffure "2664" (dans leur base de données) qui était du "Aymrald et quelques" réétudié et rééquilibré au logiciel de simulation par VTP, ce que Stéphane appela "Aymrald 3". Choisi par VTP qui aurait de nouveau l'usage de lui dans du "légendaire" pendant ses prochains congés de septembre, en lui disant "il y a bien plus long, là-bas, tu verras".
Ce qu'il avait vu dans les vidéo de personnages de l'usine (quand ils ne portaient pas les toques) le confirmait: on y voyait un peu de tout, y compris du zéro absolu et du "jusqu'aux coudes". Il avait des Finlandais qui utilisaient le même accessoire que lui au labo (la version transparente incolore fine, moins voyante que dans "Cap sur Mars"). De plus, il ne risquait pas de faire aussi "gravure de mode" qu'Ari Kärkkäinen: il aurait fallu avoir été découpé au laser dans un iceberg. Ari était le super-héros finlandais chargé du contrôle de qualité chez BFRSF, là-bas. Par rapport au Finlandais lambda de BFRSF, Ari était encore plus grand, plus musclé, plus froidement inexpressif, avec un regard à l'azote liquide et des traits conçus par ordinateur sans la moindre recherche de personnalisation, auxquels sa longue chevelure synthétique n'apportait pas de fantaisie. L'androïde surgelé à côté duquel les autres Finlandais de BFRSF auraient l'air de joyeux drilles, ainsi qu'Aymrald même quand il prenait l'air "ingénieur allemand" ou "ingénieur suédois". VTP lui confirma qu'il y avait un autre projet pur plus tard, et que si ça se faisait, il recevrait tout ce qu'il faudrait pour s'y entraîner sur place. Dans le trombi il vit aussi Kare: une version moins "absolue" d'Ari, mais à côté de qui il aurait encore l'air d'un chaton de calendrier.
On lui choisit divers costumes, dont une veste très belle (trop) d'une matière à relfets soyeux, d'un vert sombre, à porter avec une chemise d'un vert emeraude (uni) et un pantalon de flanette noire ou vert foncé. Plus "Aymrald d'Ambert" qu'il ne l'avait jamais été. Même pour VTP. "Mets ça si tu as une réception officielle ou quelque chose de ce genre. Pas tous les jours, et de toute façon à l'usine c'est la blouse de travail habituelle, sauf que tu montes en grades, donc gris plus foncé". Il y avait toute une panoplie. Il put faire quelques choix, comme l'ambiance "manga" noir et rouge du pyjama d'hiver ou les chaussettes plutôt sombres que vertes. VTP lui dit qu'étant à la fois superviseur et beau garçon ("même pour là-bas: il n'y a pas que du Ari, dans cette usine. Ca ne se voit pas trop en blouse, mais beaucoup ont des ventres") il serait observé, et que donc quand il ne porterait pas la blouse grise de travail qui supprimait toute préoccupation vestimentaire (ouf!) il ne devrait pas être habillé comme un fonctionnaire roumain et ne pas prendre de ventre, bien que travaillant dans une usine alimentaire dans un pays froid donc poussant à manger.
A- BFR ne vend pas de vêtements...
- non, mais la France a cette réputation, même si ça date un peu. Il se peut que la mode de Paris soit une notion qui évoque encore quelque chose en Finlande, donc on ne va pas te mettre la première chose à ta taille que l'on trouverait dans un bac en travée centrale d'hypermarché...
On lui conseilla d'utiliser plutôt le prénom Stéphane, car phonétiquement c'était comme le "Stefan" suédois et qu'il y avait des Finlandais d'origine suédoise. Pourquoi pas? Stéphane c'était encore plus "lui" qu'Aymrald, en nombre d'années d'utilisation satisfaisantes, même s'il était à bord d'une variante qu'il aurait jugée plus "jouable" avec le prénom Aymrald, et plus encore s'il mettait les vêtements choisis pour lui par VTP.
En France, toute les "mises en disponibilités" de plus d'un an dans la fonction publique prirent fin le 31 décembre 1997 à minuit, comme voté en juin 1997. Ceci, joint à l'obligation d'assiduité (interdisant tout cumul de mandats) pour les députés et sénateurs provoqua une vague de démissions (sinon ils étaient considérés démissionnaires de leur poste "gardé au chaud" dans la fonction publique) de députés et sénateurs non-ELR, en plus de celles déjà provoquées par la mesure qui ramenait depuis août 1997 le revenu mensuel des députés au niveau de la médiane des revenus individuels français, pour ceux qui siégaient à plein temps, et à a² fois cette somme pour les autres, "a" étant le taux d'assiduité. 50% de présence aux scéances ne rapportait que 25% de l'indemnité parlementaire.
Il y eut donc des sénatoriales anticipées, fin février 1998, qui permirent (pas manque de candidats des partis "classiques") à l'ELR d'avoir enfin la majorité au Senat et donc de pouvoir faire "en congrès" des réformes constitutionnelles. Les sénateurs se mirent eux aussi à l'unisson du revenu médian français, au pro-rata du carré du taux d'assiduité, d'où de nouvelles démissions, ce qui permit à l'ELR de réaffirmer "ceux qui ne briguaient des mandats politiques que pour y faire fortune se sont eux-mêmes éjectés du système". L'interdiction de tout financement public (direct ou indirect) des partis politiques avait déjà contribué à éliminer les "grosses machines" classiques. De plus, les circonscriptions furent redécoupées, pour la prochaine élection (2002) à surface géographique constante, quelque fût le nombre d'habitant dedans.
Pour faciliter l'assiduité parlementaire (et maintenant sénatoriale) le principe des téléassemblées avait été instauré et mis en service dès septembre 1997: inutile de venir physiquement à Paris: chaque préfecture de département avait désormais une télé-assemblée, réunissant les élus du département, en connection haut débit, voire par satellites pour l'outremer. Les débats parlementaires étant publics, il n'était pas nécessaire d'utiliser des système cryptés. Il suffisait d'avoir une fiabilité suffisante vis à vis de brouillages éventuels.
L'une des premières réformes suite à cela fut l'abolition de l'emploi à vie dans le secteur public, tout particulièrement l'enseignement public où l'ELR avait l'intention de dégraisser massivement. Comme depuis la réforme des charges sociales et des aides sociales l'indemnisation des chômeurs ne dépendait plus de leur rémunération antérieure ("un pilote de ligne au chômage ne vaut pas plus qu'un ouvrier agricole au chômage: égalité pour tous"). Ces secteurs s'y attendaient, après la restriction du droit de grève. De plus, les grèves de professeurs à la rentrée 1997 (permises, tant qu'ils n'occupaient pas les locaux) avait montré son inefficacité en faisant découvrir les vertus du téléenseignement gratuit (sur Minilog: ces communications-là étaient gratuites) aux élèves, avec contrôle périodiques hors du domicile mais n'ayant pas besoin d'enseignants pour être faits, car il s'agissait d'épreuves sur machines dans un bâtiment public local, voire dans un bus d'examen pour les petits villages.
L'ELR avait toujours critiqué les universités pour leur coût (professeurs trop payés pour beaucoup moins d'heures que dans le primaire, coût de la délocalisation des élèves: relogement) et allaient soit les démanteler au profit du téléenseignement et de classes "Bac+N" dans les lycées, soit, pour les scientifiques, les transformer en écoles d'ingénieur avec concours d'entrées et horaires pleins, en échange d'un cursus plus rapide (puisque plus rempli et à partir d'élèves issus d'un concours). Les facs de lettres, de langues, d'histoire, de droit, n'avaient aucune raison d'exister matériellement et d'imposer à leurs élèves d'y venir: elles disparurent au profit du téléenseignement, ce qui fit encore chuter le cours de l'immobilier autour des ex-universités. Certains bâtiments furent équipés pour devenir des centres de recherche (en particulier en biotechnologies), d'autres devinrent des salles de spectacle ou furent compartimentés en logements sociaux. Autant l'ELR avait voté des lois limitant fortement la possibilté de construire des logements sociaux ex-nihilo ou par démolition d'espaces pavilonnaires (plantés), autant nombre de bâtiments publics libérés par les réductions administratives furent compartimentés en studios et deux-pièces "de première nécessité", d'occupation légalement limitée à une ou deux personnes (sinon: expulsion, en cas de suroccupation durable) selon qu'il s'agissait d'un studio ou d'un deux-pièces et avec clause d'explusion immédiate en cas de trouble du voisinage (des sonomètres avaient été incorporés lors des travaux, permettant un constat à distance), non-paiement sans cas de force majeure (le surrendettement, en particulier, n'en était pas une) ou dégradations. En échange de quoi on n'exigeait qu'un mois de caution.
Même système pour le "logement social privé garanti par l'Etat": l'Etat louait, avec garantie de restitution en état et de versement des loyers (que ce fût occupé ou non, que l'occupant paie ou non) des logements privés, en déduisant éventuellement des loyers les mises au normes (convenues au début du contrat: pas de mauvaise surprise) des logements en mauvais état, et les sous-louait à ses propres risques comme logements sociaux. Tous les problèmes de recouvrement de loyers, explusion, remise en état incombaient à l'Etat, le propriétaire touchant le loyer convenu et récupérant son bien dans l'état convenu à la date convenue, ceci par tranches de trois ans. Le locataire pouvait payer une partie de son loyer en nature en effectuant les travaux, s'il en était capable, avec contrôle mensuel de l'avancement. Il y avait beaucoup de logements vacants parce que pas aux normes pour être loués et parce que louer était devenu beaucoup trop dangereux avec les anciennes lois.
Comme, de plus, les contentieux avec l'administration étaient désormais du ressort d'assemblées paritaires comportant (à la façon des Prud'hommes) moitié de juristes publics, moitié de simples citoyens (n'appartenant pas au secteur public) les gens savaient qu'ils disposaient de recours réels contre les malhonnêtetés ou négligeances de l'Etat. Les petites entreprises, en particulier, pouvaient faire saisir et vendre des biens de la collectivité publique en retard persistant de paiement, y compris des batiments pour les grosses "ardoises" en retard.
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Stéphane ne suivit ça que de fort loin, car le lundi 5 janvier 1998, il débarquait à l'aéroport d'Helsinki, habillé avec la tenue la moins "soirée" du lot (presque fonctionnaire soviétique, mais de cadre supérieur de la fonction publique sovétique) après avoir fait une n-ième visite virtuelle de l'usine à l'aide des lunettes de l'AK50. Il prit le train jusqu'à Seinäjoki. L'aéroport, ça ne comptait pas vraiment: trop international. Mais le train d'une ville finlandaise à une autre, c'était sa première immersion totale en Finlande. Il pu voir les paysages: beaucoup de lacs, quoique ce trajet n'en comportât pas le plus: le trajet plus à l'Est via Lisami en comportait bien plus, mais il était plus long donc pour atteindre l'usine, située à peu près entre ces deux localités (et sans voie ferrée pour y aller) mieux vallait s'en rapprocher par Seinäjoki. Ce fut Jürgen qui vint l'y chercher (l'allemand, quelle langue simple et familière...) et le mena à la XM turbo d12 gris métallisé sur le parking. Ca, c'était de la voiture de fonction. Si le fisc avait gardé l'habitude de ne regarder que les "chevaux fiscaux" sur la vignette, il n'y aurait aucun problème: seulement six, miracle du turbodiesel. Quoiqu'avec la boite automatique c'était peut-être sept, mais peu importait: jusqu'à neuf ce n'était pas considéré comme un avantage en nature excessif, donc ça restait défiscalisé. Une boite automatique: quelle faute de goût, enfin, il n'allait pas chipoter sur ce genre de détail: c'était tout de même une XM. Il demanda en allemand à Jürgen en quoi les saucisses finlandaises étaient spécifiques (il n'avait pas posé la question en France: il en avait posé tant d'autres...).
Jürgen- parce qu'elles sont faites à base de poisson. D'où l'importance du choix des arômes articiciels et agents de texture: tu t'occupais de ça, avant, m'a-t-on dit.
Stéphane- oui, mais faire passer du hareng pour du cochon, je n'ai pas encore expérimenté
La neige recommençait à tomber, blanchissant les essuie-glaces en mouvement.
J- ne t'inquiète pas: ça marche très bien.
S- ils feraient mieux de fabriquer ça en France: le marché musulman les rentabiliserait vite...
J- je croyais qu'ils étaient tous repartis, depuis que vous leur avez sucré les allocs.
S- pas tous. Beaucoup de petits commerçants sont restés: ils pourraient vendre ces produits. Parlons surtout de ce qui se passe ici: BFRSF.
J- c'est grand. Il faut un vélo pour tout visiter sans attrapper d'ampoules aux pieds.
S- le personnel?
J- totalement finlandais, à part Helena, la comptable russe, et moi.
S- ça, je le savais, mais je voulais dire: ça se passe comment?
J- si on t'envoie, c'est pour que l'usine fonctionne mieux. Ca date des années 60.
On avait expliqué à Stéphane, chez BFR, qu'à l'époque la Finlande n'était pas un pays cher, et que la production de lait par habitant y était très importante, d'où l'implantation d'une fromagerie-yaourterie qui s'était ensuite diversifiée dans les desserts frais pour la restauration collective, les traiteurs, ainsi que certaines charcuteries.
Il y avait un forage géothermique qui fournissait de l'eau à 84°C, ce qui était suffisant pour beaucoup de processus sauf ceux qui exigeait l'ébulition où une cuisson au four. A cette température, on pouvait cuire, à condition de cuire plus longtemps qu'à 100. Au début de l'exploitation il y avait un peu plus de 100, mais ça s'était vite stabilisé à 84 par refroidissement du sous-sol autour des puits par l'envoi d'eau de la surface.
S- depuis quand mon prédécesseur est-il reparti? J'ai oublier de leur demander...
J- il n'est pas reparti. Il s'est suicidé.
S- ils ne me l'ont pas dit...
J- bienvenue au goulag!
Jürgen engaga plus tard la XM dans un chemin large (ou ce qui restait d'une route après une noria de camions de lait) qui l'obligea à hausser la suspension d'un cran:
Jürgen- ici, il faut un 4x4 ou une hydropneumatique, sinon on ne passe pas et il faut faire le tour du lac. C'est pour ça que j'ai emprunté la voiture de Paakkinen.
C'était le nom du directeur finlandais de l'usine.
Stéphane- je croyais que ce serait ma voiture de fonction
La XM était balotée en tous sens, Jürgen ne devinant pas toujours où étaient les vraies ornières à travers la couche de neige: il devait éviter celles des camions, donc roulait sur du "non écrasé", donc à tâtons. Par moment une des roues s'emballait, ce que Jürgen rattrappait d'un coup de volant pour la faire remordre dans du plus ferme:
J- il ne faut pas descendre en dessous de 50 sinon on se colle.
S- oui. Le disais: BFR m'a promis une voiture de fonction.
J- oui: c'est la R20. Quand elle aura été réparée: Atte l'a plantée avant-hier.
S- je ne pourrai pas passer ici en R20, je suppose
J- si: quand ce sera bien dur, l'été.
Un voyant rouge s'alluma sur la barre "signaux" derrière le volant. C'était une XM de 1990: planche de bord nette, visière anguleuse.
S- fuite de LHM
J- le dessous a dû taper quelque chose... oh, ce n'est pas loin, nous y serons avant qu'elle ne soit par terre.
S- pourquoi ont-ils mis l'usine ici? Il n'y a ni voie ferrée ni vraie route...
J- il devait y avoir une voie ferrée, en 1962, mais le projet a été abandonné. Il y avait déjà eu un projet de train en 1926, où quelques gares avaient même été mises en chantier, alors ça semblait crédible. BFR s'est fait avoir.
Ce fut quand Jürgen constata qu'il n'y avait plus d'assistance de direction (premier organe sacrifié en cas de manque de LHM) qu'il devint moins sûr de lui. Pousser le levier au cran le plus haut n'apporta rien, car il n'y avait plus de quoi remonter.
Sans direction assistée et avec une hauteur de caisse retournant progressivement vers la normale, la XM ne tarda pas à s'échouer, roues miaulant dans la neige fondue. Collée.
Stéphane- je vois l'usine: nous pouvons finir à pieds
Jürgen- mais il faudra revenir la chercher. Si on la laisse là, un camion risque de l'emboutir.
Il utilisa son téléphone portable Nokia (la Finlande était devenu LE pays du téléphone portable, en plus de Linux), discuta en finnois (pas trop vite, donc Stéphane compris presque tout, et tout après avoir cherché deux mots dans son "souffleur"). Trois minutes plus tard, un camion Scania (fourgon, et non citerne) arrivait, effectuait un demi-tour audacieux, avec quelques tours de roues à vide qui ne firent qu'aggraver l'état du chemin, et se retrouva l'arrière vers la XM. Jürgen et Aymrald en étaient sortis. Ce fut une jeune femme plutôt légère, tout à fait finlandaise (mais pas de la Finlandaise pour compétition sportive) qui vint vers eux depuis la cabine du camion, abaissa le panneau arrière formant rampe de chargement et leur amena le crochet du treuil. Pas aussi parfaite que les Suédoises triées par VTP pour Småprat, mais enfin et pour la première fois de sa vie il était en présence d'une Finlandaise.
La XM fut tirée lentement mais efficacement à bord. A son emplacement, une flaque vert fluo sur la neige. Jürgen referma la porte, et tous trois firent le retour dans la cabine.
La Finlandaise s'appelait Jenna et n'avait pratiquement rien dit, elle avait aussi semblé ne pas remarquer Stéphane bien qu'il fût nouveau dans l'entreprise et qu'elle sût probablement que Jürgen était censé ramener d'Helsinki le nouveau "modernisateur" envoyé par la "direction mondiale". C'était donc une vraie Finlandaise: rien à voir avec une Suédoise. Les Suédoises pouvaient être affectueuses, drôles, curieuses, jalouses ou même un peu sottes, pour certaines. Les Finlandaises, probablement pas, si Jenna était un échantillon représentatif de son peuple. Elle les déposa, ainsi que la voiture, et retourna s'occuper des vérifications de chargements et déchargements à l'entrepôt.
Stéphane chercha et trouva Jenna dans le trombinoscope du AK50 pendant que Jûrgen cherchait la fuite sous la XM.
Près du garage ils passèrent le bas de caisse au Kärsher, Jürgen fixa avec du gros adhésif pour cartons une boite (faux Tupperware) plate sous l'endroit de la fuite, alla chercher du LHM, en remit juste de quoi récupérer la direction assistée (mais pas éteindre le voyant) alla la garer à l'emplacement habituel du patron, puis il retira le bac en plastique contenant déjà du liquide vert fluo. Les gouttes commençèrent à tomber sur le sol de béton du garage. Pas de trace y conduisant depuis l'extérieur... "il ne rentre qu'après-demain", dit juste Jürgen.
La réputation de conscience professionnelle des Allemands en prenait un coup. "Bienvenue au goulag" pouvait signifier que Jürgen avait été envoyé ici depuis BFRD (BFR D) comme sanction.
Dans le garage, Stéphane vit aussi une CX 2000 "première génération", deux BX, et un Pajero. Leurs propriétaires pouvaient prendre le raccourci de Jürgen, les autres uniquement quand il était redevenu assez ferme. La BMW 325i, verte, avec quelques signes d'avoir tutoyé des congères trop dures, au niveau des bas de caisses. Bien d'autres voitures: allemandes (dont une Audi 100 comme celle victime de l'accident causé par l'alcoolique russe, mais en version break), japonaises et suédoises en nombre, rarement haut de gamme et souvent âgées, plus d'autres provenances: Lada, Fiat, Renault, Rover, Skoda, Dacia et bien d'autres. Oui: Dacia 1310, la R12 roumaine. C'était la première fois que Stéphane en voyait une en vrai: il savait que ça existait, mais avait entendu dire que le contrat de licence ne permettant pas son exportation dans la CEE "classique". Il y en avait même deux, dans le garage: une bleue et une rouge, la bleue ayant été "gordinisée" par deux bandes blanches du capot au coffre, une rimbambelle d'antibrouillards, des jantes alu de R16TX, un "spoiler", un gros aileron arrière, des rebords de passages de roue en plastique noir et une bande blanche latérale "à la Starsky & Hutch". Y avait-il donc des Portugais en Finlande? Ce fut alors que quelque chose d'un orange impossible à manquer même à travers une tempête de neige fit son apparition par où Jürgen et lui avaient rentré la XM: une R20 diesel (d'après le bruit), et plus précisément GTD d'après les enjoliveurs "croix de Malte".
Stéphane- ma voiture?
Jürgen- ils l'ont ramenée plus tôt que prévu. Jürgen fit signe au conducteur qui vint la garer près d'eux, en descendit, remis les clefs et papiers à Jürgen, plus un formulaire du garage. Un garçon d'1m95 environ, aussi carré et expressif qu'une porte de réfrigérateur, longs cheveux de nylon rassemblés en queue, trop plaqués ou un peu fins, des traits qui n'auraient pas intéressé VTP tout en ne présentant pas de défaut identifiable. "Porte de frigo" pouvait être Aleksi Vänttinen, électromécanicien, si Stéphane avait suffisamment révisé le trombi dans l'avion. C'était. Salutations brèves, départ. C'était donc le même logiciel comportemental que pour les Finlandaises.
L'aile avant droite de la R20 était d'un orange encore plus intense que le reste. Le pare-choc conservait des séquelles de son décabossage (on ne devait plus trouver cette pièce depuis longtemps, ici). En regardant mieux l'aile, le bas de sa partie avant avait été déplié et décabossée: en lumière rasante d'un des néons du garage ça se voyait.Jürgen- sur neige, elle est sous-vireuse donc c'est l'avant qui finit dans la congère, comme les Audi. Sois prudent.
Stéphane- j'irai doucement. Je ne connais pas la conduite sur neige.
J- après un an au Canada?
Jürgen avait donc connaissance de son CV. Au moins celui concernant BFR: mieux vallait que personne ne sût trop tôt, pour VTP, car un acteur de séries télévisées était tout sauf crédible pour réorganiser techniquement la production d'une usine.
S- je n'avais pas de voiture de fonction, là-bas. Transports publics seulement. A qui appartient cette bête de rallye?
Il montrait la "Dacia Gordini"
J- Tomi Heikkilä. Sa mère est portugaise
Stéphane voyait mentalement lequel c'était, dans le trombinoscope: un des rares à ne pas avoir l'air du coin: un rouquin, plus petit et moins synthétique que les autres. Donc un "Celtibère".
Stéphane cherchait souvent à deviner avec quoi certains individus pouvaient avoir été faits, depuis qu'il s'était intéressé à ses propres origines.
S- il y a-t-il des femmes de ménages portugaises en Finlande?
J- non: ses parents sont poissonniers.
Stéphane ouvrit la R20, s'assit à bord, règla un peu le siège. Cinq vitesses sur le levier: la TD n'en aurait eu que quatre. Il explora un peu l'intérieur et ses rangements (ouf: le manuel d'origine, jauni et corné, y était. Utile pour se repérer dans la boite à fusibles ou ce genre de choses). Il ressortit et revérouilla. "Clanc...tchac": ce modèle avait donc tout de même la fermeture centralisée. C'était vieux, mais spacieux, et surtout contrairement au Canada il pourrait enfin circuler librement dans le pays, qui méritait certainement d'être découvert et camescopé. Une voiture de fonction pour découvrir la Finlande. Et c'était ça que Jürgen appelait le goulag? Non: ça devait être l'usine, peuplée de Finlandais aussi conviviaux que des gardiens de goulag.
Il commençait à trouver qu'autant Eetu avait été un géniteur intéressant, autant il n'aurait pas aimé l'avoir comme père familial, s'il était comme tous ses compatriotes. Ce genre de père devait rester vissé devant la télé ou dans son journal quand il rentrait du boulot, et ne pas dire plus de vingt mots par jour à son fils. Inoffensif, certes, mais une sorte de statue dont il n'y avait rien à attendre: n'aidait pas à creuser les grandes fondations des fortifications de sable contre la marée (objection: peu de marée, dans la Baltique. Alors disons que ça n'aidait pas à bâtir un bonhomme de deux mètres ni un igloo avec la neige du jardin...), n'achetait pas un train électrique pour jouer avec plus souvent que son fils (idem pour la voiture télécommandée), ne racontait pas des blagues du boulot à la maison. Ca rapportait juste un salaire, tout en occupant un emplacement devant la télé, même s'il savait probablement fendre des bûches pour faire un bon feu et ne revenait pas bredouille de la pêche au saumon le week-end.

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