vendredi 10 avril 2009

chapitre N-21

"Troglodia 2" était la suite du précédent, avec le retour d'un vaisseau mystérieux supposé appartenir à la civilisation disparue (ou partie?) ayant construit le coordinateur. Encore des luttes de clans, de l'exploration, des cataclysmes (avec la remise en route du coordinateur), de la grande SF à grands effets planétaire destinée à satisfaire les spectateurs du premier. Cette fois, ils n'avaient pas été tournés simultanément.
"Les hordes" était un mélange de SF et de HF, situé dans une histoire parallèle à la nôtre: cette Terre (on ne voyait que ce qui se passait en Europe) était féodale, tout en étant technologique, avec rétention du savoir scientifique par les mandarins au détriment des manants, maintenus dans l'ignorance par le biais des religions, inventées de toutes pièces par ceux qui savaient pour leurrer ceux qui ne savaient pas. Ceci donnait lieu à quantités de scénarii n'ayant pas à imiter "Sartilvar" car il y avait des machines, de l'électricité, etc, servant à terrifier et stupéfaire le "bas peuple" constituant 99,9% de la population, y compris la petite noblesse locale, délégataire de quelques pouvoirs (c'était le cas d'Erwann, qui venait d'en hériter) mais pas du savoir, ou alors par erreur, en particulier postale. L'appareil qui lui était livré par erreur était une télévision pliante (ressemblant à un livre), un secret qu'il jugeait prudent de garder, pour ne pas être à son tour brûlé pour hérésie, tout en comprenant que les condamnations que le système lui avait fait considérer comme légitimes étaient totalement arbitraire. Sur fond de grandes aventures, d'action, combats et effets spéciaux, c'était une illustration de la malveillance fondamentale des religions et des régimes oligarchiques qu'elles servaient à légitimer: il y avait des points communs avec le communisme et les sectes comme la Scientologie ou Raël, dans les méthodes.
C'était l'occasion, à l'image, de mettre en oeuvre toutes sortes de tortures médiévales, dont le brodequin, le pal, la roue et l'écartellent entre quatre paires de boeufs tirant lentement.
La seule chance des gens d'en bas d'échapper aux rouages du système était la corruption importante règnant au sein des "sous-oligarques", les grands seigneurs régionaux et leur cour, et les erreurs de fonctionnement, comme celle ayant fait livrer la télévision pliante (qui semblait utiliser la chaleur des mains, car ça ne marchait que quand on ouvrait la couverture à plat sur les deux paumes, ou sur les cuisses. S'il y avait un vêtement, il fallait attendre un peu plus, donc c'était bien thermique). Des récits et légendes parlaient de "miroirs magiques" permettant de voir des choses qui se passaient ailleurs. Cet objet en était donc un. Il finissait par comprendre que l'une des pages représentait une carte, où en posant le doigt on pouvait choisir que regarder. Il était possible de zoomer assez précisément sur cette carte, pour faire apparaître les points où étaient situées (il ne savait pas que c'en était, mais comprenait que la vision en dépendait) les caméras. Au début, il pensait que c'était un outil militaire: très pratique pour voir arriver les hordes de pillards qui ravageaient périodiquement le pays, et en fait servaient à justifier l'asservissement aux grands seigneurs en échange de la protection de leur armée. La dizaine d'arbalétriers et la centaines de manants sachant à peu près tenir une arme, dans son domaine, n'auraient pas fait le poids contre de telles hordes, d'où la nécessité de faire appel (par prières) aux "forces d'en haut". Il comprenait que "là-haut" le voyait et l'entendait probablement grâce à un système de ce genre: ça n'avait rien de magique, puisqu'un simple humain comme lui pouvait l'utiliser aussi. De la magie dans l'objet, peut-être, mais pas dans ses utilisateurs. Puisque c'était dans la chapelle qu'il fallait prier pour obtenir des secours, il ne fallait surtout pas y emporter le "livre", car il eût pu être vu. En fait le système installé dans son petit château ne transmettait que le son, par économie de bande passante, mais il pensait que l'image aussi.
Ceci le conduisait à des épreuves mentalement difficiles, comme de faire arrêter et livrer au tribunal éclésiastique (qui l'enverrait au bûcher: c'était sûr) un opticien qui avait certainement vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir, grâce aux instruments qu'il assemblait: ses "blasphèmes" n'étaient qu'observations, il en avait eu confirmation en regardant (dans une barrique, pour éviter tout "oeil invisible" éventuel) ce dont il parlait via sa télévision. La seule chose qu'il pouvait faire pour le malheureux opticien était de l'empoisonner, par imprégnation volatile au cyanure (confisqué antérieurement à une "sorcière", qui était en fait une empoisonneuse) du tissu de son baillon, pour lui offrir une mort paisible avant la Question et le bûcher:
- vous nous livrez un mort: ce n'est pas ce qui était convenu.
- je ne suis pas médecin: j'ignorais qu'il mourrait de peur à la seule idée du bûcher. La figure toute bleue, c'est typique d'un mort de peur, me semble-t-il. Avec un bon maquillage de théâtre, il pourra peut-être avoir l'air assez vivant pour faire illusion au bûcher. Quelqu'un caché derrière pourrait imiter ses cris, et des ficelles faire remuer le corps. L'essentiel serait que le peuple pense qu'il a été brûlé vif.
- c'est envisageable.
Il finissait par être démasqué, en ayant tenté de sauver son ami l'arpenteur, qui avait récupéré des instruments d'optique pour son métier et lui aussi vu des choses. Il devenait donc clandestin, avec l'avantage sur les autres fuyards d'avoir sa télévision de poche permettant de voir là où il n'était pas, ce qui lui donnait un temps d'avance, en plus d'apprendre beaucoup de choses (car ça ne donnait pas accès qu'aux caméras: c'était une sorte d'encyclopédie universelle. Il ne trouvait cette fonction que plus tard) qui lui firent percevoir l'horreur de tout le système, et rejoindre une des hordes qui était en fait constitué de dissidents ("hérétiques") entrés dans la guerrilla à éclipses, d'où beaucoup d'action.
Son quatrième tournage simultané faisait surgir de la "HF" dans le monde contemporain: dans "l'ère des trolls" il jouait un elfe envoyé pour rattrapper une bande de trolls débarquant en 2001 après avoir traversé un tunnel rocheux qui se trouvait déboucher dans le métro. VTP avait déjà simulé des scènes s'y déroulant (Mécanotron, Peur filante). Le premier incident était donc la percussion d'un troll (bossu et poilu, comme un croisement de sanglier (dont il avait le groin, les défenses, les oreilles et l'arrière-train) et de chimpanzé (forme de la tête (mais entièrement poilue), tronc, bras), ce qui était glouton en synthèse donc était fait par robotique molle, sauf pour les grouillements de trolls vus de plus loin) par une rame de métro.
Alfix (Erwann) pouvait voler dans son propre monde (façon antigravité, et non avec des ailes) mais bien plus difficilement dans le nôtre, où il lui fallait nager laborieusement dans l'air pour ne s'élever que lentement. En fait, ça lui servait surtout à ne pas s'écraser au sol en sautant d'un balcon d'un dixième étage pour échapper à des trolls en trop grand nombre en train de défoncer la porte de l'appartement où il était entré. Cette scène évoquerait les cauchemards finissant bien (en se rendant compte qu'il était possible de voler en sautant, après avoir beaucoup hésité) de beaucoup de spectateurs (en remplaçant les trolls par un autre péril sur le point d'entrer). Un film moins "gros qui tache" que "Digestion", mais un peu dans le même esprit, sauf que le traqueur de trolls venait de leur monde. De plus, les trolls pouvaient engendrer des mutants en violant des truies ou d'autres animaux d'une certaine taille, et d'autres créatures (sortes de korrigans sanguinaires) en faisant de même avec des humaines: on assistait à une telle scène dans un zoo, les animaux étant eux aussi des "mécanimaux" pour le tournage, tandis que les actrices réelles mimaient la scène aux prises avec un troll mécanique: en fait c'était la machine qui réagissait (selon un scénario comportemental assez simple pour être bien compris par l'actrice) aux gestes de l'humaine, une fois sur elle.
Le visuel bénéficiait des galopades des hordes de trolls filmés "caméras embarqués" dans les rues entre les gens effrayés, leur irruption dans un restaurant chinois en sautant dans les vitrines avant de s'emparer de tout ce qu'il y avait sur les tables et les cuisines, puis de violer des clientes, idem dans un supermarché où on les voyait saccager le contenu des vitrines de charcuteries et fromages, tandis que d'autres fouillaient dans les congélateurs ou réussissaient à découper des conserves en les faisant tourner entre leurs dents. C'était du gros divertissement grand public sans "prise de tête", de plus l'elfe n'était pas un modèle d'intelligence, tout en sachant détecter des trolls rien qu'au flair à travers des murs ou sols de béton. Des chasseurs organisaient une battue en ville (le préfet avait fini par l'autoriser, faute de mieux: la police manquait d'expérience), "ce ne sont que des sortes de sangliers, et je suis sûr que rôti, ça se mange", disait le président moustachu et ventru de l'association de chasse locale. Comme on pouvait s'y attendre, les chasseurs faisaient au moins autant de dégâts dans les rues, commerces et services urbains que les trolls qu'ils pourchassaient. 23 trolls avaient été construits, donc 18 ne savaient que marcher ou galoper (virage et sauts de faible hauteur inclus), cinq autres (resservant souvent) étant capables d'actes plus compliqués. Au delà de ces 23 trolls matériels, les autres étaient soit d'autres prises des mêmes rajoutées dans l'image (par derrière) en infographie, soit du virtuel, dès qu'ils étaient assez loin ou bougeaient assez vite pour cela. Les scènes de pillage de la nourriture pouvaient faire penser à "Gremlins" mais en moins "farce appuyée". On ne savait pas quel était le troll meneur ni même s'il y en avait un: c'était peut-être celui qui se retrouvait en tête d'une action qui était suivi. Les chasseurs avaient du mal à comprendre, et ne tenaient aucun compte de ce qu'Alfix essayait de leur expliquer: pour eux, c'étaient des sangliers mutants ayant brouté des champs d'OGM, ou des cobayes semi-primates (tentatives de créer des cochons "humanisés" pour des greffes?) échappés d'un laboratoire et qui s'étaient accouplés avec des sangliers sauvages. Avoir assisté à des accouplement avec des animaux de nature connue les confortait dans cette hypothèse.
Alfix- il faut que les projectiles de vos armes entrent par le groin: les narines sont les seuls orifices vulnérables. Inutile de viser les yeux: ils sont durs comme du quartz.
- et par l'anus?
A- je n'ai pas eu l'occasion d'essayer: en général, ils chargent de face.
Il était aussi possible de les brûler (à condition de les maintenir dans le feu un certain temps), de les noyer (au moins dix minutes sous l'eau), de les écraser avec un véhicule suffisamment lourd, de les électrocuter (le rail conducteur du métro convenait), de les faire tomber d'au moins dix mètres, mais ils n'étaient pas tous aveuglément gloutons au point de se laisser empoisonner: certains observaient leurs congénaires avant de goûter la même chose, ou vérifiaient que les humains en mangeaient aussi (ce qui était évident dans le restaurant). Tout le monde disait des "trolls" mais Alfix les appelaient des "trogs", les trolls étant moins dangereux.
Le 16 juin, à son 25ème anniversaire, Stéphane avait été remesuré à la toise (à coulisse, donc assez précise): 1m862. Il n'atteindrait certainement pas 1m90, mais c'était déjà du "vrai grand", au moins à l'échelle française. En Finlande, il était simplement du bon côté de la moyenne.
Le 20 juin, Atte et Stéphane prirent la route pour la Suède, dans l'Alfa 33. Torx était sorti le 17 (salles VTP) puis le 20 et connaissait plus de succès que l'espérait VTP: ce film leur avait semblé trop finlandais d'ambiance et trop ciblé sur les fans de ce genre de groupes de rock.
S- consommation d'alcool maîtrisée?
A- oui, puisque je vais conduire. Là, on ne peut pas tricher. J'ai pris plein d'anisette en poudre sans sucre et sans alcool. Tu dormiras chez Pia, couvert de chats. Sinon on met la tente sur le toit, comme d'habitude: c'est mieux pour voir arriver les ennemis.
Ils parlèrent ensuite de l'Antonov 560:
S- l'industrie aéronautique aussi à des soucis à se faire: ne pas avoir besoin d'aéroport est un avantage énorme.
A- sans oublier la Volta 2000, dès qu'ils auront assez d'accus pour les équiper en grand nombre. Si un jour ils font aussi des TGV et du vin, c'est fini pour vous. Comme nous avec les téléphones mobiles, l'informatique et l'internet.
S- il nous restera la location de la base de Kourou pour leurs fusées: ils n'ont rien près de l'équateur.
A- mais si vous augmentez les prix, ils installeront une espèce de plate-forme de forage en pleine mer pour les lancer, à moins que la Nouvelle République Centrafricaine leur loue un pas de tir proche de l'équateur pour bien moins cher. L'avenir, c'est l'embryon suédois.
S- je sais: nous sommes un des plus gros pays importateurs par habitant.
A- alors il va y avoir des Suédoises partout chez toi...
S- je serai trop vieux pour les intéresser.
A- mais non! Ca ne se se verra pas encore: tu fais partie du groupe des invariants, comme on dit en math, et puis avec tout ce que l'on va inventer pour freiner l'horloge biologique d'ici là...
En fait, au moment où il disait "trop vieux", Stéphane visualisait le sablier Huntington, qui lui montrait que plus de la moitié du sable était déjà passée, en se référant à Eetu. Il vieillissait peut-être encore moins vite qu'Atte (qui n'était déjà pas pressé), pour l'ensemble, mais il n'y avait pas de bombe neurologique connectée à l'horloge biologique de celui-ci. Atte continuait:
- le problème, c'est que le cerveau continue à s'user, dedans: on verra des gens qui auront l'air jeunes mais qui seront parkinsonniens, avec Alzheimer et Creutzfeld-Jacob en prime, si on résoud tous les autres problèmes.
Ceci rappelait à Stéphane qu'il n'y avait pas que la chorée de Huntington qui pouvait bousiller un cerveau. Les autres frappaient plus tard (quoique des cas de Parkinson précoce fussent connus), mais on ne savait pas encore les empêcher non plus. Quelques interventions par implantation d'électrode en plein cerveau avaient donné des résultats, pour Parkinson, mais ça ne marchait pas pour tout le monde.
Belgique, Allemagne, Danemark, Suède (par le pont). Stéphane avait envoyé un message à Pia par le Lioubioutchaï 2 (ça marchait partout, sauf en sous-sol: pas de problème de réseau national, et pour cause) pour prévenir qu'il voyagerait en Suède pendant ces deux semaines et qu'un deuxième Finlandais serait du voyage: Mika arrivait de Finlande via le tunnel.
Atte avait dit qu'il ne buvait pas avant de conduire et Stéphane n'avait pas repéré d'alcool à bord: il avait préparé de temps en temps un verre de "poudre anisée réglissée" pour Atte, avec de l'eau très froide du réfrigérateur de bord (à effet Pelletier, branché sur l'allume-cigare).
En fait c'était presque comme voyager en train, sauf que ça allait moins vite et qu'il fallait encore un conducteur. Stéphane avait fait quelques petits sommes en inclinant le dossier. Atte ne lui avait pas proposé de prendre le volant donc il n'y avait pas fait allusion. Ils ne s'étaient arrêté que brièvement, trois fois, pour le carburant, cette voiture n'étant pas un modèle de sobriété, malgré une cylindrée moyenne.
Si la Russie devenait riche et restait axée sur les produits techniques, tout en ayant goulagisé ses mafieux et nombre de ses corrompus, il pouvait y avoir une opportunité pour BFR de s'y implanter: les exportations de BFRSF vers la Russie avaient déjà augmenté, malgré la différence de niveau de vie encore importante entre la Finlande (malgré la crise) et la population russe (malgré les succès mondiaux à l'exportation).
Stéphane serait-il expédié comme surperviseur d'industrialisation (ex-nihilo, cette fois) d'une usine BFRR? L'expérience pouvait être intéressante: le Russe lambda était réputé moins froid que son voisin finlandais. Que dire des filles russes? Tabliers à carreaux, grand sourire entre deux tresses blondes? On n'en était probablement plus là, dans ce pays en plein essort. Stéphane avait appris le russe à l'école Kermanac'h mais ne l'avait pas pratiqué (ou très peu: un document de temps en temps) depuis.
Atte continua à conduire en Suède jusqu'à l'endroit où Pia avait indiqué à Stéphane qu'ils seraient acceuillis.
Il y avait six filles (pas toutes identiques: Stéphane avait fait des progrès dans l'art de distinguer les Suédoises, mais très suédoises toutes les six), dont Pia.
Les deux garçons s'endormirent comme des souches, Stéphane dans la "chambre aux chats" sans même avoir le temps de compter les chats, ni réaliser que c'était encore une autre maison. Mika arriva un peu plus tard et fit connaissance avec chaque chat, et chaque Suédoise, tranquillement.
Ils n'émergèrent qu'en milieu de matinée. Bain de mer pour se revigorer, douche chaude (la Baltique n'étant pas encore chaude, fin juin), et enfin un bon petit déjeûner (pas "petit", d'ailleurs) entre Suédoises et chat, sur la table en grosse planches de pin.
Ils apprirent que Pia avait fondé avec des copines une association qui s'occupait des chats, tout en veillant à ne pas être à un endroit où on en abandonnerait trop.
Stéphane- et s'il y a trop de chats?
Atte- on les mange!
S- ce n'est pas bon, comme viande. On ne mange pas les mamifères carnivores à cause de ça.
Pia- as-tu déjà goûté?
S- non, et je n'ai pas non plus besoin d'être allé sur Mars pour avoir des informations dessus, comme tout le monde.
P- moi non plus je n'ai jamais mangé de chat: je plaisantais
Stéphane avait oublié que les Suédoises n'étaient pas des Finlandaises.
A- si c'était bon à manger, je n'aurais pas d'objection à manger un chat, à condition de ne pas le tuer exprès pour ça. Un qui est mort, ou que l'on a dû piquer pour lui éviter de souffrir.
S- et manger des gens?
A- oui, mais pas n'importe qui: la viande de fumeur, ça ne doit pas être bon.
S- pourtant le saumon fumé, c'est bon...
P- la viande d'alcoolique, ça doit donner un petit goût intéressant: il y a du sang, dedans, et dans le sang, il y a de l'alcool.
A- tu mangerais un foie d'alcoolique, toi?
Pia revisualisa les images des manuels scolaires...
P- ça, non. A propos de Mars, que se passera-t-il si le ravitaillement rate?
A- il y a trois modules qui doivent se poser sur Mars séparément. Il lui en faut au moins deux, sinon il mourra avant l'envoi suivant, même en se rationnant à fond.
P- je croyais que l'on pouvait aussi y aller en six mois.
A- il faudrait une fusée beaucoup plus puissante: même les Russes ne l'ont pas. C'est déjà la plus grosse de tous les temps, qui est allée sur Mars avec Bertillon, et la même pour le ravitaillement qui doit arriver en juillet 2002. Donc c'est un an et demi, et pas à n'importe quelle date de l'année, en plus. Donc ça fait environ deux ans entre chaque livraison.
Atte, comme beaucoup de gens, connaissait bien le sujet. Stéphane écoutait tout en carressant une chatte "vache délavée" (taches grises sur fond blanc) un peu angora vautrée sur lui. Il se sentait bien ici, avec Pia (peu importait qu'Atte fût en ce moment son interlocuteur principal), des chats, la Suède, la mer à portée de vue de cette "sommarstuga" et aucun soucis. Stéphane avait averti Pia avant de venir: pas une goutte dans la maison, car il était possible à un acloolique potentiel de se retenir d'aller en acheter faute de tentation sur place, mais pas de se contrôler si l'occasion lui passait à portée de gosier. Mika ne disait rien, en bon "consommateur d'ambiance" qu'il était.
Ce fut ensuite le retour des cinq autres: Maja (1m84), Camilla (1m76), Frida (1m78), Karin (1m82), Tove (1m80). Stéphane se retrouva pour la première fois en présence de fans: on lui posait des tas de questions, on lui demandait des autographes, on lui parlait de telle ou telle scène de tel ou tel film. Elles savaient donc toutes les cinq qui il était. Pia n'y avait pas fait allusion: avait-elle "vendu" Stéphane à ses copines? C'était inoffensif et il n'y en avait que cinq. Stéphane répondit aux questions sans trop se presser, et dans donner d'informations qui n'étaient pas déjà dans des médias spécialisés. Cela pouvait tout de même les intéresser car les médias spécialisés suédois avaient dû bien moins en parler (sur le total des trois films) bien qu'il y eût des acteurs suédois dans "Drakkars et dragons". On lui demanda s'il tournerait bientôt dans autre chose. Il dit que rien ne lui avait été indiqué, en ajoutant: "ils ne vont pas faire quatre films de suite en m'utilisant dans un des rôles principaux: ça lasserait le public. Ce sera peut-être Atte, dans le prochain".
Atte fut aussitôt assiégé par les fans, au cas où il leur eût permis d'en savoir plus. Il avait quelque chose de prévu mais il ne devait pas en parler. Stéphane n'avait donc pas été informé. Il se retrouva avec les chats, puis Frida qui revint lui tenir compagnie. Frida était une variante un peu plus légère de "Nelli 1" (avec longues tresses "paysanne russe") mais comme c'était une Suédoise, son comportement était différent, d'autant plus que c'était fin juin. Ayant déja vu Pia carresser Stéphane comme un chat, elle se hasarda (prête à s'arrêter à la moindre réaction un peu négative du garçon) à faire de même, sans prendre l'initiative de faire autre chose. Il passa un bras autour d'elle, la chatouilla sous le menton, distraitement, signe pour Frida que tout allait bien et qu'elle pouvait jouer le rôle de Pia. Elle constata qu'il se détendait au point de somnoler. Ce n'était pas exactement ce qu'elle en attendait (c'était ce qu'en attendait Pia). Toutefois elle n'osa pas le contrarier et ralentit les carresses puis resta blottie contre lui, mais sans s'endormir, car la situation l'intéressait trop. Elle en profita pour l'observer, en veillant à ne pas bouger. Elle sortit précautionneusement son Lioubioutchaï 2C (version prenant des photos) et le photographia sous plusieurs angles, bras tendu, de façon à figurer dans l'image elle aussi, comme souvenir.
L'arrivée de Maja (une "Gunilla de l'Audi 100" mais sans lunettes et avec une plus grande bouche) réveilla Stéphane et fit reprendre à Frida une position plus banale (moins appuyée contre lui). Maja s'assit de l'autre côté, sur la banquette faite du même bois approximativement écari (mais sans échardes, à force d'avoir servi. Au début, il y en avait peut-être eu) que la table.
Il profitait de cette demi-réalité paisiblement intéressante: des fans suédoises tout près de lui. Tout à fait gentilles et raisonnables. Pas aussi intéressantes physiquement que Pia, mais il savait que ça, c'était un goût personnel: d'autres garçons préféraient Maja, certains pourraient choisir Frida: elles étaient "suffisamment suédoises" (comme on les imaginait à Centrale Dinard) pour que chacun y trouvât la sienne, sur les six. Pia lui avait immédiatement plu physiquement, au sens "il n'y a rien à changer pour faire mieux", dans son propre style. Frida aurait pu être un petit peu mieux avec d'autres mains et des cheveux plus soyeux, Maja avec un autre dessin de lèvres et un regard plus "intégré", sans pour autant chercher à leur faire imitier Pia. En plus d'être satisfaisante à regarder, Pia lui apportait ce qui l'intéressait le plus: de la tendresse désintéressée. Les deux autres l'appréciait en partie pour lui-même (du moins se permettait-il de l'espérer: en général, c'était le cas), en partie (majoritaire?) parce que "vu au cinéma": il était probablement leur premier "vu au cinéma" rencontré pour de vrai au point de pouvoir le toucher. Des "comme lui", en triant un peu et sans exiger la même couleur d'yeux (mais un bleu, un vert ou un bleu-vert plus courants), elles devaient en trouver de temps en temps, ici, mais pas "vu au cinéma", là était toute la différence. Atte aussi était un personnage médiatisé (Torx venait de sortir), mais Stéphane avait eu droit à des rôles "meublant" plus les films. Elle lui dit que lui, visuellement il n'avait pas l'air français (ce ne serait que la N+unième fois), et qu'Atte mentalement n'avait pas du tout l'air finlandais: s'y connaissaient-elles donc déjà en Finlandais? Cela signifiait-il qu'il était fréquent que des Finlandais vissent en Suède en cette saison? Atte était-il donc représentatif des garçons de son pays en matière de difficultés d'accès aux Finlandaises au point de devoir traverser la Baltique pour y remédier? Stéphane ne posa pas ce genre de questions. Il craignait que la réponse fût "les Finlandaises deviennent accessibles après avoir bu autant que les garçons".
Tout fut calme et sympathique jusqu'au lendemain soir (c'était même le "matin" puisque 1h40) où Stéphane fut réveillé par un choc sourd dehors. Ce n'était pas sa maison, mais tout de même: il se leva (c'était un nouveau pyjama-kimono "manga": bleu nuit sabré de jaune fluo. Il ne manquait pas d'allure là-dedans, savait-il) trouva ses tongs sans allumer et alla à pas de chat (se déplacer sans bruit était un de ses talent, même sur un plancher de "sommarstuga": il supposait que les poutres, dessous, étaient disposées comme celles d'au dessus. Il suffisait de viser, et en restant près du mur la probabilité de faire grincer quelque chose diminuait encore).
C'étaient Atte et Karin. Stéphane alluma (de l'intérieur) sous la terrasse. Atte, en caleçon du genre "pub pour caleçons", se massait le tibia, aidé par Karin idem (topless et qui ne sembla pas gênée de l'être). Quand Stéphane sortit il reconnut immédiatement les effluves de vodka. Il n'y avait pas de boutielle visible donc ça venait d'eux (ou seulement d'Atte).
Atte- oh, un Japonais suédois!
Avec une élocution floue.
Stéphane- [à Karin] retournez sur la plage et trempe-le dans l'eau.
Karin- non: dans l'état où il est, il va se noyer.
Elle aussi avait l'haleine alcoolisée, mais semblait avoir moins bu puisqu'elle avait la lucidité de penser au risque de noyade.
S- qui lui a fourni de l'alcool?
K- j'ai acheté une bouteille.
S- Atte ne doit jamais reboire! Il a eu beaucoup de mal à arrêter.
Soit Pia n'avait pas mi Karin au courant, soit celle-ci était passée outre, ayant oublié l'importance de cette consigne dans l'ivresse mentale de fin juin en Suède.
Atte s'accrocha au bras droit de Stéphane, le faisant presque tomber: soit il était plus lourd qu'il n'en avait l'air, soit ses jambes venaient de se mettre en grève par abus d'alcool. Il n'avait donc pas bu qu'un peu. Stéphane eût été dans cet état (mais pas longtemps) après quelques verres, Atte avait plus de pratique donc devait tenir plus longtemps, donc avait dû forcer la dose, s'il en était là. Il se tint à Stéphane comme un noyé à un objet flottant. Celui-ci réussit à amener le tout (lui-même inclus) sur le banc, ce qui était plus gérable. Atte s'affala sur la table, libérant Stéphane. Au moins, dans cette position, il ne retomberait pas tout seul. Il eût un spasme, puis un autre. Stéphane le prit par un coude et l'autre épaule pour le faire coulisser jusqu'au bord de la terrasse, en lui maintenant la tête par dessus la balustrade. Il était moins une: un puissant jet de vomi très liquide s'écrasa sur le sol.
Stéphane avait reconnu les convulsions de Klébar (drôle de nom pour un chat, avait-il tout de suite pensé, ce qui le lui avait fait mémoriser), le tigré ventripotent, quand il buvait trop d'eau (ou pire: de lait) après s'être gavé de croquettes: le prendre par la peau du cou et le sortir le plus vite possible de la maison ou de la terrasse. Même symptômes, même réflexe, même résultat: pas de vomi sur le plancher ni le mobilier. De plus il savait qu'avec un Atte saoûl il fallait agir vite et énergiquement: ce dernier s'étant spontanément suspendu à lui, Stéphane s'y sentait autorisé. Il le maintint ainsi pour être sûr qu'il fût vidé (il y avait eu plusieurs gerbes), en le carressant plusieurs fois (lui appuyer sur le dos suffisait, une fois échoué sur la balustrade) comme il faisait en pareil cas pour montrer au chat que ce n'était pas une punition, tout en demandant à Karin de venir: "c'est toi qui l'a saoûlé, à toi de t'en occuper. J'ai juste sauvé la terrasse de Pia. Carresse-le: lui aussi, ça lui fait du bien, je crois".
Karin resta donc à câliner Atte tandis que Stéphane revenait avec de quoi lui essuyer la bouche: grâce à cette mise en porte-à-faux rapide, il ne s'était pas vomi dessus: Stéphane se souvenait de l'Atte complèment "épave" dans son studio de La Défense. Karin essuya Atte, lui fit boire l'eau que Stéphane avait apportée aussi (garder un goût de vomi dans la bouche pouvait faire revomir), après l'avoir réassi sur la banquette et continué à le carresser comme Stéphane le lui avait conseillé. Elle lui dit: "je suis délolée: si j'avais deviné qu'il viderait toutes les bières en plus de la vodka..."
S- il ne faut pas. Jamais. Sauf si tu veux le détruire, ce qui serait d'une grande lâchetée, par un tel procédé.
K- tu as raison. Je ne me rendais plus compte: j'avais déjà trop bu, alors je ne me suis pas rendu compte où il en était.
S- la dernière fois, j'avais dû lui faire une clef au bras en m'asseyant sur son dos, pour arriver à le maîtriser: il est costaud.
K- tu ne bois pas, toi.
S- très peu: dès que j'ai la tête qui tourne un petit peu, j'arrête: continuer n'apporterait rien de plus intéressant et en plus, si je le faisait, ça n'agirait plus dès le premier verre, les autres fois.
K- en France où ça ne coûte presque rien, tu arrives à ne boire qu'un verre?
"Où ça ne coûte presque rien": Atte avait dû lui raconter, ce soir, ses "exploits" parisiens, une fois déjà bien imprègné.
S- même chez nous, le bon vin coûte cher. Si on n'en boit que du très bon, on en boit peu, et pas tous les jours.
K- mais le vin ordinaire n'est pas cher, la bière non plus.
S- exact. Mais quand on est d'une famille où l'on ne buvait qu'un petit peu de vrai bon vin le dimanche et les jours de fête, on ne supporte pas le goût du vin bon marché: on dirait du vinaigre. Ca ne peut servir que pour cuire un coq. C'est pareil pour la bière: la bière ordinaire sert à préparer la pâte à gauffres et non à être bue.
Les entendant parler, Maja arriva. Les autres dormaient dans d'autres pièces. Stéphane demanda à Karin de la mettre au courant, à Maja de les surveiller tous les deux (en mentionnant que Karin avait bu aussi) et retourna dormir.
Maja- [touchant Atte] il est tout mou.
Karin- il a trop bu.
M- j'avais entendu. Est-ce vrai que Stéphane l'a attrappé comme Mia fait pour Klébar pour l'empêcher de vomir sur la terrasse?
K- c'était tout à fait ça. Stéphane n'a pas eu à le porter vraiment: il l'a fait glisser sur la table et le banc pour le basculer sur la rambarde. Regarde: on voit la flaque de vomi qui scintille sous la lune.
M- comme c'est romantique...
K- sinon il y eu aurait eu partout ici et sur lui.
Quand Stéphane se réveilla, vers sept heures, Pia était dehors en train de nourrir les fauves, il y avait aussi Maja, Frida, Camilla, Tove et Mika. Atte et Karin dormaient encore, et n'émergeraient probablement pas avant midi, vu le manque de sommeil et l'abus d'alcool.
Le séjour se déroula paisiblement, avec un Atte plutôt amorphe (ce qui en faisait un bon support pour chats), bien qu'ayant été surveillé tour à tour par au moins une des Suédoises pour ne pas reboire.
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Eric avait trouvé la Finlande de juin bien plus attrayante que celle de décembre. Certes, sans la neige, ça perdait de son exotisme, mais il se passait toutes sortes de choses, en juin. Il s'était donné comme discipline de ne jamais accepter plus d'un verre par soirée.
Stéphane revint en Finlande samedi 7 juillet 2001, Atte étant retourné en France. Il avait appris la mort de Rantaniemi (fin mai) et savait que beaucoup ne seraient pas là, en ce moment, car c'était une période de l'année prise comme congés par beaucoup de Finlandais, chez BFRSF. Raison de plus de l'y renvoyer, car il serait plus remplaçant de tel ou tel chef de production que "superviseur", savait-il. Mika était encore en vacances (en Suède) ainsi que Nelli (dans sa famille, en bord de mer).
Rantaniemi n'avait pas été remplacé, BFR télédirigeant l'usine pour le moment. Il manquait au moins la fonction "directeur du personnel", difficilement télétravaillable par une équipe (celle de Rennes) ne parlant pas finnois.
Gorak sauta sur l'épaule droite de Stéphane, calculant son saut de façon à ne pas avoir à se tracter (ni à se freiner) avec les griffes, s'y posant comme une (grosse) plume.
Elina lui montra un article qui citait les six acteurs les plus utilisés dans les films de VTP, dont Zhao (qui avait tourné dans d'autres films, ceux tournés à d'autres périodes de l'année), Atte (surtout séries et téléfilms, mais maintenant quelques grands films) et Erwann (rôles importants dans les gros succès de VTP) en évaluant ce qu'ils avaient gagné à ce jour, film par film, et en donnant quelques éléments de comparaison (y compris français) avec un facteur allant de 50 à 1500 (pour les Américains), à nombres d'entrées égal, au point que certains producteurs américains étaient récemment venus sous-traiter à VTP (en choisissant parmi les acteurs de VTP) des projets de téléfilms, surtout quand ça ne se passait pas aux Etats-Unis, en particulier la SF ou le médiéval. Malgré l'effondrement du dollar, ça restait rentable, puisque ces contrats (libellés en euros, dès le début) avaient été confirmés.
Les comparaisons de rémunérations d'acteurs n'étaient pas homogènes, car chez VTP on passait bien moins de temps en tournage par minute nette de film (tourner assez vite des films plutôt longs) et d'autre part le système d'intéressement continuait à payer lors des rediffusions à la télévision ou de la sortie sur d'autres supports. Même en comptant cela, les acteurs de VTP restaient remarquablement bon marché, mais la différence avec certains Américains n'atteignait pas 1500: c'était plutôt 150, par rapport aux plus connus, en revenu probable total divisé par le nombre d'heures de tournage. En aval de cela, il fallait aussi tenir compte de pertes de revenus plus importantes pour les acteurs américains: avocats, agents, et surtout impôts, alors que le barème français à 20% (de ce qui dépassait 12 mois de smic) était bien plus favorable. Initialement, l'intéressement au bénéfice avait l'avantage supplémentaire d'éviter les charges sociales (mais pas la CSG), problème qui avait disparu avec la suppression des charges sociales de tous types (CSG, CRDS inclus) au profit de la TVA sociale qui ne s'appliquait pas aux revenus, mais uniquement aux dépenses. La notion d' "intermitents du spectacle" avait elle aussi disparu, de sorte que ceux qui y recourraient avaient perdu cet avantage par rapport à VTP qui n'employait que son propre personnel permanent mais le rentabilisait tellement mieux, grâce à l'automatisation de tant de choses, que financièrement ça marchait déjà très bien. De même, VTP ne recourrait déjà pas à "l'avance sur recette" mais on pouvait dire que c'était la rémunération sur bénéfices des acteurs qui en tenait lieu, tout en évant avantageuse fiscalement pour les deux parties, dans l'ancienne fiscalité: bien moins de charges sociales sur les dividendes (or c'en étaient) que les salaires, en plus d'étaler (donc lisser) sur plusieurs années fiscales. "Drakkars et dragons" (le plus gros succès dans lequel il eût joué à ce jour et dans lequel, en plus, il avait beaucoup joué) lui avait rapporté l'équivalent de quatre ans de revenus de superviseur de BFRSF, ce qui pouvait sembler énorme pour deux mois et demi de tournage (pas à plein temps, en plus) mais était insignifiant par rapport aux cachets des acteurs américains ayant joué dans des films ayant fait des centaines de millions d'entrées dans le monde. Or après avoir été mondialement connu par ce film (en plus des précédents: "Les miroirs du temps" avait déjà très bien marché et continuait à être exploité avec succès) VTP n'avait pas augmenté d'un iota le mode de calcul de l'intéressement aux bénéfices dans les tournages suivants. Stéphane savait qu'ils pouvait facilement faire des films sans lui alors qu'il ne ferait jamais de carrière cinématographique sans eux. Il ne pouvait donc rien négocier, à part ne pas participer à ce qui ne l'intéresserait pas: il n'était pas lié par un contrat "global": c'était film par film, et ça ne lui interdisait même pas de jouer pour d'autres producteurs et réalisateurs, pendant ces congés payés, VTP sachant qu'il ne pourrait que décevoir s'il tentait cela et prévoyant qu'il ne supporterait déjà pas les ambiances et habitudes de tournages "en dépit du bon sens" qui se pratiquaient ailleurs, où son rôle n'aurait pas été défini au plus petit geste près donc où il ne saurait que faire.
Inversement, bien des acteurs (surtout ayant déjà une certaine carrière) n'auraient pas supporté le système VTP interdisant la moindre improvisation: il ne fallait rien oublier ni ajouter par rapport à la version virtuelle animée et expressive du personnage. Les animateurs tenaient compte de quel acteur serait utilisé (en plus de prendre son modèle virtuel pour l'étude préalable des scènes) et ne feraient pas faire n'importe quoi à n'importe lequel: on ne s'amusait pas, chez VTP, à faire du "contre-emploi": ça, c'était de l'art pour l'art, ça n'intéressait pas le grand public. Le grand public voulait que chacun trouve chaussure à son pied, dans un film, et que toute cette cascade d'engrenages fonctionne sans grincements ni frottements parasites, aussi compliqué que fût le mécanisme ainsi mis en route. Pour autant, on évitait l'utilisation répétitive d'un acteur dans le même jeu, de façon à faire croire que c'étaient des acteurs capables d'évoluer. Capables d'imiter une simulation d'évolution, en fait, mais VTP avait constaté que ça revenait au même, vu de l'extérieur, dans le cas de quelqu'un comme Erwann qui avait le temps d'étudier ses scènes longtemps à l'avance (car ne tournant pas toute l'année) et d'acquérir comme quasi-automatismes les imitations demandées, de même qu'un pianiste finissait par jouer un morceau sans se souvenir des notes qui le composaient: ses doigts s'en souvenaient à sa place. Erwann produisait de l'imitation semblant naturelle de mouvements et d'attitudes, comme s'il était doué pour la "mémorisation mimétique et kinéstésique". "Il fallait bien qu'il ait de l'intelligence quelque part", supposait BFR, supposant qu'une partie de ses neurones avaient compilé cette aptitude de mémorisation et de restitution, de même qu'Adrien du Millénium imitait fidèlement (et le plus souvent du premier coup) timbre et intonation d'une voix.
Stéphane retrouva la salle d'entraînement virtuel attenante à sa maisonnette de fonction (salle mise à la disposition d'autres acteurs de VTPSF, entretemps, comme c'était habituellement le cas en son absence, voire pendant qu'il était à l'usine), sa salle de bain de (faux) marbre vert, et après de longs câlins avec Gorak décida d'aller au lac et vit que des plongeoirs avaient été ajoutés. Il remarqua sur l'un d'eux (le plus haut) un grand garçon mince et léger faire des accrobaties avant de crever la surface de l'eau sous un angle proche de l'optimal. Probablement Kasperi: pas de bonnet "toile d'araignée" ici, mais la silhouette et surtout la façon de plonger: si ce n'était lui c'était un excellent imitateur. Le plongeoir ne faisait certainement pas quinze mètres, voire moins de dix, mais c'était déjà impressionnant. Stéphane n'était pas tenté par cette expérience. Faire un plat (par inexpérience), se "sonner" les timpans, heurter une grosse branche flottant entre deux eaux, dissimulée par les relfets du soleil sur les ondelettes du lac... La fosse de la piscine, avec son fond lumineux, montrait clairement dans quoi on plongeait. Ici, non. Il ne resta pas longtemps, se souvenant que le soleil nordique était très nocif (même à travers un peu d'eau), en cette saison, et qu'il fallait attendre la soirée (où tôt dimanche matin).
Il passa chez VTPSF à quatorze heures. Mika avait repris ses fonctions techniques dans cette entreprise, qui tournait beaucoup d'épisodes de ses séries les week-ends pour pouvoir employer des acteurs qui n'étaient pas qu'acteurs. De nouveau épisodes de Lobosibirsk étaient tournés.
Stéphane assista, à travers la vitre d'insonorisation totale, à des répétitions de tournage: deux infirmiers, joués par Kim (de son équipe) et un qu'il ne connaissait pas maîtrisaient un dissident politique récalcitrant pour lui passer une camisole de force. Tous trois regardèrent la vidéo qui venait d'être tournée, sous plusieurs angles, et rejouèrent la scène. Il était difficile de s'entraîner en virtuel à une telle scène (passer une camisole à un récalcitrant) d'où ces répétitions réelles jusqu'à coorpération parfaite des trois, tout en donnant au spectateur l'impression du contraire.
Quand ils finirent par faire une pause (ça devait être fatigant, au bout de huit épreuves de force, même partiellement feintes: il n'y avait pas de méthode virtuelle ou robotisée pour s'entraîner à ce type de scène) Stéphane vint voir (hors champ, bien sûr) et eut l'occasion de parler avec Kim, qui lui dit qu'il avait découvert cette activité ici, et que VTPSF lui faisait faire des entraînements de gladiateur. Avec son physique de "déménageur breton" (en version finnoise), VTPSF ne cherchait pas midi à quatorze heures: infirmier de maîtrise des cas "difficiles", gladiateur... Sa voix légère et métallique ne correspondait pas à son aspect: sans être fluette elle n'avait rien de l'aboiement caverneux que l'on attendait d'un tel personnage. Il avait très peu de mots à dire, dans Lobosibirsk, mais quand il avait à en dire il était doublé par une "voix de molosse" en post-production. 39 ans, marié, une fille de 11 ans, à laquelle il ne parlait pas de l'activité cinématographique: elle le découvrirait peut-être en infirmer dans Lobosibirsk, et ça l'amuserait, mais inutile de l'annoncer: "mon père, il installe des machines pour fabriquer du saumon", ça faisait bien plus sérieux, vis à vis des copines, d'autant plus qu'elle pouvait leur distribuer des échantillons "c'est mon père qui les a faits".
Il rencontra un peu plus tard Leo avec qui il parla de l'Antonov 560 et aussi du retard de l'industrialisation, en Russie, de la "Volta 2000". Techniquement, la voiture était au point, mais industriellement, il n'y avait pas de production suffisante d'accus Li-ion disponibles, car une seule voiture en aurait confisqué à un bien trop grand nombre d'ordinateurs portables, SPS et téléphones portables. Economiquement, il n'était pas rentable de freiner ces productions à haute valeur ajoutée au kilo pour fabriquer des voitures électriques à autonomie convenable. Seuls quelques milliers d'exemplaires avaient été fabriqués depuis sa présentation au Salon de Francfort de l'automne 1999, et vendus à un prix nettement plus élevé qu'annoncé, par simple loi de l'offre et de la demande. Les choses allaient probablement changer en raison de la grosse production de lithium à bas coût issu des surplus d'électricité des grosses centrales géothermiques BFR, de même que l'hydrogène pour les fusées et certains sous-marins utilisant une pile à combustible: autonomie inférieure au nucléaire, mais très supérieure, rapporté au poids, au batterie, pour bien moins cher à fabriquer et entretenir qu'un réacteur nucléaire: la pile à combustible était adaptée aux sous-marins civils et aux petits modèles militaires, dépourvus de ce fait de moteurs diesel. L'Islande avait construit à fort peu de vrais (le volcanisme étant en surface) de grosses centrales géothermiques dépassant largement ses besoins électriques, pour devenir un grand exportateur d'hydrogène et de métaux nécessitant une électrolyse. Même motif, même récompense à la Réunion et dans d'autres îles ayant un volcanisme actif ou "somnolent": il n'était pas nécessaire d'avoir des éruptions pour faire fonctionner de telles installations.
Kermanac'h commercialisait la CRT à un prix suffisant pour rentabiliser l'utilisation des accus nécessaires (qui étaient maintenant eux aussi des Li-ion produits par BFR, de même que dans les Trielec et les scooters électriques) tandis que la Trielec en utilisait bien moins qu'une Volta 2000, vu sa légèreté et son SCx plus favorable (car plus basse et moins large). Les nouveaux groupes d'accus étaient conditionnés de façon à s'emboiter dans les véhicules anciennement conçus pour les Ni-MH (au bénéfice de l'autonomie, de l'allègement, ou des deux, selon le compromis choisi), le circuit de charge étant reparamétrable d'origine: les Li-ion étaient encore trop chers au lancement de la Trielec, d'où l'utilisation de Ni-MH d'une puissance moindre au kilo en attendant.
Lundi, il ne retrouva que Leo et Veeti, parmi les chefs de production. Les autres étaient en vacances, expliquant que BFR décidât de maintenir Eric sur place malgré son retour. Dans son équipe des "chairs artificielles", Elina et Kim.
Nouveau chef du personnel et directeur des relations publiques: Anton Sorri, un sexagénaire bon pied bon oeil (bon ventre, aussi), cheveux fins plaqués en arrière, petites lunettes rectangulaires. Il n'aurait aucun pouvoir technique dans l'entreprise, n'ayant pas eu de telles fonction auparavant, dans l'hypermarché dont il était directeur. Il connaissait bien les produits BFRSF, passant maintenant de client à fournisseur. Il n'y eût pas de réunion "à huis clos" avec les chefs de fabrication (peu nombreux en ce moment) mais un pot pour tout le monde, profitant de la situation de sous-effectif saisonnier de l'usine.
L'usine tournait en sous-effectifs massifs, ce qui n'était pas gênant techniquement, vu son degré d'automatisation. Ce le serait en cas de panne, et ce n'était pas le moment d'avoir de nouvelles productions à installer (ou juste quelques-unes et pas trop vite).
Stéphane fit du "multiremplacement", un peu partout dans l'usine, vu la baisse temporaire d'effectifs. Les productions de "chairs artificielles" se vendaient très bien. Par prudence, BFR n'avait pas équipé trop vite ses usines, attendant de voir quelle partie du public des divers pays accepterait ces ersatz, laquelle les refuseraient totalement et quel pourcentage n'y recourerait qu'occasionnellement parce que ça se conservait bien mieux que du vrai à température ambiante donc que l'on pouvait en emmener partout avec soi, comme casse-croûte dans une journée de travail ou en voyage, pour les versions destinés à être dégustées froides. Le succès des rillettes fut spectaculaire, bien que la différence de prix ne fût pas aussi écrasante que pour le Kanardix ou le Saumonix: enfin une délicieuse charcuterie au goût et à la consistante traditionnelles (en mieux que la moyenne des rillettes industrielles: moins pâteuses, plus fibreuses) se conservant facilement et n'étant pas une avalanche de "mauvaises graisses". On pouvait même en manger sur du pain complet (mmm!) dans le cadre du régime Montignac, tout comme les végétaliens (plus stricts que les végétariens) et les Musulmans. Ces derniers consommaient déjà la charcuterie marine BFR, contrairement aux végétariens, tandis que les "Montignac" ne devaient pas en prendre avec du pain.
Ceci remit en vogue les régimes végétariens et même végétaliens, puisque d'après les tests fait par divers nutrionistes indépendants, dans divers pays, ces susbtituts de viandes fournissaient plus de protéïnes "nobles" assimilables que ce qu'ils imitaient. On pouvait enfin remplacer la viande par un produit non carné, encore plus efficace nutritivement... et moins cher. Les écologistes étaient partagés: c'était fabriqué sans engrais ni pesticides, puisqu'hors sol, mais ce n'était pas naturel (BFR ne s'en cachait pas) donc était-ce "bio"? Le produit n'était pas OGM en lui-même mais ses protéïnes étaient fabriquées par des cultures de levures et micro-algues génétiquement optimisées, sur des substrat nutritifs et des cycles d'insolation (pour les micro-algues) eux aussi artificiels.
BFR fit perdre des clients à la "restauration rapide", car il revenait bien moins cher d'acheter du Saumonix (où un autre de ces produits) et du pain qu'un "hamburger", pour un plaisir gustatif largement supérieur. De plus il était bien moins nécessaire (sauf pour l'agrément) de rajouter un légume vert que ce n'était le cas pour une viande: ces ersatz se digéraient bien plus facilement (pas besoin d'ajouter des fibres) et contenaient aussi des vitamines végétales.
Il y avait toujours des gens pour dire que l'on ne savait pas exactement ce qu'il y avait dedans (la composition était pourtant indiquée) et que l'on ne connaissait pas les effets à long terme (ça, c'était vrai, mais on aurait pu dire la même chose de tout nouvel aliment). Certains estimaient que si ces protéïnes "de laboratoire" s'assimilaient trop facilement, cela allait rendre le système digestif paresseux et le rendre moins apte à "manger de tout", par la suite, si on ne mangeait que ça comme protéïnes pendant une longue période, en donnant comme exemple que l'arrêt durable de consommation du lait faisait perdre la capacité à digérer le lactose, ce qui n'était pas systématique, d'autant que certains la perdaient sans avoir fait de longues années sans lait.
Quelques pays n'avaient pas homogué pour l'alimentation humaine (ni même animale) certains de ces produits: le Danemark n'avait pas homologué les rillettes artificielles, de sorte que BFRDK n'avait pas été équipé pour en fabriquer. BFR supposait que c'était dû au lobby porcin local, car biochimiquement, ce produit était proche des autres chairs artificielles (aux textures et arômes près) donc il n'y avait pas de raison de l'interdire tout en autorisant le Kanardix. La différence était que le Kanardix était plus cher et surtout ne dérangeait pas de lobby local conséquent. Les "Véritables rillettes du Mans" n'étaient pas danoises, mais leur importation n'avait pas été entravée par ce lobby, bien que ce ne fût pas fait avec leurs cochons. Stricto census, les rillettes de BFR ne pénalisaient que ces importations françaises, et non la production danoise (qui n'en comportait pas), mais les éleveurs locaux craignait que cela se substituât des charcuteries locales (ce produit étant plus savoureux et moins cher, alors que les vrais rillettes importées du Mans étaient chères) donc menaçât leurs débouchés, surtout si c'était suivi d'autres charcuteries de synthèse (salami, etc). BFRDK n'avait eu aucun problème pour ses charcuteries marines car il n'y avait aucune base légale possible pour ne pas les homologuer, de plus les clients n'en ayant pas encore goûté supposaient que ça avait goût de poisson (de thon, par exemple) donc que ça ne ressemblait pas à de la vraie charcuterie, surtout quand il y avait indiqué "hareng", dans la composition.
Le composant fibreux faisant le succès des Riyettes fut aussi commercialisé sous forme de jambon sec et savoureux, vendus en paquets de lamelles carrées de 8x8cm faciles à emporter partout et à décoller les unes des autres, conditionnement proposé aussi pour le Saumonix. Ce n'était pas vendu moins cher que du jambon industriel bas de gamme, mais ça concurrençait un produit de bien meilleure qualité, en plus de l'avantage de conservation à température ambiante et de ne pas graisser les doigts, ce qui le rendait plus facile à emmener et manger hors de chez soi. Ce conditionnement convenait bien aux distributeurs automatiques (des formats adaptés furent produits).
Autre succès BFR: le pot-au-feu instantanné, aussi rapide à préparer qu'une soupe en sachet, tout en ayant les bons morceaux de "viande" striée mijotée dedans, se défaisant sous la fourchette. BFR disait que c'était fortement écologique puisque ça économisait du gaz ou de l'électricité, pour la cuisson. C'était vendu plus cher que le prix de reviens réel des ingrédients d'un vrai pot-au-feu en hypermarché, mais c'était tellement plus pratique à préparer, en plus de l'économie d'une cuisson longue, surtout pour des petites portions: un gros pot-au-feu revenait à peine plus cher à cuire qu'un petit (donc beaucoup moins cher par assiette), donc on n'en préparait généralement pas pour une ou deux personnes, alors que la version BFR le permettait.
En Finlande, ce fût le "potlohko" traditionnel (à cuire au four à 150°C pendant plusieurs heures) que BFR industrialisa en ersatz instantanné (les pommes de terres (réelles) étant précuites): quelques minutes au micro-onde (ou à la vapeur: les deux versions existaient, le mode de cuisson prévu étant indiqué sur l'emballage) et c'était prêt, tout en imitant le vrai.
Autrefois cuire longuement un "potlohko" en saison froide n'était pas une dépense de combustible, puisque le four servait de toute façon à chauffer la maison. Dans les logements modernes ce n'était plus le cas, et pouvoir se faire un "potlohko" (d'autant plus que la recette était disponible en diverses nuances gustatives) d'un coup de micro-ondes, surtout quand on était seul, était un argument qui allait pousser nombre de Finlandais à l'acheter au moins une fois, pour goûter, et si le produit tenait ses promesses, il serait réacheté, supposait BFR. Cette fabrication reprenaient des composants (à des règlages près) déjà en production pour d'autres chairs artificiels, donc put être industrialisée rapidement: ce fut la campagne de tests de satisfaction gustative (en comparant à de vrais "potlohko" préparés traditionnellement dans les fours d'essais de l'usine) qui mobilisa l'essentiel du personnel (réduit) affecté à ce projet de fin juin début juillet. On proposa aussi le "pot-au-feu" ("lihakeitto") traditionnel ou français (dans ce second cas, le titre était en français), la combinaison de productions à mettre en oeuvre étant de même nature, aux ingrédients (carottes, etc) et règlages près. La viande artificielle fut aussi utilisée dans les plats préfabriqués chinois et vietnamiens (une partie de la gamme produite depuis le printemps à Nantes fut réindustrialisée ici) rapides à préparer, car là aussi, la chair artificielle se prêtait mieux à ce procédé de préparation et de conservation: ici ce n'était pas le coût qui était la raison principale de passer à la chair artificielle, car dans ces produits la part dûe à la viande n'était pas prépondérante. Le "bô bun" vietnamien, potage aux lamelles de boeuf (qui n'en était plus), fut un des gros succès de cette réindustrialisation locale. Le potage aux faux ailerons de requins (là, c'était indiqué "requin artificiel" en gros dessus, pour déculpabiliser le consommateur informé du massacre de cette espèce pour la préparation de la version naturelle de ce plat: "vive l'artificiel", disaient cette fois les écolos, comme pour la fourrure) faisait partie de ces nouvelles productions synthétiques, le Kanardix (industrialisé dès le début) restant la plus célèbre.
Nombre de restaurants chinois locaux n'hésitèrent pas à se fournir chez BFRSF pour certains de ces plats: ça faisait gagner du temps (surtout le Kanardix) donc de l'argent (pas besoin d'embaucher pour produire plus) et ça plaisait au client. BFRSF accepta pour les plus gros de ces clients de fabriquer quelques variantes gustatives pour que cela ressemblât moins à la version d'hypermarché, d'autres restautateurs ajoutant d'eux-mêmes un ingrédient pour personnaliser le résultat et sa présentation. Stéphane apprit qu'un restaurant chinois d'Helsinki indiquait même sur sa carte: "potage aux faux ailerons de requins, pour protéger une espèce menacée".
Eric repartit en France avant le 14 juillet. Stéphane apprit à cette occasion la mort d'Atte, tombé du trottoir devant un autocar de touristes japonais à cause d'une bousculade collective alcoolisée. Il y avait depuis 1999 des parois anti-chute dans tous les métros et RER parisiens (travaux commencés à l'automne 1997), désormais sans conducteur et sans accident de ce type (comme le VAL depuis plus de dix ans entre Lille et Villeneuve d'Ascq), mais on ne pouvait envisager cela le long des rues.
Parmi les passagers du car, quelques jeunes fans d'Atte Ruusuvaara (déjà connu là-bas), vivant le cauchemard de leur vie ce soir de fête à Paris. Le car s'était arrêté un peu incliné: sous sa partie avant droite (roue incluse), deux morts (dont Atte) et cinq blessés.
Cela fit un trou immense dans l'univers relationnel de Stéphane. Atte avait été incinéré à Paris (il l'avait précisé en cas d'accident en France, car contrairement à Stéphane qui n'y trouvait aucun intérêt, il aimait cette ville aux antipodes de la mentalité finlandaise) et ce furent ses cendres qui revinrent en Finlande. Atte devait aussi savoir que ce serait plus simple et moins significatif que de transporter un corps. Ce fût avec lui, autorisé à emprunter pour cela l'hélicoptère EC130 de VTPSF, que la famille d'Atte dispersa ses cendres en altitude dans la région (bien dispersées, avec le souffle des pales), samedi 21 juillet 2001. Atte avait commencé récemment à prendre des cours d'hélicoptère, donc tous s'étaient dit que ça lui aurait plu.
Le succès déjà massif de Torx (qui avait surpris VTP) s'amplifia du fait de la mort de son acteur principal, tout en en compensant pas pour VTP le manque d'Atte pour les projets en cours. Ayant tourné surtout dans des séries (Tépakap, entre autres) et des téléfilms, Atte laissait deux rôles maquants au cinéma: Damien de "Viande urbaine", et Riku de Torx, tout en ayant aussi eu un rôle consistant dans "Peur filante", autre grand succès, tout particulièrement auprès des jeunes.
Stéphane savait qu'Atte avait joué dans "Gamma", au printemps, et que ça se passait à l'époque de l'Allemagne nazie, mais sans savoir grand chose sur ce film: n'y participant pas, il n'était pas informé.
Ce pays en apparence indifférent avait montré une certaine émotion au décès de ce jeune acteur, si vite connu et si vite disparu. Pas dans une Porsche sur la route de Salinas, mais à pieds, sous un autocar de touristes japonais. On disait que c'était aussi l'alcool qui avait causé sa fin, un soir de fête nationale bien arrosée d'un pays où le vin coulait déjà à flot pour pas cher toute l'année. On ne buvait pas autant à cette occasion-là qu'au 31 décembre, et la prise de sang dans le corps d'Atte n'avait trouvé de 0,9g par litre: bien trop pour conduire, mais qui n'expliquait pas à soi seul l'accident: c'était le mouvement de foule (où il y avait des taux plus élevé, en particulier parmi un des autres morts et cinq des blessés) qui en était la cause. On apprenait ainsi qu'Atte n'était pas du genre à éviter le public. La plupart des gens ne le connaissaient pas encore, et d'autres pouvaient penser que c'était quelqu'un "dans ce genre-là" sans deviner que c'était le "vrai", puisque l'on ne s'attendait pas à le rencontrer en vrai, sans escorte, habillé comme n'importe qui. C'était sa seule "réduction d'impact": s'habiller aussi banalement que possible, et se peigner sans aucun "effet de style". Il prenait les transports publics en lisant tel ou tel magazine automobile (surtout de "tuning") en français, comme n'importe quel garçon de son âge aurait pu le faire dans le métro, le RER ou les télécabines suspendues qui avaient mis fin, sans bruit, pollution ni emprise au sol, à la circulation des bus en surface (sauf quelques navettes pour handicapés). Il savait qu'il serait regardé, mais en tant que trop blond et trop exempt de défauts, plus que pour avoir été reconnu, et savait que la foule française était assez discrète (surtout par rapport à ce qu'il avait entendu dire en Angleterre) même quand elle identifiait des personnages connus. C'était rarement arrivé, et c'étaient surtout des étudiantes, dans ces transports publics, qui semblaient de temps en temps l'avoir reconnu. Parfois un petit signe, auquel il répondait par un autre, plus discret.
Le 29 juillet et le 1er août sortit "Carton noir" (tourné en mai), où Romain jouait un gardien de but et Vittorio un n°10 dans un film sur les magouilles du football se transformant (entre les marchs) en thriller avec traque de ceux qui en savaient trop (dopage, corruption des arbitres, ainsi que des joueurs, comme celui de son propre camp qui lui avait mis un but à l'improviste). Ca permettait d'avoir beaucoup d'action (y compris les poursuites en voitures, des meurtres, des cassages de genoux, etc) entre les extraits de matchs. On pouvait penser à "A mort l'arbitre", mais le contexte de 2001 avait énormément changé, en particulier les enjeux financiers étaient incommensurablement plus élevés.
L'infographie se concentrait sur le post-traitement des tournages de juin, ainsi que les dernières retouches dans "le Drakkar fantôme" (toujours pas sorti) et les préparatifs du "crépuscule de Rome" dont le tournage démarrait finalement le 6 août, et non en septembre. Il y aurait aussi, simultanément, "l'île ingénieuse" et "Cyberlander", puis "Serranix".

Stéphane aimait les entraînements virtuels, comme ceux qu'il faisait pour "Le crépuscule de Rome": il avait une version simplifiée (mais déjà capable d'avoir l'impression d'y être) de la version tarsinienne de Rome dans les lunettes virtuelles, qui pivotait autour de lui quand il tournait la tête, et où toutes sortes d'évènements survenaient. Un jeu vidéo à immersion totale, qui ne pouvait tourner que sur la "station" à 256 coprocesseur qui lui avait été prêtée pour ces entraînements. Ca l'aidait à oublier la réalité, tout en le faisant sans drogue et en se maintenant en forme. Il nageait aussi dans le lac (ce n'était pas encore trop froid) et passait de longs moment de tendresse enfantine avec Gorak: c'était lui, l'enfant, quand il était avec ce chat. Le travail chez BFRSF avait maintenant peu d'intérêt: contrôler, réparer (ou superviser des réparations, quand il fallait plusieurs personnes), mettre à jour le modèle virtuel et le transmettre en tant que rapport. BFR n'installait plus rien de nouveau ici, tout fonctionnait et l'usine avait atteint ses objectifs pour les "chairs artificielles". Il était souvent prêté pour participer à des interventions techniques chez VTPSF, pour la partie électromécanique ou hydraulique de la robotique d'animation "réaliste", en particulier.
Les effectifs de BFRSF avaient encore baissé: 272 personnes, à la fin de l'été. Timo et Nelli ne travaillaient plus ici, mais dans une usine de "sex toys" située de l'autre côté du village (près de la nouvelle gare). Ca devait être amusant, supposa Stéphane en voyant le catalogue virtuel de l'entreprise sur Lioubioutchaï 2. Outre les "godes" et vibro en tous genres, de toutes couleurs, il y avait les animaux pénétrables animés et une version beaucoup plus réaliste des "poupées gonflables", qui n'étaient plus gonflables mais fermes tout en étant souples, articulées et motorisées: vibrations, pulsations, soupirs, controrsion, aptitude à presser le partenaire contre elle des deux mains, etc. Finlandais et Finlandaises étaient-ils dans une telle absence de communication que les filles préféraient acheter un sexe à piles (rechargeables) et les garçons une poupée animée? Stéphane aurait plutôt pensé qu'ils n'avaient pas ce genre de désirs. Lui-même pensait que son indifférence paisible à ce sujet lui venait de son ascendance finlandaise. Il en conclut que beaucoup de Finlandais ne se sentaient pas concernés par cette question, mais que la minorité à l'être ne trouvait pas de partenaires disponibles donc recourait aux "sex toys". Ca se vendait très bien, lui confirmèrent Nelli et Timo. Il les rencontrerait désormais moins souvent, mais pourrait continuer à communiquer avec ces deux Finlandais aimant communiquer (ce qui était très rare, avait-il constaté) par le Lioubioutchaï 2, de préférence par écrit de façon à pouvoir le faire aussi au travail sans attirer l'attention.
D'autres avaient été recyclés chez VTPSF, qui ne tournant pas toujours la même chose n'était que partiellement automatisé: il fallait sans cesse construire ou modifier des décors, des accessoires ou des mécanismes ayant un nouvel aspect ou une nouvelle cinématique. Ces tâches diverses et renouvellées chez VTPSF l'attiraient plus que le contrôle et la maintenance préventive (rarement curative, désormais) chez BFRSF, et il voyait bien qu'il n'était pas le seul dans ce cas. VTPSF constituait (c'était dans les contrats) un réservoir de main-d'oeuvre pouvant être rappelée par l'usine en cas de besoin.
Il se demanda s'il n'était pas trop vieux pour apprendre à plonger: il savait qu'il était difficile, à moins d'être pendu par les pieds puis lâché ainsi, de pénétrer bien droit dans l'eau. Faire un "plat" de cette hauteur pouvait déjà être fort douloureux, voire dangereux qui c'était sur le dos, supposait-il. Etait-il possible d'utiliser un simulateur? Il devrait ralentir et arrêter le corps sans l'orienter, donc être suspendu à un dérouleur à freinage centrifuge ne serait pas une solution. Un câble de chaque côté, en V, à la ceinture: ça, ça laisserait le corps pivoter d'avant en arrière, donc permettrait de détecter les mauvaises positions d'impact (dans la zone en l'air où l'on aurait convenu que l'eau aurait dû se situer), puis freiner progressivement (fortement mais sans violence) la chute. Il en parla à Mika, chez VTPSF. Le projet intéressa la société de production: si l'on pouvait entraîner sans risque les acteurs à bien plonger, tout en leur montrant les défauts de leur plongeon jusqu'à ce que ce fût correct à chaque fois, il serait possible d'intégrer de très beaux plongeons (d'une falaise, ou dans la piscine découverte d'un hôtel depuis un étage) dans les tournages. Ce fût donc fabriqué, testé avec un mannequin bardé d'accéléromètres (comme ceux pour les crash-test) pour évaluer la secousse de ralentissement acceptable ou non par le harnais relié aux deux câbles déroulés en V du plafond du hangar le plus haut: 38 mètres. Un de ceux utilisés pour les tournages de "Commando 22". Plus bas, un filet lui aussi sur câbles à dérouleurs freinés, puis une petite piscine (5x5m) pour limiter la casse "au cas où". Normalement, les câbles du harnais devaient arrêter le personnage avant le filet.
Une fois le test satisfaisant avec un mannequin dont les membres et le troncs étaient lestés comme Stéphane, ce fut celui-ci qui fit les essais. L'installation intéressa beaucoup Kasperi (qui travaillait chez VTPSF) qui l'utilisa aussi pour tester des acrobaties: rotations avant/arrière uniquement: on ne pouvait pas tester des vrilles avec ce dispositif, pour cause de vrillage des câbles qui se seraient vivement dévriés dans l'autre sens au moment de retenir le personnage en fin de plongeon.
Ce fut finalement une version à autonomie réduite (environ 80km à 75km/h de moyenne routière, et 100 et 150 km en usage urbain, où contrairement au moteur thermique, le moteur électrique était plus sobre que sur route, car il ne consommait qu'au pro-rata de la puissance réellement utilisée) de la Volta 2000 qui fut lancée: la "Donova 500", plus légère que les modèles de la première série: 750 kg à vide, car on n'y avait mis que 40% des accumulateurs au lithium initialement prévus. Il semblait qu'une autonomie électrique routière de 80 km fût suffisante, puisque l'on disposait du moteur à explosion (auto-règlable pour plusieurs carburants, en particulier le gaz de ville, avec le compresseur optionnel pour ravitailler chez soi) pour aller plus loin, avec des performances modestes mais suffisantes dans la pratique, l'appoint électrique restant disponible simultanément pour les relances ou les dépassements difficiles, dès que l'on avait rechargé au moins un groupe d'accumulateurs. Il y avait quarante groupes séparés, fournissant chacun 1/40ème de l'autonomie totale, système assurant des cycles de décharge puis de recharge optimisés pour chacun. En utilisation "hors voyage" on utiliserait pas ou rarement le bicylindre à plat, raison motivant le choix d'un moteur aussi léger que possible, quitte à ne pas privilégier le feutré de fonctionnement (par plus de cylindres) où l'économie en litrage (par un diesel). D'autre part, dans le cas d'un moteur à essence (ou gaz) il fallait mieux avoir à enfoncer plus l'accélérateur d'un petit moteur qu'à moitié avec un plus gros, pour éviter de travailler à pression réduite (donc mauvais rendement) dans les cylindres. D'où une consommation très basse, de l'ordre de 2,5 litres aux 100 en usage routier avec une personne à bord, l'électricité étant sollicitée pour les accélération et "remboursée" quand le moteur thermique n'avait pas un couple elevé à fournir pour faire rouler la voiture: lui en demander un peu plus dans cette situation (sans augmenter le régime) n'induisait pas une surconsommation aussi importante que celle qu'il aurait fallu pour des "relances" (dans d'autres situations) sans l'appoint électrique. Phénomène déjà connu dans d'autres voitures "hybrides", mais qui prenait bien plus de sens avec une petite cylindrée.
Le rapport poids/puissance sans appoint électrique était voisin de celui d'une R4, ce qui était effectivement suffisant pour une circulation paisible sur route et même autoroute (le Cx étant bien meilleur), tout en ayant en cas de besoin des accélérations bien plus vigoureuses, en "empruntant" du courant aux accus que l'on rembourserait ensuite par une moindre puissance thermique disponible aux roues en roulant.
A l'électricité uniquement, la vivacité était un peu meilleure qu'au gaz (sans appoint électrique) grâce au couple élevé disponible tout en bas.
Pendant la montée en cadence de la production d'accumulateurs, les ingénieurs russes avaient eu tout le temps (ça faisait deux ans depuis la présentation du prototype à Francfort, automne 1999) de poursuivre les tests d'endurance et traquer non seulement le moindre défaut de fiabilité, mais aussi d'agrément d'utilisation: petits couinements parasites de joints de vitres (portes sans cadre), bruits de ventilation, agrément de manipulations des commandes et des rangements, hayon "multistable" (en toute position d'ouverture), portes idem. Il y avait des rangements un peu partout, dont l'excellente boite à gant à ouverture par dessus (seule solution intelligente (comme dans la XM, par exemple) mais hélas rare), contrairement au bac par dessous, obscur et pas pratique du tout.
Tout en étant simplifiée pour allègement de masse et de coût, la Donova 500 était pratique et assemblée avec sérieux. Une version utilitaire "mini-fourgon", trois portes sans sièges arrière, 2m25 de longueur intérieure nette de chargement, avec grille de séparation (anti-projection de marchandise) démontable, était proposée pour encore moins cher, ainsi qu'une variante "mini-bureau", quatre portes (une porte arrière à droite uniquement), équipée d'origine avec meuble informatique au flanc gauche, équipements (modifiables) et fauteuil "visiteur" à dossier haut (et non appui-tête séparé) pouvant faire lit une fois déplié ainsi, car étant constitué de sections non galbées, contrairements aux sièges "de route". Cela permettait d'y travailler (dans le tertiaire) et éventuellement d'y dormir bien plus confortablement que sur un siège "de route" mis en couchette, sans prétendre être un mini-camping car car il n'y avait ni kitchenette ni toilettes. Du fait des moteurs électriques et transmissions pour les roues arrière, l'arrière du plancher n'était pas aussi bas que dans une traction simple. Vu le poids de l'ensemble il n'y avait pas de direction assistée: juste un grand volant souple au toucher.
L'une des originalités techniques de la Donova 500 était un freinage sans fluide, électromécanique: électrique à assistance mécanique. Le freinage primaire était électrique: en pinçant le disque, cet étrier était entraîné en rotation et serrait par un levier l'étrier du frein principal. Kermanac'h faisait déjà des freins assistés pour vélos ainsi. Ce n'était "auto-amplifiant" car le second étrier ("de puissance") n'avait aucun effet de basculement sur le premier, dont le couple de freinage (donc d'action sur le second) dépendait uniquement du vissage électrique. Chaque élement possédait deux petits moteurs (moins lourds que ceux des lève-vitres, par exemple) actionnés par des circuits différents. Le frein à main agissait sur les étriers primaires (des quatre roues), étriers suffisants à eux seuls pour immobiliser la voiture à l'arrêt, et qui, si la voiture roulait, fournissait de ce simple fait l'amplification proportionnelle (à la vitesse) du freinage par basculement de ces étriers. Le système marchait aussi en marche arrière: l'éloignement dans l'autre sens depuis la position neutre avait le même effet sur les étriers secondaires. La fonction "stabilisateur de freinage roue par roue" n'existait bien sûr qu'avec la commande électrique, qui permettait une modulation bien plus douce (tout en étant très rapide s'il le fallait) que les électrovannes nécessaire à la stabilisation de freinage (ABS ou équivalent) dans les systèmes hydrauliques.
Cette fois c'était l'industrie traditionnelle (l'automobile grand public, d'entrée de gamme) qui était frappé par cette nouvelle offensive russe, ce qui fit des dégâts en France, en Italie, au Japon, en Corée, etc. Un peu moins en Allemagne car ce pays était moins spécialisé dans les petites voitures. La Finlande n'était pas concernée car elle n'avait pas d'industrie automobile.
La Donova 500 ne concurrençait pas toutes les petites voitures européennes: elle n'était pas "sportive", sa supension délicieusement souple rappelant celle d'une R4 (mais avec moins gîte en virage du fait de voies plus larges et d'un centre de gravité plus bas, dû aux accumulateurs), elle avait des pneus plutôt étroits (ce qui n'était pas la mode mais suffisait compte tenu du poids, en plus de diminuer la tendance à l'aquaplanage), elle n'attirerait pas les gens accordant beaucoup d'importante à la "sécurité passive" (or ils étaient minoritaires, en France) car il n'y avait pas d' "airbags", seule la vitre du hayon était à commande électrique (les autres à manivelle), le choix de couleurs était limité (argent, or, bronze, "saphir", "émeraude", "rubis"), vernis transparents utilisant l'éclat non pailleté de l'aluminium sous-jacent, contrairement aux particules des peintures métallisées classiques. Une seule motorisation disponible, quelques doutes dans le public sur la longévité des accus. Il y avait quelques options pour les roues, dont les jantes "vides", faite d'une étoile à trois branches noir mat en fibre de carbone derrière une "vitre" de polycarbonate, astuce permise par le fait que les freins n'étaient pas dans les jantes donc qu'il n'y avait pas à y laisser entrer d'air de refroidissement, et ils n'échaufferaient pas les jantes. Seul le bord extérieur (démontable: système "Roulaplat") était métallique, tant pour raison mécanique que pour l'esthétique. Le choix de jantes synthétiques (en grande partie) n'était pas en soi une première: ça avait déjà été le cas pour la SM en compétition, jantes aussi proposés aux clients mais moins choisies car d'un aspect moins flatteur que celles en aluminium. De ce fait, malgré l'ajout de l'entretoise bloque-talons et anti-affaissement dans le pneu (avant montage), les "masses non suspendues" étaient fortement réduites, en plus d'avoir déjà débarassé les moyeux des freins (comme ça avait été le cas dans les 2CV, les DS, etc) et de n'avoir pas cèdé à la mode des jantes larges et de grand diamètre pour une voiture de ce poids. La suspension était à double triangles (métalliques) à l'avant comme à l'arrière, le triangle supérieur arrière étant en fait "médian" et constitué d'un tube protège-transmission, l'autre branche (vue depuis le moyeu) s'encrant plus en avant. Donova avait envisagé de reprendre le système "Viraplat" Kermanach', d'où un montage à barres de torsion longitudinales à l'avant comme à l'arrière, aboutissant dans des paliers communs dans la traverse de renfort central sous les sièges avant, mais la tenue de route de la voiture s'avérait suffisante sans ce dispositif (penchait nettement mais en adhérant bien, grâce à la suspension souple à grands débattements et faibles masses non suspendues) qui n'avait donc pas été installé: des pièces et du poids en moins. La hauteur de caisse était toutefois règlable à l'aide de la manivelle, à planter entre les sièges avant. Cela agissait sur toutes les roues, pas juste à l'arrière comme certains l'auraient souhaité, surtout dans la version utilitaire. Le but était surtout de pouvoir augmenter la garde au sol sur mauvais chemin (mais à l'huile de coude, contrairement aux systèmes hydropneumatiques) sans être continuellement "haut sur pattes" par construction, pour l'aérodynamisme et la stabilité en virages rapides. Il restait plus simple et plus rapide d'utiliser le cric en cas de crevaison, car dans ce cas on soulevait un angle de la voiture, et non la totalité comme avec le règlable central, plus démultiplié pour cette raison. Crevaison: déposer le pneu (et non la roue), en retirant le bord de jante (boulons + blocage à baillonnettes) puis l'entretoise du pneu (par ovalisation), boucher le trou par l'intérieur (ou changer le pneu), remonter. La seule opération demandant un peu de force était de faire sortir l'entretoise du pneu, mais dans la pratique il suffisait de s'assoir dessus pour l'ovaliser et réussir à déboiter un bout de l'anneau entretoise. "Ca prend moins de temps que pour un vélo, et on est sûr que la réparation tienne bien puisqu'elle est collée par dedans".
La multimotorisation était un gage de fiabilité pour l'acheteur: même si le moteur thermique avait un pépin, on pouvait continuer un certain temps à l'électrique, selon la charge des accus. De même que la voiture était utilisable sans les moteurs électriques, et il était fort peu probable d'avoir des pannes partout en même temps, s'agissant de pannes de nature complètement différente. Même si c'était un problème de transmission, toutes les roues étant motrices (même si le moteur thermique n'entraînait que l'avant) on ne se retrouvait pas immobilisé. On pouvait rouler crevé (pas trop vite: le constructeur fixait la limite à 50 km/h) sans endommager jante ni suspension et réparer soi-même (sauf grosse déchirure) sans épreuve de force: le pneu n'était ni emboité ni collé dans la jante mais coincé par ses talons entre les deux bords (dont le démontable servant de presseur) et la base de l'entretoise annulaire. Pas de liquide de frein. Pas de liquide de refroidissement (en fait c'était l'huile qui jouait ce rôle, le refroidissement n'étant pas si "par air" qu'il n'en avait l'air). Pas d'embrayage à friction (c'était le moteur électrique avant qui permettait de démarrer en prise (moteur thermique décraboté) après avoir servi de démarreur, puis de passer toutes les vitesses sans friction, en ajustant le régime pendant les phases décrabotées. Il restait les plaquettes de freins et les pneus, comme pièces d'usine.
Apprécié des technophiles, le tableau de bord vidéo (et pour moins cher à monter, en fait: un seul écran d'ordinateur portable de faible définition (1024x256: format 4/1) remplaçant tout un tas de cadrans et de jauges, tout en servant en même temps de SPS (et non "GPS"). Seul le totalisateur kilométrique était mécanique. Même principe que dans les avions modernes: on affichait ceci ou cela selon les besoins. La vitesse restait affichée tout le temps, en chiffres, par dessus les autres configurations ou dans l'angle droit (plus vers le centre de la voiture) mais pouvait aussi prendre l'aspect d'un compteur classique (rond, carré ou en demi-cercle), de même que le compte-tours et les autres afficheurs. Une partie de l'écran pouvait afficher l'image (grossière: 256 lignes, mais ça s'avérait suffisant à l'usage) de la caméra de recul (ce qui n'inclinait vers le bas) en haut de hayon, qui servait aussi de rétroviseur supplémentaire sur route, asymétrique (une ligne de mire indiquait la vraie direction arrière) pour surveiller le trois-quart arrière, là où l'on se faisait traditionnellement surprendre par un dépassement en cours, bien que ce modèle eût peu d'angles morts. C'était encore plus utile pour le "mini-fourgon", surtout quand il était bien rempli. La visière anguleuse du tableau de bord rappelait celle de la XM (première mouture), en plus souple au toucher, ressemblant au couvercle de la boite à gants quand il était ouvert. Autre utilisation d'une partie du tableau de bord: le "préviseur" (par opposition au rétroviseur), caméra dépassant un peu vers l'extérieur (comme un rétroviseur de camion, mais en plus petit) de l'angle supérieur gauche du pare-brise, pour jeter un coup d'oeil avant de dépasser sans trop de dépasser: ça rendait le même service que se sortir la tête vers le haut par la vitre, sans avoir à le faire. La "sécurité passive" intéressait bien moins les acheteurs (sauf dans quelques pays comme la Suède) que la "sécurité active": tout ce qui permettait de mieux anticiper et éviter les accidents, or voir trop tard ce qui arrivait derrière ou d'en face était une cause fréquente d'accidents. L'ajout de "webcams" basse définition coûtait fort peu et y contribuait beaucoup, tout en simplifiant agréablement l'exécution d'un créneau: on voyait derrière comme si on était couché à plat ventre sur le toit. Le système de freinage efficace y contribuait. Côté sécurité active, c'était surtout la conception des ceintures (en "X", verrouillage ventral, à deux enrouleurs: une version "civilisée" et très facile d'emploi du modèle de rallye), des sièges, du volant (très aéré, contrairement la lourdeur des modèles avec "airbag") et de la planche de bord, ainsi que le rembourrage du "pied milieu" (choc latéral) qui suffisaient à obtenir sans airbags quatre étoiles (et non cinq, certes) aux tests européens. Donova précisait "notre sens de la sécurité est aussi de ne pas commercialiser de voitures à trois portes ayant des sièges à l'arrière". La "trois portes" vitrée existait, mais était une version vitrée de l'utilitaire: ni sièges, ni ancrages pour en mettre.
Beaucoup de gens étaient tentés par la Donova 500, mais cette voiture offrant beaucoup d'inovation pour le prix de celles n'en comportant aucune (et souvent moins logeables) il y avait un scepticisme général quand à la fiabilité. Le service après-vente de posaient pas de problème, deux chaînes d'hypermachés assurant la vente et l'entretien de la Donova 500. Depuis l'ELR le monopole des concessionnaires n'existait que pour les marques l'exigeant, encore qu'elles en décidassent modèle par modèle: elles pouvaient donner le feu vert pour vendre une de leurs petites voitures en grande distribution, par exemple, mais pas des autres. A part les technophiles qui avaient pris le risque de l'acheter "avant qu'il n'y en ait plus" (une rumeur d'insuffisance de production d'accus circulait, suite à la réduction de l'autonomie par rapport à celle prévue initialement), beaucoup attendaient que quelqu'un qu'ils connussent en eût un depuis "un certain temps" pour savoir si c'était fiable et si ça fournissait bien les prestations annoncées.
"La 2CV du nouveau millénaire serait-elle russe?", l'avait appelée un magazine, en raison de la géométrie de son moteur, de sa légèreté, d'un prix modique et de nombre d'astuces techniques intéressantes par rapport à ce qui se faisait à son lancement. La douceur de suspension pouvait aussi y faire penser, tout en se balançant moins en virage. La netteté géométrique du style évoquait plus une petite "Espace 3".
Premières victimes commerciales: les voitures "hybrides" japonaises, beaucoup plus chères et plus lourdes: des voitures à essence avec un appoint électrique de courte durée, et non une voiture principalement électrique avec petit moteur à essence (ou gaz) pour les grands parcours. Hors voyages, on utilisait la Donova 500 comme une voiture "tout électrique", en la rechargeant sur secteur, donc à un coût d'énergie et d'entretien minime. Le carnet d'entretien comportait des fiches spécifiques au moteur thermique, lié à son propre compteur de millions de tours et non au kilométrage de la voiture. Les puces (rémanentes) notaient telles des boites noires toutes les actions de conduite, pour prédire si ceci allait s'user avant cela donc mieux planifier la maintenance, déjà plus légère que pour une voiture classique.
On demanda à Donova pourquoi ils n'avaient pas choisi un moteur diesel:
"le poids et le coût d'un moteur diesel ne se justifieraient que pour une utilisation essentiellement routière, et non comme moteur de relai au delà de l'autonomie électrique qui s'avèrera suffisante pour la plupart des trajets effectués par la plupart des acheteurs et ne proposer qu'une seule motorisation simplifie la fabrication, même si nous sommes conscient qu'une partie de la clientelle potentielle aurait pu trouver avantage à une version diesel. N'oublions pas que c'est principalement une voiture électrique dont la motorisation thermique est un complément permettant de résoudre, lorsque c'est nécessaire, le problème de l'autonomie, car dans l'état actuel du prix des techniques, une voiture uniquement électrique ne conviendrait que pour une utilisation locale. La Donova évite d'avoir à en acheter ou louer une autre pour aller plus loin".
Les plus gros acheteurs précoces furent les loueurs: ils savaient que beaucoup de gens hésitaient à acheter cette voiture, tout en étant tentés, donc que pouvoir la louer pour être sûrs de leur décision les intéresserait. De plus, en étudiant la voiture leur service de maintenance trouvait qu'elle serait probablement peu sujette aux pannes (on ne pouvait maltraiter ni le moteur thermique ni la boite de vitesses, tel que l'informatique les gérait, et les "boites noires" se souvenaient de tout) et que son entretien était simple. La seule interrogation venait de la longévité réelle des accus et du suivi ou non de cette production dans le temps par les Russes. On trouvait déjà souvent la CRT de Kermanac'h en location: voiture originale, séduisante, avec sa ligne basse et son toit rigide escamotable, mais trop peu logeable et trop chère (quoique pas plus qu'une grosse familiale banale) elle n'était pas un achat raisonnable pour la plupart des gens. C'était une voiture attrayante à louer un week-end, d'autant plus que fiable et peu coûteuse d'entretien le tarif de location n'était pas dissuasif, contrairement à d'autres voitures "passion".
Ce fut un sujet de conversation avec Leo, qui avait eu l'occasion d'en essayer une quelques jours plus tôt, chez sa cousine.
Stéphane allait pour la première fois tenter un plongeon (simple, et du "5m") dans la vraie piscine, avec le bonnet à pointe. La pointe participait peu à fendre l'eau (trop molle pour ça), mais l'effet placebo n'était pas négligeable. Ca se passa mieux qu'il ne s'y attendait: plongeon légèrement dorsal, mais sans produire une claque dans le dos. Il recommença, ce fut légèrement ventral. Et ainsi de suite. Il n'eût qu'un seul plongeon désagréable (trop dorsal) sans être douloureux. Ca commençait à rentrer, mais le "dix mètres" ne serait pas pour ce mois, ni peut-être pour cette année.
Petit à petit, et souvent avec Gorak sur lui, Stéphane vit tous les épisodes de Lobosibirsk, parmi lesquels les onze dans lesquels Atte remplaçait Jarkko comme l'assistant du Pr Trepanaïev. Cette série lui plaisait, et il espérait que VTPSF ne tenterait pas d'en faire un film: l'installation dans la durée, au film des épisodes, contribuait à l'ambiance. Compresser ceci dans un film en eût fait autre chose. "Rats des villes, rats des champs" durait depuis bien plus longtemps, chaque épisode étant l'occasion de raconter l'histoire d'un à trois nouveaux personnages, souvent des rôles d'un seul épisode, parfois destinés à en durer un certain nombre.
Lobosibirsk s'exportait bien, car le contexte soviétique justifiait l'exotisme de ses personnages et de leur attitude. La vodka coulait à flot dans le CHU de Lobosibirsk, dès que les étudiants (et même les titulaires) ne se sentaient plus surveillés.
Depuis la mort d'Atte il avait compris que c'était ce qu'il avait eu de plus près de la notion "d'ami": un très bon copain, au moins. Ici il avait quelques camarades, le mot "copain" étant déjà exagéré en ce qui concernait celles et ceux qu'il connaissait en Finlande. Il avait entendu dire que l'on n'avait l'occasion de se faire d'ami que très rarement, le plus souvent en combattant ensemble un péril ou un ennemi commun: "la solidarité face à l'adversité". Cette situation ne s'étant pas présentée, cela expliquait qu'il n'eût pas d'ami: il n'avait d'ennemi en commun avec personne, faute d'avoir d'ennemi. "La valeur d'un homme se reconnaît au nombre de ces ennemis", disait-on aussi. Valeur d'Aymrald Dambert: zéro, à moins qu'il eût des ennemis qui ignorât. "Je n'ai pas l'honneur d'être de ceux que l'on aime haïr", s'amusa-t-il à déclamer. Trop peu de personnalité, probablement: ce qui lui avait garanti une enfance sans conflit sérieux (pas même avec ses parents) pouvait expliquer cela. Il supposait qu'il pouvait susciter de l'envie, mais n'en jouant pas (ce n'était pas dans sa programmation) cette envie n'engendrait pas d'hostilité importante ni durable. Chez BFR, il avait toujours appris ce qu'ils lui avaient demandé d'apprendre, et fait comme indiqué. Il suivait le mode d'emploi et ça marchait (même pendant les pannes). Chez VTP aussi, et tout s'était bien passé. Ils avaient fait de lui un superviseur industriel compétent pour s'occuper de l'usine finlandaise... qui pouvait facilement s'en passer, maintenant, et un acteur apprécié du public. On disait même (hors VTP) qu'il était "bon" dans ses rôles. Stéphane savait pourquoi: on l'y entraînait avec précision, et les ces rôles ne lui étaient attribués que parce que VTP savait qu'il y fonctionnerait bien. Sa vie était un rôle écrit sur mesures par BFR et VTP, et qu'il se sentait apte à jouer jusqu'au bout. Tout était faux, sauf lui-même: vrai blond, yeux vraiment de ce vert-là (ce n'était pas une amélioration numérique à l'image), dents presque aussi blanches en vrai qu'au cinéma (on ne trouvait pas en vrai le "blanc lavabo" utilisé à la télévision et au cinéma, mais il n'en était pas loin, au naturel), cette peau de pêche qui lui conserverait très longtemps l'air jeune et frais, nez d'origine, tout d'origine: aucune opération. Il avait même quelques atouts métaboliques rares (communs à Mika) qui ne se voyaient pas au cinéma. Il faisait attention à n'endommager ni la machinerie (en la remplissant de trop de nourriture et en ne s'en servant pas assez ou en brutalisant les articulations) ni la carrosserie. VTP avait fait croire au public qu'il était bon acteur, en prédéfinissant ses rôles dans les moindres détails, lui-même savait qu'il n'était qu'agréablement fait, souple et rapide, et que c'était ça que VTP louait pour les films, tout en laissant croire par la façon de l'utiliser que ce n'était qu'un supplément gratuit n'ayant pas d'importance réelle pour le rôle: celui-ci et l'attitude des autres personnages face à lui n'en étaient nullement influencés. Un personnage au physique anonyme (sans être laid non plus: du "sitôt vu sitôt oublié") eût été crédible dans le même comportement, à condition de savoir faire la même chose. L'aptitude à imiter fidèlement le modèle virtuel de mouvements et d'attitudes comptait aussi, mais Erwann ne savait pas qu'il était plus doué pour cela que la plupart de ceux que VTP y avait essayés, tout particulièrement les Finlandais, d'où l'attribution des rôles principaux de "Drakkars et dragons" à des Danois et Suédois, moins impassibles ou sachant feindre de ne pas l'être. Parmi les rares exceptions: Atte, d'où la catastrophe de sa disparition pour VTP: des garçons finlandais à peu près aussi agréables à regarder (lui ressemblant ou non), ils en avaient, chez VTPSF, mais aucun ne donnait l'impression vivante d'Atte, n'en avait le charme, donc ne pourrait le remplacer dans des rôles moins finlandais que ceux de VTPSF.

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