vendredi 10 avril 2009

chapitre N-19

Fulgence raconta ce qu'il avait appris de la flore et de la faune locale, et leur révéla que l'un des aliments qu'ils appréciaient, dans leur captivité, était préparé à base d'insectes capturés au filet, la nuit, grâce à des lampes à alcool pour les attirer, triés dans le filet (ils relâchaient sans les blesser ceux qui ne les intéressaient pas: "ils faut qu'ils puissent voler pour que les oiseaux les mangent, et que nous, nous puissions manger des oiseaux bien nourris") puis grillés et écrasés pour former cette "charcuterie sèche" si savoureuse. L'ordinaire qui leur était servi était une soupe de poissons et d'algues commestibles. Pas mauvaise, mais pas enthousiasmante non plus: juste nourrissante. Les petites galettes d'insectes leur plaisaient plus, même après avoir appris par Fulgence de quoi elles étaient faites. Il avait observé la chasse aux oiseaux, à l'aide d'arc et d'arbalètes (pour tirer plus loin, et non des projectiles plus lourds) munis de lunettes de visées binoculaires: le règlage télémétrique commandait aussi la correction de hausse (facteur bien plus important pour un arc que pour un fusil, le projectile étant plus lourd et moins rapide donc plus dévié par la pesanteur qu'une balle), ce qui rendait cette arme d'une précision redoutable, avec des flèches fines enduites d'un poison tétanisant qui disparaissait à la cuisson: le "poison de chasse", sans danger lors de la dégustation des chairs.
Henri avait vu et surtout entendu les machines musicales: les îliens ne jouaient pas eux-mêmes d'instruments, mais peaufinaient par écoutes successives les règlages d'instruments automatiques: mécaniques (gongs, carillons, tambours, cordes frappées, pincées ou frottées), à vent ou hydrauliques (la hauteur d'eau dans un tube modifiant la note), déclenchés par des systèmes de type "boite à musique" eux-mêmes pilotés par d'autres séries de déclencheurs mécaniques, permettant ainsi de répéter un "motif" (joué par une "boite à musique" à cylindre) plusieurs fois, mais pas tout le temps (laissant place à d'autres) ni avec le même accompagnement ou la même transposition. Les sous-automates qu'étaient ces séquences "boite à musique" devenaient à leur tour des méta-instruments, déclenchés par d'autres boites à musique, ce qui permettait d'obtenir des oeuvres musicales complexes, comportant plusieurs types de "mouvements", sans avoir à tout encoder sur des rouleaux déclenchant directement chaque note de chaque instrument. Le système à "cordes frottées" ressemblait à une vielle à roue, ce qui imitait à peu près le violon, selon la forme des cames qui agissaient sur les cordes, et la distance à laquelle elles agissaient (ce qui modifiait la note produite). Composer de la musique revenait à repositionner des taquets sur les cylindres tournants des diverses parties de l'orchestre automatique, ce qui modifiait soit un motif, soit un mouvement (pilotage d'un ensemble de motifs vers tels ou tels instruments) soit l'architecture générale de toute l'oeuvre, en modifiant le "chef d'orcheste", celui qui était le plus loin dans la cascade de commandes de l'exécution note à note, instrument par instrument. Il n'y avait pas de partition "générale", mais des sous-ensembles pilotant d'autres sous-ensembles et ainsi de suite (mais pas sans fin: en général il y avait trois ou quatre niveaux). Un petit changement quelque part pouvait ainsi transformer la totalité de l'oeuvre musicale, pour le meilleur ou pour le pire. Henri avait appris que les premiers motifs mélodiques inédits, sur l'île (en dehors de ceux apportés avec les traditions vikings, musique rudimentaire) avaient été conçus pour imiter les chants des oiseaux, qui étaient probablement à l'origine de la notion de mélodie chez la plupart des peuples ayant composé. Pour ne pas perdre de temps à s'appliquer à bien jouer, les premières boites à musique (de type xylophone en bambou + cylindre à cames et série de marteaux) avaient vite été bricolée, le problème des instruments à vent automatiques ayant été résolu plus tard, au moyen d'une sorte de biniou dont le mécanisme fermait ou ouvrait des trous, tandis que le "musicien" (qui ne jouait pas réellement) pompait pour maintenir le sac de cuir sous pression et faisait tourner le mécanisme entraînant ceux des divers instruments, fonction pouvant aussi être confiée à une éolienne, auquel cas (dans un premier temps: les variateurs automatiques à cliquets y avaient remédié plus tard) le tempo dépendait de la vitesse du vent. La musique automatique lassant par sa répétitivité (mais beaucoup de musiques "traditionnelles" avaient le même travers) les îliens, aidés par les horlogers et arithméticiens (ceux construisant les machines à calculer) avaient introduit les "séries variables de motifs", puis "série variable de séries", avec "réponses" d'un groupe d'instrument à l'autre (et pas toujours de la même façon, mais dans la même ambiance), et ainsi de suite, jusqu'à arriver à une musique qui ne soit ni répétitive, ni "décousue": on reconnaissait, d'une partie à l'autre, sans être une réédition à l'identique. C'était très stucturé, et au fil des siècles quantité d'astuces, voire de "lois" (à la façon des lois mathématiques) avaient été découvertes pour concilier sur de longs morceaux homogénéïté et renouvellement. Des instument bien trop compliqués pour être joués par un humain (il eût fallu trop de doigts et au moins cinq cerveaux) furent construits, car ils ne posaient pas de problème dans un système mécanique à pilotage structuré.
On simplifia, au fil du temps, la substition des rouleaux à crans, cames et autres dispositifs de précodages de ceci ou cela, de façon à pouvoir plus vite essayer de nouveaux morceaux. Il n'y eut pas de standardisation: ce qui avait été conçu pour tel orchestre automatique ne pouvait être joué dans tel autre (beaucoup avaient été construits, au fil du temps), même si certains instruments pouvaient réutiliser les dispositifs codeurs d'autres, car ceci permettait, à l'intérieur du même orchestre, de changer d'instrument pour jouer tel ou tel motif sans avoir besoin de l'encoder plusieurs fois, ce qui permettait de le changer d'un seul coup partout où il servait, sauf s'il devait être joué simultanément à des vitesses différentes (un contrepoint "homothétique" ou "fractal", dirait-on de nos jours), auquel cas il en fallait plusieurs exemplaires. Etre joué déphasé (en "canon") ne demandait qu'un exemplaire, mais deux séries de déclencheurs déphasés contre le rouleau.
Grâce aux machines à calculer et à des tables de transpositions, de la génération automatique d'accompagnement (selon la mélodie) fut tentée. Toutefois, ce système n'étant pas un ordinateur (même mécanique) il ne pouvait mémoriser des impasses pour revenir en arrière essayer d'autres solutions jusqu'à pouvoir mener le contrepoint jusqu'au bout. Ca pemettait juste, dans des cas simples, de gagner du temps en n'ayant pas à mettre à jour soi-même les rouleaux d'accompagnement quand on retouchait un motif mélodique. Si le résultat ne convenait pas à l'oreille, il fallait le faire manuellement. Les rouleaux en métal dotés de picots emboitables à l'aide d'une petite pince avaient entretemps permis de miniaturiser ces systèmes par rapport aux premières version en bois et en os.
Le grammophone fut inventé vers 1380 (occidental), dans un premier temps sans enregistrement direct: on s'était aperçu assez vite qu'une vibration mécanique (d'un tracé) pouvait produire un son quand on y laisser frotter un objet léger. Le son variait selon la vitesse, et selon que les ondulations étaient serrées ou non. Une machine automatique pouvait ainsi graver dans du cuivre non plus des notes (commandes règlant ou actionnant une partie d'un instrument) mais directement du son. Toutefois cela faisait peu de bruit (même en reliant le stylet par un fil tendu à une membrane) et ça prenait plus de place à graver que les notes. Personne ne découvrit que l'on aurait aussi pu enregistrer (dans de l'argile crue que l'on aurait cuite ensuite?) par ce moyen. Certains y avaient pensé, mais aucun ne réussit: on ne réobtenait rien qui ressemblât au son initial car les matériaux utilisés ne s'y prêtaient pas: rien n'était à la fois assez tendre pour être gravé au son tout en étant assez dur pour résister au "labourage" (bien que léger) de relecture. La gravure dans l'argile s'émoussait après sèchage et cuisson. La solution aurait pu être une couche de cire fine sur du métal qui aurait ensuite été attaqué par un acide là où la cire aurait été gravée, mais tous les essais échouèrent aussi: ce n'était ni assez précis, ni assez profondément gravé. D'autres idées ayant elles aussi échoué, les îliens gardèrent en mémoire qu'il n'était pas possible d'enregistrer des sons par gravure mécanique, et on ne perdit plus de temps sur cette cause perdue, de même que l'absence d'argent (métal) sur cette île aurait rendu impossible d'inventer la photo, même s'ils avaient connu la recette. Ce que l'on avait découvert bien avant, c'était que le son pouvait faire vibrer un petit miroir collé sur une grande membrane ce qui était amusant si on envoyait le soleil pile dessus via un autre miroir, chronoorienté: les îliens savaient déjà faire des miroirs renvoyant longtemps le soleil au même endroit au cours de la journée, à l'imprécision de l'horlogerie près, ceci en agissant sur deux axes (l'un lent: est-ouest, et l'autre très lent: nord-sud, avec un maximum parabolique à midi local).
Ce qui fut par contre trouvé, ce fut la mise en résonnance de cordes reliées à des membranes en présence de sons, et seulement de certaines cordes, de même qu'au passage d'un camion dans une rue, certains carreaux d'une fenêtre vibraient et pas d'autres, selon leur taille, leur épaisseur et le régime moteur du camion.
Il fut ainsi possible, avec la miniaturisation des pièces d'horlogerie et de machines à calculer au fil du temps, de créer des "spectromètres" audio, inscrivant sur un rouleau de cire (et cette fois, indirectement, par déclenchement d'un mécanisme plus puissant) non pas les vibrations, mais leur début et leur évolution pour chaque corde. Il suffisait alors, supposaient certains, de recopier en dur cet historique gravé dans la cire, et de construire une machine donnant cette amplitude de vibration à chacune des cordes concernées, ce qui fut tenté par friction, en approchant plus ou moins des roues. Le résultat était très mauvais, mais i y avait "quelque chose": c'était différent pour un "o" ou un "a", et pour les consonnes continues. Pour les consonnes discontinues (b d g k p t) l'enregistreur n'avait pas le temps de réagir. Le rêve de commander à une machine par la parole (par exemple dire les nombres au lieu de devoir tourner manuellement les éléments un par un pour poser une opération) naquit et fut longuement traqué. On réussit assez vite à faire détecter à la machine un air sifflé, car ça provoquait une réponse nette sur une des cordes résonnantes et bien moins, voire aucune, sur les autres. Ces chercheurs avaient reproduit un modèle mécanique grossier, mais fidèle dans son principe, de l'oreille interne humaine: des cils résonnants (au lieu des cordes) détectait telle ou telle fréquence dans le son entendu, et transmettait ces informations au cerveau, au lieu de la fréquence elle-même que la lenteur de commutation électrochimique des neurones n'aurait jamais plus suivre: ceux-ci fonctionnaient à quelques dizaines de Hz, pas des centaines et moins encore des kHz. L'information "spectrale" captée par les cils résonnants autorisait une lecture bien plus lente, elle: "du 8000 Hz de telle force", et non les huit mille oscillations par secondes reçues par ce cil.
Le dispositif fut miniaturisé au fil du temps, gagnant en précision dans les aigûs, et permit de commander des dispositifs en sifflant des notes, donc sans les mains. On chercha plus tard à rendre la machine capable de reconnaître des accords sifflés à plusieurs (ça, ça marchait bien) et des successions de notes (là, ça devenait très compliqué techniquement, car il fallait l'équivalent de mémoires...) dans le but de reconnaître automatiquement les oiseaux, ce qui aurait été un début d'intelligence (animale) artificielle, selon les expérimentateurs.
Sans le savoir, les îliens avaient conçu une machine réalisant une transformation de Fourier du son. Hélas la machine destinée à rejouer ceci ne le faisait pas avec une précision suffisante (comment obliger une cordre à vibrer selon une certaine courbe d'amplitude?) pour reconstituer le son de façon reconnaissable (les ménates et péroquets le faisaient mieux, mais il n'y en avait pas sur l'île), mais s'il s'agissait de siffler un air pour le faire rejouer par un instrument, ça marchait bien à condition de ne pas chercher à le faire en direct sous peine d'un effet d'écho (plutôt que du "larsen" car ce n'était pas le son lui-même qui était reproduit, mais seulement les notes détectées) empêchant de lui faire entendre la suite.
Pierre expliqua l'arithmétique locale, et l'existence d'une machine à diviser mécanique assez rapide, qu'il avait été autorisé à manipuler mais donc on ne lui avait révélé le principe interne de fonctionnement. Parikèn semblait intéressé par les règles à calculer.
P- je pense qu'ils ne connaissent pas les logarithmes.
A- beaucoup de nos compatriotes s'en passent fort bien eux aussi. Ce Parikèn ne les connaît pas, mais ça ne signifie pas qu'ils les ignorent tous.
Fulgence- occupés que vous étiez à participer à ces échanges de connaissances, avez-vous remarqué qu'une partie très personnelle de votre anatomie ne fonctionnait plus? J'ignore si c'est dans la nourriture qu'ils nous donnent ou s'ils nous ont fait quelque chose après nous avoir endormis avec leur gaz, mais tout est calme, si vous voyez ce que je veux dire.
Georges, avec son collier de barbe de professeur pour cours magistral, était le plus "galtonien" des scientifiques de l'expédition, et avait une explication:
G- ils nous considèrent comme génétiquement indésirables pour la reproduction, voilà tout. Pour ce peuple qui ne transpire pas, malgré le climat, et qui ne semble pas avoir plus de pilosité que des enfants, tout en étant plus grands et plus forts que nous, nous devons avoir l'air de chaînons manquants entre le singe et l'homme, quelque part dans le tableau d'évolution de Darwin. Je dois dire que sur le plan de la chirurgie ils sont assez avancés: la blessure aux bras qu'ils m'ont recousue et pansée [il l'avait subie lors d'une chute pendant la descente de l'arbre] ne s'est pas du tout infectée, malgré la chaleur, et la cicatrice est presque plate. De plus je n'ai pas souffert pendant les travaux. Celui ou celle qui m'a nettoyé et recousu le bras portait un de ces haumes respiratoires, et se badigeonnait les mains d'une sorte de gelée, la même qui avait été appliquée sur mon bras. Ils ne connaissent probablement pas Pasteur mais il sembleraient qu'ils pensent comme lui, pour les risques infectieux. Si nos hôpitaux opéraient ainsi, il y aurait certainement moins de complications ensuite.
F- c'est peut-être aussi parce que nous sommes une race inconnue, pour eux, donc qui pourrait apporter des maladies contre lesquelles ils ne seraient pas immunisés, comme cela s'est produit pour les peuples des Amériques. Les oubliettes dans lesquelles nous avions été mis devaient servir de système de quarantaine.
G- ce qui est clair, c'est qu'ils nous gardent par curiositié scientifique, tout comme nous le ferions pour des hominidés inconnus. Ils ne nous ont pas mis en esclavage et je doute qu'ils aient comme objectif de nous manger, sinon ce serait déjà fait: la nourriture qu'ils nous apportent n'est pas suffisante pour nous engraisser.
Toutefois, George, Fulgence et Philippe (l'homme à tout faire, le plus fort des cinq) se retrouvèrent bel et bien aux travaux forcés, bien que sans brutalités inutiles: uniquement en cas de rébellion. En cas de travail insuffisant, la nourriture habituelle était remplacée par une pâtée bien moins appétissante, tandis qu'à l'inverse, le zèle donnait droit à des "extras", dont des fruits frais et des biscuits à "on ne sait quoi" de plutôt agréable. Les deux ingénieurs, Henri et Pierre, se retrouvaient devoir expliquer Parikèn et un des autres îliens comment fonctionnaient les diverses machines du dirigeable, qui entretemps avait été entièrement descendu de l'arbre, en coupant certaines branches et en utilisant des palans à démultiplications. Rien ne semblait avoir été endommagé par la manoeuvre. Les locaux avait assez vite sû faire tourner les machines à vapeur. Il restait beaucoup d'alcool et ils savaient en fabriquer. Ils voulaient surtout savoir comment les étrangers s'y étaient pris pour enlever l'air dans le ballon sans qu'il ne s'applatît: ils avaient donc compris que c'était comme un bateau, mais sur l'air (ils l'avaient peut-être vu arriver, pendant la tempête) mais semblaient ignorer que l'on pouvait gonfler avec un gaz moins lourd que l'air, au lieu de chercher à faire le vide. Ils disposaient de pompes aspirantes à longues colonnes d'eau, pour ce type d'expérience: en basculant la colonne (faire de bambou décloisonné et renforcé) vers le bas, l'eau tirait l'air donc créait une dépression. Sans pouvoir obtenir un vide poussé, ce dispositif aurait suffi à le raréfier assez pour faire voler un récipient ainsi vidé, à condition qu'il fût vaste et léger, comme le dirigeable, et ne s'applatît pas lors de la mise en dépression.
Pierre eût droit à des démonstrations de planeurs (technique encore embryonnaire d'où il venait), lancés par une immense arbalète (mettant à contribution une des éoliennes "carroussel" pour remonter le dispositif) et planant assez longtemps, dirigé en dépaçant le corps du pilote sous la "poutre" (fuselage en bambou fin et dur) dans un harnais, et non en modifiant la forme du bord des ailes ou de la queue. Ce modèle s'inspirait des grands oiseaux marins qu'ils avaient dû voir planer longtemps sans battre des ailes. La question devenait alors: pourrait-on en construire un assez grand (sans rupture de la structure des ailes sous l'effort) pour y suspendre la machinerie du dirigeable: la chaudière à alcool, et les hélices motorisées? C'était en 1875 donc l'Eole n'avait pas encore été construite, même si l'idée était déjà dans l'air (en attendant de pouvoir le prendre pour de bon).
Les navires étaient eux aussi originaux: des catamarans comportant une roue à aubes centrale, entraînée par les pieds des "pédaleurs" (et non rameurs) tirant des cordes via des étriers, dans chaque coque: quatre séries de paires de jambe, donc un temps tracteur par quart de tour, avec un vilebrequin à chaque bout: ça marchait beaucoup mieux que de ramer, la force d'une jambe valant celle de plusieurs bras, de plus ça laissait les mains libres pour pêcher. Il y avait des gouvernails aux deux proues et deux poupes, synchronisés entre eux par des barres transversales et des cordages longitudinaux, ceci compensant la résistance à virer de deux coques. Pour faire tourner la route en sens inverse, il suffisait que l'une des équipes permute son pédalage par rapport à l'autre (un quart d'avance au lieu de retard) et la roue tournait dans l'autre sens, sans avoir besoin pour cela d'un système à cliquets. Pierre découvrit que l'arbre ainsi que les bagues où aboutissaient les cordes de pompage étaient montés sur roulements à rouleaux, technique encore rare dans l'industrie à l'époque, mais pratiqué ici depuis des siècles, d'abord en gros format tournant lentement, pour les éoliennes des moulins et pour les treuils, puis miniaturisés au fil des progrès des machines pour tout ce qui risquait de chauffer, s'user puis se bloquer en tournant longtemps, à grande vitesse ou sous une charge importante. Il apprenait que le roulement à rouleaux avait été inventé sur place environ mille ans plus tôt, en bois et de très grande taille, pour transporter des grosses pierres: une sorte de grande barrique contenue dans une autre, entre lesquelles on intercalait des rondins soigneusement rôdés pour rouler sans faux-rond. Un tel véhicule (sorte de grande roue creuse, d'une bonne largueur pour ne pas se renverser) était apte à passer dans s'enfoncer sur des terrains relativement mous, et à permettre la traction de charges très lourdes sans les problèmes de fragilité (et aussi d'embourbement) qu'auraient connus des roues. Le "truc" était de mettre la charge dans roue, et non au dessus, tout en évitant de la faire tourner avec, pour mieux la contrôler. La forme légèrement en tonneau permettait de prendre les virages en déplaçant une partie du chargement d'un côté ou de l'autre. Ce peuple ne disposait d'aucun animal de trait: les gros reptiles semblaient impossibles à domestiquer pour cet usage, et le plus gros mamifère (paisible et apte à apprendre à respecter des règles, au point de servir d'animal de compagnie) était un porc nain d'environ 15kg dans la force de l'âge, dont les "soies" servaient à faire les brosses à dents et la peau des vêtements et des sacs, celle des sauriens étant aussi mise à contribution (après avoir mangé la chair). L'autre origine "ancestrale" du roulement à rouleaux côniques (cette fois) était la meule à arbre vertical, servant à faire rouler des cônes dans une coupelle elle aussi cônique en appuyant sur eux par un "couvercle" (lié à l'arbre portant la roue à aubes éolienne) plus cônique que le plateau, tous ces cônes ayant sommet (théorique) commun. Non seulement ça appliquait fort bien les meules roulantes sur la meule fixe, mais en plus, l'ensemble tournait beaucoup mieux. Une denture avait été ensuite ajoutée (en creux directement dans les deux plateaux de pierre, en bois au bout des rouleaux) pour empêcher certains rouleau de prendre du retard sur d'autres et de finir par provoquer le bloquage du tout par mise en porte-à-faux du plateau presseur, faute de bonne répartition de l'appui sur les rouleaux. Ce faisant, vers l'an 930 occidental, ils aient inventé le train épicycloïdal conique, uniquement comme moyen de garantir une répartition angulaire constante des rouleaux (galets écraseurs), mais le bon choix des angles de l'ensemble, pour avoir des nombres de dents compatibles, avait sollicité leurs mathématiciens qui avaient de fait vite trouvé les règles arithmétique régissant les trains épicycloïdaux, puis découvert que ça pouvait servir de réducteur pour le treuillage, sans avoir le problème de l'effort d'écartement entre deux engrenages simples: en enfermant le tout dans une couronne dentée (cerclée comme un tonneau) ce phénomène d'écartement (qui forçait aussi sur les axes, au détriment du rendement et de leur longévité) n'existait plus, tout en obtenant une réduction très importante, qui devenait même spectaculaire en accouplant deux dispositifs épicyloïdaux de rapports de dentures légèrement différents (trains de Pecker, découvert sur place dès 938, donc bien avant Pecker) permettant, dans un dispositif assez compact, d'obtenir des démutiplication telles qu'une éolienne de taille raisonnable devenait apte à treuiller de lourdes pierres pour les travaux de construction.
Le réducteur variable à cliquets et came excentrique fut inventé trois ans plus tard, et la boite de vitesse automatique (très importante pour pouvoir changer de vitesse sans tout débrayer, pour le treuillage, ceci en raison du couple très variable délivré par les éoliennes selon la météo) à trains épicycloïdaux et variateur à cliquet servant de relais d'adaptation entre rapports fonctionnait correctement dès 949.
Ceci malgré le coût (en heures de travail) de la métallurgie, sur place: on ne mettait de métal que là où c'était indispensable. La pierre, le bois, l'os, voire les dents, le remplaçaient chaque fois que techniquement possible.
Henri- ils savent faire de l'aluminium. Je n'ai pas réussi à savoir comment.
Pierre- par oxydoréduction d'autres métaux, on peut obtenir du courant pour réduire l'alumine, mais il faut en préparer beaucoup.
H- je me demande s'ils n'ont pas un autre moyen de faire de l'électricité: il y a beaucoup d'oxydes magnétiques, dans ces îles. C'est ça qui dérègle la boussole. Si c'est un secret que seuls quelques-uns connaissent, ça peut leur donner un pouvoir de sorcier sur les autres, donc ils ne révèleront pas le truc.
P- sorcier... Arrêtez de les considérer comme des sauvages. Ils doivent avoir quelques superstitions, comme tout le monde, mais je n'ai pas vu ce qui pourrait ressembler à un culte religieux. Quand ils sont face à quelque chose qu'ils ne comprennent pas, il construisent des machines pour essayer de le comprendre, et si ça ne marche pas, ils pensent juste qu'ils n'ont pas encore trouvé le bon système et qu'il faudra en essayer d'autres.
Ils n'eurent qu'une vision extérieure de la société îlienne. Le film, lui, en montrait plus: toujours à l'abri du soleil, les enfants îliens manipulaient des jeux de construction mécanique complexes ou faisant des courses de kart dont la transmission par câbles (pompage) agissait sur les roues avant directrices en tirant verticalement par au dessus des moyeux. On voyait aussi Parikèn assis dans un siège-hamac à l'intérieur d'un bâtiment, avec un gros chat "norvégien" sur lui, racontant à deux des Småprat (Hillevi et Elinor) ce qu'il avait appris sur les nauffragés du dirigeable, etc. Scènes brèves, suffisant à montrer que les nauffragés ne voyaient que ce que les îliens avaient choisi de leur laisser voir. Plus tard, la présentation des nouvelles machines éléctriques et thermodynamiques en public dans une sorte de grand concours Lépine à jury populaire, le peuple étant fort instruit en sciences et techniques, sur cette île, femmes incluses: seules une minorité d'entre elles étaient sélectionnées comme génitrices, les autres ayant des fonctions sociales et professionnelles identiques à celles des hommes. Pour les géniteurs sélectionnés, auxquels ce rôle prenait peu de temps (contrairement à une grossesse), il y avait très peu de différence socio-professionnel, à ceci près qu'on ne les envoyait pas en haute mer ni au contact des étrangers (risque de maladie). Parikèn était "de réserve de second choix", car estimé un peu trop petit. Ceux ayant un caractère instable ou s'intéressant à la sexualité sans raison de reproduction n'étaient pas utilisés comme reproducteurs (même de "second choix"), d'où la disparition de cette tendance au fil des générations, sur un millénaire: au début, ils prenaient juste "les plus sages", parmi ce qui existait sur place et ayant déjà le moins possible d'infériorités physiques. Le but était, initialement, d'éviter de multiplier les pulsions agressives "sans cause", qui auraient grandement compliqué la survie dans un tel contexte. De plus les calmes avaient généralement une meilleure santé que les nerveux et les "sanguins". La reproduction îlienne n'aurait utilisé des "second choix" comme Parikèn qu'en cas de catastrophe diminuant fortement le nombre de géniteurs de premier choix. Au delà du second choix, on n'envisageait jamais permettre la reproduction de l'individu, homme ou femme. Celle-ci avait lieu de préférence entre 27 et 45 ans, pour les hommes, car plus tôt, certaines tares n'étaient pas encore apparues, plus tard la qualité de la semence était statistiquement moins fiable, avaient-ils estimé. Ils ne pouvaient pas trier aussi sévèrement ni différer autant la reproduction féminine, en raison de la durée des grossesses: théoriquement, un seul homme fertile et génétiquement sain eût suffi, alors qu'une seule femme n'eût pas pu maintenir la population à son point d'équilibre (selon eux) qui était aux alentours de 729 personnes, toutes générations cumulées. 729 était un nombre rond du système trinaire (trois puissance six). Ce nombre permettait de se contenter de la pêche côtiere, de la capture d'insectes à la lampe et au filet, et de n'entretenir des vergers et potagers qu'aux emplacements les plus propices et les plus accessibles parmi ces plus propices. L'île aurait pu nourrir cinq, voire dix fois plus de monde, mais en demandant beaucoup plus de travail quotidien à chacun, pour exploiter des ressources moins faciles. La société îlienne avait ainsi beaucoup de loisirs, d'où une inventivité technique spectaculaire dans de nombreux domaines, y compris les planeurs, technique ludique tout en étant sérieusement optimisée au fil du temps. Ils n'avaient pas d'ennemi: le seul autre peuple qu'ils avaient rencontré était pacifique (d'où le troc des cochons reproducteurs et de certains plants de légumes et fruits contre des outils métalliques facilitant la fabrication des pirogues) et avait disparu avec son île.
L'une des machines qui surprit le plus Pierre fut le lance-flamme à turbocompresseur, destiné à éloigner les gros sauriens sans avoir à les blesser: ayant une valeur nutritive et de peaucerie, ce cheptel ne devait pas être consommé plus vite qu'il ne se reproduisait. Ils savaient distiller de l'alcool au moyen des alambics installés sur l'île bouillante (tubulure refroidie par la mer) et en brûler une partie dans une petite turbine en laiton (alliage dont il disposaient en petite quantité) en entraînant une autre, en bois dur, qui servait à souffler de l'air vaporisant de l'alcool dans le lance-flamme, sur une veilleuse à mèche, une autre partie de l'air ainsi soufflé rentrant par le moyeu de la turbine pour entretenir la combustion.
Le turbocompresseur n'existait pas encore en Occident. Les locaux fabriquaient depuis très longtemps de toutes petites turbines à air comprimé, à rotor fait dans de l'os ou de l'ivoire, parfois des alliages de cuivre. Ces turbines étaient entraînées par une paire de soufflets à clapets actionnés aux pieds, pour les travaux d'usinage de précision, approchant celle d'une roulette de dentiste moderne, pour certains modèles, d'autres étant plus proches d'une mini-perceuse de modéliste. L'alimentation par air comprimé rendait l'outil maniable en tout sens, moins fragile et moins coûteux à construire que son équivalent à transmission mécanique multi-articulée.
Pierre- c'est curieux: ça fait plus de mille ans qu'ils sont ici, et il y a des découvertes qu'ils n'ont toujours pas faites, mais en même temps ils ont beaucoup d'avance sur nous dans certains domaines.
Henri- si nous parvenons à quitter cette île après avoir fait les plans détaillés de certaines de leur machines, nous n'aurons plus qu'à déposer les brevets à Paris pour que notre fortune soit faite. As-tu pu comprendre comment fonctionne la machine à diviser?
P- non: ça semble faire partie des secrets. J'en ai vu une autre qui sait faire les racines carrées, avec bien plus de précision qu'une règle à calcul: elle converge vers la solution par moyenne entre le diviseur et le quotient précédent, mais ce qui est extraordinaire, c'est que ça marche tout seul, comme un piano mécanique: on se contente de tourner la manivelle jusqu'à ce que les chiffres des différents étages n'évoluent plus, ou oscillent entre deux nombres proches. Ils ont une autre machine qui fait les racines cubiques, et une beaucoup plus impressionnante qui résoud des équations du troisième degré.
H- ça suppose la gestion d'une partie imaginaire...
P- c'est plus simple: elle procède par itérations "régola fabri", avec la dérivée, en profitant de ce qu'il y a toujours au moins une solution réelle. Une fois que l'on a une des racines, il reste une équation du second degré. J'ai posé la question, pour les nombres imaginaires: les racines carrée des nombres négatifs, puisque leur numération comporte les nombres négatifs. Ca, ça ne marche pas, dans leur machine: l'itération diverge au lieu de converger. Parikèn ne savait pas, mais il est allé se renseigner, et oui, ça existe ici aussi, mais dans les mathématiques théoriques. Lui, il ne connait que des mathématiques pratiques et de la mécanique. Il m'a montré une machine beaucoup plus compliquée qui fait les calculs sur les nombres complexes. Elle contient deux machines à multiplier et à additionner, deux machines à diviser et un système de recopie des nombres entre elles.
H- si elle marche réellement, c'est extraordinaire.
P- elle fonctionne, avec dix-huit chiffres trinaires, ce qui fait entre huit et neuf chiffres décimaux. Ils ont cherché à faire des nombres "tricomplexes", pour gérer une troisième dimension de dénombrement, mais ils n'y sont pas parvenus. Par contre, ça leur a permis d'explorer le calcul matriciel, avec les matrices 3x3 qui sont très utiles en mécanique. Ils ont des connaissances en développantes de courbes, en intégrales, en bases et roulantes parce qu'ils s'en sont beaucoup servi pour améliorer les roulements et les dents d'engrenages. Il y a des machines qui les dessinent automatiquement, avec des coulisseaux et des pivots commandés par un système règlable qui simule la fonction.
H- par calcul en trinaire?
P- non: c'est purement géométrique. Parikèn dit qu'il ne servirait à rien de faire des calculs à la machine pour un dessin qui ne peut pas atteindre une telle précision: ça n'apporterait rien, tout en étant beaucoup plus cher à construire et beaucoup plus lent à utiliser. Le procédé purement géométrique fait déjà de très beaux dessins. C'est ainsi qu'ils ont résolu le problème des dentures silencieuses et sans vibrations, y compris pour les engrenages côniques. J'ai vu des engrenages et des montages à cardans qu'aucun de nos traités ne mentionne, alors qu'ils connaissent tous les nôtres.
H- l'idée de l'engrenage est très ancienne. C'est l'utilisation des développantes pour avoir un entraînement sans friction qui n'était pas évidente.
P- si nous n'avions pas perdu des siècles à régresser à cause du moyen-âge et de la religion, nous aurions eu l'équivalent de l'époque actuelle dès la Renaissance.
H- c'est probablement ce qui s'est passé ici: ils n'ont pas été christianisés, donc aucun clergé n'est venu mettre des bâtons dans la roue de la connaissance pour maintenir le peuple dans l'ignorance. Toutefois il y a des choses qu'ils n'ont pas découvertes.
P- parce que trop peu nombreux: si on devait se contenter uniquement des découvertes faites dans un seul village français de la taille du leur, nous serions encore au moyen-âge. Je trouve qu'ils sont doués, pour avoir trouvé tout ça tous seuls sur cette île.
H- il se peut qu'il y ait eu d'autres nauffrages, ayant apporté quelques techniques qu'ils ont comprises, reproduites et améliorées. Je doute que les Vikings connussent les engrenages, à l'époque où ils sont arrivés ici.
Pierre fit engrenner les doigts de ses mains:
P- l'idée de base est très simple. D'après leur musée de la mécanique que j'ai pu un peu visiter avec Parikèn, ils ont commencé comme tout le monde avec des dents trapézoïdales ou cylindiques, comme dans nos vieux moulins, et des systèmes de courroies à oeillets tournant sur des cylindres à têtons: un ancètre de la transmission par chaîne. Quant à l'optimisation du calcul des dentures, c'est récent, chez nous, et comme certaines machines que j'ai vues ici sont anciennes, c'est que ça a été découvert ici.
H- un musée de la mécanique.
P- oui: ça sert à l'apprendre aux enfants, ici, avant même la lecture. Ils commencent par des réalisations assez simple pour pouvoir en bricoler eux-même des imitations, puis ils passent peu à peu à celles dont la fabrication nécessite des machines de plus en plus perfectionnées. Machines qu'ils apprennent à utiliser, au fil de leurs progrès dans les travaux manuels. C'est à cette occasion qu'ils apprennent le calcul et la géométrie: pour comprendre comment ça marche.
H- une école d'ingénieurs en bas âge: ça expliquerait bien des choses. Toutefois, je n'ai vu aucun enfant.
P- moi non plus. On ne les met probablement pas en présence de primates malodorants comme nous, comme dirait Georges: ça risquerait de leur donner des cauchemards.
H- possible. Je me demande même si le reste de leur peuple est au courant de notre existence: ce sont toujours les mêmes qui viennent nous voir.
P- à part Parikèn, je ne saurais pas dire: ils se ressemblent beaucoup entre eux. Il faut être attentif pour ne pas les confondre. Je n'ai vu aucune fille.
H- moi non plus. Imagine qu'en fait seuls certains aient accès à la connaissance, et que tous les autres soient tenus dans l'ignorance d'un monde extérieur. Le bricolage et l'invention de machines les occupe bien assez pour ne pas avoir trop à s'en soucier, donc ceux qui savent peuvent leur avoir raconté n'importe quoi.
P- non: s'ils ne la partagent pas entre eux, ils la partageraient encore moins avec des inconnus.
H- si: parce qu'ils espèrent apprendre de nouvelles techniques, depuis qu'ils ont trouvé le dirigeable.
P- installer nos moteurs sous un de leurs planeurs: ça pourrait marcher, sauf qu'ils n'oseront peut-être pas risquer de tout casser lors des essais.
H- soit sûr que leurs ateliers sont déjà en train d'usiner des copies fidèles -voire améliorées- de nos hélices et de notre machine à vapeur allégée. Il faut des alliages de bonne qualité, mais ils n'ont pas l'air mauvais en métallurgie et ils savent usiner des alésages d'une grande précision, avec leurs fraises à turbines.
Henri l'avait constaté en examinant les machines hydrostatiques de toutes sortes (fonctionnant grâce à de l'huile haute pression) construites sur place avec une précision d'usinage telle qu'il n'y avait pas besoin de joints souples: le piston posé dans le cylindre ne descendait que si on laissait fuir l'air, en bas. Ceci imposait des pistons relativement longs, pour éviter l'arquebouttement, donc trop lourds pour une machine à vapeur destinée à un aéronef. De plus des problèmes de dilatation auraient pu perturber ce fonctionnement, dans une utilisation à chaud (problème qui ne se produisait pas avec l'huile sous pression), enfin la vapeur n'était pas un lubrifiant, tout en étant un agent de corrosion. Pour toutes ces raisons, les machines hydrostatiques îliennes n'étaient pas directement transformables en machines à vapeur. Il y avait des machines hydropneumatiques, dont l'huile était mise en pression tour à tour par des soufflets moyenne pression (à air) actionnant des pistons (bien plus petits, haute pression, à huile). Le rendement était bien meilleur qu'en faisait marcher les moteurs hydrostatiques et verrins à l'air, en plus de rendre ceux-ci bien plus petits. Les ateliers (que l'on pouvait même qualifier d'usines) comportaient un puits d'accumulation d'air comprimé, alimenté par l'éolienne (ce qui en lissait la production), d'où un circuit d'air et près des lieux d'usinage un circuit d'huile mis en pression par un système à soufflets (côté air) pompant l'huile via des pistons. L'avance dans ce domaine venait aussi de ce qu'ils n'avaient pas découvert l'électricité. En réalisant des usinages de plus en plus petits et précis, grâces aux machines de précision de la génération précédente (et ainsi de suite), les îliens savaient faire des machines hydrauliques de la taille d'une patte d'insecte, pour certains travaux nécessitant des doigts bien plus petits que ceux des enfants humains: l'asservissement hydraulique entre un gant pour adulte et la pince (ayant de deux à cinq doigts) miniature permettait de monter des mécanismes d'horlogerie ou de calcul encore plus fins (moyennant l'une des loupes binoculaires qu'il avait pu tester), donc de mettre encore plus de pièces dans un encombrement raisonnable. Certaines mises en place et vissages étaient semi-automatiques: l'opérateur humain les sélectionnait et les déclenchait mais n'avait pas à se soucier de la précision du geste, dont le mécanisme se chargeait entièrement. Pierre comprit alors que la machine à calculer mécanique (divisions incluses) que Parikèn lui avait montré au début de son séjour devait être une antiquité correctement entretenue: entretemps, les îliens devaient avoir réussi à faire bien plus petit, tenant dans une main. Quant aux montres, il devait y en avoir qui aurait tenu dans le chaton d'une bague, supposait-il.
Compte tenu des distances modestes sur l'île, et des fortes déclivités, il n'y avait pas d'équivalent local de chemin de fer, mais des sortes de télésièges (pour personnes ou marchandises, en particulier pour rapporter les fruits et légumes) dont la chaîne tractrice (et non câble) était entraînée (avec l'une des boites automatiques inventées des siècles auparavant et perfectionnées ensuites) par le système d'éoliennes, pour monter certaines pentes raides.
Ces dialogues sur fond de visions de techniques et mécanismes n'occupaient pas l'essentiel de la seconde demi-heure du film: il y avait aussi la tentative d'évasion de George, Fulgence et Philippe, celui-ci, mécanicien et navigateur plutôt teigneux (38 ans paraissant plus, 1m86, 96kg), ayant feint d'avoir un malaise pendant qu'un jeune îlien (Ramar, 1m82, 70 kg) lui faisait passer des tests, avait frappé Ramar par surprise au moment où il s'était approché puis après quelques coups supplémentaires avait libéré ses deux camarades (les trois autres étant ailleurs: il ne savait pas où). Ils étaient partis en forêt. Les îliens les pistaient grâce au flair de leurs cochons nains, finissaient par les retrouver. Philippe, attaché, était examiné par deux îliens plus âgés, qui examinaient aussi Ramar (sévèrement contusionné et deux côtes cassées) puis demandaient à Parikèn (présent aussi) de traduire pour Philippe le diagnostic, ce qu'il fit sans agressivité ni triomphe, comme s'il lui expliquait comment utiliser la machine à tailler les engrenages: Philippe apprit ainsi qu'il aurait désormais les bras attachés devant son torse, via un corset, laissant toutefois libres les avant-bras (coudes séparés d'une entretoise, et non joints) et les mains. De cette façon les pectoraux, les épaules et toute la musculature nécessaire aux grands mouvements des bras s'attrophierait jusqu'à "ne plus pouvoir être utilisée comme une arme contre autrui". La mesure de cette fonte musculaire déterminerait quand ses bras pourraient être libérés. Ce corsetage ne l'empêcherait pas de faire des travaux de table ou d'établi, de porter la main à la bouche ni de limiter le risque de blessure en cas de chute: moins bien qu'avec des bras libres, mais ça suffirait, avaient estimé leurs spécialistes. Une castration définitive, sous anesthésie, allait limiter ses capacités de réentrainement musculaire ultérieures, ainsi qu'une alimentation riche en graisse et appauvrie en protéïnes. Ils avaient estimé que le premier coup porté à Ramar eût été largement suffisant, joint à l'effet de surprise, pour permettre l'évasion. Avoir au lieu de cela pris le temps de rester pour lui asséner plusieurs coups témoignait d'une tendance à jouïr de la souffrance infligée inutilement à autrui, rendant nécessaire une mesure d'affaiblissement physique durable. Privé de sa puissance musculaire, Philippe changerait spontanément de comportement, estimaient-ils, et apprendrait à utiliser son cerveau plutôt que ce qui resterait de ses muscles.
Aucune sanction ne fut prise contre les deux autres évadés, juste remis au travail.
Pendant ce temps, on assistait aux premiers essais de motoplaneurs à vapeur par Parikèn et trois autres techniciens îliens, essais auxquels Henri et Pierre purent assister, mais pas participer, ayant avoué qu'ils n'avaient aucune expérience des "plus lourds que l'air", domaine dans lesquel les îliens avaient des siècles d'expérimentation. Le choix limité des matériaux et l'absence de motorisation suffisamment légère par rapport à la puissance fournie expliquait qu'ils n'aient pu perfectionner que des planeurs, ce qui permettait déjà des vols longs, en spirale dans les courants ascendants de l'île bouillante.
L'histoire sautait à quand on décorsetait Philippe, montrant des bras fins comme ceux qu'une jeune fille de quinze ans, idem pour les épaules (pointues au lieu de charnues) et des seins de graisse tombants, à la place des pectoraux. Ceci avait nécessité un trucage réinstallant la vraie tête de l'acteur sur un corps fabriqué. Pendant ce temps, de nombreux essais de planeurs motorisés (par des copies des machines du dirigeable) avaient eu lieu. Aucun n'avait encore décollé par ses propres moyens (il fallait toujours utiliser la catapulte), mais le temps de vol avant amerrissage (par précaution, les essais avaient lieu au dessus de l'eau) avait fortement augmenté (de onze fois, au moment où l'on décorsetait Philippe) par rapport au vol non motorisé, ceci malgré le poids ajouté. Le vol serait considéré comme durable lorsqu'il pourrait être maintenu jusqu'à épuisement de l'alcool alimentant la petite chaudière multi-tubulaire en cuivre. L'usage local, en vol à voiles, étant d'amerrir (moins dangereux: sur des sortes de skis à ailerons porteurs, avant de se coucher sur les flotteurs ou directement sur le fuselage) et non d'atterrir (ce qui, de plus, n'aurait pas laissé le choix du lieu) les hélices furent placés en arrière des ailes et non devant elles, pour diminuer le risque de les endommager. Ceci présentait d'ailleurs un intérêt aérodynamique: ça contribuait à maintenir plaqués les filets d'air de l'extrados (au profit de la portance) et évitait d'infliger des turburences rotatives à cette partie des ailes, comme l'eût fait une hélice avant. Les avions à moteurs à explosion utilisant aussi l'hélice comme ventilateur pour le moteur (problème ne se posant pas pour un moteur à vapeur), le réflexe fut, au XXème siècle, de la mettre devant, sauf dans quelques avions militaires (comme la "cage à poules") de la première guerre mondiale de façon à ne pas gêner le tir.
Ce qui avait passionné les îliens était l'électricité: ils connaissaient certains phénomènes électrostatiques (en frottant un tube de verre sur un chat, par exemple) mais ne connaissaient ni l'électrochimie ni l'électromagnétisme. Le magnétisme, oui. Leur chimie avait fait "ce qu'elle avait pu" à partir des matériaux disponibles sur l'île. Ils savaient isoler une quarantaine de corps simples et les classer par densité, par acidité ou basicité, et par comparaison oxydoréductrice, tout en n'ayant pas découvert que ceci engendrait un courant. Cette découverte n'avait rien d'évident car il aurait fallu avoir de quoi le mesurer, d'une part, et surtout soupçonner qu'il y eût un phénomène invisible à mesurer. De quoi mesurer, ils l'avaient: les boussoles à bain d'huile, n'opposant pas de frottement à petite vitesse de rotation. Henri fit la démonstration: cuivre, zinc, saumure, fil de cuivre retournant au zinc après avoir fait dix tours autour de la boussole. Ce n'étaient pas des piles qu'Henri comptait fabriquer (car il y avait peu de zinc, sur l'île. Il avait eu du mal à s'en faire prêter un morceau pour cet essai), mais un générateur. Gramme n'avait pas encore inventé le générateur rotatif, mais on savait que le mouvement d'un aimant devant ou dans une bobine pouvait induire un courant. Restait à convaincre Parikèn ou autres de l'utilité de l'électricité. L'électrostatique, ils l'utilisaient pour améliorer l'accuponcture (découverte depuis longtemps, en cherchant le rôle des nerfs) et pour expliquer la foudre: "des frottements immenses à l'intérieur des nuages", puisque ça faisait en gros ce que l'on obtenait en petit avec une roue à friction et des matériaux bien choisis.
Pierre pensa à leurs machines à calculer: reporter mécaniquement (ou hydrauliquement: ils avaient des actionneurs hydrauliques) et automatiquement des résultats intermédiaires vers un autre système de calcul eût été bien plus facile avec des contacts et des bobines. Pour ça, il fallait du courant. Parikèn comprit tout de suite l'intérêt de la bobine miniature avec noyau en magnétite, fournissant un petit mouvement quand le fil touchait l'une des bornes de la pile ainsi improvisée: commander un mouvement à distance, sans rien déplacer entre les deux. La bobine pouvait être plus petite, suggéra-t-il, car elle n'aurait qu'à servir de gâchette à un dispositif mécanique effectuant, lui, le mouvement, à l'autre bout.
Henri rêvait de construire un gros générateur (il semblait y avoir assez de cuivre pour cela, de plus ils savaient en faire des fils fins (pour actionner à distance modérée des éléments de mécanismes, en tirant dessus) et l'oxyde magnétique abondait sur l'île.
La machine fut construite par les îliens, mais à leur idée: ce n'était pas du tout ce qu'Henri avait envisagé, mais un anneau torique d'un peu plus d'un mètre de diamètre, comportant une alternance de pôles magnétiques, porté par des roulements intercalés entre des bobines bobinées autour du tore: leur idée avait été de transformer le système de "pompage" dans une bobine (montré par Henri, sur le principe des moteurs électriques alternatifs qui pouvaient aussi servir de petits générateurs, la commutation inversant le sens du courant en sortie quand le mouvement s'inversait donc inversait celui du courant interne produit) par une traversée sans retour, en mettant une bobine, puis une autre, et ainsi de suite, formant un grand anneau. Le courant produit était altenatif (car tout pôle sud était suivi ou précédé d'un pôle nord, lors de la traversée des bobines) et ce fut un système à engrenage, alternant des dents en céramique (isolantes) et des dents en cuivre, qui synchronisa la conduction à la rotation du rotor polaire torique à travers la série de neuf bobines fixes. Neuf parce que c'était un nombre "rond" dans leur numération. Parikèn rappela à ce sujet à Henri que leur système décrivait très bien les trois états possibles de l'aimantation: nord, sud, ou neutre. Cette machine encombrante et passablement compliquée (ils avaient inventé le collecteur épicycloïdal à engrenages (ce qui demandait une certaine analyse arihtmétique pour obtenir des commutations synchrones au phénomène électromagnétique), qui avait l'avantage d'éviter l'usure par friction et de fournir des commutation plus nettes: la vitesse de rapprochement des dents (morsure) était supérieure à celle de rotation périphérique, idem lors de la séparation) s'avéra produire assez de courant (entraînée par une éolienne, en plus d'autres machines qui y étaient déjà accouplées) pour permettre des expériences qui intéressèrent beaucoup les îliens. Pas d'éclairage, certes, mais d'électromagnétisme de toutes sortes, ainsi que d'électrolyse. Or c'était ça, le but d'Henri et Pierre: ils ne pensaient pas que l'on pourrait quitter l'île avec un plus lourd que l'air, même si les îliens finissaient par obtenir un vol soutenu jusqu'à épuisement du carburant: il eût fallu -bien trop de carburant pour cela, donc l'avion (terme encore inconnu, puisque créé plus tard par Ader) eût été trop lourd pour décoller. Par contre, puisque maintenant il y avait l'électricité, sur cette île, on allait pouvoir refaire de l'hydrogène.
En fait, ils savaient l'un comme l'autre qu'ils auraient pu quitter l'île en bateau: en échange de l'électricité, les îliens auraient pu les aider à en construire un, et, s'agissant de naviger essentiellement à l'ouest, ils y fussent parvenus. Mais... ils commençaient à aimer cette île et sa "civilisation d'ingénieurs": puisque rien qu'après avoir compris le rapport entre un aimant traversant une bobine et l'induction d'un courant, ils avaient sû inventer en quatre jours un générateur rotatif à commutation par engrenages à dents conductrices ou non, il serait passionnant d'observer la suite... et de revenir en France avec un maximum de brevets à déposer: les îliens ne le sauraient pas, donc n'iraient pas contester l'antériorité. Planté avait inventé l'accumulateur en 1859. Ceci, plus le moteur électrique, pourrait permettre de motoriser les sous-marins îliens, perfectionnés au fil du temps (avant rond, suite à des mesures de résistance au mouvement par remorquage) mais ne disposant, au mieux, que d'une machine hydropneumatique (l'air poussant l'huile envoyée dans les verrins) actionnant une queue godillante, ce qui ne fonctionnait pas longtemps. De plus l'air comprimé était aussi nécessaires au fonctionnement des ballasts, quand on ne plongeait pas uniquement par force motrice.
Faire voler le dirigeable serait spectaculaire pour les îliens, et permettraient aux deux ingénieurs français d'accéder à d'autres savoir-faire locaux. Les îliens avaient depuis longtemps réparé l'enveloppe avec leur science des colles (mélange de trois produits au dernier moment, conduisant à un collage solide, résistant à l'eau de mer et pouvant conserver de la souplesse: c'était avec cela qu'ils rendaient étanches les coutures des enveloppes de cuir de leurs premiers sous-marins) et l'avaient remplie de méthane (gaz de fermentation -donc facile à obtenir- qui pesait 55% du poids de l'air, contre 7% seulement pour l'hydrogène), constantant qu'elle pouvait ainsi se soulever et tendre ses amarres, mais ce n'était pas suffisant pour y suspendre la nacelle et la machinerie d'origine. Sauf peut-être en chauffant le méthane (en moindre quantité) avec l'échappement de la chaudière, une idée qu'aucun des Français ne leur suggéra, sachant qu'à la moindre imprudence le gaz s'embraserait, détruisant l'enveloppe donc tout espoir de refaire un dirigeable: les matériaux étanches locaux étaient trop lourds, ce qui expliquait d'ailleurs qu'ils n'aient pas pu inventer la montgolfière, bien que connaissant la convection de l'air chaud depuis très longtemps avec leurs vols en planeurs au dessus de l'île bouillante. L'entoilage d'un planeur n'avait pas les mêmes exigences d'étanchéïté: un matériau laissant lentement fuir l'air n'était pas un handicap.
Les îliens améliorèrent vite l'idée de la roue de Barlow, en divisant le disque de cuivre en nombreux rayons (ce qui améliorait nettement le rendement, en plus d'économiser du cuivre), l'alimentation se faisant par un engenage (plein cuivre: pas besoin de dents isolantes, ici) à sa périphérie (comme pour les compteurs électriques modernes, sauf qu'eux se contentaient d'un disque plein), puis par plusieurs engrenages correspondant à la disposition de plusieurs paires d'aimants (six: il fallait un nombre pair, pour reboucler le champ par au dessus et par au dessous) puis la même chose empilée par tranches, les aimants étant de polarités "empilées" se renforçant mutuellement, avec des disques à rayons de cuivre de même nature que le premier. Cette machine servit aussi à mettre au point le générateur basse tension, forte intensité (tout étant monté en parallèle, ce qui était possible ici puisqu'agissant de la même façon partout) bien plus apte à l'électrolyse que le précédent. Cette machine servit d'abord à fabriquer des aimants plus puissants: la ferrite, réduite en poudre, était magnétisée à l'intérieur d'une bobine alimentée ainsi pendant que la colle dans laquelle elle était prise polymérisait. Ces aimants servirent à leur tour à faire un générateur à courant continu forte intensité plus puissant, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la ferrite ne pût plus stocker d'aimantation supplémentaire, quelque fût l'intensité et le nombre de spires des bobines. L'autre machine (torique, produisant des tensions plus élevées, au point d'être dangereuses si on y touchait) fût elle aussi améliorée par ces nouveaux aimants.
Les fabricants de machines à calculer s'étaient aussitôt emparés de ce nouveau savoir-faire: puisque l'on pouvait disposer assez facilement d'un petit turbogénérateur à air comprimé (en pompant au pied), et fabriquer des bobines très fines (évoquant celles d'un mini haut-parleur moderne) la machine serait utilisable ailleurs que là où les gros générateurs expérimentaux avaient été installés. Henri n'avait pas trouvé de plomb donc n'avait pas pu reproduire les expériences de Planté pour obtenir un accumulateur: ce serait donc l'air comprimé (ou tout autre stockage d'énergie mécanique, par exemple un ressort spirale) qui en tiendrait lieu, avec une autonomie modeste mais une recharge très rapide. Le système complexe et délicat à usiner de glissières, palpeurs et contrepoids utilisé pour détecter les suites de zéro et les différences de signe dans la diviseuse, pouvait être remplacé par des contacts électriques agissant en série ou en parallèle. Le "relais" multicontact fut très vite inventé. Un relais "tristable" fut vite mis au point, d'abord d'une taille "usinable à la main", puis de plus en plus petit. De petits aimants complémentaires tendaient à garder le coulisseau dans une des trois positions, les intermédiaires étaient instables quand les bobines n'étaient pas alimentées. Si on alimentait une bobine, le coulisseau allait vers elle (+), si on alimantait l'autre c'était la position opposée (-), et si on alimentaient les deux en répulsion le coulisseau se bloquait au centre (zéro). On avait ainsi l'équivalent des trois positions stables du système mécanique, tout en pouvant combiner bien plus d'effets pour chacune d'entre elles. L'avantage principal était que les relais tristables pouvaient être placés n'importe où dans la machine, au lieu d'avoir des relations "géographiques" directes (ou par renvois, à limiter le plus possible) entre eux. Des machines vernissant le fil de cuivre fin (que les îliens savaient déjà produire à la machine) puis le bobinant pour fabriquer ces mini-relais tristables furent vite mises au point. L'assemblage du tout restait manuel, mais comme contrairement aux versions mécaniques on n'était pas tenu à une mise en place irréprochable de chaque élément par rapport aux autres, cette tâche pouvait être faite plus vite par un assembleur moins "virtuose".
Le problème principal vint des pannes (encrassement de contacts par étincellage) qui n'étaient plus visibles. Le testeur de courant existait (déviation à gauche ou à droite de l'aiguille magnétisée) mais faisait perdre beaucoup de temps par rapport à l'examen manuel d'une machine purement mécanique, même fortement miniaturisée.
L'encrassement des contacts n'existait pas pour les collecteurs à engrenages, l'emboitement/déboitement des dents les "autonettoyant" du même coup. Il fallut donc reconcevoir des contacts créant un petit peu de frottement, pour les mini-relais tristables. L'idée d'un dépot d'argent ou d'or ne vint pas, car l'île ne possédait pas ces métaux lourds de façon détectable, de même qu'ils n'avaient trouvé ni plomb ni mercure. Ils avaient rencensé fer, cuivre, zinc (rare), étaim (rare aussi), aluminium (présent dans le kaolin et l'argile, mais ils ne savaient pas en extraire l'aluminium), nickel, chrome (rare). Les relais devinrent rotatifs, ce qui résolvait le problème, et ressemblait plus à la version mécanique. Il y avait trois positions stables, par tiers de tours, un peu comme dans un moteur tripôle pas à pas: les bobines étaient fixes, là aussi. Plus compliqué à construire que le relais coulissant, mais avec un avantage: c'était insensible au sens de la pesanteur et aux secousses subies par la machine, contrairement aux relais coulissants.
Le calcul automatique éléctromagnétique îlien n'imitait donc pas ce qui allait être fait près d'un siècle plus tard ailleurs: il s'agissait d'un système à trois positions stables, et non deux. Or la division était bien plus compliquée à gérer en binaire qu'en trinaire, de plus il fallait continuellement choisir entre signé et non signé, en binaire. En trinaire tout était signé, il n'y avait pas à s'en préoccuper: les opérations marchaient de la même façon quel que fût le signe des opérandes. Il n'y avait pas, en primaire, de problème "d'extension de signe" pour les nombres négatifs: tout nombre trinaire pouvait être copié dans un "registre" plus long en ne mettant que des zéro devant. En binaire, c'était vrai pour les nombres positifs, mais pas pour les négatifs, donc il fallait savoir si on travaillait en signé ou en non-signé, ce qui compliquait ces opérations de recopie de nombres courts dans des registres plus longs. Enfin, il fallait deux "bits" pour indiquer le signe d'un nombre (un pour dire si nul, l'autre pour dire si négatif) alors qu'un seul "trit" suffisait: le trit de "poids fort" du nombre, après avoir sauté les zéro de tête éventuels. La logique qui en découla fut elle aussi trinaire: "vrai" (+), "faux" (-) et "inconnu" (0). D'où les "tables de véritié":
vrai & vrai = vrai
vrai & inconnu = inconnu
vrai & faux = faux
inconnu & inconnu = inconnu
inconnu & faux = faux
faux & faux = faux
pour "ou":
vrai vrai = vrai
vrai inconnu = vrai
vrai faux = vrai
inconnu inconnu = inconnu
inconnu faux = inconnu
faux faux = faux
pour "ou exclusif":
vrai ^ vrai = faux
vrai ^ inconnu = inconnu
vrai ^ faux = vrai
inconnu ^ inconnu = inconnu (et non faux)
inconnu ^ faux = inconnu
faux ^ faux = vrai
H- ils ont aussi un système de mesures qui ressemble un peu au nôtre, sauf que ça marche par puissance de trois au lieu de 10. L'unité de poids est le poids d'une des unités de volume remplie d'eau, qui est le cube d'ue sous-unité de longueur, comme chez nous, et tout le reste utilise des sous-multiples et des sur-multiples homogènes. S'ils avaient pris 10 au lieu de 3, ce serait un système métrique basé sur un mètre-étalon différent.
P- et ça aurait posé problème par rapport à leurs machines à calculer. La division par dix, là-dedans, c'est aussi tordu que la division par sept ou par treize chez nous. J'ai vu une machine à convertir en base dix, aller et retour: ça prouve qu'ils doivent encore avoir des documents très anciens comportant des nombres décimaux.
H- il nous faut aussi les plans de ces machines à traduire du décimal au trinaire signé: c'est en présentant les trois machines que nous pourrons prouver à tout le monde que nous avons l'outil pour faire automatiquement des divisions de nombres en base dix, en les faisant faire par la diviseuse trinaire puisque ça marche beaucoup mieux, quitte à traduire avant et après avec les deux autres machines.
La suite du film (les deux heures suivante) comportait plus d'action "à la VTP", en raison du débarquement sur l'île d'un navire militaire anglais probablement lui aussi perdu dans une tempête et dont les marins se livraient au pillage des plantations des îliens (fruits et légumes) après les avoirs trouvées. Ces marins ayant été abattus à coup de flèches empoisonnées (tirées "de nulle part" car à l'arbalète à lunettes de visée télémétrique ils n'avaient pas pu entendre le bruit) d'autres débarquaient, étaient tués, mais l'embarquaction îlienne tentant d'aller prendre le navire était coulée par ses canons. Il s'ensuivaient un combat conduisant au bombardement du navire par les planeurs, en prenant de l'altitude au dessus de l'île bouillante avant de lâcher des bombes incendiaires, mélange d'alcool et d'air comprimé, avec à l'extérieur des veilleures à mèches à tressage métallique, donc non "soufflables" car restant incandescentes quelques secondes ensuite, ce qui suffisait à embraser l'aérosol d'alcool et la base des voile qui en avaient été imprégnées. Ayant ainsi vérifié à quelle altitude les planeurs étaient hors de portée des fusils, ce furent ensuite deux grands aéronefs à vapeur qui furent envoyés, pour lâcher, cette fois, des aérosols de gaz toxiques.
Henri leur avait dit "leurs canons ne peuvent pas tirer vers le haut. Il faut attaquer par au dessus, avec les planeurs, ou par dessous avec les sous-marins". L'attaque sous-marine avait consisté à amarrer l'axe de gouvernail à la côte, d'où le navire fut ensuite treuillé inexorablement, en marche arrière, d'autant plus facilement que ses voiles avaient brûlé. L'alcool en feu imprégnant les haubans babord avait même conduit à la perte du grand mât. Le treuillage par l'arrière laissait peu de canons actifs dans cette direction (il fallait les y transporter et réinstaller), d'autant plus que l'équipage de pont avait été soit brûlé, soit intoxiqué par les attaques précédentes. Le "second" anglais du navire disait au capitaine: "ils nous pêchent comme une baleine: attachés par la queue et tirés jusqu'à l'échouage".
Les Anglais survivants, beaucoup moins coopératifs que les aéronautes français (il s'agissait de militaires et non de scientifiques), furent traités sans ménagement. Le capitaine, ayant fait preuve d'arrogance, fut mis à nu à quatre pattes, le ventre sur un tréteau, le cou et les membres bloqués dans des anneaux métalliques, et fouetté sans grande violence apparente par un enfant îlien... avec un fouet électrique lui faisait pousser des cris de douleur disproportionnés par rapport à la violence visuelle des coups (pas d'étincelles, le corps n'était pas du métal), le faisant passer pour très douillet auprès de ses hommes "qu'il a déjà dû faire fouetter au sang pour des broutilles", avait assuré Henri aux îliens: les coutumes de la marine anglaise étaient mondialement connues. D'où "il faut toujours humilier et faire percevoir la couardise du chef devant ses hommes". Ils furent rangés chacun dans une oubliette (creusées à la machine), de façon à ne pas pouvoir comploter entre deux des projets d'évasion, et étaient employés séparément comme esclaves ça et là. Les îliens lui firent passer des tests, avec bien plus de précaution que pour leurs premiers captifs: ils étaient retenus par une chaîne autour du cou, qu'un mécanisme à contrepoids pouvait à tout moment rembobiner jusque contre le mur de la pièce d'étude. Ils n'étaient jamais mis en présence les uns des autres.
Le navire anglais, totalement dépassé techniquement, du point de vue des îliens, ne leur était d'aucun intérêt, à part éventuellement comme grosse péniche pour les transports de minerais ou de roches, ou comme base de treuillage et de pompage pour plongée sous-marine. Les vingt-sept esclaves anglais survivants (capitaine inclus: ayant taté du fouet électrique, il était devenu d'une docilité exemplaire) eurent à débarquer les canons, la poudre (Henri avait visité pour expliquer aux îliens ce que c'était et qu'il ne fallait surtout pas laisser un des Anglais y mettre le feu), les boulets, pour les étudier. Ils ne connaissaient pas cette arme, qui ne leur aurait été d'aucune utilité sur l'île, jusqu'alors, faute d'ennemis. Cette fois, si un autre navire armé venait, quelques canons soigneusement cachés dans des infractuosités rocheuses côtières pourraient le prendre par surprise, à condition de trouver comment fabriquer un équivalent de cette poudre. Le navire n'avait pas trop brûlé: les bombes incendiaires mises sous pression étaient conçues (telles que lestées) pour vaporiser surtout vers le haut et alentours, incendiant le gréement et les hommes de pont, plutôt que de chercher à traverser celui-ci.
Les canoniers avaient donc pu continuer à tirer, mais le treuillage par l'arrière avait vite rendu ces tirs inutiles, en réorientant le navire dos à la côte, avant de finir par l'y échouer. Lancer seulement des boulets semblait peu intéressant pour les îliens, qui entreprirent (avec prudence, en déclenchant à distance) la fabrication d'obus: un projectile moins lourd, cylindrique et explosif ferait beaucoup plus de dégâts. Des roquettes furent aussi mises au point: elles évitaient d'avoir à recharger un canon avant de tirer. Les essais (avec de petits projectiles, pour économiser la poudre) aboutirent à un combiné de l'arbalète et du lance-roquette, après avoir remarqué que les fusées démarrait moins vite et moins précisément qu'un catapultage mécanique: c'était pour augmenter la portée de celui-ci qu'il était intéressant d'ajouter un effet fusée, tout en dotant le projectile d'ailes pour lui permettre de planer de façon plus stable jusqu'à sa cible, ce qui lui permettait de porter une charge explosive plus importante tout en ayant une trajectoire plus droite (que la parabole décrite sans ailes). On pourrait ainsi toucher un navire de très loin, de plus loin, même, qu'avec les canons, tout en utilisant moins de poudre, au profit du nombre de projectiles explosifs ainsi réalisés.
Des essais de canon électrique eurent aussi lieu: accélérer un projectile métallique dans un long tube huilé pourvu d'une série de bobines forte intensité, déclenchées tour à tour au nez du projectile. Ceci ne présentait aucun risque d'explosion dans le tube, assurait un guidage d'une très grande précision (on put tirer d'une île à l'autre) et ne faisait ni bruit ni fumée, donc serait difficile à repérer par l'ennemi, du moment que le canon électromagnétique (d'une vingtaine de mètres) ne dépasserait pas du couvert végétal ou des structures rocheuses locales. Il était ainsi possible de procéder à des essais sans gâcher de poudre (les chimistes îliens n'avaient pas encore réussi à en faire un substitut valable), l'obus pour essai étant rempli d'un mélange de sable et de sciure lui donnant même masse et même répartition de la masse. De plus, cela permettait de voir plus précisément où il était tombé. Intéressant aussi pour le lancement des obus à gaz, à ceci près que ceux-ci devaient comporter de l'acier pour pouvoir être accéléréés ainsi.
Le tube fut amélioré en l'équipant de soupapes d'injection (tous les 471 mm: l'unité de mesure locale) d'air comprimé, venu d'un gros réservoir, cette poussée par l'arrière de l'obus s'ajoutant à la traction magnétique (pas l'avant) des bobines soumises brièvement à une intensité très forte (comme c'était bref, le cuivre n'avait pas le temps de chauffer assez pour brûler son isolant). Des armes à air comprimé équipèrent aussi les sous-marins, pour percer la coque ou pour lancer des grapins par dessus bord. Le navire anglais servit de cobaye: échoué (et béquillé pour rester droit), il ne pouvait couler. Les trous éventuels étaient ensuite réparés et l'eau pompée pour pouvoir mesurer efficacement les voies d'eau provoquées par les prochains essais. Henri les avertit qu'il existait aussi des navires de guerre dotés de machines à vapeur (ce n'était pas encore majoritaire, car la fumée pouvait faire repérer de très loin par l'ennemi, estimaient nombre d'amiraux, de plus ces machines consommaient beaucoup et n'étaient pas très fiables: les roues à aubes étant trop vulnérables aux moindre coup de canon, il fallait une hélice, source de fuites donc un problème supplémentaire), et à coque entièrement métallique, contrairement à celui-ci. Il existait même quelques "cuirassés" résistant aux boulets de canons.
Le "sous-marin mixte" fut vite mis au point: machine à vapeur à alcool alimentée par schnorkel, pour approche au périscope tant que l'on serait hors de portée d'un tir ennemi, machine à air comprimé (mis sous pression pendant l'utilisation de la machine à vapeur) puis éventuellement pédalage en plongée. Pas d'hélice: le système à queue motrice ne posait pas de problème d'étanchéîté. Le but du sous-marin serait surtout l'aller placer des charges explosives sous la coque (si on voulait couler l'ennemi) ou de l'arrimer, si on voulait le capturer.
Henri supposait qu'il n'y aurait pas d'autres navire ennemi avant très longtemps, l'Anglais s'étant probablement perdu suite à une tempête. Les îliens n'avaient pas eu de visiteurs antérieurement: ceci expliquait qu'il ne connussent pas les armes à feu et restassent méfiant dans leur utilisation, préférant des systèmes non explosifs pour l'accélération des projectiles, en mettant l'explosif dans le projectile lui-même, qui ferait ainsi beaucoup de dégâts sans avoir à percuter fort sa cible.
L'autre nouveauté (bien que non présente dans le navire) fut l'expérimentation du moteur à explosion sous toutes sortes de formes: Henri connaissait les travaux de Lenoir (moteur à explosion à charbon pulvérisé puis à gaz), que les îliens tentèrent d'adapter à l'utilisation de vapeurs d'alcool sous pression, injectées à l'admission depuis une petite chaudière. Ceci dans le but de faire un moteur plus léger que la machine à vapeur pour les machines volantes, d'une part, et d'autre part d'avoir un dispositif de tir portatif règlage et sans perte de temps de rechargement: l'obus jouerait le rôle de piston, l'injection d'alcool dans l'air déjà comprimé fournissant la déflagration propulsive, à condition de réussir à l'allumer.
Ce fut finalement au "canon diesel" que ces recheches aboutirent, ceci involontairement: l'huile injectée dans le tube avant introduction de l'obus (très ajusté dans la "chambre d'explosion", moins ensuite, pour réduire les frottements, avec dans la partie suivante un système de rayures hélicoïdales suggéré par Henri) avait explosé à la compression, avant l'injection d'alcool.
Cette découverte aboutit à la construction du moteur Diesel (qui ne s'appelait pas ainsi, mais que Rudolf Diesel allait lui aussi concevoir à base d'huile végétale) sur l'île avant le moteur à allumage commandé (trop capricieux). Plus précisément du moteur diesel deux-temps "soufflé" à l'air comprimé, avec soupapes (et non "lumières" passives) ce qui correspondait au fonctionnement du canon. Si l'on disposait d'un compresseur, il n'y avait pas besoin de "précompression de carter" pour assurer le remplacement de l'air, en fin de détente, avant recompression. Certains gros moteurs de navires modernes utilisaient ce principe. Le turbocompresseur (utilisant un peu d'alcool au démarrage, en attendant qu'un autre cylindre fournît de la détente d'échappement) fut vite adapté à ce montage (à condition d'avoir au moins deux cylindres), mais l'ensemble s'avéra encore plus lourd par rapport à la puissance fournie qu'une machine à vapeur légère bien conçue, donc était inapte à motoriser les avions, d'autant plus qu'entretemps le premier décollage autonome (sans catapultage) avait été réussi à la vapeur, suivi de deux tours complets de l'île a une cinquantaine de mètres d'altitude, sans avoir besoin de faire des tours au dessus de l'île bouillante pour en reprendre. Depuis quelques temps, le vol "jusqu'à épuisement de l'alcool" était au point (et sans faire de rase-flots, donc sans avoir besoin de l'effet "coin d'air", contrairement aux "pseudo-vols" obtenus par Ader puis par les frères Wright, car de fait, ni l'un ni les autres n'avaient réellement volé: juste "aéroglissé", avant les progrès suivants) mais pas le décollage: il fallait une vitesse initiale. Le décollage s'était fait sur une piste en bois bien lisse, avec de petites roues sur roulements à rouleaux côniques, mais sans pente ni accélération de l'aéronef par un autre moyen que ses propres hélices. Ce fut aussi le cas (et dans des conditions plus difficiles, le sol étant moins lisse) de l'Eole d'Ader, plus tard, mais pour ne parvenir qu'à "aéroglisser" au dessus du sol.
Le but des îliens restait de réaliser ce que l'on n'appelait pas encore un hydravion, de façon à pouvoir redécoller après avoir amerri. Ils connaissaient l'amérissage depuis des siècles, avec leurs planeurs munis de sortes de skis à spatule très recourbée (qui coulaient ensuite, mais évitaient de se "planter" à l'amerrissage). Pouvait-on décoller par le même moyen, en utilisant les skis pour se soulever de l'eau avant de voler?
Vu le manque de puissance par rapport au poids, l'hydravion îlien serait hydroptère où ne serait pas: atteindre une vitesse suffisante malgré le frottement d'un ou plusieurs flotteurs semblait techniquement impossible. Il fallait donc "monter sur les skis" pour sortir l'aéronef de l'eau, et pouvoir continuer à accélérer avec moins de frottements. Donc faire l'équivalent des ailes et de la queue d'un avion dans l'eau, en plus petit et plus fin, l'eau étant bien plus lourde donc fournissant de la poussée verticale sans avoir besoin d'une grande surface d'appuis.
Ceci donna lieu à un long festival de plantages en tous genres (par l'avant, par l'arrière, par basculement, par rupture des lames hydrodynamiques, etc) puis un décollage marin réussi, puis un autre (par un autre prototype), la mise au point des lames porteuses et leur règlage par le pilote ayant progressé par essais et erreurs. Il fallait toutefois une mer calme, ce qui n'était le cas qu'en arrière de l'île par rapport au vent, et assez près de cette côte. Le premier décollage avait été réussi par un aéronef à turbopropulseur, technique dérivée des turbines à alcool et du turbocompresseur, utilisés jusqu'alors pour les pompes portatives et certains outils motorisés légers transportables. L'hélice, de taille réduite par rapport à celles des machines à vapeur, tournait huit fois moins vite que la turbine, grâce à un train épicycloïdal. Cette motorisation avait comme défaut de consommer énormément d'alcool (pas question de voler longtemps avec) mais fournissait un rapport puissance/poids intéressant, en plus de pouvoir être mise en route en une vingtaine de secondes. L'alcool était vaporisé sous pression dans l'air d'admission (issu du compresseur) grâce à des enroulements autour de la tuyère de sortie. Une petite pompe manuelle permettait le démarrage à froid (tout en faisant tourner manuellement l'hélice, qui entraînait alors la turbine à huit fois ce régime) en attendant la température assurant la mise en pression de la vapeur d'alcool pour l'injection "moyenne pression" dans la chambre de combustion. Cette turbine ne ressemblait pas à un réacteur moderne, car le flux d'entrée n'allait pas directement à la chambre de combustion en sortie du compresseur, qui était centrifuge et non axial. Le tout était monté sur roulements à rouleaux côniques huilés, technique maîtrisée depuis très longtemps par les îliens. Lors des premiers essais en atelier, les pales de l'hélice avaient cassé, le régime étant trop élevé, ainsi que l'effort de flexion dû à la poussée. Utiliser une hélice en acier aurait annulé, selon les ingénieurs du projet, une grande partie du grain de poids par rapport à une machine à vapeur. On décida donc de réduire le régime de l'hélice en changeant de train épicycloïdal, jusqu'à ce qu'elle ne casse plus, ce qui laissait aussi la turbine prendre plus de régime donc donner plus de puissance: on put ainsi augmenter le nombre de pales, passant de quatre à huit.
C'était aussi le premier modèle monomoteur volant correctement, le pilote disposant de gouvernes d'ailes antisymétriques pour remédier au couple de basculement induit (et cesser de compenser une fois le carburant épuisé), problème ayant jusqu'alors motivé la présence d'un nombre pair d'hélices (deux, parfois quatre) à rotations "en miroir". La turbine motrice à alcool était connue depuis longtemps des ingénieurs îliens, mais jusqu'alors on n'en avait pas construit de grands modèles, sachant que ça consommait beaucoup: pour les grosses installations fixes, il y avait déjà les éoliennes et les moteurs à air comprimé ou hydropneumatiques (sur accumulateur de pression), alors à quoi bon dépenser de l'alcool? En échange de quoi cette machine était fiable, car comportant peu de frottements et peu de vibrations. Le dessin des turbines et compresseur était proche, au fil des optimisations depuis longtemps, d'une réalisation de 1980 . Il s'agissait d'aubages pour turbomachines radiales et non axiales, d'où le retour de la sortie (latérale) du compresseur par l'arrière de la turbine de sortie, dont l'échappement était latéral, donc coudé pour souffler lui aussi dans le bon sens.
Cette réussite en matière de rapport puissance/poids mit un bémol aux recherches sur le moteur à combustion interne à piston, qui continuerent toutefois dans le domaine du "canon à combustible liquide injecté".
Suite à un tremblement de terre, provoquant le déboulement de rochers pendant qu'ils étaient au travail (donc hors oubliettes), trois des Anglais (dont le "second") réussissaient à quitter l'île avec une embarcation de pêche. Le séïsme avait fait disparaître sous l'eau la moitié de l'île située au sud: les aérostiers supposaient maintenant que c'était pour cela que les îliens ne l'habitaient pas, et n'envisageaient d'aller y chasser qu'en cas de besoin, ce qui n'avait jamais été le cas. Il n'y avait donc eu que des missions d'exploration. De plus, cette fois, une partie (environ 8%) de l'île centrale s'était écroulée aussi, créant de nouveaux récifs (émergeant ou non) non encore émoussés par la mer.
Un seul des évadés (le "second" de la frégate) finissait par rejoindre vivant l'Angleterre après avoir touché terre au Portugal. Il connaissait les coordonnées du dernier point fait à bord du navire en apercevant l'île. Mentionnant un gros gisement de cuivre (ce qui était exagéré: il était suffisant pour les réalisations techniques (y compris électrotechniques) de la population de l'île, mais à l'échelle de la consommation anglaise c'était modeste, même pour l'époque) en plus de la captivité de marins et d'un capitaine de la Royal Navy, il arrivait à persuader celle-ci de lancer une expédition pour s'emparer de l'île, tout en les avertissant "ils ont récupéré nos canons, et ils ont aussi des aéronefs: il faudrait pouvoir tirer vers le haut, pour les abattre". Toutefois ils n'avaient pas assisté aux essais de décollage du sol puis de la mer, en particulier avec les prototypes à turbopropulseur, à automonie réduite mais beaucoup plus rapides et maniables. Un cuirassé spécial était construit, doté de deux machines à vapeur (deux hélices, protégées chacune par un carrénage cylindrique), d'un blindage prismatique du dessus (et pas juste des côtés) et de canons montés dans des sphères s'orientant en tous sens. Les six navires d'escorte sont plus classiques, à voile et hélice, dont trois à coque doublée d'acier. Lourdement blindé, lourdement armé et avec un tirant d'eau important, ce cuirassé s'avèrait plus lent et bien plus gourmand en charbon que prévu, au point qu'il fallait le faire remorquer par trois des navires d'intendance pour économiser le combustible.
A l'approche des trois îles, les navires d'intendance étaient censés rester en retrait, et le cuirassé attaquer seul. Les îliens se demandaient si ce ne serait pas une sorte de sous-marin, car il semble très lourd (inertie à virer, en particulier) donc "il pourrait y en avoir plus sous l'eau qu'au dessus de l'eau". Ce qui leur fait conclure qu'il ne peut pas aborder directement. Décision est alors prise d'attendre qu'une embarcation en sorte, tout en envoyant un sous-marin (d'une autre côte) le contourner au large pour l'attaquer par derrière, là où il ne s'y attendra pas. Un aéronef décollait de l'autre côté pour prendre de l'altitude au dessus de l'île bouillante (ça faisait gagner du temps et économiser de l'alcool) pour réussir à voir de plus haut s'il y avait d'autres navires. Ceux-ci était vu, d'où la décision d'aller les attaquer tout en restant hors de portée de vue du cuirassé, qu'ils supposaient disposer de canons plus modernes que ceux de la frégate précédente. Trop loin pour les avions à turbopropulseurs (fabriqués à 17 exemplaires, entretemps, et fortement améliorés), limite pour les avions à vapeur (aller, oui, mais retour?), restait donc les sous-marins à vapeur, au schnorkel et au périscope, trop difficiles à repérer ainsi à plusieurs kilomètres du cuirassé. Les îliens ne souhaitaient pas couler le cuirassé au large (sauf nécessité) parce qu'il représentait (supposaient-ils, à moins que ce fût du bois à l'intérieur...) une masse d'acier très intéressante à récupérer, en plus de l'étude de ses canons certainement plus efficaces que ceux déjà récupérés. Leur théorie était que les vivres et des réserves de munitions se trouvaient dans les autres navires, restés loin, le cuirassé étant conçu uniquement pour l'attaque et non pour assurer sa propre intendance pendant un long voyage.
Après avoir longuement observé l'île, le capitaine du cuirassé (et commandant de l'escadre) avait repéré un certain nombre d'objectifs pouvant être rapidement à portée de tir. Il prévoyait d'agir très vite: avancer tout en règlant les dix-huit canons longue portée (il y avait aussi trente canons plus classiques, pour le tir de navire à navire) sur les neuf objectifs repérés (deux sur chaque), dont les trois éoliennes à carroussel de voiles visibles depuis l'est de l'île. D'après le récit du rescapé, ils supposaient que c'étaient ces machines qui avaient permis de treuiller par l'arrière et échouer la frégate.
La battaille navale avait lieu, le cuirassé faisant sa manoeuvre et touchant quatre des neuf objectifs repérés, ce qui permettaient aux îliens d'estimer la portée de ses canons: le triple de celle des précédents, mais largement insuffisant pour tirer vers les sommets de l'île, contrairement au canon éléctromagnétique qui y était installé. Après règlage télémétrique de la puissance de tir (et non de la hausse. Il était sur une vaste base orientable couverte de végétation) les projectiles explosifs pleuvaient alors sur le cuirassé (ce canon pouvant être chargé très vite et ne chauffant pas) mais n'y faisaient pas les dégâts escomptés (endommageait la tôlerie, la cheminée et certaines meutrières d'observation, mais n'y prénétraient pas), tout en y causant beaucoup de fumée gênant les tirs de certains de ses canons (selon le sens du vent). Ce canardage attirant l'attention vers le haut de l'île et provoquant un martellement métallique assourdissant à l'intérieur du cuirassé était mis à profit par le sous-marin pour aller bloquer les gouvernails "babord toute", ainsi que l'hélice babord (grosse cornière de fer introduite dedans, happée, pliée et bloquée définitivement par le couple de rotation de l'hélice elle-même) et obliger ainsi le cuirassé à tourner en rond, quand il tentait de corriger sa position de tir aux hélices, ce qui compliquait beaucoup le travail de ses canoniers: pour toucher un objectif avec un canon longue portée, il fallait pouvoir viser précisément.
Le bombardement intensif, mettant maintenant aussi en jeu le canon magnétique et pneumatique côtier est, plus puissant et plus proche (utilisable maintenant que les canoniers du cuirassés avaient beaucoup de mal à stabiliser leurs tirs), commençait à endommager les superstructures blindées du cuirassés (à babord, quelques grosses tôles rivetées étaient tombées à la mer, exposant de petites portions d'entrailles plus vulnérables) mais le canon du sommet de l'île était maintenant à cours de projectiles. Le cuirassé accélérait, de son hélice tribord, de façon à continuer à virer et ne plus exposer aux tirs le flanc ayant perdu une partie de son blindage. Un petit coup de machine arrière, immobilisation et ajustement des tirs vers le canon magnétique côtier. La manoeuvre avait éloigné le cuirassé, au détriment de ses propres canons: ils pouvaient encore tirer à une telle distance, mais au détriment de la précision. Le canon îlien, capable de tirs plus tendus, du fait de sa puissance, se mettait à tirer aux jointures entre les sphères blindées contenant les artilleurs des grands canons du cuirassé et le blindage adjacent, de façon à bloquer leur rotation en déformant ces grosses tôles à l'explosif. Cinq des huit canons ainsi pilonnés cessaient de pouvoir pivoter donc viser, certains pour cause de blocage mécanique, d'autre pour cause de blessures graves de leurs canoniers contre une paroi ou une partie du canon.
A l'intérieur, les officiers discutaient de la tactique à adopter: gouvernails bloqués, une hélice bloquée, pilonnage commençant à créer des dégâts importants au blindage et à l'armement. Des hommes avaient plongé à babord (hors de vue de la côte) pour aller examiner ce qui se passait sous l'arrière du navire: l'énorme cornière tordue dans (et par) l'hélice, déformant son carrénage anti-collision ne pourrait être découpée qu'avec un outillage industriel dont ils ne disposaient pas. Le blocage des gouvernails semblait moins difficile à résoudre, mais le plus inquiétant était de constater que cela aussi avait été fait à leur insu, donc par dessous. Nageurs de combat? Sous-marin? (des essais de sous-marin existaient depuis (au moins) Léonard de Vinci, mais sans succès militaires). Leur conclusion fut que les îliens ne voulaient pas couler le cuirassé (sinon ils auraient placé des charges explosives contre la coque, au lieu de se contenter de bloquer les gouvernails et une hélice), mais s'en emparer, comme ils l'avaient fait de la frégate, dix-huit mois plus tôt. L'absence de tirs proches de la ligne de flottaison le confirmait: la batterie côtière silencieuse (on ne l'entendait jamais tirer) de forte puissance tirait pour désarmer le navire et si possible tuer son équipage, mais pas pour le couler. Le tir d'obus à gaz toxiques, et non explosifs, à travers la grande brèche obtenue lors de l'explosion des munitions du cinquième canon tribord, allait aussi dans ce sens: pas de charges explosives ni incendiaires envoyées par cette mise à nu de la structure interne. Leur conclusion fut qu'ils devraient couler eux-mêmes leur cuirassé (ce qui était facile: il y avait bien assez de stock d'explosifs dedans pour cela) pour qu'il ne tombât pas aux mains de l'ennemi, qui semblait apprendre vite l'arme de la guerre: le récit de l'évadé survivant n'avait mentionné aucun tir au canon. C'était donc en s'emparant des canons de la frégate qu'ils avaient eu l'idée d'en inventer d'autres, très puissants et étrangements silencieux. Les canons sur globes blindés équipant le cuirassé étaient les plus modernes conçus pour la Royal Navy. Il était hors de question de laisser un ennemi s'en emparer pour les étudier.
Ce furent avec de petites charges explosives que les marins s'occupant des gouvernails réussirent à rompre la ferraille qui les boquait. Un des axes de gouvernail fut rompu lors de cette expérience, mais pas l'autre. Il était maintenant possible de manoeuvrer sur une seule hélice. Ce navire très lourd dans l'eau était déjà peu maniable, et le devenait encore moins ainsi, mais il put faire machine arrière vers le large, hors de portée du canon côtier, puis virer pour continuer en marche avant. Ils ne retrouvèrent pas le reste de la flotte: le film faisait un "flash-back" montrant comment les îliens étaient allés l'incendier et la couler, assez facilement, car en plus de se croire hors de portée d'une attaque elle n'avait ni l'épaisseur de blindage ni la puissance de tir du cuirassé, qui avait résisté à une quantité d'obus (explosifs) qui aurait suffi à couler une cinquantaine de navires de guerre classiques. Toutefois cela venait aussi de ce que le but de ce pilonnement, comme l'avait deviné le commandant, n'était pas de le couler, mais juste de le mettre hors de combat.
Certains marins préférèrent mettre des chaloupes à la mer (à cette distance, on pouvait soulever sans crainte les panneaux de grosse tôle doublée de chêne massif les protégeant) et aller vers la plus petite île boisée, espérant s'y cacher, et préférant au pire être capturés que sombrer avec le navire. Onze préférent rester dans le cuirassé en continuant au large, tout en sachant que les îliens ne les laisseraient pas retourner en Angleterre faire un rapport sur leurs nouvelles armes, donc les poursuivraient pour les couler en mer. Le blocage brutal de l'hélice tribord (depuis un bon bout de temps, le sous-marin s'était fixé sous le centre de la coque par une de ses pinces, se faisant ainsi véhiculer sans bruit ni dépense d'énergie à l'insu du cuirassé) le confirma: "ils ne vont rien faire: ils attendront notre mort de soif et de faim pour venir le récupérer". Le commandant anglais donna alors l'ordre de faire sauter le navire (et non de juste le saborder), en plaçant les explosifs (il y avait encore beaucoup de stock) contre, sur ou sous tout ce qui pouvait présenter un intérêt militaire si jamais les îliens réussissaient à repêcher le cuirassé malgré la profondeur supposée très importante de l'océan à cette distance de l'île. Ceux qui se souhaitaient pas couler avec (sept des onze) embarquèrent sur un canot, les quatre autres leur faisant un adieu sobre et digne, attendant l'éloignement suffisant du canot pour déclencher les charges explosives. L'explosion endommagea aussi le sous-marin (bien que s'étant séparé de la coque avant), qui coula, l'onde de choc ayant rompu l'étanchéïté de sa structure.
Le dirigeable (assez d'hydrogène avait été électrolysé entretemps pour le regonfler, gardé à l'abri à l'ouest) vint ensuite survoler la zone de combat à bonne altitude (hors de portée des fusils): si un canot continuait au large, il devait le couler au moyen d'une des roquettes emportées à cet effet, le tube de tir étant sous la nacelle (garnie d'une plaque de métal fin) pour que le retour de flamme fût bien isolé du ballon. L'intérêt du dirigeable pour cela était de pouvoir accompagner lentement sa cible pour bien la viser, contrairement à un avion.
Cela avait déjà eu lieu pour cinq des canots du reste de l'escadre. Ceux qui ramaient vers les îles n'étaient pas attaqués. Après l'éloignement du cuirassé, un navire îlien (catamaran à voiles et roue centrale) avait dissuadé les canots partis du cuirassé de ramer vers la première île: ils avaient donc dû aborder sur l'île principale, où il avaient été capturés par grenadage (en terre cuite) à gaz incapacitant (mais sans séquelles, comme pour les aéronautes). Ils furent enchaînés chacun à un arbre dans la forêt, hors de portée de voix les uns des autres, en attendant le creusement d'oubliettes individuelles, qui s'opérait au moyen d'une pelle circulaire puissante et d'une noria d'extraction, entraînées par une grande éolienne (via une grosse boite automatique augmentant le couple) installée sur place sur une sorte de "derrick" au dessus du puits à creuser. Ces forages se faisaient dans les zones de sédiments argileux compacts d'où était extrait l'argile dont ils faisaient les briques. Les marins sérieusement blessés furent achevés et mangés, les blessés légers désinfectés, recousus et pansés, puis ajouté à la liste des esclaves. L'île comptait maintenant 238 esclaves anglais, un français (Philippe) et deux ingénieurs en "liberté surveillée": Henri et Pierre. Ils savaient que l'on ne leur montrait qu'une petite partie de l'île, et une petite partie de sa population: ni les femmes, ni les enfants, à peu d'exceptions près. Les esclaves étaient employés au travaux miniers en cloche à plongeurs, et d'autres tâches simples, fatigantes, que les machines n'étaient pas aptes à faire à leur place. Ca faisaient trop de monde à loger (oubliettes à creuser) et à nourrir par rapport au besoin de main d'oeuvre des îliens, habitués depuis longtemps à ne disposer ni d'esclaves ni de bêtes de somme. Parqués séparément donc ne pouvant pas se compter, ils ne virent pas que les moins rentables d'entre eux étaient recyclés en viande. L'île n'en garda que quarante (Philippe aussi fut mangé), plus grand nombre positif codable sur quatre "trits" (81 valeurs, de -40 à +40).
Bien d'autres péripéties animaient cette histoire en dehors des grandes lignes décrites ici. A la fin, un séïsme beaucoup plus puissant engloutissait les trois îles, certains îliens ayant le temps d'embarquer sur des navires (dont certains échappaient au tsunami ainsi engendré), ceux qui partaient avec les avions savaient qu'ils devraient vite trouver une autre île ou finir à la pagaie, aucun de ces aéronefs n'ayant l'autonomie pour tout le voyage. Pierre et Henri utilisaient le dirigeable, dont ils étaient chargés d'entretenir et perfectionner la machine, ainsi que l'équiper d'un pilote automatique, à la fois pour l'altitude et le cap. Contrairement aux avions, il pouvait voler longtemps: il avait été conçu pour traverser l'Altantique, et même si les îliens y avaient mis moins d'alcool de façon à pouvoir emporter des bombes, les hélices ne seraient utiles que pour dévier la trajectoire vers le nord, la dérive vers l'ouest étant spontanée avec les vents dominants. Discutant de tous les brevets qu'ils allaient pouvoir déposer, et qu'ils avaient déjà rédigé avec de nombreux schémas (sur de la peau de porc fine: les îliens ne fabriquaient pas de papier) pendant leur long séjour sur l'île, ils continuait à voler vers Paris sans savoir que c'était la guerre de 1870: le dirigeable était touché de plusieurs tirs allemands et explosait en vol.
Erwann trouvait le scénario proche de l'ambiance des romans de Jules Verne, avec la découverte passionnante de toutes sortes d'inventions faites à côté de celles du monde réelle, examinées par divers ingénieurs de BFR et Kermanac'h pour vérifier leur vraissemblance. Chez Jules Verne, beaucoup de loi physiques étaient bidouillées pour rendre le récit possible, en particulier la capacité des accumulateurs dans "cinq semaines en ballon": prétendre emporter de quoi produire de l'hydrogène par électrolyse comme combustible et pour compenser les fuites du ballon était absurde: de l'hydrogène comprimé eût été incomparablement moins lourd. Il y avait aussi une grande élasticité des dimensions de "l'Epouvante" dans "Maître du monde" (un roman que VTP comptait adapter ultérieurement, car très cinématographique), si on lisait attentivement. Le personnage Parikèn risquait de décevoir ses fans: il était plus chercheur et ingénieur que héros, dans ce film, même s'il avait tout de même quelques scènes d'action, lors des séïsmes, des combats et de la catastrophe finale (où l'on ne savait pas s'il avait été englouti ou faisait partie de ceux ayant pu embarquer sans être repris par le tsunami). Le ton des dialogues entre lui et Pierre ou Henri restait formel pendant tout le film. Simple, avec parfois de l'enthousiasme lors de vraies réussites techniques, mais sans passer à la camaraderie ni à la fraternisation (contrairement aux deux ingénieurs français seuls): le scénario lui demandait de "rester sobrement finlandais", la barrière de la langue (il ne parlait pas couramment français, eux n'étaient pas doués non plus pour le langage des îliens, tout en réussissant à s'y faire comprendre) y contribuant. On lui avait dit "Parikèn est un garçon intelligent, curieux et plutôt gentil, mais à la façon d'un enfant de dix ans: il s'intéresse bien plus aux machines qu'aux gens, tout en étant content d'avoir quelqu'un à qui expliquer les techniques locales et qui s'y intéresse aussi".
VTP avait hésité à faire de ce scénario très détaillé et délicieusement "rétroscientifique" un film, ou une "télésuite": sur cinq ou six épisodes de deux heures à la télévision, il eût été possible prendre plus de temps pour tout exposer et faire découvrir. Ca tenait dans trois heures en version cinéma, grâce à la "mentalisation" virtuelle accélérant les explications de ceci ou de cela (on cessait très vite de voir quelqu'un parler de quelque chose: on entrait dans la chose, avec un rendu (obtenu par ordinateur avec un logiciel conçu à cet effet) évoquant (mais en 3D animées) les gravures des albums d'époque ou des vieux catalogues de la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne, avec une version télévision de quatre heures insérant un peu plus d'explications auxquelles des péripéties intercalaires servaient de prétexte. Le public pourrait découvrir les "chaînons manquants" et les "branches mortes" de certaines techniques à leurs débuts, comme le moteur électrique à pistons, qui avait réellement existé, et l'utilisation (au début, pendant la préparation du voyage) de multiples désuets de certaines unités métriques, comme le décamètre, l'hectogramme ou les "athmosphères", au lieu de parler de bars. On pouvait aussi découvrir que l'informatique eût progressé bien plus vite si elle avait fait le choix du trinaire plutôt que du binaire, le trinaire étant aussi légitime électriquement: courant négatif, nul, ou positif.
Le troisième tournage était Cyberlander, Un film dans lequel des jeunes mordus de manga et de jeux vidéo se défiaient à toutes sortes de duels, en voiture, en motos, en rollers et avec des épées à deux mains façon "Highlander". Il y aurait comme adversaires (entre autres) Emiliano, Zhao et Tobjörn. Les duels n'étaient pas nécessairement à mort: c'était aux "cybernautes" observant le combat de juger et de voter qui avait gagné. Il n'y avait pas de haine personnelle entre eux, pas plus qu'entre des joueurs d'échecs: juste faire leur maximum pour gagner, sans exclure (ici) la possibilité de tuer. Il y avait parfois des "dommages collatéraux" (en particulier pour les rodéos automobiles), d'où la traque par la police de ce type de "jeu en vrai". Emiliano avait fait de gros progrès aux combats à l'épée, au simulateur à retour d'effort, et en escalade d'osbtacles tout en combattant. Cyberlander ne reprenait pas les thèmes de "Peur filante" mais s'adressait au même public, ainsi qu'à celui de Torx (le tunning, en particulier). On pouvait penser que "Kendall" (en civil: Léandre), le personnage joué par Erwann, avait vu trop de films avec Erwann d'Ambert et se prenait pour lui, même si ce n'était pas évoqué dans "Cyberlander".
VTP estimait que ce film marcherait auprès du public ayant aimé "Peur filante" et les films "maison" avec héros, combats et poursuites. Ce n'était ni trop cher ni plus difficile à tourner que d'habitude: un peu de robotique à l'image des personnages permettait de pouvoir porter des coups avec de vraies lames à pleine force, à certains instants des combats. Personne n'avait de "super-pouvoirs", ce film se déroulant dans le monde réel avec des personnages cherchant à en faire autre chose que la réalité ordinaire, entre "gothique", jeux de rôles, manga et jeux vidéo. Les personnages "sartilvariens" (et pour cause: le tournage était simultané) jouaient en fait à l'être, tout en faisant partie du monde réel de 2001. L'un des jeunes enquêteurs (joué par Alceste ex-Bifidus qui avait perdu du poids et acquis des aptitudes dynamiques valables) se laissait prendre au jeu au point d'y participer en dehors de ses heures de service, au lieu d'aider ses collègues à y mettre fin: il les envoyait sur des fausses pistes et aidait ses nouveaux camarades à faire disparaître le corps d'une jeune femme fauchée par une des voitures: "ce n'est pas comme si elle était blessée: là, quoi que l'on fasse, ça ne la ressuscitera pas".
L'enquête montrait qu'il sembait y avoir un "code de déontologie", chez les cybernautes: celui qu'ils avaient retrouvé pendu sous un lampadaire (pour être bien visible de jour comme de nuit?) s'avérait, après analyse, avoir utilisé des amphétamines et des béta-bloquants pour améliorer sa durée de concentration et sa maîtrise de soi. Ce groupe n'aimait donc pas les tricheurs.
Lors d'une tentative d'arrestation, aux 2/3 du film, on comprenait enfin à quoi servait les espèces de bracelets de force à petites pointes d'inox que portait Kendall: lorsque l'un des policiers qui lui avait sauté dessus de la portière passager de sa 309, l'apercevant sur le trottoir, tentait de lui saisir les poignets pour le menotter, n'ayant pas vu ça (parce que les manches du manteau les couvrait) ce policier tressautait vivement en arrière, laissant à Kendall le temps de plaquer (comme au rugby: plongeon dans les jambes) l'autre policier accouru en renfort puis de s'enfuir avec leur 309 diesel dont le moteur tournait encore vu la précipitation de l'interpelation. Kendall abandonnait la voiture trois rues plus loin sur un emplacement "livraison", après y avoir pris une paire de menottes trouvées dans la boite à gants, la carte mémoire du terminal de consultation de fichiers et les deux gilets pare-balles. Plus tard, l'arrestation (réussie) de Jocelin (joué par Emiliano) le retrouvait mort dans sa cellule du commissariat, une heure après son interrogatoire, sans qu'il ait été vu en train d'arracher et croquer le bouton de col au cyanure de sa chemise de satin violent: il en avait parlé de capsules de cyanure vers le début du film et en avait distribué à ses camarades: "c'est uniquement en cas de prison", sans dire où il cacherait les siennes.
Cette histoire ne pouvait que mal finir et finissait mal, même si "Karoshi", le personnage joué par Zhao, s'en tirait, ainsi que, côté policiers, celui que Kendall avait antérieurement menotté à la grille d'eau. Kendall, lui, était mort dans une poursuite en voiture.
Les acteurs jouaient des personnages censés avoir autour de vingt ans, les Emilianiens mettant très longtemps à paraître plus que cet âge-là, sauf si on les filmait et faisait jouer de façon à sembler plus âgés.
Il n'y avait pas de cruauté dans ce film: beaucoup de violence mais "fraîche", dynamique, rapide, de façon à ne pas restreindre le public. On pouvait reprocher à VTP de "faire du VTP" en piochant dans ses propres références cinématographiques pour créer de belles scènes d'action bien filmées reliées par un scénario qui à lui seul pouvait en évoquer d'autres, utilisés ailleurs que chez VTP y compris dans des séries policières.
Certes, les personnages de Cyberlander se prenaient pour ceux des Miroirs du temps ou équivalent, mais c'était le thème du film, dans un contexte fadement contemporain: goudron gras-mouillé des grands parkings luisant sous la lumière blanc-violet des lampadaires à vapeur de mercure (préféré dans le film à ceux au sodium dont la lumière était plus acceuillante), superstructures d'usines désaffectées et autres friches industrielles. Dans l'une des scènes, ils s'introduisaient dans l'immense usine Renault à l'abandon sur l'ile Seguin. Les scènes n'y avaient pas réellement été tournées, faute d'autorisation. VTP avait envoyé des "drônes" à pattes et chenilles filmer l'intérieur de l'usine en haute définiton stéréoscopique sous toutes ses coutures, puis reconstitué ce décor en mêlant réel et synthèse. De la synthèse capable de faire vieux, crasseux et endommagé. Ceux qui s'étaient réellement introduits dans l'usine où en avaient vu des photos (souvent clandestines) reconnaîtraient ces vues intérieures, y compris la piste d'essais souterraine et, tout au bout, la centrale électrique avec la fresque noire et jaune de la F1 des années 70 du mur du fond. Les personnages escaladaient les générateurs en se battant, l'un deux s'abritant ensuite derrière le grand rotor de turbine qui était posé au sol et que son axe empêchait de se coucher. Ils le faisait rouler au cours du combat. On pouvait réellement déplacer cet élément à la main dans l'usine réelle, à l'époque. Ca n'avait pas le côté "futur proche net et miroitant" (les vitres-miroirs des tours) des grandes "dalles" urbaines de "Peur Filante", qui accentuait le contraste avec la violence sanglante des agressions à la pioche dans les ventres de femmes enceintes. Les projections de sang et de bouts de tripes manquaient de peu l'objectif de la caméra, percevait-on quand c'était projeté en stéréoscopie. Rien de tel dans "Cyberlander" dont la violence était plus réaliste et beaucoup moins "gore". Il y avait même une séquence pouvant faire penser à l'invention de Maurel, dans l'usine de l'île Seguin: Kendall, après avoir pris un coup de tube en acier sur la tête (pas très grave, d'ailleurs le but de son adversaire n'était pas de le tuer, mais juste de gagner) voyait défiler le temps dans l'usine autour de lui: les horloges toutes arrêtées à la même heure refonctionnaient, les chaînes de production redémarraient. Il y voyait défiler des Express, puis des R4 (on remontait dans le temps bien que les scènes fussent filmées en marche avant: les ouvriers ne démontaient pas les voitures, c'étaient simplement de plus anciennes qui leurs succédaient à certains moments, comme si elles avaient été lancées en fabrication à leur suite, sans interrompre la production en cours), des 4CV, etc, les gens changeaient d'apparence, certaines machines aussi, ou étaient réinstallées ailleurs, puis c'étaient la guerre, puis les productions d'avant-guerre, puis soudain la lumière: l'usine n'était qu' en construction, il voyait le ciel libre au dessus de lui. C'était alors qu'il finissait par recoller à la réalité. Il posait alors la question à un de ses camarades: "combien de voitures ont-ils fabriqué ici?"
- je ne sais pas: plusieurs millions.
- te rends-tu compte la plupart ont dû être détruites, depuis le temps? Tous ces ouvriers qui ont travaillé dur toute leur vie à les fabriquer alors qu'il n'en reste rien. A quoi ça sert, de vivre et de travailler?
C'était une des rares "minutes de philosophie" de ce film. Elle durait bien moins d'une minute: c'était la remontée dans le temps qui en occupait trois.

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